LA CONNAISSANCE DU VIVANT

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LA CONNAISSANCE
DU VIVANT
La notion de vie, pensée à partir de la profusion des êtres vivants, nous semble une donnée évidente de
l’expérience immédiate. La distinction entre le vivant et le non-vivant nous paraît aller de soi. Mais savoir ce qui
vivant ne permet pas pour autant de déterminer ce que c’est qu’être vivant.
Pour qu’une connaissance, une science du vivant soit possible, il faut définir les propriétés qui caractérisent la vie
ou le vivant. En quoi la vie se distingue-t-elle de la matière ? D’ailleurs s’en distingue-t-elle vraiment ? N’est-elle
pas réductible à des lois physico-chimiques ?
I ] EXPOSE ARISTO-THOMISTE
Il convient de commencer par une remarque très humble, d'ordre philologique et grammatical, mais qui
n'est pas sans portée philosophique. C'est que le terme de vie ne désigne pas un être, une substance, encore moins
une personne. C'est un terme abstrait comme la bonté ou la vitesse. Or il importe extrêmement de se défier des
abstractions réalisées : la Vie n'existe pas. Le terme désigne d'abord un caractère de certains actes, et en conséquence
une propriété de l'être qui accomplit ces actes. Pour éviter bien des malentendus, il vaudrait beaucoup mieux parler
de l'être vivant et de ses actes vitaux, employer le verbe vivre plutôt que le substantif la vie. Cependant, cela dit,
nous nous conformerons sans trop de scrupules à l'usage.
A - DEFINITION DE LA VIE
Le premier travail qui s'impose est de se former une conception de la vie, c'est-à-dire de forger un concept
ou une définition. Comment faire ? Pas d'autre voie que de partir de l'observation des êtres où la vie est manifeste,
car il serait d'une mauvaise méthode de s'attacher d'abord à ceux dont on ne sait pas trop s'ils sont vivants ou non ;
leur cas n'a chance d'être élucidé que si l'on a d'abord une notion précise de la vie.
1) Empiriquement
De l'observation sommaire de l'animal, on peut d'abord dégager une notion empirique de la vie.
C'est ce que fait Saint Thomas au moment où il va parler de la vie en Dieu. Le vivant se caractérise par un
mouvement spontané. C'est ce que veut exprimer la formule traditionnelle : vita in motu ; pour qu’elle soit
tout à fait claire, il faudrait ajouter un mot exprimant la spontanéité : vita in motu spontaneo, ou in motu ab
intrinseco.
2) Scientifiquement
Au point de vue scientifique, on rencontre certaines définitions qui sont faibles. Par exemple : «
La vie est l'ensemble des phénomènes communs à tous les êtres vivants » (Dastre). C'est vrai, mais cela ne
répond aucunement à la question : qu'est-ce qu'un être vivant. Ou encore : « La vie est l'ensemble des
fonctions qui résistent à la mort » (Bichat). C'est vrai aussi, et cela marque bien le rapport du vivant à son
milieu, sa lutte contre une nature qui l'use et finit par le dissoudre. Mais cela n'indique pas l'essence du
phénomène de la vie.
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-
-
La voie normale est celle qu'a suivie Claude Bernard : définir la vie par ses opérations
caractéristiques, en montrant que ces opérations sont propres à l'être vivant. Ce sont : l'organisation, la
nutrition, la reproduction, la conservation et l'évolution.
La première est sans doute la plus fondamentale, au point qu'on prend souvent pour équivalentes les
expressions : « corps vivant » et « corps organisé ». L'organisation consiste dans la différenciation des
parties et la coordination des fonctions : un corps vivant est constitué d'organes différents qui concourent au
bien de l'ensemble.
La nutrition, ou assimilation, est la transformation d'une substance inerte en la substance même du vivant.
La reproduction est une division de cellules qui aboutit à un nouvel organisme semblable au premier.
Les deux derniers caractères vont ensemble ; il ne s'agit pas de l'évolution des espèces, mais de l'évolution
du vivant lui-même entre sa naissance et sa mort (croissance et vieillissement) tout en gardant le même type
(un vieux cheval est encore un cheval). Au point de vue scientifique, il n'y a rien de plus à chercher
puisque, par principe, la science se cantonne dans le plan des phénomènes.
