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L’Education Thérapeutique :
Eduquer, soigner ? gouverner
Franck Drougoul
Je dois vous avouer que j’ai accepté d’intervenir dans votre journée de travail sans même
savoir ce que voulait dire l'Education Thérapeutique. Heureusement, mes hôtes avaient
préparé un dossier sur la question, se doutant que ce terme avait de fortes chances de ne pas
faire partie de ma boite à outil théorique.
Après avoir lu le dossier et avoir cherché quelques références sur internet, ma surprise a été
d'apprendre que, sans faire de l'éducation thérapeutique proprement dite, je me suis trouvé, en
20 ans, un mode de travail qui conduit au même résultat : mes patients prennent dans leur
immense majorité le traitement que je leur propose. Je considère même qu'au bout de
quelques mois de prise en charge, ce sont mes patients qui me dictent leur ordonnance.
En effet, j’ai été choqué, il a bien longtemps, en recevant des patients qui étaient sous
psychotropes depuis des mois, voire des années, et qui étaient incapables de me dire quel était
le but recherché de leurs médicaments. Pour ma part, j'explique mes prescriptions et je dois
avouer que cette tache n'est pas très difficile en psychiatrie devant le nombre assez faible de
classes thérapeutiques. La compliance la plus difficile est celle des régulateurs de l'humeur,
car le deuil des épisodes maniaques est ce qui prend le plus de temps.
Alors, pourquoi une telle usine à gaz, passant même via les recommandations médicalement
opposables, passant par une loi qui rend cette dernière obligatoire, avec ses jours de
formation, ses congrès, etc. ?
Pourquoi donc cette importance aujourd'hui ?
Y a-t-il un rapport avec la loi du 5 juillet 2011 organisant les soins sous contrainte, c’est-àdire voulant obliger les patients à être compliants au traitement, sous peine de voir la police
débarquer chez eux pour les reconduire à l'hôpital ?
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Pour la sécurité publique et l'ordre social, il y a une différence fondamentale entre la
compliance thérapeutique en médecine organique et en psychiatrie ; la non-adhésion d'un
psychotique à ses prescriptions peut le mettre en danger, mais peut aussi avoir des
répercussions sur la sécurité publique. Si un diabétique commet un crime, la presse ne
retiendra même pas cet élément. Alors que si un schizophrène en rupture de soin devient
meurtrier, il a droit à un discours présidentiel qui fera date, le discours d'Antony de notre exprésident, et il a même droit à une loi pour lui tout seul ! Et quand la non compliance d'un
traitement pour une maladie infectieuse potentiellement mortelle et transmissible insiste, la
médecine passe volontiers la main à la psychiatrie...
Du côté de la psychiatrie, nous n'avons jamais vu autant de patients psychotiques en rupture
de soin, dans les rues de Paris. La moitié des lits psychiatriques ont été fermés en 20 ans, alors
que nous n'étions plus dans la situation des années 50-70, quand la surpopulation des asiles
rendait indispensable un travail de secteur pour casser la logique de l'enfermement asilaire.
D’où l’apparition du phénomène du tourniquet qui favorise les ruptures de soins tant sont
nombreux ceux qui sortent trop tôt. Tout cela s’ajoutant à la pénurie programmée des effectifs
soignants, médicaux et infirmiers, la place est donc libre pour l’arrivée d’un nouveau
paradigme : l’Éducation Thérapeutique. C’est bien d’écouter ce qu’a à dire le psychotique,
mais lorsqu’on n’en a plus le temps, il nous est proposé une technique comportementale pour
éviter que le patient arrête les prises médicamenteuses aussitôt sorti.
Ce qui m'a le plus surpris en découvrant l'éducation thérapeutique, c'est qu'avec la boîte à
outil de la psychothérapie institutionnelle, nous arrivons à nous passer de cette nouvelle
technique en nous appuyant sur l'essence de la psychiatrie de secteur : pour permettre à un
schizophrène très désorganisé de sortir habiter dans la cité, il faut lui offrir des soignants qui
puissent l'accompagner concrètement dans les différentes institutions du secteur (le CMP ou
autres établissements du secteur et le Club thérapeutique et ses différentes instances).
Retournons un moment aux textes.
