La voie normale est celle qu'a suivie Claude Bernard : définir la vie par ses opérations
caractéristiques, en montrant que ces opérations sont propres à l'être vivant. Ce sont : l'organisation, la
nutrition, la reproduction, la conservation et l'évolution.
- La première est sans doute la plus fondamentale, au point qu'on prend souvent pour équivalentes les
expressions : « corps vivant » et « corps organisé ». L'organisation consiste dans la différenciation des
parties et la coordination des fonctions : un corps vivant est constitué d'organes différents qui concourent au
bien de l'ensemble.
- La nutrition, ou assimilation, est la transformation d'une substance inerte en la substance même du vivant.
- La reproduction est une division de cellules qui aboutit à un nouvel organisme semblable au premier.
- Les deux derniers caractères vont ensemble ; il ne s'agit pas de l'évolution des espèces, mais de l'évolution
du vivant lui-même entre sa naissance et sa mort (croissance et vieillissement) tout en gardant le même type
(un vieux cheval est encore un cheval). Au point de vue scientifique, il n'y a rien de plus à chercher
puisque, par principe, la science se cantonne dans le plan des phénomènes.
3) Métaphysiquement
Quelle est enfin la notion métaphysique de la vie ? On part de l'expérience commune, prise comme
un fait philosophique : le vivant se caractérise par la spontanéité de son mouvement. Mais on précise
ensuite que l'activité essentielle du vivant n'est pas d'agir sur autre chose, quoiqu'il le fasse souvent, mais
d'agir sur lui-même (un chien endormi est encore vivant). C'est ce que marque bien le langage dans les
verbes réfléchis : se déplacer, se nourrir, se développer, s'adapter.
Le mouvement dont nous venons de parler n'est pas seulement le déplacement dans l'espace. Le
terme doit être entendu au sens métaphysique : un changement quelconque, le passage de la puissance à
l'acte. Quant à son origine, ce mouvement est spontané. Mais il n'est pas absolument spontané, l'action n'est
pas un commencement absolu sous tous les rapports ; elle dépend, au contraire, d'un grand nombre de
facteurs, conditions et causes extérieures. Cependant, ces facteurs ne suffiraient pas à la produire si l'être
n'était pas vivant. Quant à son terme, l'action est dite immanente. Cela s'entend par opposition à l'action
transitive qui passe dans un patient autre que l'agent. Dans l'action immanente, l'agent agit sur lui-même, il
est le terme de son action. Mais de nouveau il faut remarquer que cette immanence n'est pas absolue. Dès
lors qu'il y a mouvement, changement, on rencontre un principe métaphysique très général: quidquid
movetur ab alio movetur. Comment est-il sauvegardé dans le cas du vivant ? Aristote s'y est longuement
étendu (physique, VIII). En bref, la solution est que, dans un vivant, une partie en meut une autre, puisqu'il
est organisé et comporte différents organes ; mais ce sont les parties d'un même être, de sorte qu'à le
considérer dans son ensemble son action reste en lui.
Une telle activité est propre au vivant. Les corps bruts sont inertes, ils reçoivent leur mouvement
du dehors, et ils le transmettent à d'autres. Les corps vivants se meuvent et leur activité e est orientée vers
leur bien propre.
Il y aura donc divers degrés de vie selon le degré d’immanence de l’activité. La véritable
immanence ne se trouve qu’au de l'intelligence, et l'immanence absolue seulement en Dieu, où l'acte est
pur, c'est-à-dire sans changement.
Par rapport à cette notion, on rencontre un certain nombre de cas litigieux. La graine, par
exemple, ne semble exercer aucune activité ; elle est cependant vivante, d'une « vie latente », tant qu'elle est
capable de germer. De même, les frontières des ordres sont indécises - il n'est pas toujours facile de savoir
si tel corps est vivant ou non. Le problème est actuellement en suspens au sujet des virus, ou plus
exactement pour certains virus cristallisables, car certains autres sont certainement vivants. Mais ce n'est
pas une raison pour mettre en question la valeur de notre définition, puisque c'est par rapport à elle que les
cas litigieux peuvent être tranchés.
B - NATURE DE L'ETRE VIVANT
Nous avons maintenant à chercher de quels principes (métaphysiques) l'être vivant est constitué. Il est
classique et commode de présenter la doctrine thomiste par rapport à deux erreurs modernes inverses l'une de l'autre.
Mais on doit se garder de la présenter comme un « juste milieu », ou comme une synthèse, car, historiquement, les
doctrines modernes sont des produits de décomposition de la doctrine thomiste.
Il faut bien comprendre que les efforts pour connaître et comprendre le phénomène de la vie ont alterné avec les
interprétations métaphysiques et religieuses, chaque fois que la démarche scientifique était jugée impuissante à