DIVISION DE LA PHILOSOPHIE

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DIVISION DE
LA PHILOSOPHIE
Nous savons ce qu’est la philosophie, il faut maintenant la diviser en ses parties et aborder ses principaux
problèmes
INTRODUCTION GENERALE
Quel est le travail du philosophe ? Acquérir le savoir.
Quel est son instrument ? La raison.
1) La logique
Il nous faut donc examiner la raison pour déterminer la manière dont il doit en user. Or l’étude
de la raison comme moyen de parvenir au vrai est la logique.
La logique est donc plus une science dont on se sert dans la philosophie qu’une partie de la
philosophie. la logique introduit à la philosophie. Les autres sciences dépendent d’elle parce qu’elle
enseigne le moyen de procéder dans le savoir. Avant d’acquérir le savoir en lui-même, il faut posséder
les instruments de ce savoir. D’où qu’en philosophie il faut commencer par la logique, bien que celle-ci
soit un peu sèche.
2) La philosophie spéculative et pratique
Le philosophe veut donc acquérir la science des choses par leurs principes suprêmes. Mais il
existe deux ordres différents de connaissance, comme il existe deux façons différentes de nous servir de
nos yeux : la première dans la seule intention de voir et de jouir de la contemplation des choses ; et la
deuxième pour l’utilité. Ainsi :
- Nous pouvons user de la raison pour la seule joie de connaître. S’il s’agit d’une connaissance selon
les causes premières nous parlerons de la philosophie spéculative.
- Nous pouvons aussi user scientifiquement de notre raison pour le bien de notre vie. Il s’agira alors
d’une science pratique. Et si cette science pratique travaille selon les principes suprêmes, elle
s’attachera au bien absolu de l’homme. Nous parlerons alors de philosophie pratique (encore
appelée la morale ou l’éthique.)
Selon sa fin, nous venons donc d’effectuer la première grande division de la philosophie : Spéculative et
pratique.
3) L’objet de ces trois grandes parties
a.
L’objet de la philosophie pratique
Une science qui vise à procurer le souverain bien de l’homme porte sur les choses
dont dépend l’obtention de ce bien. Et ces choses sont les actions libres de l’homme, ce que
l’on appelle les actes humains (par opposition aux actes de l’homme.) La philosophie morale a
pour objet formel les actes humains.
1
b.
L’objet de la philosophie spéculative
La philosophie spéculative porte quant à elle, sur les choses qui dépendent des
premières causes. Et plus exactement sur ce que les choses ont elles-mêmes de plus essentiel :
l’être. La philosophie spéculative a pour objet formel l’être des choses.
La philosophie spéculative considère son objet de différentes manières et selon des points de
vue différents (cf. Les degrés d’abstraction) :
. L’être avec ces propriétés sensibles : ens mobile.
. L’être avec ses seules propriétés de la quantité : ens quantum.
. L’être avec les seules propriétés de l’être : ens in quantum ens.
Dès lors nous avons les trois grandes divisions de la philosophie spéculative.
c.
L’objet de la logique
De prime abord, nous dirions que la logique travaille sur ce qui nous sert, sur ce qui
est manié quand nous raisonnons. Et qu’est-ce, sinon les choses elles-mêmes ? Mais dans le
raisonnement, ces choses, cet être existe sous un mode très particulier : quand je dis « l’homme
est un animal social », l’homme ainsi manipulé dans l’esprit n’existe pas dans la réalité des
choses particulière. Cet être particulier est appelé l’être de raison. Tel est l’objet de la logique.
L’être de raison (: le genre animal, l’espèce homme), s’oppose à l’être réel qui existe
dans la nature ( : l’homme, l’animal.)
CONCLUSION 5
La philosophie se divise en trois grandes parties :
- La logique, qui introduit à la philosophie proprement dite, et dont l’objet est l’être de
raison qui dirige notre esprit vers le vrai.
- La philosophie spéculative qui a pour objet l’être des choses (être réel.)
- La philosophie pratique qui a pour objet les actes humains.
4) Remarques annexes
Il existe beaucoup de sciences pratiques autres que la morale (la médecine par exemple.), mais elles ne
visent pas le bien pur de l’homme puisqu’elles s’attachent à un bien particulier. Ne procédant pas selon
les principes suprêmes, elles ne sont pas de philosophies. La morale est la seule science pratique qui
mérite le nom de philosophie.
Cependant l’éthique est une science à proprement parlé : elle a pour règle de vérité ce qui est ; et elle
procède par mode démonstratif. Elle est donc pratique en raison de sa fin, et scientifique puisqu’elle
peut connaître.
Les sciences pratiques sont subordonnées aux sciences spéculatives :
- Parce que celles-ci sont premières (comme l’anatomie est première à la médecine.)
- Les sciences pratiques sont inférieures aux spéculatives. En effet, est supérieur ce qui est recherché par
soi-même.
LES PRINCIPAUX PROBLEMES
En parcourant plus en détail la division de la philosophie, nous allons percevoir les principaux problèmes que
vous rencontrerez au programme de terminale. Sans chercher à les résoudre, le simple fait de les formuler
commencera à faire œuvre de philosophe et à poser quelques clés d’interprétation.
En hierarchisant et en percevant bien l’enchaînement logique de ces questions, vous apprendrez à ordonner ces
problèmes, ce qui est déjà les résoudre.
2
I ] LA LOGIQUE
A – PARCOURS D’ETUDE
1) Divisions de la logique
a.
La logique formelle
La logique étudie donc la raison en tant qu’elle est un instrument de connaissance. La
logique cherche d’abord à savoir comment se servir correctement de la raison : Quelles sont les
règles qu’il faut suivre pour raisonner correctement ? Ce qui reviendrait en quelque sorte à
savoir comment fonctionne à vide, la logique. C’est là le travail de la logique mineure, encore
appelée logique formelle.
b.
La logique matérielle
Cela n’étant pas suffisant il convient de se pencher, dans un 2 ème temps, sur la logique
dans son application. Comment s’en servir utilement et efficacement ? C’est là le travail de la
logique majeure, appelée logique matérielle.
Enfin, la logique se penche sur le raisonnement dans son application aux choses : A
quelles conditions le raisonnement est-il vrai et démonstratif, et procure-t-il la science ? Dans
cette partie sont étudiés les méthodes des diverses sciences. C’est là aussi le travail de la
logique majeure.
2) L’idée et l’image
Par quoi les choses sont-elles rendues à notre esprit ? Qu’est-ce qui explique que nous puissions
raisonner sur celles-ci et en acquérir la science ?
Grâce aux idées…
a.
Descriptions générales
Qu’est-ce qu’une idée ? C’est une reproduction interne des choses par laquelle celles-ci nous
sont présentées de manière que nous puissions raisonner sur elles, et par ce fait, en acquérir la
science. Or nos idées sont exprimées par des mots, d’où un lien très étroit entre langage et pensée :
Si je dis le mot « ange », j’ai en quelque sorte deux images de cet être en question, une idée d’abord
qui me fait proprement connaître cet être (à savoir l’idée d’un esprit pur), mais aussi une
représentation sensible qui elle ne répond nullement à l’être en question, puisqu’un être purement
spirituel ne peut pas être vu.
Si je dis le mot « carré », j’ai en moi l’idée du carré grâce à laquelle je peux raisonner sur la
chose en question (à savoir l’idée d’un polygone rectangulaire à quatre côtés égaux), mais en même
temps j’en ai une représentation sensible, une image. Ces deux représentations sont
fondamentalement différentes : je peux faire varier la seconde de bien des façons possibles sans que
la première ne change. Il peut d’ailleurs y avoir une certaine dichotomie dans la mesure où l’une
peut être assez clairement représentée quand l’autre sera plus confuse.
b.
Conséquence
Le représentations sensible m’aident à raisonner, mais ce n’est pas avec elles que je raisonne et
que j’acquiers une science (car comme le dit Aristote, il n’y a de science que de l’universel…) Mon
3
raisonnement ne dépend pas en rien des milles représentations sensibles. Les choses nous sont donc
présentées de deux manières très différentes : ou bien par une idée, et (ou bien) par une
représentation sensible (encore appelée l’image.) Notons que l’image est la représentation sensible
d’une chose en l’absence de celle-ci. Elle dépend de l’imagination qui est un des quatre sens
internes. Pour produire une image, il faut d’abord que la chose ait pu être vu, entendu, touché, etc…
bref, qu’elle ait d’abord était perçu par les sens externes.