Prenons par exemple l'article du docteur Gérard Reach, endocrino-diabétologue :
"L’ambition de toute éducation thérapeutique est clairement d'introduire de nouvelles pièces
dans le puzzle mental du patient, dans le but louable de l'aider à se soigner. Mais le château de
l'esprit humain est une véritable "forteresse" dont il s'agit de franchir plusieurs murailles. Le
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but de ce texte est, d'une part, de proposer qu'elles sont de quatre types, impliquant la
cognition, les émotions, les préférences et la volonté et, d'autre part, de montrer comment la
recherche des portes d'entrée peut-être vue comme aboutissant à autre chose qu'une véritable
intrusion : en d'autres termes, de justifier la pratique de l'Education Thérapeutique du Patient
(ETP) en la distinguant d'une simple manipulation. Il s'agit ici, au fond, de montrer comment
l'éducation est possible, d'un point de vue à la fois instrumental et éthique."
Ainsi la cognition doit batailler sur la tendance à préférer une petite récompense à court terme
plutôt qu'une plus grande à long terme, trop abstraite.
La muraille des émotions tient au déni de certains éléments qui viennent s'opposer au
narcissisme naturel des patients.
La muraille des préférences naît du fait que le patient et le soignant ne parlent pas de la même
chose : le médecin connaît la gravité des conséquences à la non observation du traitement, ce
qui est rarement le cas pour le patient.
Enfin, selon cet auteur, la muraille de la volonté surgit quand un patient sent sa liberté
inaliénable menacée par la rigueur de la prescription et les effets secondaires ; on appelle ceci
la réactance : « un individu sacrifie en quelque sorte son bien-être à sa volonté
d'indépendance. Peut-être faudrait-il plus parler d'excès de volonté que de faiblesse. »
Sans vouloir vexer l'auteur de ces explications, c'est encore et toujours la découverte des
bonnes recettes de grand-mère, remises au goût scientiste de notre époque : questionnaire et
statistiques.
Certains pourraient voir dans l'apparition de ce concept une reconnaissance accordée aux
patients d'être acteurs de leur propre guérison ou de leur maintien en bonne santé plus
longtemps.
Mais l'invention freudienne a déjà ouvert cette voie dans sa définition du transfert qui, d'une
résistance au changement, devient, par le maniement de la cure type, l'outil sur lequel patient
et thérapeute s'appuieront pour que ce soit la voie de la guérison qui l'emporte.
L'Education Thérapeutique serait alors une sorte de prothèse qui veut remplacer l'analyse du
transfert et du contre transfert, dans l'amnésie complète de cette découverte freudienne.
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Prothèse probablement plus efficace pour les situations peu compliquées psychiquement ou
socialement.
L'outil freudien et ses limites
Mais l'outil freudien a lui aussi ses limites, non pas en tant que lui-même, mais sur le fait que
la relation médecin-malade, soignant-soignés, surgit dans une sorte de bocal, bocal dont l'eau
est désespérément polluée ces dernières décennies.
En ce sens, l'Education Thérapeutique est un symptôme du délabrement théorique et pratique
de la psychiatrie en ce début de XXIème siècle.
En effet, la question n'est plus celle qui a présidé à la psychiatrie de secteur : favoriser la
continuité des attaches transférentielles des patients les plus fragiles qui, sans cela, se
retrouvent trop vite en rupture de soin.
On voit même une tentative d'évacuation de cette problématique par le vieux mécanisme
bureaucratique : vous avez une question ? Vous êtes embarrassés ? Faites un questionnaire !
La question du suivi au long court de nos patients, avec tout ce que cela implique de remise
en question permanente de la place de chacun, place dans le transfert, place statutaire, cette
question de principe du désir d’être là (le "qu'est-ce que je fous là ?" cher à Jean Oury) est
remplacée par un protocole d'Education Thérapeutique, rendu maintenant obligatoire par les
administrations hospitalières.
Ce symptôme de délabrement a des étiologies multiples.
Tout d'abord, la fusion de la psychiatrie dans la médecine et la santé mentale fait oublier la
différence foncière entre les maladies mentales et les maladies somatiques. Le même
protocole est ainsi proposé, voire imposé, dans toutes les spécialités médicales, aucune ne
devant se sentir étrangère à ce nouveau paradigme.
Nous savons pourtant tous qu'un diabétique attrape un diabète, même si ce dernier a une
composante héréditaire. Il faut l'aider à vivre avec et à anticiper la qualité de son futur par
l'observance thérapeutique.
Alors qu'un schizophrène, un paranoïaque, un maniaque pris en charge par la médecine
psychiatrique reste un schizophrène, un paranoïaque ou un maniaque.
