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2. Le néokantisme
Dans le premier chapitre de l’ouvrage, intitulé Concept de mesure et concept de chose
Cassirer énonce clairement son orientation épistémologique : nombre de savants, philosophes
ou physiciens, ont prétendu que la théorie de la relativité d’Einstein contredisait les thèses de
la philosophie transcendantale développée par Kant dans la Critique de la Raison Pure et cela
est éminemment erroné. S’il est indéniable que la philosophie transcendantale de Kant se
trouve ‘dépassée’ par les progrès récents de la science, elle n’est pas pour autant à mettre
dans les placards de l’histoire. Cassirer voudrait en quelque sorte faire de son ouvrage une
réfutation de la réfutation de la méthode transcendantale, et redonner à cette dernière la place
qu’elle mérite :
« S’il apparaissait que les nouvelles conceptions physiques de l’espace et du
temps ont fini par conduire aussi loin de Kant que de Newton, alors serait venu
pour nous le moment d’aller au-delà de Kant en nous fondant sur les
présuppositions kantiennes. En effet, ce à quoi aspirait la Critique de la raison
pure, ce n’était pas « de fonder la connaissance philosophique une fois pour
toutes sur un système de concepts figé et dogmatique, mais d’ouvrir « la voie
continue d’une science » dans laquelle il ne peut y avoir ni pause, ni halte
absolue, mais seulement des étapes toujours relatives
. »
Le premier point qui va être examiné est le rôle des arguments métaphysiques
, dans
la construction de théories physiques. Il est clair que les savants du passé, dans la tradition
aristotélicienne ont tous fondés leur description du monde sur des visions métaphysiques du
monde; Cassirer souligne que cela reste vrai pour la physique dite ‘classique’ : Galilée,
Kepler, Helmholtz, Hertz ont chacun utilisé des tels arguments dans leurs constructions
théoriques. Si l’on reconnaît que la métaphysique occupe effectivement une place dans
l’avancée de la physique, on doit alors examiner les sciences non seulement d’un point de
vue technique mais aussi en s’attachant aux postulats qui leur ont donné naissance, plus
particulièrement aux objets qu’elles extraient de la « masse uniforme du donné. » Par
conséquent, nous ne pourrons construire une théorie de la connaissance pertinente, nous dit
Cassirer, en nous contentant de la formule de Planck « n’existe que ce que l’on peut
mesurer », si judicieuse soit-elle. En effet, il n’existe pas de mesure sans présupposition
théorique. L’auteur peut alors énoncer le principe de la primauté de la pensée, que l’on
retrouvera au cœur de son argumentation tout au long du livre:
« Aucune constante, quelle qu’en puisse être les propriétés particulières, n’est
donnée immédiatement, mais toutes doivent être préalablement pensées et
recherchées avant que l’on puisse les découvrir dans l’expérience.
»
Par ailleurs, ces constantes ne résident pas dans ce qui est mesuré, encore moins dans
ce qui mesure mais « dans la forme de leur connexion réciproque », aussi est-ce
« l’oscillation constante entre l’expérience et le concept » qui règle les mouvements de la
pensée et ces deux directions sont entièrement interdépendantes. Cassirer alors donne un
exemple probant pour confirmer cette thèse:
« Pour saisir le sens du principe d’inertie, nous avons besoin du concept de
« temps égaux » - mais d’autre part, on ne peut acquérir une mesure physique
Tr. p.35 / Or. p.8
Par ‘argument métaphysique’ on entend ici ‘assertion qui n’est pas fondée sur l’expérience’.
Tr. p.39 / Or. p.39
Nous utiliserons des caractères en gras pour souligner les mots que nous jugeons importants dans les
citations (déjà en italiques).