3) Métaphysiquement
Quelle est enfin la notion métaphysique de la vie ? On part de l'expérience commune, prise comme
un fait philosophique : le vivant se caractérise par la spontanéité de son mouvement. Mais on précise
ensuite que l'activité essentielle du vivant n'est pas d'agir sur autre chose, quoiqu'il le fasse souvent, mais
d'agir sur lui-même (un chien endormi est encore vivant). C'est ce que marque bien le langage dans les
verbes réfléchis : se déplacer, se nourrir, se développer, s'adapter.
Le mouvement dont nous venons de parler n'est pas seulement le déplacement dans l'espace. Le
terme doit être entendu au sens métaphysique : un changement quelconque, le passage de la puissance à
l'acte. Quant à son origine, ce mouvement est spontané. Mais il n'est pas absolument spontané, l'action n'est
pas un commencement absolu sous tous les rapports ; elle dépend, au contraire, d'un grand nombre de
facteurs, conditions et causes extérieures. Cependant, ces facteurs ne suffiraient pas à la produire si l'être
n'était pas vivant. Quant à son terme, l'action est dite immanente. Cela s'entend par opposition à l'action
transitive qui passe dans un patient autre que l'agent. Dans l'action immanente, l'agent agit sur lui-même, il
est le terme de son action. Mais de nouveau il faut remarquer que cette immanence n'est pas absolue. Dès
lors qu'il y a mouvement, changement, on rencontre un principe métaphysique très général: quidquid
movetur ab alio movetur. Comment est-il sauvegardé dans le cas du vivant ? Aristote s'y est longuement
étendu (physique, VIII). En bref, la solution est que, dans un vivant, une partie en meut une autre, puisqu'il
est organisé et comporte différents organes ; mais ce sont les parties d'un même être, de sorte qu'à le
considérer dans son ensemble son action reste en lui.
Une telle activité est propre au vivant. Les corps bruts sont inertes, ils reçoivent leur mouvement
du dehors, et ils le transmettent à d'autres. Les corps vivants se meuvent et leur activité e est orientée vers
leur bien propre.
Il y aura donc divers degrés de vie selon le degré d’immanence de l’activité. La véritable
immanence ne se trouve qu’au de l'intelligence, et l'immanence absolue seulement en Dieu, où l'acte est
pur, c'est-à-dire sans changement.
Par rapport à cette notion, on rencontre un certain nombre de cas litigieux. La graine, par
exemple, ne semble exercer aucune activité ; elle est cependant vivante, d'une « vie latente », tant qu'elle est
capable de germer. De même, les frontières des ordres sont indécises - il n'est pas toujours facile de savoir
si tel corps est vivant ou non. Le problème est actuellement en suspens au sujet des virus, ou plus
exactement pour certains virus cristallisables, car certains autres sont certainement vivants. Mais ce n'est
pas une raison pour mettre en question la valeur de notre définition, puisque c'est par rapport à elle que les
cas litigieux peuvent être tranchés.
B - NATURE DE L'ETRE VIVANT
Nous avons maintenant à chercher de quels principes (métaphysiques) l'être vivant est constitué. Il est
classique et commode de présenter la doctrine thomiste par rapport à deux erreurs modernes inverses l'une de l'autre.
Mais on doit se garder de la présenter comme un « juste milieu », ou comme une synthèse, car, historiquement, les
doctrines modernes sont des produits de décomposition de la doctrine thomiste.
Il faut bien comprendre que les efforts pour connaître et comprendre le phénomène de la vie ont alterné avec les
interprétations métaphysiques et religieuses, chaque fois que la démarche scientifique était jugée impuissante à
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résoudre seule les problèmes rencontrés. Il ne suffit donc pas de connaître ces attitudes, il faut aussi comprendre
dans quel mesure elles ont, selon les cas, favorisé ou entravé la connaissance scientifique elle-même.
1) Le vitalisme
a.