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En d'autres termes, un sujet de la médecine doit adapter sa vie à une maladie "exogène" à son
sujet (quoique...) et doit être aidé afin qu’il prenne conscience des conséquences d'un
traitement mal suivi ; alors qu'en psychiatrie, c'est le sujet lui-même qui est mis en danger par
ce qui lui arrive.
Prendre en charge un patient qui souffre d'un délire paranoïde c'est devoir prendre en compte
que ce délire est une forme de guérison pour pouvoir habiter le monde.
Rien à voir donc avec le conflit pulsionnel du diabétique dont les pulsions orales viennent
s'opposer à la sagesse éthique, dont la dimension psychopathique rivalise souvent avec la
propension de chacun à laisser s'installer ce petit masochisme qui protège du roc de la
castration. Toute atteinte dans le bon fonctionnement de notre corps biologique nous renvoie
en effet à ce que nous nommons l'épreuve de la castration, c'est-à-dire un deuil de notre toutepuissance irrémédiablement perdue...
Venant directement de la médecine, toute la démarche de l'Education thérapeutique consiste,
en fin de compte, à faire accepter au patient qu'il est porteur d'un handicap qui peut s'aggraver
ou avoir un retentissement dommageable sur d'autres organes, s’il est mal pris en charge par
la chimie et l’hygiène de vie.
C’est ce qui fait dire à un auteur que l'Education Thérapeutique, pour un cadre infirmier,
consiste à : « décider,
organiser, motiver, évaluer, coordonner et prévoir » SANDRIN-
BERTHON
Nulle place au doute, nulle place donnée à l'écoute de ses propres points aveugles, à l'écoute
(menée par plusieurs personnes) des mouvements pulsionnels à l'œuvre dans le collectif et ses
différents groupes, à l'écoute des effets pathogènes de l’identification massive de chacun à son
statut..
D’où une conclusion intéressante : « L'ETP doit définir Qui fait Quoi à Qui ? Où ?
Comment ? Pour Qui et Pourquoi ? » (site : http://education-sante.over-blog.com/3-categorie10073884.html
Cela résume parfaitement la place du pouvoir dans la mise en application de l’éducation
Thérapeutique. C’est le représentant du pouvoir, le médecin ou dans d’autres contextes, la
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hiérarchie administrative ou infirmière qui va statuer sur ce qui est sain et qui ne l'est pas, sur
celui qui fait et celui qui obéit, tout cela sous couvert d'une prétendue fausse modestie dans le
fait de transmettre une partie de son savoir au malade...
Et l'on retrouve alors l’intuition freudienne : il y a trois métiers impossibles, éduquer, soigner
et commander.
A ne pas vouloir interroger le leurre d'une bonne gouvernance, on en arrive à une fétichisation
des deux autres métiers impossibles :
- une éducation aliénée où celui qui enseigne n'a rien à apprendre de l'élève,
- une médecine où celui qui soigne s'appuie sur une démarche scientiste, à coup de
questionnaires visant à l'autoévaluation du patient et à coup d'études dont les résultats
viennent hypnotiser et faire disparaitre une grande partie des cas qui ne suivent pas le
protocole. Un pourcentage et le tour est joué…
Dans la médecine vétérinaire (en entendant par là les troubles somatiques de l’homo sapiens
en tant que mammifère supérieur), ces méthodes peuvent avoir un résultat positif, et les
différentes évaluations viennent le prouver (il faudrait encore regarder cela de plus près).
Mais c’est oublier que la médecine somatique n’est pas une pratique scientifique objective en
elle-même, mais plutôt une pratique inscrite dans une société capitaliste aujourd’hui en crise.
Et dans cette société, le personnage médical est un notable avec tout ce que ce terme comporte
de profil social aveugle sur les conditions de vie et des problématiques intimes de nombre de
leurs patients. Il suffit de voir les prix exorbitants pratiqués dans les dépassements
d’honoraires.
Durant mes études de médecine, je me suis trouvé en face d’une des plus belles caricatures de
pratique médicale. Une praticienne hospitalière du service de médecin interne avait une
consultation de phlébologie que je devais préparer pour qu’elle aille plus vite. Un nombre non
négligeable de ses patientes étaient en surpoids. Sa pratique de la médecine consistait à leur
remettre une feuille de régime et de passer au patient suivant, cela avec un air supérieur à la
limite de la correction. A coup sûr, ses régimes avaient peu de chance d’être suivis et elle
aurait gagné à avoir une formation d’éducation thérapeutique.
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C’est ce qui permet de dire que l’éducation thérapeutique est un symptôme d’une médecine
aliénée à une image pseudo-scientifique qui a le mérite, pour les praticiens médecins,
d’occulter leur incapacité à comprendre ceux qu’ils traitent, ceci du fait d’une non analyse de
leur statut social, réel ou fantasmatique.
