COMMERCE INTERNATIONAL ET CRISE ECONOMIQUE N. B. : Les passages encadrés sont des extraits du rapport officiel publié par Ecricome L’épreuve du concours exige une démarche synthétique de la part des candidats et les amène à confronter l’analyse économique et sociale aux données historiques de ces deux derniers siècles. L’AEHSC a pour objectif de donner aux étudiants des instruments d’analyse et des clés de compréhension du monde contemporain afin qu’ils soient capables de proposer une réflexion autonome à propos de phénomènes complexes. Ils sont donc invités à s'affirmer par le choix de leurs références et de leurs arguments ainsi que par la fermeté de leurs conclusions personnelles. Jamais la correction des copies ne sanctionne les opinions exprimées. (…) La dissertation consiste à démontrer deux (ou trois) idées directrices par des arguments reposant sur des références théoriques et des exemples historiques précis et diversifiés. (…) L’évaluation des devoirs tient compte de la présentation matérielle (lisibilité de l’écriture, clarté de la mise en page), de la correction orthographique et de la maîtrise de la langue (vocabulaire, syntaxe, style). Elle repose surtout sur une claire définition des concepts, des “mots clés” et sur la rigueur de la formulation de la problématique et de l’argumentation. Le choix judicieux des références théoriques et des exemples historiques est valorisé → Définir les termes du sujet : Commerce International : échanges internationaux de biens et services (à ne pas assimiler aux échanges financiers, ni à la mondialisation) Les distinctions opérées sur la dimension «commerce international» ont été appréciées. Celui-ci pouvait être appréhendé du coté des marchandises ou des services : Pour les pays exportateurs, il s’agit d’une perte de débouchés, conduisant au fléchissement de la production et à l’apparition de chômage. Conséquence de l’affaiblissement des exportations, les services liés au commerce international sont également atteints : le fret, les assurances. Il convenait d’éviter la confusion avec la notion de mondialisation : cela conduisait à des analyses sur la mobilité des capitaux et l’instabilité financière, très loin du sujet proposé. Crise économique : perturbation du bon fonctionnement de l'économie (réflexion sur les différents types de crise) La distinction entre crises conjoncturelles et crises structurelles pouvait également être utile. Un choc ponctuel qui modifie brusquement le rythme de croissance d’un ou plusieurs pays peut provenir d’une modification brutale de l’offre ou de la demande d’un produit à l’échelle internationale. Cela peut réciproquement affecter fortement le volume des échanges commerciaux internationaux. L’élargissement du commerce international à des pays de plus en plus nombreux accentue la pression concurrentielle sur les producteurs des pays qui s’adonnaient déjà au commerce international, et nécessite des restructurations de l’appareil productif qui alimentent des crises structurelles. L’existence d’une crise dans les anciens pays développés pouvait alors aussi être imputée au retard pris dans la spécialisation internationale du fait du maintien prolongé des économies développées derrière l’abri de barrières protectionnistes. Cela a pu expliquer, par exemple, l’ampleur des disparitions d’emplois dans la sidérurgie, la construction mécanique ou le textile en Europe occidentale ou aux Etats-Unis, du fait de l’émergence des producteurs asiatiques dans les années 1970. Histoire : nécessité de prise en compte de l'ensemble du programme (à partir de la RI) ; interrogation sur les inflexions chronologiques Ce sujet ne comporte pas de limites chronologiques. Il est fait allusion dans l’énoncé aux enseignements de l’Histoire. La variété des exemples proposés et leur pertinence relativement à la démonstration ont permis de valoriser les bonnes copies. Enseignements : quels enseignements ? Pour qui ? Ce sujet met en relation les échanges internationaux et les phénomènes de fluctuations économiques. La crise économique est une rupture des équilibres économiques et affecte les agents économiques d’une nation, la dimension internationale n’est pas immédiate. Les candidats ont dû bien cibler leur réflexion sur cette relation. Les crises peuvent avoir diverses origines : réelles, monétaires,financières, elles peuvent concerner des nations dominantes ou non. Ces différents aspects vont moduler