Par la première nous pensons la chose, par la seconde nous l’imaginons.
CONCLUSION 6
- Les idées sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous sont
présentées de manière que nous puissions raisonner sur elles, et donc en acquérir
la science.
- Les images sont les similitudes internes des choses par lesquelles celles-ci nous
sont présentées comme nous les ont montrées d’abord nos sensations.
Les mots signifient directement les idées, en évoquant en même temps des images.
3) L’universel et l’individuel.
Image et idée différent sous un autre aspect. Si j’évoque en moi l’image d’un homme, celui-ci sera
particulier : Je m’imaginerai tel homme sous des aspect plus ou moins vague. Mais si je forme l’idée de
l’homme, comme lorsque je dis « l’homme est un animal social », je ne me présente aucun homme en
particulier. L’idée délaisse tous les signes individuels qui distinguent tel homme de tel autre. Elle en fait
abstraction.
Si nous passons en revue les différentes sciences, nous constatons qu’aucune ne porte sur l’individuel
en tant que tel. Pourquoi ? Parce que l’individuel n’est pas explicatif : il ne représente que lui-même, et ne
peut pas rendre raison d’autre chose. On ne peut former de règles générales à partir de l’individuel.
L’idée a donc un caractère abstrait, dénuée de toutes caractéristiques individuelles.
Ainsi, les choses nous sont présentées par nos sensations et nos images sous un état individuel et
singulier. Et au contraire, par nos idées, elles sont sous un état abstrait et universel. Etant universel ce qui se
retrouve le même en une multitude d’individus : un en plusieurs.)
CONCLUSION 7
- Nos sensations et nos images nous présentent directement et par soi de l’individuel
- Nos idées nous présentent directement et par elles-mêmes de l’universel.
B – PROBLEME
1) Présentation du problème
Se pose un sérieux problème : Dans la réalité existante, les choses sont sous un état individuel et
singulier. Dès lors comment prétendre que notre connaissance intellectuelle de celles-ci puisse être
vraie ? En effet, nous connaissons par nos idées, et ces dernières ne nous présentent que de l’universel.
C’est l’un des principaux problèmes philosophiques puisqu’il se répercute :
o En logique (si l’on se penche sur la nature de l’universel : cause formelle)
4
o
o
En psychologie (si l’on cherche à savoir comment l’universel se forme dans l’esprit :
cause efficiente)
En métaphysique (si l’on réfléchit à la valeur de l’universel : cause finale.)
Il porte sur l’intelligence même et sur les idées, donc sur l’instrument de toute la science. Elle
est à la source des bien des positions. Ses conséquences sont donc énormes.
2) Les différentes positions
En négligeant bien des finesses, on pourrait regrouper les differentes positions en trois écoles.
a.
L’école nominaliste
Pour ce courant de pensée, l’universel n’existe que dans le langage ou dans la pensée. Il ne
correspond à aucune réalité existante. Il n’existe pas de nature humaine, c’est une simple façon
de parler. Il existe Pierre, Paul, Jacques ou Jean.
Une telle position détruit toute connaissance intellectuelle. Dès lors qu’est-ce que la science
sinon une belle fiction ?
Dans l’antiquité, sophiste et septiques furent des tenants de cette thèse. Laquelle connut aussi
un certain succès dans les temps modernes, chez les philosophes anglais : Guillaume d’Occam
(14e s.), Hobbes et Locke (17e s.), Berkeley et hume (18e s.), Stuart Mill et Spencer (19e s.)
Il faut enfin savoir que la plupart des philosophes modernes sont plus ou moins tributaires de
ce nominalisme.
b.
L’école réaliste absolu – ou idéaliste
Elle considère que l’universel comme tel, constitue la réalité des choses. Ainsi, la
connaissance sensible n’est qu’une illusion bien éloignée de la vérité et de la réalité. Ce
courant s’exprime de différentes façons :
- Ce qui est réel, c’est par exemple une Nature humaine existant hors de l’esprit et à l’état
séparé : cf. le système platonicien.
- Ce qui est réel, c’est un Etre commun existant tel quel hors de l’esprit comme une seule et
unique Substance : Cf. Parménide, le brahmanisme.
- Certains philosophes modernes ont repris ce genre de considérations : Hegel, Spinoza.
c.
L’aristo thomisme
Le « réalisme modéré » distingue la chose elle-même et le mode d’existence. Dès lors
une même chose peut exister sous un mode universel dans l’esprit, et dans un mode individuel
dans la réalité.
Il y a dès lors dans la réalité une nature humaine qui se retrouve en Pierre, Paul, et Jacques.
Mais hors de l’esprit elle n’existe que dans ces sujets individuels. Elle est identifiée à chacun
d’eux, et pas en elle-même ou à l’état séparé.
Encore une fois l’enjeu est capital : c’est pour avoir négligé d’étudier le problème de l’universel que tant de
philosophes et de savants restent aujourd’hui attachés à l’idée naïve que la science doit être une pure et simple
copie de la réalité individuelle. Ils ressassent contre l’abstraction des accusations élimées. Ils inventent à propos
des sciences (notamment mathématiques) des théories vaines et compliquées, qui à termes conduisent à
l’anéantissement de la connaissance.
Aristo thomisme
Ce que nos idées nous présentent
sous un état universel…
… N’existe pas hors de l’esprit
sous cet état universel.
… Existe hors de l’esprit sous un
état d’individualité.
5
DOCUMENTS JOINTS
Texte 1 : Descartes, Méditations métaphysiques.
Je remarque premièrement la différence qui est entre l'imagination et la pure intellection ou conception.
Par exemple, lorsque j'imagine un triangle, je ne le conçois pas seulement comme une figure composée et comprise de trois lignes, mais
outre cela, je considère ces trois lignes comme présentes par la force et l'application intérieure de mon esprit; et c'est proprement ce que
j'appelle imaginer.
Que si je veux penser à un chiliogone, je conçois bien à la vérité que c'est une figure composée de mille côtés, aussi facilement que je
conçois qu'un triangle est une figure composée de trois côtés seulement, mais je ne puis pas imaginer les mille côtés d'un chiliogone, comme
je fais les trois d'un triangle, ni pour ainsi dire, les regarder comme présents avec les yeux de mon esprit. Et quoique, suivant la coutume que
j'ai de me servir toujours de mon imagination lorsque je pense aux choses corporelles, il arrive qu'en concevant un chiliogone, je me
représente confusément quelque figure, toutefois il est très évident que cette figure n'est point un chiliogone ; puisqu'elle ne diffère nullement
de celle que je me représenterais, si je pensais à un myriogone, ou à quelque autre figure de beaucoup de côtés ; et qu'elle ne sert en aucune
façon à découvrir les propriétés qui font la différence du chiliogone d'avec les autres polygones.
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Que s'il est question de considérer un pentagone, il est bien vrai que je puis concevoir sa figure, aussi bien que celle d'un chiliogone, sans
le secours de l'imagination ; mais je la puis aussi imaginer en appliquant l'attention de mon esprit à chacun de ses cinq côtés, et tout ensemble
à l'aire, ou à l'espace qu'ils renferment. Ainsi, je connais clairement que j'ai besoin d'une particulière contention d'esprit pour imaginer, de
laquelle je ne me sers point pour concevoir ; et cette particulière contention d'esprit montre évidemment la différence qui est entre
l'imagination et l'intellection, ou conception pure.
Je remarque outre cela que cette vertu d'imaginer qui est en moi, en tant qu'elle diffère de la puissance de concevoir, n'est en aucune sorte
nécessaire à ma nature, ou à mon essence, c'est-à-dire à l'essence de mon esprit : car, encore que je ne l'eusse point, il est sans doute que je
demeurerais toujours le même que je suis maintenant : d'où il semble que l'on puisse conclure qu'elle dépend de quelque chose qui diffère de
mon esprit.