Comme le formulait François Tosquelles en expliquant comment la guerre civile espagnole
avait changé
« Les médecins, d'ordinaire, ont dans la tête la stabilité d'un monde bourgeois. Ce sont des
petits ou des grands bourgeois qui veulent vivre tout seuls et faire de l'argent, être des
savants. Or, dans la guerre civile telle que la notre, il fallait que le médecin puisse admettre
un changement de perspective sur le monde ; qu'il puisse admettre que ce soit les clients qui
déterminent sa clientèle, qu'il n'est pas tout puissant. Ainsi, je me suis occupé de la
psychothérapie d'hommes normaux pour éviter la crise. On ne peut pas faire de psychiatrie
dans un secteur ni dans un hôpital si on garde une idéologie bourgeoise et individualiste. Un
bon citoyen est incapable de faire de la psychiatrie. La psychiatrie comporte une anti-culture,
c'est-à-dire une culture ayant une autre perspective que celle du sujet. Sa nature n'a pas
d'importance. C'est ce que j'ai appris dans ces premières années. »
Mais le plus grave, dans cette mise en place de l’éducation thérapeutique, c’est qu’aujourd’hui
la nouvelle psychiatrie vient singer le corps médical et penser que ce qui y fait symptôme
constitue une avancée scientifique qu’il faudrait s’approprier.
Comment comprendre en effet que les psychiatres institutionnels et leurs équipes soient
arrivés, dans les années 40 et 50, à faire disparaître les quartiers d’agités ou de déments, et
cela, sans en passer – contrairement à ce qui se fait depuis vingt ans - par les déportations des
patients en question dans un médico-social qu’on s’empresse d’oublier ?
Ils ont traité l’agitation ou le gâtisme institutionnels, avant l’arrivée des psychotropes, ce qui a
conduit à cette réflexion de Lucien Bonnafé qu’il ne faut jamais oublier : « ils veulent faire
oublier ce que nous avons fait avant l’ère des neuroleptiques. »
Et qu’ont fait nos ainés dans ces années-là ? Ils ont remis en question le pouvoir des
mandarins, ils ont mis en place des formations pour les infirmiers, ils ont travaillé sur la
hiérarchie hospitalière pour que les infirmiers en question s’autorisent à prendre des
initiatives. Et surtout, ils étaient conscients que les infirmiers ont tendance à se comporter
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avec les patients comme les médecins se comportent avec eux. Comme on disait à l’époque,
« quand les infirmiers boivent, les malades trinquent » (je préférerais ajouter un troisième
terme : « les psychiatres suivent leur désir d’être ailleurs, les infirmiers boivent et les malades
trinquent », tellement il y avait des abus dans les années 80). Et si l’alcoolisme faisait des
ravages dans les équipes de gardiens des fous, c’est qu’aucun travail n’était entrepris pour les
aider à métaboliser l’angoisse qui ne manque de surgir quand on s’investit dans la prise en
charge des patients psychotiques.
Cette histoire rappelle la très belle thèse de médecine de Louis Ferdinand Céline sur un
médecin hongrois, officiant à Vienne dans les années 1840-1848, le docteur Semmelweis.
En effet, ce dernier ayant constaté que ses internes avaient un taux de décès des mères en
post-partum bien plus important que les sages-femmes, il s’intéressa à la circulation et aux
habitudes de chacun à l’intérieur et au dehors du service d’obstétrique.
Et quelle ne fut pas sa découverte ?
Le taux de décès semblait être en rapport avec la fréquentation des salles d’autopsie de la
morgue que seuls les étudiants en médecin fréquentaient le matin. Il obligea alors les internes
à se laver les mains avant d’entrer en salle d’accouchement, et leur taux de complication
infectieuse ou de décès du post-partum rejoignit immédiatement celui des sages-femmes.
Sa découverte fit scandale. La découverte des microbes au début du siècle suivant trancha en
sa faveur. On aurait pu gagner 40 ans, si le monde médical et impérial à Vienne ne l’avait
exclu de son poste, car remettre en question le statut de « pureté » du personnage médical était
intolérable. Dans toutes les capitales européennes, les sommités médicales refusèrent de le
croire, même celles de la France Républicaine, dont il attendait beaucoup. Quelques
professeurs acceptèrent de vérifier son protocole, mais ils étaient tellement persuadés que
Semmelweis délirait qu’ils en conclurent à une falsification des résultats !
