Procédés d’enrichissement du lexique I. La dérivation affixale Dérivation affixale : procédé qui consiste à former des mots en assemblant un mot ou un radical et un ou plusieurs affixes. Préfixation : opération dérivationnelle qui consiste à former un mot dérivé à l’aide d’un préfixe. Les préfixes peuvent être : des particules qui n’existent pas indépendamment des mots préfixés (ex : re- dans refaire, …) des mots qui peuvent également jouer le rôle de préposition (ex : contre dans contre-terrorisme, entre dans entrevoir, sous dans sousdéveloppé, …) des formes savantes empruntées au grec ou au latin et qui n’existent pas en générale d’une manière autonome. (ex : super dans supersonique, multi dans multiforme, …) Le plus souvent, les préfixes ne changent pas la nature du mot de base mais ce changement est parfois possible. Base Nominale Adjectivale Verbale réalisme langue lune Nom sur-réalisme possible grand game « se marier en Mots construits Adjectif multi-langue Verbe a-lun(ir) im-possible a-grandir poly-game grec » dire re-di(re) Il existe une allomorphie des préfixes comme de tous les autres types de morphèmes. Le préfixe négatif « de » présente la forme dés- devant une voyelle ou un h muet (déshabiller, désamorcer, désherber), la forme des- devant s (dessaler) et ailleurs la forme dé- (décoller, défaire, déharnacher). 1 Suffixation : opération consistant à former un mot dérivé à l’aide d’un suffixe. Les suffixes se placent après le radical et déterminent souvent de manière très stricte la catégorie grammaticale du terme qu’ils contribuent à former. Comme dans le cas d’un préfixe, il est fréquent qu’un suffixe présente des formes différentes. Base fromage Nominale saison chose frugal rouge Adjectivale volatile légère dragu(er) Verbale aim(er) trott(er) Mots construits Adjectif Verbe Nom fromag-erie saisonn-ier frugal-ité rouge-âtre Adverbe chosifi(er) volatil-is(er) légère-ment drag-eur aim-able trott-iner Nominalisation : procédé dérivationnel qui permet de former un nom à partir d’un adjectif ou d’un verbe. Verbalisation : procédé dérivationnel qui permet de former un verbe à partir d’un adjectif ou d’un nom. Adjectivisation : procédé dérivationnel qui permet de former un adjectif à partir d’un verbe ou d’un nom. Parasynthèse : adjonction simultanée d’un préfixe et d’un suffixe à un radical. Ex : encablure, dérivé de câble ; empiècement, dérivé de pièce. On ne peut enlever ni le préfixe seul, ni le suffixe seul, sans obtenir une forme non-attestée : on ne trouve ni *encable ou *encabler, ni *cablure ; ni *empiécer, ni *piècement. Un mot peut comporter un préfixe et un suffixe sans pour autant être un parasynthétique : la suffixation et la préfixation ne sont pas simultanées, mais successives. 2 II. Dérivation non affixale Dérivation non affixale/dérivation impropre/conversion : procédé consistant à dériver un mot d’un autre mot sans affixation, par changement de catégorie grammaticale. Base orange (fruit) Nominale étoile singe Adjectivale Verbale orange (couleur) grand dragu(er) pleur(er) Nom orange Mots construits Adjectif orange (couleur) Verbe étoil(er) sing(er) grand(ir) dragueur pleur Les linguistes qui ont fait ce tableau ne considèrent pas –er et –ir comme des suffixes. Nous si. III. La composition Composition : procédé qui consiste à former un mot en assemblant deux ou plusieurs mots. Les mots composés sont des mots complexes dans lesquels on peut identifier au moins deux morphèmes lexicaux, qu’il s’agisse de bases existant à l’état autonome sous forme de lexèmes ou de bases non-autonomes (ex : phyto/phage). On distingue généralement la composition à partir d’éléments français et la composition savante à partir d’éléments grecs ou latins. Dérivation régressive : contraction d’un mot pour former un mot nouveau (ex : rejet à partir de rejeter). 3 Procédés de composition la soudure (composés savants, anciens : embonpoint, vinaigre, pourboire… ; composés récents caractérisés par le fait que l’un des composants au moins est un mot tronqué et généralement par l’ordre déterminantdéterminé : inforoute) l’utilisation du trait d’union (rouge-gorge, abat-jour) la juxtaposition (pomme de terre, grand magasin) Description de mots composés Un composé est un groupe de mots ou de syntagmes qui comme tout syntagme se décrit par : sa catégorie grammaticale par la catégorie grammaticale de ses constituants et les relations fonctionnelles entre eux (syntaxe interne). Catégorie des mots composés 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Nom : pique-assiette, perce neige Adjectif : aigre-doux, sourd-muet Adverbe : bientôt, quelquefois, là bas Préposition : par delà, hormis Conjonction : puisque, quoique