Monde 5 SAMEDI 25 JANVIER 2014 WWW.SUDOUEST.FR Les opposants mènent le bal en Autriche Russie : au tour de Lebedev d’être libéré Entre 6 000 et 10 000 manifestants ont protesté hier soir à Vienne contre la tenue, au palais impérial de la Hofburg, du bal annuel organisé par le parti d’extrême droite FPÖ, où Marine Le Pen avait été invitée il y a deux ans. Quelques incidents mineurs se sont produits le long des trois défilés. Il devait quitter en mai le camp de la région d’Arkhanguelsk où il était détenu depuis plus de dix ans. Hier, les services pénitentiaires russes ont annoncé la libération de Platon Lebedev, l’associé de l’ex-magnat et opposant à Poutine Mikhaïl Khodorkovski, gracié en décembre. Avec l’islam en filigrane TUNISIE Vote historique demain à Tunis : la Constituante devrait adopter enfin la loi fondamentale. Le politologue Baudouin Dupret y analyse le rôle de référent de l’islam rois ans après la chute de Ben Ali, la Tunisie va enfin se doter d’une Constitution. Discuté article par article depuis trois semaines, le texte doit être voté aujourd’hui. La majorité des deux tiers des 217 députés est requise. Une seconde lecture est prévue si cette majorité n’est pas atteinte, puis un référendum en cas de nouvel échec. Le texte est le fruit d’un compromis entre islamistes et laïques. Le politologue Baudouin Dupret, directeur du centre Jacques-Berque (CNRS, Maroc), juriste et arabisant, analyse le texte sous l’angle du lien entre droit positif et loi islamique. T « Sud Ouest ». Le texte écarte la notion de « charia » mais l’État se déclare « protecteur du sacré ». Quelles tensions cela révèle-t-il ? Baudouin Dupret. À l’inverse de l’Égypte, aucun texte en Tunisie ne fait de la charia la source formelle du droit. La Constitution de 1959 stipule que « la Tunisie est un État libre, indépendant et souverain, sa religion l’islam, sa langue l’arabe, son régime la République ». La formulation visait à surmonter les divergences au sein de la première Constituante. Le préambule invoquait l’islam, interstice où s’est engouffrée la frange conservatrice du pouvoir judiciaire pour donner à la charia le statut de source subsidiaire, notamment pour le statut personnel. Des tensions ont resurgi après la chute du régime Ben Ali. Dans l’avant-projet déposé en juin 2013, la référence à l’islam est laconique, bien que le sujet ait été longuement débattu et ait suscité de violentes controverses. Le fait est, qu’en Tunisie et en Égypte, on note une faible présenceduréférentislamiquedans les textes officiels malgré la polarisation de la scène politique autour de l’opposition islamique-libéral. Lors des débats, Lobna Jeribi, députée d’Ettakatol, et Mohamed Hamdi, secrétaire général de l’Alliance démocratique, face à Sahbi Atig, président du groupe parlementaire d’Ennahda. PH. AFP Comment se sont conciliées les deux tendances ? Ennahda, principal tenant de l’islamo-conservatisme, et qui a gouverné à l’issue des élections libres de 2011, a renoncé à mentionner la charia comme source de la législation. Cela ne signifiait pas l’abandon du projet de moralisation islamique de la société et de l’État, mais seulement, comme dans la Turquie d’Erdogan, la préférence d’une approche gradualiste plutôt que d’actions d’éclat. Ghannouchi, chef d’Ennahda, a dit le 26 mars 2012 : « Près de 90 % de nos lois et textes législatifs ont pour source la charia. » Via l’imbrication des articles du projet de Constitution, l’islamité de l’État est renforcée sans qu’il soit besoin de le dire expressément. L’article 1er reprendlaConstitutionde1959,disant que la religion de la Tunisie est l’islam. La formule est ambiguë, mais l’article141letransformeen«religion de l’État », excluant qu’une révision puisse modifier cela. L’article 2 parle d’«Étatcivil »etl’article6chargel’État de « protéger » la religion. Puisque celle-ci est l’islam, cela revient à garantir le recours au référent islamique et à son corollaire, la charia, en cas de besoin ou si le climat politique le permet. Mais cela ne signifie en aucun cas l’hégémonie islamique sur la vie politique et constitutionnelle. sortir de l’autoritarisme ? L’Égypte fait retour à l’autoritarisme. La Tunisie, longtemps bloquée, veut se doter d’une Constitution équilibrée, sans l’hégémonie que la victoire massive d’Ennahda aux élections avait fait craindre. Le coup d’arrêt égyptien de juillet dernier a servi d’avertisseur aux Tunisiens. Les voies sont aujourd’hui divergentes : l’évolution égyptienne, après avoir étéinspiréeen2011parlatunisienne, sert aujourd’hui de repoussoir aux Tunisiens, surtout aux islamistes qui ont senti le vent du boulet. Qui, de l’Égypte ou de la Tunisie, vous semble la mieux préparée à (1) Il a dirigé l’ouvrage collectif « La Charia aujourd’hui » (La Découverte, 2012). Recueilli par Cédric Baylocq (correspondance spéciale) Des apparences de concessions à Kiev UKRAINE Un calme tendu régnait hier soir dans le centre de Kiev, où continuaient de se faire face les forces antiémeutes et des centaines de manifestants. L’annonce par le président ukrainien d’un remaniement de son gouvernement, lors d’une session extraordinaire du Parlement convoquée la semaine prochaine, a peu de chances de satisfaire les opposants. Même si Viktor Ianoukovitch a également indiqué qu’il comptait faire libérer tous les manifestants arrêtés et amender les lois controversées adoptées la semaine dernière pour durcir, jusqu’à la prison ferme, les sanctions contre les protestataires. Dans ce contexte, la disparition d’un militant très actif contre le pouvoir, après la mort d’un autre, qui avait été enlevé, alimente les craintes d’une vague de répression sanglante parmi les opposants. Introuvable selon ses collègues depuis mercredi soir, Dmytro Boulatov, 35 ans, est l’un des leaders d’Automaïdan, mouvement de manifestants en voiture, qui a organisé plusieurs actions spectaculaires devant la résidence de Vitkor Ianoukovitch. Les pays européens ont durci leur position à l’égard de Kiev, dont l’Allemagne et la France, notamment, ont convoqué les ambassadeurs. EN BREF ■ MALI Onze djihadistes ont été tués et un soldat français blessé lors d’une opération des forces françaises dans le nord du Mali. Les jours du militaire ne sont pas en danger. ■ ÉGYPTE Un attentat à la voiture piégée a visé hier le siège de la police du Caire, premier d’une série de quatre attentats ayant fait six morts dans la capitale égyptienne, à la veille du troisième anniversaire de la révolte qui avait chassé Hosni Moubarak du pouvoir. La négociation de Genève 2 sous haute tension SYRIE Hier, le premier échange direct entre la délégation du régime et l’opposition a été annulé Comme on pouvait s’y attendre, le dialogue entre le régime de Damas et ses opposants est mal parti. Il n’a même pas eu lieu, hier, alors que, pour la première fois, les deux délégations devaient s’asseoir à la même table pour un échange de vues arbitré par Lakhdar Brahimi. Le médiateur des Nations unies a une tâche ingrate. Après avoir essayé de convaincre la Coalition nationale syrienne (CNS) d’entrer en réunion, il a dû déployer ses talents de négociateur pour dissuader Walid Mouallem, le ministre syrien des Affaires étrangères, de reprendre l’avion pour Damas. C’est chose faite, et les deux parties ont promis de se retrouver ce samedi dans les locaux de l’ONU pour tenter enfin de se parler sérieusement. Pour quel résultat ? Les diplomates sont très, très sceptiques. Ils répètent à l’envi que la simple présence d’envoyés du régime Assad et de l’opposition face à face est en soi une victoire. On se contente de peu, car, sur le terrain, les combats se poursuivent comme si de rien n’était. Quant à la situation humanitaire, elle est si dégradée qu’on a appris hier que, dans le camp de réfugiés de Yarmouk (au sud de Damas), 63 personnes – dont des femmes et des enfants – étaient mortes de faim et par manque de soins médicaux. C’est peut-être par un compromis autour de l’accès aux civils en dan- ger de mort et des cessez-le-feu localisés que la négociation de Genève pourrait parvenir à un premier résultat. Tel est l’espoir des observateurs mais, pour l’instant, la lutte se cristallise toujours autour du sort de Bachar al-Assad dans la transition. Et ce point est tellement conflictuel, les positions sont si irréconciliables, qu’aucun progrès n’aura lieu si on ne parle pas d’abord d’autre chose. Walid Mouallem à son arrivée. PHOTO SALVATORE DI NOLFI/EPA « Un manque de sérieux » Vieux routier de la diplomatie, Walid Mouallem a menacé de plier bagage en dénonçant le « manque de sérieux » d’une opposition qui persiste à vouloir lui faire avaler une transition sans Bachar. Le ministre syrien joue sur du velours, car la feuille de route de la réunion de Genève, corédigée par les Américains et les Russes, reste floue sur ce point qui n’a jamais fait consensus, ni entre les intéressés, ni entre leurs parrains respectifs. « Les deux parties se réuniront, personne ne partira demain (samedi, NDLR), ni dimanche », a promis Lakhdar Brahimi, qui promet que la négociation fera enfin « un pas » après le « demi-pas » d’hier. Et pour que la réunion de ce samedi ne se limite pas à un dialogue de sourds, le médiateur en a appelé à tous ceux – Américains, Russes, Européens, monarchies du Golfe – qui ont quelque influence, pour « faire avancer le processus ». Le problème est que, depuis plusieurs semaines, les pressions des uns et des autres sur les acteurs syriens semblent de moins en moins efficaces… Christophe Lucet