l’effet des crises sur les échanges. Dès lors, il y a lieu de s’interroger : Le jeu des échanges commerciaux internationaux va-t-il ou non contribuer à diffuser la crise à l’échelle internationale ? L’ouverture internationale va-t-elle contribuer à subir la crise des autres ? Dans quelles proportions et à quelles conditions (…) Attention aux plans chronologiques. De nombreux correcteurs ont relevé dans certaines copies une tendance à faire l’historique du commerce international. L’ensemble est alors plus descriptif qu’analytique. Un correcteur relève que des candidats juxtaposent dans leurs copies de longs «tunnels» sur la crise et/ou sur le commerce international, comme s’ils devaient à toute force caser leurs fiches de révisions sans avoir le moins du monde le souci de tenir compte des termes exacts du sujet. L’analyse des termes du sujet doit être soigneuse et entrainer un questionnement à partir duquel le candidat peut conduire une démonstration. A) L'identification de relations entre commerce international et crises 1- Les crises économiques se répercutent sur le commerce international → exemples des crises de 1929 et de 2008 avec une forte contraction du commerce international lié à la récession → possibilité d'effets cumulatifs (contraction du commerce rétroagit sur l'activité (principe du multiplicateur du commerce extérieur) → la dynamique du commerce international est pro-cyclique 2- Le commerce international favorise la diffusion internationale des crises → crise de 29 se répercute en Europe suite à la contraction des importations américaines + impact significatif sur l'Amérique latine → phénomène équivalent en 2008 avec des pays émergents dont l'essentiel du ralentissement de la croissance est lié à la contraction du commerce → diffusion dépend du degré d'intégration de l'économie mondiale (accentuation avec l'affirmation de la mondialisation) 3- Les politiques commerciales peuvent accentuer les crises → réactions protectionnistes (Hawley-Smoot, tournant de la politique anglaise en 1932, isolationnisme allemand) peuvent aggraver la contraction du commerce international (Kindleberger – années 30) et accentuer la faible dynamique de la demande et les logiques déflationnistes → comparaison entre crise de 29 et période actuelle : chute du commerce international est rapidement arrêtée, les logiques protectionnistes restant du domaine du discours plus que des pratiques (malgré la perte de dynamique des négociations commerciales internationales) Les modalités de diffusion pouvaient faire l’objet d’analyses précises : Une crise économique au sein d’une nation peut se diffuser à l’échelle internationale à certaines conditions : le pays initiateur tient une place éminente dans les échanges mondiaux, la chute de ses importations fait chuter la production de nombre de ses fournisseurs : cas des Etats-Unis durant les années 1930 ou aujourd’hui. Si le pays est fortement impliqué dans un réseau d’échanges régionaux intenses, le ralentissement se transmet aussitôt aux partenaires immédiats : crise asiatique de 1997. On notera au fil du temps une tendance à la globalisation des crises, le commerce international jouant un rôle important de propagation. Ainsi, on pourra opposer les effets des crises dans les économies dominantes et celles qui n’affectent qu’une région. Ainsi la crise asiatique de 1997-98 aura certes un impact sur les relations commerciales en Asie du Sud Est, mais sans avoir les mêmes répercussions que la crise actuelle, initiée depuis le territoire américain. Jean Charles Asselain dans son Histoire économique du XX° siècle montre que la propagation de la crise des années 1930 s’est réalisée en plusieurs étapes : la disparition immédiate des sources de financement des déficits extérieurs des pays débiteurs a entraîné dans l’année qui a suivi la contraction du commerce mondial (-19% entre 1930 et 1929). La chute des débouchés à l’exportation est venue ensuite, elle a pu être aggravée par les pratiques protectionnistes des pays clients. Les pays ont été diversement touchés : les exportateurs de matières premières ont été particulièrement vulnérables : Charles Kindleberger montre que la baisse dépasse 75% entre 1929 et 1932 pour de nombreux pays d’Amérique latine (Chili, Bolivie, Argentine). B) La complexité des relations commerce international – crises 1- le commerce international peut générer des perturbations et non simplement relayer des