Le vitalisme vu par l’aristotélisme
C'est une doctrine qui a eu son heure de célébrité au 19 ème siècle, et qui était bienfaisante
à cette époque parce qu'elle réagissait contre le matérialisme ambiant, mais qui est aujourd'hui
abandonnée, et qui est insoutenable. Il est cependant nécessaire d'en tenir compte car elle a
engendré par réaction le mécanisme qui est actuellement régnant, et parce qu’il y a danger de
confondre ce vitalisme avec le vitalisme aristotélicien qui en est tout différent.
L'idée générale est celle-ci. Les activités d'un vivant n'ont rien de commun avec celles
des corps bruts, elles ne sont pas soumises aux lois communes de la physique et de la chimie. Le
vivant est donc constitué par un « principe vital », exerçant des « forces vitales », de nature
immatérielle. C'est une substance distincte du corps. La matière et la vie sont ainsi juxtaposées.
En quoi l'on reconnaît facilement une démarcation du dualisme cartésien. L'originalité
est seulement d'attribuer un psychisme à tout vivant, alors que Descartes, le définissant par la
pensée, le réservait à l'homme.
b.
Le vitalisme vu par la philosophie contemporaine
La philosophie contemporaine a en horreur cette position. Elle est accusée d’être plus
métaphysique que scientifique. A force de ne s’attacher qu’à ce que le vivant a de spécifique, on
finit par en faire un être complétement à part, étranger au milieu dans lequel il vit. La solution de
ce courant de pensée est jugée trop mystérieuse.
2) Le mécanisme
a.
Le mécanisme vu par l’ aristotélisme
Le mécanisme peut être une hypothèse de travail et une méthode purement scientifique :
on cherche à appliquer aux vivants les méthodes qui ont fait leurs preuves dans le domaine de la
matière. Dans ce cas, le philosophe n'a rien à dire ; c'est aux savants de voir eux-mêmes la valeur
de leur procédé. En fait, la science mécaniste a rencontré des difficultés qui ont amené la réaction
du néo-vitalisme, tout proche sur le plan scientifique du vitalisme aristotélicien.
Le mécanisme peut être une doctrine philosophique. Il a été soutenu dans l'Antiquité par
Démocrite et Epicure ; dans les temps modernes par Descartes, avec sa théorie des animauxmachines, au 19ème siècle par un certain nombre de demi-savants-philosophes comme Le Dantec,
Haeckel, Huxley.
Sa thèse générale est que tout, dans un vivant, est réductible lois physico-chimiques. Tout
s'explique « mécaniquement », c’est-à-dire par des mouvements et selon la causalité efficiente. En
conséquence, on s'efforce de montrer que l'organisation n'est rien de plus qu'un mécanisme
complexe, que les phénomènes d'irritabilité, de déplacement, ne sont rien d'autre que de
phénomènes mécaniques ou électriques, que la génération n'est qu'une suite de la nutrition, et que
la nutrition est une suite de réactions chimiques.
b.
Le mécanisme vu par la philosophie contemporaine
Elle reconnaît les limites de ce système –même si en fait elle y adhère sous d’autres
formes.- Elle accuse le mécanisme de faire fort peu de cas de ce qu’un organisme vivant à de
spécifique et d’irréductible aux caractères de la matière inerte. D’où la célèbre critique de Kant,
illustrée par la montre qui ne peut pas se reproduire.
Et d’ailleurs qui a construit la machine ? Comment son moteur a-t-il été mis en marche ?
Descartes répond qu’il faut trouver la solution en Dieu… N’est-ce pas réintroduire l’irrationnel au
cœur même du rationalisme triomphant et la finalité au sein mécanisme.
La philosophie contemporaine aime à reprendre la théorie cartésienne pour soumettre le
mécanisme à la critique. Elle souligne à juste titre que pour Descartes, les animaux sont des
automates agencés par Dieu. Ainsi, le cri de douleur de l’animal n’est rien d’autre qu’un réflexe
corporel et physique. Quant au corps humain, il est lui aussi une machine à laquelle Dieu a joint
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une âme. Mais force est de constater que l’être vivant n’est pas une machine et les lois de la
matière inerte sont insuffisantes pour comprendre le fonctionnement des êtres vivants. Pour
Descartes en effet, les fonctions de la substance corporelle sont comprises comme celle d’un
automate, d’un mécanisme dont le mouvement est entièrement défini par les lois physiques. La vie
disparaît donc dans un mécanisme universel dont le fonctionnement ne doit pas être expliqué par
rapport à une fin extérieure quelconque. Le vivant n’est déterminé que par la seule cause interne
qui fait agir les mécanismes.