Déterminant : article : de la Numéral cardinal : dix-huit Pronom : a. personnel : moi-même b. démonstratif : celui-ci, ceci, cela c. indéfini : chacun, quelqu’un d. relatif/interrogatif : lequel Types de composés 1. Composés simples : a. Adjectif-nom (libre penseur, grand magasin, gris souris, vert olive, jaune paille) 4 b. Nom-adjectif (cerf-volant, noyau dur, crime organisé) c. Nom à nom (bateau à voiles, clé à pipe) ordre déterminé et déterminant d. Nom à groupe nominal (bouchée à la reine) e. Nom de nom (homme de paille, salle de bains) f. Nom de groupe nominal (homme de la rue, industries de la langue) g. Nom-nom (ingénieur chimiste, jupe-culotte) h. Verbe-nom (lave-glace, essuie-main, garde-fous) i. Préposition-nom (sous-verre, sans cœur, sous-main, sous-coupe) j. Adjectif-adjectif (aigre-doux, gris bleu) k. Ajectif-préposition-adjectif (vert de gris) 2. Composés complexes : les conglomérés : formes qui consistent en propositions figées (tire-au-flanc, je ne sais quoi, sauve qui peut, des on dit) les composés par emboîtement : composés intégrés dans la structure d’autres composés (microstation d’[analyse de l’image], société nationale des [chemins de fer]) 3. Les recomposés : mots composés formés à partir de radicaux liés (ex : phytophage) les recomposés classiques : résultant d’une forme de composition savante utilisant des bases non autonomes sur le plan morphologique mais autonomes sur le plan sémantique (thermostat, orthographe, pseudonyme) les recomposés modernes : résultat de l’agglutination d’un lexème français, autochtone, tronqué, à une base autonome (socioprofessionnel, écoproduit, chimiothérapie, fibrociment) IV. Autres procédés internes d’enrichissement du vocabulaire La réduction Troncation lexicale : processus d’abrègement des mots permettant la formation de nouvelles unités lexicales. L’abrègement peut affecter n’importe quelle partie du terme base (début, milieu ou fin) 5 Il existe trois types de troncation lexicale : - l’aphérèse : suppression de la partie initiale (capitaine pitaine, Allemand Alboche Boche, autocar car) - l’apocope : retranchement de la séquence finale (baccalauréat bac, microphone micro, projecteur projo + faux suffixe « o ») - la syncope : chute d’une séquence intérieure (bataillon d’Afrique du Nord bat’d’af) Les mots-valises illustrent ce mode de formation Mots-valises (portmanteau words) : mots résultant d’un phénomène de troncation qui affecte concurremment deux lexèmes qui se trouvent ainsi « télescopés ». Ex : - franglais (français + anglais) - informatique (information + automatique) Redoublement : troncation d’une unité lexicale avec la répétition d’une séquence afin de créer une nouvelle unité lexicale. La formation d’unités lexicales par redoublement est extrêmement répandue dans l’ensemble des langues du monde. Ce procédé a souvent une valeur affective en français. Noms propres : Tintin, Cloclo. Adjectifs : mignon mimi, fou foufou. Locutions verbales : s’asseoir faire sissitte, dormir faire dodo. Siglaison : procédé qui permet de désigner diverses réalités, le plus souvent institutionnelles en n’utilisant que les initiales de leur nom (UFR, ADN). Acronymes : sigles pour la création desquels on ne se limite plus aux initiales (RADAR : radio detection and ranging, ALGOL : ALGOrithmic language). Les sigles peuvent servir de base à des dérivés. 6 V. Procédés externes d’enrichissement du lexique Emprunt : importation d’un signe linguistique provenant d’un autre système linguistique, sans que ce signe subisse des modification formelles (ex : designer, eye-liner, week-end) Calque : utilisation d’un signifiant qui existe dans une langue donnée en lui attribuant un signifié nouveau, par l’emprunt d’une valeur sémantique présente dans une autre langue, ou traduction littéral e d’un terme emprunté à une autre langue. Il existe deux types de calques : - le calque sémantique : consiste à emprunter un sens nouveau pour un signifiant préexistant (ex : to realize : réaliser (pas dans le sens de faire)) - le calque formel : consiste en la traduction littérale d’expressions étrangères (ex : sky scraper : gratte-ciel, week-end : fin de semaine, sensor : senseur) VI. Organisation sémantique du lexique Rappel : signe, signifiant, signifié, référent Extension d’un signe : l’ensemble des référents auxquels il s’applique. Par exemple, l’extension de fleur est l’ensembles de fleurs (roses, tulipes, marguerites, etc.). Intension d’un signe : l’ensembles des traits qui constituent son signifié (autrement dit son sens dénotatif). Par exemple, l’intension de fleur est le sens de fleur, composé des traits sémantiques /production (ce que la plante produit)/, /colorée/, /venant de végétaux/. Champ sémantique : sous-ensemble du lexique, micro-système lexical qui fait correspondre à une notion (les sentiments, la couleur, le mobilier) un groupe de termes. Par exemple, le champ sémantique des sentiments fait correspondre au champ notionnel « sentiment » le champ lexical comprenant les mots haine, amour, jalousie, passion. 