Et je conçois facilement que, si quelque corps existe, auquel mon esprit soit conjoint et uni de telle sorte, qu'il se puisse appliquer à le
considérer quand il lui plaît, il se peut faire que, par ce moyen il imagine les choses corporelles ; en sorte que cette façon de penser diffère
seulement de la pure intellection, en ce que l'esprit en concevant se tourne en quelque façon vers soi-même, et considère quelqu'une des idées
qu'il a en soi ; mais en imaginant il se tourne vers le corps, et y considère quelque chose de conforme à l'idée qu'il a formée de soi-même ou
qu'il a reçue par les sens.
Texte 2 : Platon, Cratyle.
SOCRATE : - En outre, l’objet ne saurait non plus être connu de personne. A l’approche de qui voudrait le connaître, il deviendrait autre et
différent, si bien qu'on ne pourrait plus savoir ce qu'il est ou quel est son état. Aucune connaissance, évidemment, ne connaît l'objet auquel
elle s'applique, s'il n'a point d'état déterminé.
CRATYLE : - Il en est comme tu dis.
SOCRATE. - De connaissance non plus il ne peut être probablement question, Cratyle, si tout se transforme et rien ne demeure. Car si cette
chose même que nous nommons la connaissance ne cesse, par transformation, d'être connaissance, toujours la connaissance subsistera et il y
aura connaissance. Mais si la forme même de la connaissance vient à changer, elle se changera en une autre forme que la connaissance et, du
coup, il n'y aura pas de connaissance. Et si elle change toujours, jamais il n'y aura de connaissance; d'où il suit qu'il n'existera ni de sujet
pour connaître, ni d'objet à connaître.
Si, au contraire, le sujet connaissant existe toujours, comme l'objet connu, comme le Beau, comme le Bien, comme chaque être en
particulier, ce dont nous sommes en train de parler me paraît n'offrir aucune ressemblance avec un écoulement et une mobilité.
Texte 3 : Hegel, Science de la logique.
Tout le reste est erreur, trouble, opinion, velléité, tout le reste est arbitraire et passager; seule l'idée Absolue est l'Être, seule elle est la Vie
impérissable, la Vérité qui se sait telle, toute Vérité.
Elle est le seul objet et le seul contenu de la philosophie. Du fait qu'elle est pour ainsi dire, le réceptacle de toutes les déterminations, et
que sa nature est telle qu'elle est capable, par autodétermination et particularisation, de toujours revenir à elle-même, elle peut affecter les
formes les plus diverses, et l'objet de la philosophie consiste justement à la reconnaître, à la retrouver sous ces formes variées. La Nature et
l'Esprit sont, en général, les deux modes différents sous lesquels elles se présente, l'art et la religion sont les deux modes sous lesquels elle
s'appréhende et se donne un être-là approprié. La philosophie a le même objet et poursuit le même but que l'art et la religion; mais elle est le
moyen le plus élevé d'appréhender l'idée absolue.
II ] LA PHILOSOPHIE SPECULATIVE
Elle a pour objet propre l’être des choses. Il nous faut donc atteindre l’être à travers les choses. Or quelles sont
les choses qui se présentent en premier à notre observation ? Les choses corporelles…
Mais il nous faut distinguer immédiatement deux types de corps :
- Le corps mathématique qui est simplement ce qui est étendu en largeur, longueur, et profondeur.
- Le corps naturel (ou physique) qui est, ce qui tombe sous nos sens, et qui est revêtu de telles ou
telles propriétés.
A – LA PHILOSOPHIE DU NOMBRE : LES MATHEMATIQUES
Se pose immédiatement un problème : quel est l’objet premier des mathématiques ? On répond d’ordinaire : c’est
la quantité de l’étendue et du nombre. Mais quelle est la nature de cet objet ?
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De par l’importance que prennent les mathématiques aujourd’hui, il est fondamental d’étudier les premiers
principes de cette science. Il faut se pencher sur la vraie nature de l’abstraction mathématique, sur l’objet de
pensée qu’elle considère (tels les nombres irrationnels, les nombres transfinis, l’infiniment petit, les espèces non
euclidiens, etc…), et sur la valeur des traduction mathématique dans la réalité physique (cf. la théorie de la
relativité.)
B – LA PHILOSOPHIE DE L’ETRE MOBILE : LA PHYSIQUE
L’être mobile, c’est donc l’être sensible ; et c’est ce sur quoi porte la philosophie de la nature. A ce stade là
aussi, se posent bien des problèmes philosophiques.
1) Les principaux problèmes
a.
Le mouvement
Qu’est-ce qu’il y a de plus universel et de plus manifeste dans le monde des corps ? Le
changement. Il s’agira de savoir ce qu’est-le mouvement ; en quoi il consiste.
b.
La substance corporelle
Mais s’il y a du mouvement, d’où provient-il ? De la substance même des corps ? Comment
cela est-il possible ? Ainsi, en est-on conduit à s’intéresser à la substance corporelle elle-même.
2) Les principales écoles
a.
Les mécanistes
Ce large courant regroupe des tendances opposées (matérialistes – Démocrite, Epicure, Hobbes
- ou spiritualistes – Descartes -.) Mais quelque soit les tendances, tous réduisent la substance
corporelle à la matière, ils vont même jusqu’à la confondre pour certains avec l’étendue
géométrique.
Dans leur système, il en résulte qu’il n’y a pas de différence essentielle entre les corps. Ils sont
tous d’une seule et même substance (laquelle connaît des modifications.)
De plus pour eux le monde physique est privé de toute qualité et de toute force, car la seule
réalité qu’il reconnaissent et l’étendue et le mouvement local.
Il en résulte que l’union de la matière et de l’esprit dans un être tel que l’homme devient
entièrement inintelligible.
b.
Le dynamisme
A contrario, cette école supprime la matière de la constitution des corps. Tel est l’exemple
caractéristique de Leibniz et de son système, le monadisme : il réduit la substance corporelle à
des unités d’ordre spirituel ressemblant à des âmes (c’est ce qu’il appelle des « monades. »)
Dès lors, l’étendue, comme toute la réalité sensible, n’est plus qu’une certaine apparence, un
certain symbole.. Le monde corporel s’évanouit dans le monde des esprits.
Boscovich qui n’est certes pas très connu, va soulever un dynamisme que l’on retrouve
fréquemment dans la philosophie contemporaine : La substance corporelle est réduite à des
« points de force. » C’est une sorte d’énergétisme moderne. Tout le monde physique est
ramené au facteur « énergie » (une « énergie » qui n’est d’ailleurs guère définie…)
c.
L’aristo thomisme
Aristote reconnaît deux principes substantiels dans la substance corporelle :
- La matière, appelé plus précisément « matière première. » Il ne s’agit pas d’étendue,
mais bel et bien de matière à l’état pur : un ce avec quoi quelque chose d’autre est
fait.. En soi même ce n’est rien de fait, c’est totalement indéterminé, incapable
d’exister par lui-même. Mais cette matière première ne peut exister que par autre
chose : la forme.
- Le forme. C’est un principe actif. On pourrait la comparer à l’idée vivante de la
chose, à son âme. Cette forme détermine cette matière première qui elle, est purement
passive. Un peu comme la forme imprimée par le sculpteur détermine la glaise. Avec
la glaise, cette forme constitue une seule et même chose faite et existante, une seule et
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même substance corporelle. A la glaise, elle donne d’être ceci ou cela, d’avoir telle
nature spécifique (une œuvre d’art ou une horreur, par exemple.)
Mais ne poussons pas trop loin la comparaison. Car dans le cas de l’œuvre sculptée, la
forme donnée par l’artiste est accidentelle. C’est pourquoi Aristote pour éviter toute
confusion évoque le terme de « forme substantielle. » Il s’agit donc là, d’un principe
intérieur, et celui-ci détermine la substance corporelle dans son être même.
Le corps est donc un composé de matière et de forme. Tel est le fondement de la thèse appelée
« l’hylémorphisme. »
Cette doctrine sauve la réalité propre de la matière, du monde corporel, de l’étendue. Ainsi
nous comprenons bien que l’étendue ou la quantité n’est pas la substance des corps comme le
prétend le mécanisme, mais le premier accident de celle-ci.
Cette doctrine sauve aussi la réalité propre des qualités physiques. Ces dernières sont des
accidents de la substance corporelle.
