LA RECHERCHE CARTESIENNE DU « JE PENSE »
ET DE SES RELATIONS
Reprendre avec Descartes le projet philosophique de Platon !
Douter pour vraiment sortir de la Caverne. Accéder au Cogito
pour contempler effectivement le Bien en soi. Par un discerne-
ment cartésien donner forme concrète à la dialectique platoni-
cienne. Dans le « je pense », trouver la réalité qui fait défaut aux
idées pures. Faire aboutir dans une philosophie du Sujet,
lintention qui anime une philosophie de lObjet. Atteindre dans
la réflexion la réalité de la conscience qui saliénait dans ses
projections.
Poursuivre enfin ce progrès de la pensée philosophique en
reprenant dans sa vraie nature le mouvement de la conscience
qui se projette en dehors delle-même, pour y reconnaître son
dynamisme vers une autre conscience et pour saisir à sa racine,
en lêtre conscient, le vouloir de sa liberté quun autre soit et
quil soit pleinement distinct en lui-même comme vouloir dun
autre par lui-même, également et conjointement.
I. Textes et concepts
A. LES TEXTES DE DESCARTES ET LEURS
PRINCIPALES ARTICULATIONS
De tous ceux qui cherchèrent sans compromission la voie
spécifique de la philosophie, « cet unique sentier qui y conduit »
(Kant), le premier à sy engager à fond et systématiquement fut
Descartes. Découvrir avec lui cette voie, comme il la fait, pour
pouvoir par la suite nous y engager résolument, et poursuivre en
un si bon chemin, cest ce que nous nous proposons mainte-
nant, après tant dautres
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. Descartes nous rend compte de sa
démarche, dabord dans le « Discours de la méthode » au début
du chapitre IV, ensuite dans les deux premières de ses
« Méditations de philosophie première » et dans les « Principes
de la Philosophie »
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.
ENTRER EN PHILOSOPHIE AVEC DESCARTES
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Lisons le texte du Discours. Il a lavantage de la concision. De
plus il donne de façon dépouillée les étapes de la démarche
cartésienne, le schéma de son cheminement dans la lucidité
critique. Sur ce schéma, les Méditations développeront des
harmoniques et en enrichiront parfois les thèmes. Elles permet-
tront surtout de comprendre limportance relative des compo-
santes de ce schéma et la manière de les combiner entre elles.
Les « Principes de la philosophie » confirmeront clairement
lessentiel de cette démarche, les étapes du cheminement
cartésien des doutes, ses progrès dans le discernement de la
vérité indubitable par la technique des doutes.
Avant danalyser les éléments de ces composantes, indiquons-
les selon lordre elles se présentent dans le texte du Discours.
Les voici :
* 1. Les raisons qui incitent Descartes à cette démarche et
à en parler.
* 2. La décision de révoquer en faux « par feindre » ce qui
est douteux.
* 3. Les domaines du doute.
* 4. Les arguments de la radicalisation du doute : rêve et
puissance trompeuse.
* 5. passage au « Cogito = ego = sum ». Indubitabilis ego
dubitans.
Les énoncés de ces composantes serviront également au
titrage du texte, bien quils débordent parfois le seul texte du
Discours. Cest que derrière ce texte nous voyons déjà celui,
plus long, des Méditations et leur reprise dans les Principes.
Voici le texte du Discours.
* 1. Les raisons qui incitent Descartes à cette démarche et
à en parler.
« Je ne sais si je dois vous entretenir des premières médita-
tions que jy ai faites, car elles sont si métaphysiques et peu
communes, quelles ne seront peut-être pas au goût de tout le
monde. Et toutefois, afin quon puisse juger si les fondements
que jai pris sont assez fermes, je me trouve en quelque façon
contraint den parler ». (Discours, IV partie, au début.)
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* 2. La décision de révoquer en faux « par feindre » ce qui
est douteux.
« J’avais dès longtemps remarqué que, pour les mœurs, il est
besoin quelquefois de suivre des opinions quon sait être fort
incertaines, tout de même que si elles étaient indubitables, ainsi
quil a été dit ci-dessus : mais, pour ce qualors je désirais
vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensai quil
fallait que je fisse tout le contraire, et que je rejetasse, comme
absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre
doute, afin de voir sil ne me resterait point, après cela, quelque
chose en ma créance, qui fût entièrement indubitable. »
* 3. Les deux domaines du doute.
« Ainsi, à cause que nos sens nous trompent quelquefois, je
voulus supposer quil ny avait aucune chose qui fût telle quils
nous la font imaginer. Et, pour ce quil y a des hommes qui se
méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples ma-
tières de Géométrie, et y font des paralogismes, jugeant que
jétais sujet à faillir autant quaucun autre, je rejetai comme
fausses toutes les raisons que javais prises auparavant pour
démonstrations. »
* 4. Les arguments de la radicalisation du doute : rêve et
puissance trompeuse.
« Et enfin, considérant que toutes les mêmes pensées, que
nous avons étant éveillés, nous peuvent aussi venir quand nous
dormons, sans quil y en ait aucune, pour lors, qui soit vraie, je
me résolus de feindre que toutes les choses qui métaient jamais
entrées en lesprit nétaient non plus vraies que les illusions de
mes songes. »
* 5. Le passage au « Cogito = ego = sum ». Indubitabilis
ego dubitans.
« Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je
voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement
que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que
cette vérité : Je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée,
que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques
nétaient pas capables de lébranler, je jugeai que je pouvais la
recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philoso-
phie que je cherchais. »
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Avant de reprendre chacune de ces composantes pour voir
comment Descartes les comprend et les harmonise dans lunité
dune démarche complexe en un cheminement progressif, nous
estimons devoir faire par précaution quelques remarques de
vocabulaire au sujet du terme : doute . Ce cheminement nous
aurons aussi à le situer dans lensemble de lexpérience humaine.
B. LE TERME DOUTE ET LES CONCEPTS QUIL DISSIMULE
1. Le terme doute peut avoir en premier lieu un sens
verbal. Il signifie alors lacte de suspendre son jugement. Il
sagit de lacte volontaire de ne pas juger et non de labsence
objective de jugements, dun « vide de jugement » qui ne serait
autre que létat dignorance.
La suspension du jugement peut nêtre que partielle, ne
touchant quune partie du Réel. Elle est alors « spécifiée » par tel
ou tel type de jugement et ne concerne pas les autres types. Elle
peut sappliquer aussi à plusieurs types simultanément ou
successivement. On peut formuler lhypothèse à soumettre à
vérification que la suspension des jugements puisse être
générale et totale envers toutes formes de jugement connues ou
inconnues, hormis envers le jugement de douter lui-même.
On verra que la vérification de cette hypothèse sera négative.
Le substantif : doute ”,en son sens verbal, doit donc
sentendre, lorsquil désigne lacte que jaccomplis quand je
décide et dis : « je doute », comme un verbe pris substantive-
ment : le douter. Lorsquil est pris en ce sens nous affectons ce
terme de lexposant : « -r », soit : « doute-r » ou doute suspensif,
suspension de jugement(s).
On remarquera clairement que lacte de douter bien quil porte
sur leffectuation du jugement, et non sur des notions détachées,
nest pas confiné à un jugement déterminé, ni à un groupe de
jugements donnés, pas plus quil ne concerne de soi la totalité
de mes jugements. Il est simplement un acte que je sais pouvoir
poser selon une potentialité indéfinie en vertu du dynamisme
universalisant de ma conscience. Cest en vertu dautres activités
intellectuelles que je détermine la suite et lenchaînement de mes
doutes-r ainsi que lextension de leur champ dapplication.
Les qualités du doute-r, dêtre ponctuel, partiel ou total, ne
sont pas des qualités intrinsèques à sa définition. Elles dépendent
dactivités intellectuelles autres que lacte de douter mais avec
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lesquelles il fait synthèse nécessairement, sans quil puisse les
prendre pour « objet ». Il y a donc déjà toute une série dactes de
pensée, dont je ne puis douter, lorsque juse du « doute-r ».
2. En deuxième lieu ce terme peut désigner les raisons
que jai de douter, les motifs de ma suspension de jugement, les
causes intellectuelles de ma décision de douter. Son sens nest
plus verbal, mais substantif, ainsi quon peut lentendre dans les
expressions : avoir un doute, avoir des doutes . Entre le fait
davoir des doutes ou de juger certaines choses douteuses, cest-
à-dire davoir des motifs de douter au sujet des opinions que jai
à propos de ces choses, et le doute-r lui-même, il faut la décision
volontaire de suspendre mon jugement. Nimporte quel motif de
douter nentraîne pas de soi et nécessairement la suspension du
jugement. Comme le terme doute au sens de motif de douter
est un substantif et peut se mettre au pluriel (s), nous
laffecterons de lexposant : « -s », soit : « doute-s » ou raison de
douter.
3. Le doute-r, motivé ou non et même valablement
motivé, ne peut être tenu pour « le tout » de lactivité spirituelle
de lhomme, ni pour son unique activité intellectuelle possible,
comme le prétendaient illusoirement les Sceptiques. La
suspension motivée de jugement(s) peut et doit sinscrire dans
une créativité diversifiée dintelligibilité propre à lesprit. Le
doute suspensif y joue alors un rôle instrumental, sil est utilisé à
limage dune technique « objective », artisanale ou industrielle
par exemple.
Il sert alors à tester, dans leurs déterminations « objectives » la
valeur de véritél de certaines de nos opinions. Il peut aussi servir
à tester, en leur exercice, la valeur de « rationalité » de nos
méthodes mêmes de penser, cest-à-dire de nos manières fonda-
mentales dacquérir nos connaissances. Pour cela, il faut
« réfléchir » les conduites de doute-r, cest-à-dire en user en
sachant « réflexivement » tout ce que nous faisons, lorsque que
nous « doutons ». Le doute peut devenir par une occasion de
connaissances réflexives, à condition dêtre compris comme un
acte du sujet, par lequel celui-ci se révèle sa propre essence.
De même quon peut tester labsence ou la présence, ainsi que
les variations, dune propriété physique dun corps, naturel ou
artificiel, en le soumettant de façon appropriée à une épreuve de
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