7 Champ associatif : champ regroupant tous les mots gravitant autour d’une notion donnée. Ces champs associatifs réunissent des termes appartenant à des parties du discours différentes, adjectifs, verbes, substantifs, etc. Par exemple : sang, mort, mourir, bombe, blessé, se battre, victoire… VII. L’analyse sémique : le modèle de Bernard Pottier Partant du principe saussurien « dans la langue, il n’y a que des différences », le courant structuraliste a cherché à mettre en évidence les traits minimaux sémantiques qui permettent d’opposer des unités linguistiques appartenant au même champ sémantique et lexical. Ces recherches, appelées analyse sémique, permettent d’étudier la structuration du lexique d’une langue. Dans un célèbre article datant de 1964, Bernard Pottier étudie six termes désignant des sièges : siège, chaise, fauteuil, tabouret, canapé et pouf. Il montre que tous ces mots ont un trait sémantique en commun, trait que l’on peut dire fonctionnel puisque les objets désignés servent tous à s’asseoir. En revanche, ils s’opposent selon qu’ils sont utilisés par une ou plusieurs personnes, qu’ils comportent ou non un dossier, des accoudoirs, des pieds. Ces traits sémantiques abstraits formalisés de façon conventionnelle sous la forme [pour s’asseoir], [sur pieds], [pour une personne], [avec dossier], [avec bras], [matériel rigide], sont appelés sèmes dans le cadre de l’analyse sémique. Le signe [+] indique que le sème en question apporte une information pertinente et le signe [-] la négation de la propriété correspondante ; on affecte du signe « ø » ou du signe « +/- » un sème dont la présence ou l’absence sont jugées indifférentes. 8 S1 /pour s’asseoir/ S2 /sur pieds/ S3 /pour 1 personne/ S4 /avec dossier/ S5 /avec bras/ S6 /matériel rigide/ Chaise + + + + - + Fauteuil + + + + + +/- Tabouret + + + - - + Canapé + + - + + +/- Pouf + - + - - - Le signifié de chaise se compose des sèmes /+ pour s’asseoir/, /+ sur pieds/, /+ pour une personne/, /+ avec dossier/, /- avec bras/ et /+ matériel rigide/. L’ensemble de ces sèmes forme ce que l’on appelle le sémème de chaise. Sémème : configuration particulière de sèmes qui permet de rendre compte du sens ou d’un des sens d’une unité linguistique. Sème générique/archisème/classème/noyau sémique : sème qui apparaît dans tous les sémèmes du même champ lexical ( pour s’asseoir). Sèmes spécifique : sèmes qui permettent de différencier les sens de différents mots à l’intérieur d’un sous-ensemble du lexique sont appelés et constituent le sémantème (ensemble des sèmes spécifiques) de l’unité étudiée. Virtuème : la partie connotative/métaphorique du sémème. Archisémème : l’ensemble des sèmes communs à plusieurs sémèmes, c'est-à-dire leur intersection. Par exemple, le cas de femme et fille /+ humain/ et /- mâle/. À cet archisémème ne correspond aucun mot en français. IL peut arriver que l’archisémème ait une réalisation lexicale, dans ce cas, celuici prend le nom d’archilexème. Propriétés des sèmes : - les sèmes ne sont pas toujours les constituants ultimes de l’analyse sémantique 9 - on considère un sème comme spécifique dans la mesure où ce trait permet de faire la distinction entre les différents éléments d’un même champ sémantique. La combinatoire sémantique Une certaine compatibilité sémantique des mots entre eux est nécessaire pour qu’on énoncé soit intelligible et propre à la communication. La grammaire générative prend en charge ce problème en distinguant dans la définition des entrées lexicales deus types de traits pertinents ou caractères distinctifs : - les traits inhérents, de nature uniquement sémantique - les traits de sélection, de nature à la fois sémantique et syntaxique Ainsi, cheval aurait parmi ses traits inhérents « animé », « non humain », « quadrupède » et courir « mouvement », « rapide ». Courir aurait, de plus, le trait de sélection « exige un sujet animé, pourvu de pattes ». Ces traits de sélection sont aussi, assez souvent, appelés traits contextuels. La fillette a brisé la petite glace. Quel est le sens de glace ? - miroir ? - eau glacée ? - dessert ? Glace = eau glacée ne peut pas se combiner avec « petite » car c’est un nom massif. Glace = dessert ne peut pas se combiner avec « briser » Donc le sens de glace dans cet énoncé est « miroir » car les autres sont exclus par le contexte. 10