Enfin, elle défend la distinction naturelle et essentielle qu’il y a entre les différents corps qui
appartiennent à des espèces différentes : Ainsi, grâce à l’hylémorphisme, nous reconnaissons
qu’il y a un principe substantiel et immatériel dans les corps inertes et les vivants privés de
raison, sans pour autant affirmer qu’il est spirituel. Ce qui est purement immatériel ne peut
exister sans la matière, alors que ce qui est spirituel peut exister sans la matière.
Prenons le cas de l’homme, avec l’hylémorphisme nous sommes loin du dualisme cartésien.
Nous comprenons bien l’union de la matière et de l’âme spirituelle, laquelle est la forme du
corps humain.
Hylémorphisme
Toute substance corporelle est composé de deux
parties substantielles complémentaires :
- L’une passive et en elle-même absolument
indéterminée : la matière.
- L’autre active et déterminante : La forme.
Mécanisme
La substance corporelle est
conçue comme une simple
matière.
On peut l’identifier à l’étendue
géométrique.
Dynamisme
La substance corporelle est
ramenée soit à
- des formes pures et des
esprits : monadisme.
- une force ou une énergie.
Il y a une classe de corps particuliers : les êtres vivants. Ils sont supérieurs à ce qu’ils ne sont non
vivants. Ce qui les distinguent c’est que les premiers ont une propriété particulière : Ils se meuvent euxmêmes. Aussi nous dirons qu’ils ont une âme, c’est-à-dire un principe de vie distinct de tout facteur
physico-chimique.
Il conviendra de se demander si dans ce cas il n’y a pas différentes espèces d’âmes. Les mécanistes
refuseront d’admettre ce principe d’âme. Ils attribuent la vie à la complexité d’une machine physicochimique. La vie pourrait donc être expliquée selon eux, par des phénomènes dus à la force de la matière
brute.
D’où la question : En quoi consiste la vie ? Quels sont les principes premiers constitutifs de l’organisme
vivant ?
3) La psychologie
Il constitue dans ce monde, le vivant le plus élevé. Il est comme un monde à part. Nous
pouvons d’autant mieux le connaître qu’il a conscience de lui-même, c’est-à-dire qu’il est habité d’une
sorte de connaissance du dedans.
Ce qui le caractérise le mieux, c’est qu’il est doué d’intelligence ou de raison. Or l’intelligence étant
toute immatérielle, l’homme comme objet de science est à cheval entre la physique et la métaphysique.
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Aussi convient-il de déterminer une science particulière et propre à l’homme : la psychologie.
Et le problème capital de cette science est celui de l’origine des idées : Comment expliquer la présence
en nous de ces idées qui nous servent à raisonner sur les choses et par lesquelles les choses sont
présentées sous un état d’universalité ? (Nous retrouvons le problème de l’universel sous sa cause
efficiente : comment se forme-t-il ?
a. Deux modes de connaissance
Les choses connues par l’intermédiaire des sens et de l’imagination sont connus sous un état
individuel. C’est cet homme que je vois et qui a tel aspect physique. Connaissance des sens =
connaissance de l’individuel..
Nos idées proviennent des images mais elles sont supérieures à elles. L’idée ignore l’objet tel
qu’il est, comme objet d’image. Nos idées ignorent l’objet pris dans son individualité.
Ainsi, notre connaissance (même intellectuelle) vient bien des sens, car seuls les sens sont en
contact direct et immédiat avec la réalité des choses.
D’autre part, est sous l’état individuel tout ce qui est dans les sensations et les images. Alors
qu’au contraire tout ce qui est dans les idées sont à l’état universel. Cela montre bien que les images
en tant que tel ne passent pas dans les idées.
b. L’origine des idées
Mais comment ce travail d’extraction se produit-il ? Il faut admettre en l’homme une activité
d’ordre supérieur qui s’applique à l’objet introduit en nous par les sens et les images. Cette activité
permet de faire jaillir de cet objet (pour notre intelligence) quelque chose qui est contenu, caché en
lui ; mais que l’image ne présente pas par elle-même.
Quelle est cette activité, quel est ce quelque chose ? Cette activité est appelée par les
aristotéliciens, intellectus agens. Ce quelque chose que l’intellect agent dégage et extrait de l’objet
c’est ce qu’on appelle « la forme ou la similitude intelligible » de l’objet.
N’oublions pas que lorsque l’intelligence pense une chose par une idée, elle se tourne en même
temps vers les images d’où l’idée est tirée, ces mêmes images qui présentent la chose comme
individuelle.
CONCLUSION 8
Nos idées sont tirées ou « abstraites » du donné sensible par l’activité d’une faculté
spéciale (intellect agent) qui dépasse tout l’ordre des sens, et qui est comme la
lumière de notre intelligence.
Les philosophes appellent abstraction, l’opération par laquelle nous tirons nos idées à partir de
nos images accumulées par l’expérience sensible. L’idée est belle et bien tirée de l’individualité de
l’expérience sensible.
Il est évident que l’abstraction peut être d’un degré plus ou moins élevé. Prenons un exemple :
Si je dis « cheval », je peux former l’idée abstraite du cheval et en même temps imaginer un cheval. Dès
lors je peux connaître le cheval de façon tout aussi intelligible que sensible.
Mais si je viens à dire « ange », l’image cette fois vient comme en renfort pour aider l’intelligence à
fonctionner, à se fixer. Ici, nous ne pouvons plus connaître en même temps par les sens la chose que
nous connaissons par notre intelligence.
Et bien les choses dont il est question en philosophie sont de cet ordre : elles ne sont pas
connaissables par les sens ou l’imagination, mais par la seule intelligence. D’où la difficulté de la
philosophie qui oblige à ce travail d’abstraction. Il n’est pas évident de faire taire l’imagination pour se
livrer à un pur travail intellectuel. Il est fondamental de ne pas essayer de se représenter par
l’imagination des choses qui ne sont que pensable par l’intelligence, parce que précisément ces choses
sont absolument inimaginables (tel est le cas pour l’essence, la substance, l’accident, la puissance, etc…
c. Les positions adverses
Sur l’origine des idées, les philosophes peuvent être distribués en trois groupes :
10
o
o
o
Les sensualistes affirmant que les idées viennent des sens. En réalité ils réduisent les idées
aux sensations. Locke, Stuart Mill, Condillac sont les principaux sensualistes. Si les
sensualistes sont en général tous des nominalistes, la réciproque ne se vérifie pas.
Les innéistes qui reconnaissent la différence essentielle qui sépare les idées des sensations
et des images, mais ils nient que nous tirions nos idées du donné sensible. Il faut distinguer
trois types d’innéistes :
- Ceux pour qui, nos idées sont en nous depuis notre naissance (au même titre que l’âme.)
Les tenants d’une telle position sont évidemment Platon et Descartes, mais Leibniz aussi.
- Il y a ceux pour qui les idées ne sont pas infuses mais produites –soit par Dieu, soit par
nous-mêmes – (Cf. Malebranche, Berkeley.)
- Enfin, il y a ceux pour qui les idées sont le pur produit de notre esprit qui impose ses lois
aux choses : Kant. Pour ce dernier, ce qui est inné ce ne sont pas nos idées, mais les règles,
les formes d’après lesquelles notre esprit fabrique ses objets de science : Les formes à
priori de la sensibilité.
Les aristotéliciens et les thomistes : Idées et images sont différentes en leur essence. Mais
les idées sont tirées des sensations et des images par l’activité de la lumière spirituelle qui
est en nous.
Aristo-thomisme
Nos idées viennent des
sens, et donc des choses,
mais par l’activité d’une
faculté spirituelle. Elles
sont essentiellement
différentes des sensation
et des images.
Sensualisme
Nos idées viennent des
sens, qui suffisent à les
produire, et elles ne
diffèrent pas
essentiellement des images
et des sensations.
Innéisme
Les idées sont
essentiellement différentes
des sensations et des
images, et elles ne viennent
pas des sens, et ni des
choses.
d. Conséquences
o
Si l’abstraction est bien ce que nous en avons dit, alors il nous faut bien admettre 1°) Que
l’homme a en lui une âme spirituelle qui est le principe premier de cette opération
d’abstraction (car nos idées, d’ordre immatériel, sont incommensurables avec les
sensations et les images.) 2°) Que cette âme spirituelle est faite pour être unie à un corps
(car nos idées ne peuvent être produites qu’au moyen des sensations et des images.)