Il avait osé toucher au statut sacré du monde médical !
Son destin fut tragique, le livre de Céline l’approche admirablement.
Ce que découvrait Semmelweis, et qui était intolérable, c’est que le corps médical peut
apporter la mort. On ne lui pardonna pas d’avoir fait ce constat.
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Mais si l’asepsie a aujourd’hui permis d’éradiquer ces infections transmises par le corps
médical, reste la question de définir ce qu’est l’asepsie en psychiatrie. En d’autres termes, que
doit-être une pratique psychiatrique qui ne soit pas nocive, sans le savoir, pour les malades ?
Prenons par exemple les chambres d’isolement, aujourd’hui obligatoires dans tout service de
secteur (ou de pôle, hélas, de plus en plus). Dans les faits, un séjour en chambre d’isolement
est généralement thérapeutique. La dissociation, l’agitation, les actes violents contre soimême finissent par s’émousser et le patient peut alors sortir. Mais à la prochaine
décompensation, il fera tout pour la cacher et ne pas se refaire avoir…
Et l’éducation thérapeutique est un des gadgets que l’on nous propose face à ce problème,
gadget moins violent symboliquement que l’obligation de soin en ambulatoire que notre exprésident de la République avait sorti de son chapeau pour rassurer les citoyens effrayés par
les deux crimes commis par deux schizophrènes en rupture de soin pendant son quinquennat.
Lorsque l’on travaille la question du pouvoir, tous les conseils artificiels que les
comportementalistes nous proposent semble très vite désuets.
« Bien expliquer la médication », « faire prendre en charge son traitement par le patient »,
nous paraît d’une banalité affligeante dès que l’on a institué des lieux d’analyse du pouvoir.
Car ces deniers influent bien souvent sans qu’on s’en rende compte, sur la manière dont on va
s’adresser au patient quand on lui prescrit un traitement.
Prenons le triptyque de base d’une institutionnalisation de la vie quotidienne :
- un coin cafétéria où les patients peuvent acheter des boissons moins chères qu’à la
supérette d’en face : ils sont invités à y servir, peuvent donc y trouver une place de
responsabilité, ils retrouvent leurs voisins et peuvent même y rencontrer les soignants
- un bulletin-journal qui rappelle les liens entre différentes instances institutionnelles et
invite chacun à s’exprimer sur les péripéties de la vie quotidienne institutionnelle.
- un pouvoir économique sur la vie quotidienne par une commission financière de
l’association 1901, le club thérapeutique.
Si ce triptyque fonctionne, une part importante des problématiques des comportementalistes
se règle collectivement.
Quoi de mieux qu’un repas à une tablée où mangent soignés et soignants pour « enseigner » à
manger convenablement ?
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Si, après avoir organisé une table régime paritaire patient-soignant, les progrès sont bien
faibles, on peut toujours aller chercher un comportementaliste pour voir si ses protocoles
marchent mieux que le groupe. Mais il sera impossible d’en faire une étude statistique, du fait
même que le comportementaliste interviendra sur un terreau travaillé.
Ce qu’il y a d’insupportable pour le corps médical dans les fondements théorico-pratiques de
la psychothérapie institutionnelle, c’est qu’il est en permanence pris en flagrant-délit de
préférer sortir son Sceptre d’Ottokar plutôt que d’accepter la place d’un pouvoir qui ne soit
pas aliéné, une place vide qui fonde la fonction présidentielle qu’il peut incarner en tant que
supposé l’avoir, mais où il doit être prêt à la voir passer dans d’autres mains…
Nous avons des techniques pour mieux enseigner, des techniques et des médications pour
mieux soigner, mais sans leur articulation à la question du pouvoir, elles se fossilisent et
peuvent même devenir pathogènes, comme l’Histoire nous l’a trop souvent montré…
L’éducation thérapeutique et ses petits frères et sœurs que sont les protocoles
comportementalistes ont besoin de groupes homogènes de patients, d’une classification par
symptômes comme le DSM, bref, d’une organisation de la psychiatrie à l’opposé de celle de
la psychothérapie institutionnelle et donc, de la psychiatrie de secteur.
C’est dans ce sens que l’on peut craindre que la destruction programmée du secteur
psychiatrique par les pôles hospitaliers et l’effondrement des effectifs soignants n’amènent à
recourir à une béquille, l’éducation thérapeutique, qui accentuera le positivisme psychiatrique,
au détriment de l’écoute de l’inconscient et d’une analyse des hiérarchies aliénantes.
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