crises d'origine nationale → existence de chocs exogènes qui se traduisent par un déficit commercial et entraînent une récession : choc pétrolier de 1973 (N. B. : pour certains pays, dans un deuxième temps, l'expansion de la demande en provenance des pays de l'Opep a permis de réduire l'impact de la récession) → mutations économiques mondiales peuvent générer des perturbations à partir d'une inflexion des flux commerciaux : montée des pays neufs à la fin du 19ème siècle qui entraîne un effet déflationniste significatif, en particulier dans l'agriculture, et contribue à la Grande dépression des années 1873 – 1896 ; développement des pays émergents et impact sur l'industrie des PDEM à partir des années 1990 2- Le protectionnisme peut apparaître comme une réponse adaptée face aux crises économiques → montée protectionniste à la fin du 19ème siècle (lois du « seigle et du fer », lois Méline en 1892) permet de soutenir les secteurs fragiles des pays européens et ne freine pas la dynamique du commerce mondial (contre exemple : difficultés du Royaume-Uni resté libre échangiste) → pays s'engageant dans une logique protectionniste durant la crise de 29 (soit hausse des droits de de douanes, soit dévaluation) ont des performances plus satisfaisantes que les autres C) Les enseignements pour les politiques Les candidats ont pu également observer la réaction des Etats : les gouvernements vont-ils mettre en œuvre des pratiques protectionnistes pour éviter la transmission de la crise d’un autre Etat et avec quel succès ? Au contraire, l’organisation internationale des échanges contribue-t-elle à en atténuer les effets ? Le rapport 2009 de l’OMC a mis l’accent sur les pratiques protectionnistes et s’inquiète de leur recrudescence sous des formes plus discrètes 1- Les interrogations sur les stratégies coopératives → en théorie logique efficace : exemple de la période d'après guerre avec la mise en œuvre de la logique du Gatt dans le but d'éviter les erreurs de l'entre deux guerres (mais en conservant la possibilité de marge de manœuvre nationale) théorie de la « relance des locomotives » face à la contrainte extérieurs dans les années 70 : moyen de maximiser les gains ou de limiter l'impact des crises en tenant de la situation différenciée des pays face au commerce international (application des principes keynésiens) → en pratique difficulté à mettre en œuvre compte tenu des intérêts nationaux et de la répartition différenciée des gains entre les pays et à l'intérieur des pays (Reich, Samuelson) 2- Les risques des stratégies non coopératives → exemple de l'Allemagne : efficacité spécialisation permet un redémarrage rapide de la croissance à partir de la fin 2009 (même si le choc de la récession a été plus fort) mais interrogations : gains de compétitivité sont liés à la maîtrise des coûts salariaux qui induit une faible dynamique de la demande pesant sur la croissance de l'ensemble de la zone euro → analyse en termes de théorie des jeux avec matrice de gains et dimension stratégique (cf. réflexions actuelles sur l'articulation entre logiques multilatérale, régionale et bilatérale dans les accords commerciaux) + prise en compte du rôle des groupes de pression → interrogation sur les marges de manœuvre des gouvernements face à un commerce international de plus en plus gouverné par les entreprises autour des principes de la segmentation des chaînes de valeur Conclusion Il est indiscutable que des liens étroits existent entre crise et commerce international, le commerce international souffre des crises majeures et contribue à les diffuser. Au delà de cette constatation de base, la nature exacte des liens est complexes et ne confirme pas nécessairement l'idée classique en économie selon laquelle l'ouverture commerciale génère systématiquement des gains : ainsi le commerce international peut susciter des crises et le protectionnisme n'est pas toujours une solution inefficace aux difficultés économiques. Plus fondamentalement, la question clé de cette relation est celle des politiques et des choix des Etats. Si dans le domaine international, l'histoire montre que les choix coopératifs sont les plus performants collectivement, elle montre aussi qu'ils ne sont pas toujours choisis. Et si les erreurs massives commises durant la crise de 29 ont jusqu'à présent dissuadé le retour au protectionnisme, rien ne garantit que ce cas de figure ne se reproduise dans l'économie mondiale