11
o
On le voit la question portant sur la nature de l’abstraction ou sur l’origine renvoie
nécessairement à un autre problème de psychologie :
En quoi consiste l’être humain ?
L’homme a-t-il une âme spirituelle, absolument différente de celle des animaux ?
Quelles sont les relations de cette âme avec le corps humain ?
o
Sur la question de l’âme humaine nous retrouvons finalement les positions du problème
précédent :
- Les sensualistes : Soit, ils nient que l’âme existe (matérialistes) ; soit, ils l’admettent
tout en affirmant qu’il est impossible de connaître son existence (phénoménistes.)
- Les innéistes regardent l’homme comme un pur esprit qui se trouve joint à un corps.
Cf. le dualisme ou le spiritualisme exagéré.
- Enfin, l’école aristo-thomiste qui enseigne que l’homme est un composé de deux
principes substantiels complémentaires l’un à l’autre, mais incomplet en soi. Parmi
ces deux principes, il est l’âme spirituelle et immortelle. Cette position est aussi
appelée l’animisme.
Animisme
Deux principes
complémentaires
(dont l’âme
raisonnable qui est
spirituelle) forment
une seule substance.
Sensualisme
- L’âme humaine
n’existe pas :
matérialisme.
- Elle n’est pas
connaissable :
phénoménisme.
Innéisme
- L’homme est un
esprit accidentellemen
uni à un corps :
spiritualisme exagéré.
- L’âme et le corps
sont deux substances
complètes chacune :
dualisme.
12
o
Mais une telle projection se retrouve à l’égard du problème général de l’existence des
choses connues par les sens et des choses invisibles et spirituelles accessibles à la seule
raison.
Matérialisme
Tout ce qui n’est
pas matériel et
sensible n’existe pas.
Ou du moins son
existence n’est pas
connaissable.
Aristo-thomisme
On ne peut pas douter
de l’existence des
choses corporelles
(attestée par les sens) ;
ni de l’existence des
choses spirituelles
(démontrée par la
raison.)
DOCUMENTS JOINTS
Idéalisme
Le monde sensible
n’existe pas
réellement. Ou du
moins son existence
n’est pas
connaissable.
Texte 1 : Nous naissons avec des idées innées
I1 faut nécessairement conclure que, de cela seul que j'existe, et que l'idée d'un être souverainement Parfait (c'est-à-dire de Dieu) est en
moi, l'existence de Dieu est très évidemment démontrée.
Il me reste seulement à examiner de quelle façon j'ai acquis cette idée. Car je ne l'ai pas reçue par les sens, et jamais elle ne s'est offerte
à moi contre mon attente, ainsi que font les idées des choses sensibles, lorsque ces choses se présentent ou semblent se présenter aux organes
extérieurs de mes sens. Elle n'est pas aussi une pure production ou fiction de mon esprit ; car il n'est pas en mon pouvoir d'y diminuer ni d'y
ajouter aucune chose. Et par conséquent il ne reste plus autre chose à dire, sinon que, comme l'idée de moi-même, elle est née et produite
avec moi dès lors que j'ai été créé.
Et certes, on ne doit pas trouver étrange que Dieu, en me créant, ait mis en moi cette idée comme la marque de l'ouvrier empreinte sur
son ouvrage.
Descartes, Méditations métaphysiques.
Texte 2 : L’idée de triangle est immuable et éternelle
Et ce que je trouve ici de plus considérable est que je trouve en moi une infinité d'idées de certaines choses, qui ne peuvent pas être
estimées un pur néant, quoique peut-être elles n'aient aucune existence hors de ma pensée ; et qui ne sont pas feintes par moi, bien qu'il soit
en ma liberté de les penser ou ne les penser pas ; mais elles ont leurs natures vraies et immuables.
Comme, par exemple, lorsque j'imagine un triangle, encore qu'il n'y ait peut-être, en aucun lieu du monde hors de ma pensée une telle
figure, et qu'il n'y en ait jamais eu, il ne laisse pas néanmoins d'y avoir une certaine nature, ou forme, ou essence déterminée de cette figure,
laquelle est immuable et éternelle, que je n'ai point inventée, et qui ne dépend en aucune façon de mon esprit ; comme il paraît de ce que l'on
peut démontrer diverses propriétés de ce triangle, à savoir, que les trois angles sont égaux à deux droits, que le plus grand angle est soutenu
par le plus grand côté, et autres semblables, lesquelles maintenant, soit que je le veuille, ou non, je reconnais très clairement et très
évidemment être en lui, encore que je n'y aie pensé auparavant en aucune façon, lorsque je me suis imaginé la première fois un triangle ; et
partant on ne peut pas dire que je les aie feintes et inventées.
Et je n'ai que faire ici de m'objecter, que peut-être cette idée du triangle est venue en mon esprit par l'entremise de mes sens, parce
que j'ai vu quelquefois des corps de figure triangulaire ; car je puis former en mon esprit une infinité d'autres figures, dont on ne peut avoir le
moindre soupçon que jamais elles me soient tombées sous les sens, et je ne laisse pas toutefois de pouvoir démontrer diverses propriétés
touchant leur nature, aussi bien que touchant celle du triangle : lesquelles certes doivent être toutes vraies, puisque je les conçois clairement,
et partant elles sont quelque chose, et non pas un pur néant ; car il est très évident que tout ce qui est vrai est quelque chose, et j'ai déjà
amplement démontré ci-dessus que toutes les choses que je connais clairement et distinctement sont vraies.
Descartes, Méditations métaphysiques.
Texte 3 : La table rase
Supposons donc qu'au commencement l'Ame est ce qu'on appelle une Table rase, vide de tous caractères, sans aucune idée, quelle
qu'elle soit. Comment vient-elle à recevoir des idées ? Par quel moyen en acquiert-t-elle cette prodigieuse quantité que l'imagination de
l'Homme, toujours agissante et sans bornes, lui présente avec une variété presque infinie ? D'où puise-t-elle tous ces matériaux qui sont
comme le fond de tous ses raisonnements et de toutes ses connaissances ? A cela, je réponds en un mot, de l'Expérience : c'est là le
fondement de toutes nos connaissances, et c'est de là qu'elles tirent leur première origine. Les observations que nous faisons sur les objets
extérieurs et sensibles, ou sur les opérations intérieures de notre âme, que nous apercevons et sur lesquelles nous réfléchissons nous-mêmes,
fournissent à notre esprit les matériaux de toutes ses pensées. Ce sont là les deux sources d'où découlent toutes les idées que nous avons, ou
que nous pouvons avoir naturellement.
13
Et, premièrement, nos Sens étant frappés par certains objets extérieurs, font entrer dans notre âme plusieurs perceptions distinctes
des choses, selon les diverses manières dont ces objets agissent sur nos Sens. C'est ainsi que nous acquérons les idées que nous avons du
blanc, du jaune, du chaud du froid, du dur, du mou, du doux, de l'amer, et de tout ce que nous appelons qualités sensibles. Nos Sens, dis-je,
font entrer toutes ces idées dans notre âme, par où j'entends qu'ils font passer des objets extérieurs dans l'âme, ce qui y produit ces sortes de
perceptions. Et comme cette grande source de la plupart des idées que nous avons, dépend entièrement de nos Sens et se communique par
leur moyen à l'Entendement, je l'appelle SENSATION.
L'autre source d'où l'Entendement vient à recevoir des idées, c'est la perception des opérations de notre âme sur les idées qu'elle a
reçues par les Sens: opérations qui, devenant l'objet des réflexions de l'âme, produisent dans l'Entendement une autre espèce d'idées, que les
Objets extérieurs n'auraient pu lui fournir : telles que sont les idées de ce qu'on appelle apercevoir, penser, douter, croire, raisonner,
connaître, vouloir, et toutes les différentes actions de notre âme, de l'existence desquelles étant pleinement convaincus, parce que nous les
trouvons en nous-mêmes, nous recevons par leur moyen des idées aussi distinctes, que celles que les Corps produisent en nous, lorsqu'ils
viennent à frapper nos Sens. C'est là une source d'idées que chaque Homme a toujours en lui-même; et, quoique cette Faculté ne soit par un
Sens, parce qu'elle n'a rien à faire avec les objets extérieurs, elle en approche beaucoup, et le nom de Sens intérieur ne lui conviendrait pas
mal.
Mais comme j’appelle l’autre source de nos idées sensation, je nommerai celle-ci réflexion, parce que l’âme ne reçoit par son
moyen que les idées qu’elle acquiert en réfléchissant sur ses propres opérations.
Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain.
Texte 4 : Nous voyons les idées en Dieu
La connaissance de la vérité et l'amour de la vertu ne peuvent donc être autre chose que l'union de l'esprit avec Dieu et qu'une espèce
de possession de Dieu ; et l'aveuglement de l'esprit et le dérèglement du cœur ne peuvent aussi être autre chose que la séparation de l'esprit
d'avec Dieu, et que l'union de cet esprit à quelque chose qui soit au-dessous de lui, c'est-à-dire au corps, puisqu'il n'y a que cette union qui le
puisse rendre imparfait et malheureux. Ainsi c'est connaître Dieu que de connaître la vérité ou que de connaître les choses selon la vérité ; et
c'est aimer Dieu que d'aimer la vertu ou d'aimer les choses selon qu'elles sont aimables ou selon les règles de la vertu.
L'esprit est comme situé entre Dieu et les corps, entre le bien et le mal, entre ce qui l'éclaire et ce qui l'aveugle, ce qui le règle et ce qui
le dérègle, ce qui le peut rendre parfait et heureux et ce qui le peut rendre imparfait et malheureux. Lorsqu'il découvre quelque vérité ou qu'il
voit les choses selon ce qu'elles sont en elles-mêmes, il les voit dans les idées de Dieu, c'est-à-dire par la vue claire et distincte de ce qui est
en Dieu qui les représente; car, comme j'ai déjà dit, l'esprit de l'homme ne renferme pas dans lui-même les perfections ou les idées de tous les
êtres qu'il est capable de voir : il n'est point l'être universel. Ainsi il ne voit point dans lui-même les choses qui sont distinguées de lui. Ce
n'est point en se consultant qu'il s'instruit et qu'il s'éclaire, car il n'est pas à lui-même sa perfection et sa lumière; il a besoin de cette lumière
immense de la vérité éternelle pour l'éclairer. Ainsi, lorsque l'esprit connaît la vérité, il est uni à Dieu, il connaît et possède Dieu en quelque
manière.
Malebranche, Recherche de la vérité.
Texte 5 : Contre la théorie empiriste
Cette Table rase dont on parle tant n'est, à mon avis, qu'une fiction que la nature ne souffre point et qui n'est fondée que dans les
notions incomplètes des Philosophes.
L'expérience est nécessaire, je l'avoue, afin que l'âme soit déterminée à telles ou telles pensées, et afin qu'elle prenne garde aux idées
qui sont en nous ; mais le moyen que l'expérience et les sens puissent donner des idées ?
L'âme a-t-elle des fenêtres ? Ressemble-t-elle à des tablettes ? Est-elle comme de la cire ? Il est visible que tous ceux qui pensent
ainsi de l'âme la rendent corporelle dans le fond.
On m'opposera cet axiome reçu parmi les philosophes : qu'il n'est rien dans l'âme qui ne vienne des sens ; mais il faut excepter
l'âme même et ses affections : Nihil est in intellectu quod non fuerit in sensu; excipe, nisi ipse intellectus. Or l'âme renferme l'être, la
substance, l'un, le même, la cause, la perception, le raisonnement et quantité d'autres notions que les sens ne sauraient donner. Cela s'accorde
assez avec votre auteur de l'Essai, qui cherche une bonne partie des idées dans la réflexion de l'esprit sur sa propre nature.
Leibniz, Nouveaux essais sur l’entendement humain.
Texte 6 : La matière de la pensée
Toutes les perceptions de l'esprit humain se résolvent en genres distincts que j'appellerai impressions et idées. La différence entre ces
deux genres consiste dans les degrés de force et de vivacité avec lesquels ils frappent l'esprit et pénètrent dans notre pensée ou conscience.
Ces perceptions qui entrent avec le plus de force et de violence, nous pouvons les nommer impressions ; et, sous ce nom, je comprends
toutes nos sensations, passions et émotions, considérées lorsqu'elles font leur première apparition dans l'âme.
Par idées, j'entends les faibles images que laissent les impressions dans la pensée et dans le raisonnement ; telles sont, par exemple, toutes
les perceptions excitées par le présent discours, excepté celles qui naissent de la vue et du toucher, et excepté aussi le plaisir ou le malaise
immédiat qu'il peut occasionner.
Hume, Traité de la nature humaine.
14
C – LA PHILOSOPHIE DE L’ETRE EN TANT QU’ETRE
Nous l’avons vu précédemment, en étudiant l’homme et les idées, la philosophie s’était portée sur un
objet qui dépassait le monde corporel, le monde de la nature sensible.
Mais elle peut encore monter plus haut, elle peut encore progresser dans son travail d’abstraction : Tel est le cas
quand elle porte sur son objet propre l’être en tant qu’être. C’est-à-dire non plus l’être en tant que corporel
sensible ou mobile.
Etudier l’être en tant qu’être, c’est l’étudier de façon absolument universelle. Dès lors sera considéré
l’être des choses visibles et l’être des choses qui ne sont ni corporelles, ni sensibles, ni mobiles, donc en
définitive, l’être des choses spirituelles.
C’est au terme de cet effort que nous atteignons la philosophie ou la sagesse par excellence : la métaphysique.
1)
La critique
a. Introduction
Comme pour partir en conquête, il faut assurer certaines défenses en cas d’attaques. C’est-àdire contre toute déformation éventuelle des principes de cette science suprême que constitue la
métaphysique. La sagesse doit pouvoir défendre elle-même ses principes (et ceux des autres
sciences, puisque ses principes sont aussi ceux de toute la connaissance humaine.)
Avant d’étudier l’être lui-même en tant qu’être, il faut considérer les relations qu’exercent la
pensée humaine vis-à-vis de l’être. C’est l’objet d’une partie spéciale de la métaphysique, appelée
la critique. Celle-ci juge donc la connaissance elle-même.
La logique vise la vérité formelle, comment user droitement de la raison pour atteindre le vrai.
Aussi la logique présuppose-t-elle que nous puissions atteindre le vrai et la science. La critique
traite donc de ce qui est présupposé par la logique. Elle montre ne quoi consiste la connaissance.
Elle montre (d’une façon réflexe) que la connaissance vraie certaine et scientifique est possible. Il
est donc important de distinguer la critique de la logique, et de comprendre que cette dernière suit
la critique.
b. Qu’est-ce que la vérité de la connaissance ?
o
Réponse
Il s’agit de dégager la notion de vérité. Qu’est-ce qu’une parole vraie ? C’est une parole
qui exprime comme elle est, la pensée de celui qui parle. C’est un parole conforme à cette
pensée.
Mais avouons-le, nous n’avons guère progressé, car qu’est-ce qu’une pensée vraie ? c’est
un pensée qui présente comme elle est la chose sur laquelle elle porte, c’est une pensée
conforme à cette chose. Une pensée est donc vraie quand celle-ci est en adéquation avec la
chose.
La vérité de notre esprit consiste dans sa conformité à la chose [ A.2]. Vouloir donner une
autre définition, c’est risquer de fausser la notion de vérité.
15
o
Conséquences
On peut déjà remarquer qu’une pensée fausse en tous ses éléments est impossible. Une
pensée ne peut pas être conforme à rien absolument, sans quoi elle serait un néant
absolument. Si je dis par exemple : « Les pierres ont une âme », c’est une erreur absolue,
mais il est vrai qu’il y a des pierres, vrai aussi que certains êtres ont une âme. Tous ces
éléments qui entrent dans une pensée fausse ne sont pas faux eux-mêmes. L’erreur
suppose avant elle la vérité.
On peut aussi conclure à ce stade de notre enquête que l’homme ne peut pas mettre
sérieusement en doute la véracité de ces facultés de connaissance.
D’ailleurs en pratique, il ne le fait pas. En effet, toute action posée est un
acte de confiance en cette véracité. Douter réellement de notre faculté de
connaissance doit normalement conduire à l’inaction totale et à la folie.
c. Peut-on réfuter ceux qui mettent en doute la véracité de nos facultés de connaître ?
o
Réponse
Telle est la funeste position des sceptiques, qui au moins théoriquement mettent en
doute cette véracité. A un sceptique, il est vain d’essayer de démontrer quoi que ce soit,
car toute démonstration s’appuie sur des certitudes.
Il est difficile donc, de réfuter ex professo, les sceptiques. Il faut se contenter de défendre
la connaissance humaine.
- Il faut faire voir en quoi consiste et comment a lieu cette connaissance.
- Réfuter les arguments qu’ils avancent.
- Les réduire à l’absurde : En effet, s’il est impossible de savoir si aucune proposition est
vraie, ou bien ils avancent là une proposition qu’ils considèrent vraie (et ils se
contredisent.) Ou bien ils ne savent pas si elle l’est, et alors ils ne savent pas ce qu’ils
disent ou ils ne disent rien [ A.4]
Ceux qui doutent de la vérité ne peuvent philosopher qu’en gardant un absolu silence
(extérieur et intérieur.) D’où, selon le mot de S. Thomas, qu’ils sont condamnés à être des
végétaux.
Sans doute la raison se trompe souvent. Il est vrai que tout homme a eu à soutenir dans sa
vie une sottise à laquelle il croyait fermement. La vérité est difficile à atteindre. Mais ce
serait une lâcheté que de prendre une difficulté pour une impossibilité.
CONCLUSION 9
La vérité de la connaissance consiste dans la conformité de l’esprit à la chose. Il est
absurde de mettre en doute la véracité de nos facultés de connaître.
o
Positions tenues à ce sujet
Encore une fois nous pouvons sommairement diviser les philosophes en trois groupes.
- 1°) Les sceptiques. Impressionnés par l’abondance des sentences contradictoires et
erronées formulées par les hommes, les sceptiques vont conclure que la vérité est une
valeur inatteignable. Parmi les plus célèbres, citons Pyrrhon, Montaigne, Hume.
Parmi les sceptiques, on peut ranger les philosophes anti-intellectualistes. Ces derniers
désespérant de l’intelligence et de la raison, préfèrent confier la quête de la vérité à la
volonté, à l’instinct, au sentiment ou à l’action. Rousseau, Fichte, Schopenhauer, Bergson,
James sont à classer parmi ceux-ci. A la différence des premiers sceptiques, ils n’affirment
pas que la vérité soit inaccessible en soi. Mais les moyens qu’ils proposent pour l’atteindre
nous empêchent effectivement d’y parvenir.
16
- 2°) Les rationalistes au contraire pensent que la vérité est facile à atteindre, et tombent
dans trois écueils qui les caractérisent : – Le subjectivisme : puisque pour eux la règle de
vérité n’est pas la chose à connaître mais le sujet connaissant. Ainsi est dissoute toute
connaissance. – L’individualisme : Chaque philosophe refait sa philosophie à lui tout seul
et se crée sa conception du monde (Weltanschauung) originale et inédite. – Le naturalisme
qui prétend parvenir avec les seules forces de la nature à une sagesse parfaite, et qui rejette
tout enseignement divin (ils refusent de reconnaître à Dieu la possibilité d’enseigner quoi
que ce soit aux hommes.)
Le grand initiateur du rationalisme est bien évidemment Descartes (auquel se rattachent
Malebranche, Spinoza, Leibniz.) Mais celui qui a parachevé le système rationaliste est
Kant (à sa suite Hegel, Schelling.) Il est intéressant de constater que de ce rationalisme,
glissant vers le subjectivisme, on en est arrivé aujourd’hui à l’anti-intellectualisme [A.3].
- 3°) L’aristo thomisme enseigne que la vérité n’est ni impossible ni facile, mais difficile à
atteindre pour l’homme. Cette position n’est en rien sceptique ou rationaliste. Les erreurs
innombrables qui jalonnent l’histoire de la connaissance sont autant de signes de la
faiblesse de notre esprit, mais une raison d’aimer davantage l’intelligence et de s’attacher
à cette quête du vrai. Les erreurs auxquelles nous devons faire face sont des moyens
d’atteindre le vrai si nous les réfutons correctement.
La raison est bien l’unique moyen naturel de parvenir à la vérité, mais celle-ci doit être
disciplinée et bien formée : d’abord par la réalité elle-même (la connaissance rappelons
provient de l’action de l’objet sur le sujet : l’homme n’est pas la mesure de toute chose,
mais ce sont les choses qui mesurent notre esprit A.1) ; et ensuite par des maîtres, car la
science est une œuvre collective, non individuelle, elle ne peut s’édifier que par la
continuité d’une tradition ; et enfin par Dieu, s’il lui plaît d’enseigner les hommes.
Aristo thomisme
C’est ce qui est, qui
cause la vérité de notre
esprit.
La raison peut atteindre
avec certitude (bien que
difficilement) les vérités
les plus élevées de
l’ordre naturel, si celle-ci
est disciplinée.
Scepticisme
La raison ne peut pas
atteindre la vérité qui
lui échappe.
Ou cette dernière
peut-être atteinte, si
elle est recherchée par
autre chose que
l’intelligence .
Rationalisme
La raison atteint
facilement et sans
avoir besoin de se
soumettre à une
discipline imposée du
dehors la vérité en
tout..
Synthèse des 2 erreurs
C’est l’esprit de l’homme
qui fait la vérité de ce
qu’il connaît, des
phénomènes.
Ce qui est (la chose en
soi), n’est pas
connaissable à la raison.
17
d. Quel est l’objet formel de l’intelligence ?
o
Réponse
En d’autres termes, sur quoi porte la connaissance intellectuelle porte-t-elle
immédiatement et par soi ? Pour répondre à cette question, il faut se demander s’il n’y a
pas quelque objet qui soit toujours présent à l’esprit quand l’intelligence s’exerce ? Et si
oui, lequel est-il ?
Quoi que je connaisse, c’est toujours quelque être ou mode d’être qui m’est alors présenté.
Il n’y a rien d’autre qui ne soit de plus commun à tout ce sur quoi nous nous portons.
L’être est bel et bien l’objet formel de l’intelligence. Par objet formel, il faut entendre
l’objet qui avant tout et par lui-même (primo et per se) est atteint par l’intelligence. Et
c’est à travers l’être que l’intelligence saisit tout le reste.
o
Conséquences
- L’être dont il s’agit ici est l’être même des choses qui existent indépendamment de
l’esprit connaissant.
- Si l’on disait au contraire que notre intelligence a pour objet, non pas l’être des choses,
mais l’idée de l’être que l’intelligence forme en elle-même, nous reconnaîtrions que nous
n’atteignons immédiatement que nos idées (Descartes.) Inévitablement on glisserait vers
une forme de scepticisme puisqu’il serait impossible que notre esprit se rende conforme à
ce qui est.
- La conscience de chacun l’atteste, les idées sont pour nous des moyens de connaître. Or
une connaissance qui n’atteint pas l’objet, n’est pas une vraie connaissance. Les idées sont
ce par quoi nous connaissons, mais pas ce que nous connaissons directement. Les idées
sont donc un moyen de connaître et pas un objet. L’être des choses est bien l’objet
immédiat de notre connaissance intellectuelle.
CONCLUSION 10
L’objet formel de l’intelligence est l’être. Ce qu’elle est faite pour atteindre,
c’est ce que sont les choses indépendamment de nous.
e. Bilan
Nous avons dégagé une double évidence :
- L’intelligence est une faculté véridique.
- L’être est l’objet nécessaire et immédiat de l’intelligence.
A partir de là nous pouvons accéder à une vérité fondamentale.
Qu’appelle-t-on « intelligible » ? C’est ce qui est connaissable par l’intelligence. Finalement,
implicitement nous avons reconnu que l’être en tant que tel est objet de connaissance pour
l’intelligence. L’être comme tel est intelligible.
N’est-ce pas dire aussi que l’intelligibilité va avec l’être, ou que toute chose est intelligible dans la
mesure même où elle est ?
CONCLUSION 11
L’être comme tel est intelligible, toute chose est intelligible dans la mesure où elle
est.
18
Attention, quand nous disons intelligible en soi, ne veut pas dire pour notre intelligence à nous, mais pour
l’Intelligence en soi. Mais dès lors où l’objet sera inférieur à nous, il sera intelligible pour nous.
TEXTES EN ANNEXE
Annexe 1 : La vérité n’est pas un absolu
Protagoras veut que l'homme soit la mesure de toutes choses, pour celles qui sont, de leur existence, pour celles qui ne sont pas, de leur
non-existence. Par mesure, il veut dire critère, par choses il désigne les objets. De cette manière, il peut affirmer que l'homme est le critère
de tous les objets, pour ceux qui sont, de leur existence, et pour ceux qui ne sont pas, de leur non-existence. Par suite, il ne pose pour chacun
que les seuls phénomènes et de cette manière, il introduit le relativisme.
Les hommes perçoivent tantôt ceci, tantôt cela en fonction des différences de leurs dispositions. L'homme qui est normalement disposé
perçoit les propriétés de la matière qui sont à même d'apparaître à ceux qui sont normalement disposés; celui qui est dans une disposition
contraire à la norme perçoit celles qui correspondent à cet état. Pour ce qui est de l'influence de l'âge, du sommeil, de la veille et des divers
types de dispositions, on peut dire la même chose. C'est ainsi que l'homme se fait, en fonction de lui-même, le critère des êtres. En effet,
tous les phénomènes qui ont lieu pour les hommes existent aussi, et ceux qui n'ont lieu pour aucun homme n'existent pas.
Sextus Empiricus, Hypotyposes pyrrhoniennes.T1-p.73
Annexe 2 : La vérité est adéquation
On l'a déjà dit, le vrai, quant à sa notion immédiate et première, est dans l'intelligence. Comme d'autre part toute chose est vraie selon
qu'elle revêt la forme qui lui est propre et qui répond à sa nature, il y a nécessité que l'intelligence, faculté de connaître, soit vraie en raison
d'une représentation fidèle de la chose connue, représentation qui est sa forme propre en tant que pouvoir connaissant. Pour ce motif, la
vérité se définit par la conformité de l'intellect avec les choses et il en résulte que connaître une telle conformité, c'est connaître la vérité.
S. Thomas d’Aquin, Somme théologique. T3-p.148
Annexe 3 : Qu’est-ce que la vérité ?
L’ancienne et célèbre question par laquelle on prétendait pousser à bout les logiciens, en cherchant à les obliger ou à se laisser
forcément surprendre dans un pitoyable diallèle ou à reconnaître leur ignorance et, par suite, la vanité de tout leur art, est celle-ci : Qu'est-ce
que la vérité ? La définition nominale de la vérité qui en fait l'accord de la connaissance avec son objet est ici admise et présupposée ; mais
on veut savoir quel est l'universel et sûr critère de la vérité de toute connaissance.
Si la vérité consiste dans l'accord d'une connaissance avec son objet, il faut, par là même, que cet objet soit distingué des autres ;
car une connaissance est fausse quand elle ne concorde pas avec l'objet auquel on la rapporte, alors même qu'elle renfermerait des choses
valables pour d'autres objets. Or, un critère universel de la vérité serait celui qu'on pourrait appliquer à toutes les connaissances sans
distinction de leurs objets. Mais il est clair - puisqu'on fait abstraction en lui de tout le contenu de la connaissance (du rapport à son objet) et
que la vérité vise précisément ce contenu qu'il est tout à fait impossible et absurde de demander un caractère de la vérité de ce contenu des
connaissances, et que, par conséquent, une marque suffisante et en même temps universelle de la vérité ne peut être donnée. Comme nous
avons déjà appelé plus haut le contenu d'une connaissance sa matière, on devra dire qu'on ne peut désirer aucun critère universel de la vérité
de la connaissance quant à sa matière, parce que c'est contradictoire en soi.
Mais pour ce qui regarde la connaissance quant à sa forme simplement (abstraction faite de tout contenu), il est également clair
qu'une logique, en tant qu'elle traite des règles générales et nécessaires de l'entendement, doit exposer, dans ces règles mêmes, les critères de
la vérité. Car ce qui les contredit est faux, puisque l'entendement s'y met en contradiction avec les règles générales de sa pensée et, par suite,
avec lui-même.
Mais ces critères ne concernent que la forme de la vérité, c'est-à-dire de la pensée en général et, s'ils sont, à ce titre, très justes, ils
sont pour-tant insuffisants. Car une connaissance peut fort bien être complètement conforme à la forme logique, c'est-à-dire ne pas se
contredire elle-même, et cependant être en contradiction avec l'objet. Donc, le critère simplement logique de la vérité, c’est-à-dire l’accord
d’une connaissance avec les lois générales et formelles de l’entendement et de la raison est, il est vrai, la condition sine qua non et, par suite,
la condition négative de toute vérité ; mais la logique ne peut pas aller plus loin ; aucune pierre de touche ne lui permet de découvrir l’erreur
qui atteint non la forme, mais le contenu.
E. Kant, Critique de la Raison pure. T9-p.185.
Annexe 4 : Suspendre son jugement
Pyrrhon d’Elis accompagna partout Anaxarque, au point de le suivre cher les gymnosophistes de l’inde et les mages d’où il a tiré
sa philosophie si remarquable, introduisant l’idée qu’on ne peut connaître aucune vérité, et qu’il faut suspendre son jugement. Il soutenait
qu’il n’y a ni beau, ni laid, ni juste, ni injuste, que rien n'existe réellement et d'une façon vraie, mais qu'en toute chose les hommes se
gouvernent selon la coutume et la loi. Car une chose n'est pas plutôt ceci que cela. Sa vie justifiait ses théories. Il n'évitait rien, ne se gardait
de rien, supportait tout, au besoin d'être heurté par un char, de tomber dans un trou, d'être mordu par des chiens, d'une façon générale ne se
fiant en rien à ses sens.
Pyrrhon eut encore pour disciples Hécatée d'Abdère, Timon de Phlionte, auteur des Silles, dont je parlerai, et Nausiphane de Téos, dont une
autre tradition fait le disciple d'Épicure. Tous ces philosophes furent appelés Pyrrhoniens du nom de leur maître, et aussi les ignorants, les
sceptiques, les douteurs, les chercheurs, d'après leurs idées philosophiques : chercheurs, parce qu'ils cherchaient partout la vérité ; sceptiques,
parce qu'ils observaient tout sans jamais rien trouver de sûr ; douteurs, parce que le résultat de leurs recherches était le doute ; ignorants,
parce que, selon eux, les dogmatiques eux-mêmes sont ignorants (et pyrrhoniens du nom de Pyrrhon).
Les philosophes sceptiques passaient leur temps à détruire les dogmes des autres sectes et n'en établissaient aucun pour leur part.
En énonçant ou en expliquant les doctrines des autres philosophes, ils ne définissaient rien eux-mêmes, pas même ceci qu'ils s'abstenaient de
définir. Ainsi supprimaient-ils la définition en ces termes: « Nous ne définissons rien, parce qu'ils ont défini, et nous exposons les théories
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des autres pour montrer, par contraste, notre réflexion plus sérieuse. Nous la montrerions autrement s'il était possible, ce qui n'est pas, de la
montrer par une affirmation, et non par une négation. »
Par cette expression : « Nous ne définissons rien », ils mettent en évidence leur équilibre et leur sagesse. De même quand ils disent: « Ce
n’est pas plutôt... » ou : « A tout raisonnement, on peut opposer un raisonnement » et autres arguments de ce genre. Sans doute, on peut dire:
« Ce n’est pas plutôt » avec un sens positif, comme l'on dit par exemple des choses semblables: « Un pirate n'est pas plutôt méchant que
menteur. » Mais les sceptiques ne disent jamais cela avec un sens positif, mais avec un sens négatif, comme lorsqu'on dit, pour réfuter une
opinion: « Il ne fut pas plus Scylla que Chimère. »
Diogène Laërce, Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres. T1-p.117
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