Mais la doctrine mécaniste ne méconnaît-elle pas la création continue et imprévisible de la vie ?
3) Le vitalisme aristotélicien
Il a été remis en honneur par Claude Bernard (1) et le néo-vitalisme contemporain, dont les
principaux représentants sont en Allemagne, H. Driesch, et en France, Cuénot. En voici les thèses
principales :
a.
Le vitalisme aristotélicien vu par l’aristotélisme
Il s’agit de voir dans cette partie la position aristotélicienne sous son aspect aristotélicien, car
comme nous le verrons dans le « b. », la philosophie moderne fait dire n’importe quoi à cette école de
pensée.
Voyons donc réellement les caractéristiques du vitalisme aristotélicien, encore appelée aujourd’hui, le
finalisme.
La matière.
Les corps vivants sont soumis aux lois communes de la matière brute. C'est la vérité du mécanisme, et le
vitalisme est insoutenable s'il la nie. En un sens, donc, dans un vivant tout s'accomplit selon les lois
physico-chimiques. L'explication de type mécaniste est donc indispensable en biologie, et rien ne s'oppose
à ce qu'elle progresse indéfiniment.
La finalité.
Mais le vivant présente certains phénomènes irréductibles aux lois de la matière et inexplicables
mécaniquement : l'immanence, la finalité interne des opérations. Ce n'est pas là un acte séparé, isolable,
c'est un aspect des activités vitales. On peut, par exemple, réaliser les phénomènes de la digestion dans une
cornue, mais ils ne servent pas à la nourriture de la cornue, alors que, dans l'estomac, ils se terminent à
l'assimilation des substances étrangères par le vivant.
Le point de discussion est donc l'existence de la finalité dans le vivant. On peut très bien soutenir que ce
n'est pas un fait scientifique, si l'on commence par définir la biologie comme une explication mécaniste :
car alors le savant se met des oeillères, et il ne rencontrera sur son chemin aucun phénomène de finalité.
Dans ce cas, on dira que la finalité est un fait philosophique, ce qui revient à dire qu'on l'aperçoit si l'on
consent à écarter, ne serait-ce qu'un instant, les oeillères du savant. C'est pourquoi Driesch intitulait son
ouvrage : Philosophie de l'organisme. Mais on peut aussi soutenir, et à meilleur titre, que le savant a tort de
définir son point de vue d'une manière si étroite qu'elle l'empêche d'apercevoir des faits aussi patents et
aussi caractéristiques de l’objet qu'il étudie. Dans ce cas, on soutiendra que la finalité est un fait
scientifique.
L’âme
Si l'on admet que la finalité est un fait, on est conduit nécessairement à admettre, pour l'expliquer, en tout
vivant un principe interne de finalisation, «idée directrice», « entéléchie », « principe vital », ou âme,
principe supérieur à la matière brute et en ce sens immatériel.
L’unité
Mais l'âme n'est pas une substance, ayant une existence et une activité séparées du corps. Ce dualisme, à
l'origine cartésienne, est inadmissible, car le vivant est un. L'âme est un principe constitutif du vivant qui,
seul, est une substance douée d'activité. Il ne faut donc pas dire que l'âme meut le corps ; c'est le vivant qui
se meut lui-même ; mais c'est l'âme qui fait que le vivant est vivant et capable de se mouvoir.
Définition générale
On arrive ainsi aux définitions de l'âme qui sont classiques dans l'Ecole aristotélico-thomiste : actus primus
corporis vitam habentis in potentia, et forma corporis organici. (De Anima).
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b.

La première formule définit l'âme comme cas particulier d'une théorie d'ontologie générale, la
doctrine de la puissance et de l'acte.
En tout être créé, on est amené à distinguer deux principes constitutifs. L'acte est la perfection
d'un être ; la puissance, la capacité d'acquérir cette perfection. L'acte premier se dit par opposition
à l'acte second : il est la perfection qui constitue l'être, tandis que l'acte second est celui qui suit
l'être, qui suppose l'être déjà constitué, comme, par exemple, l'action.
Ainsi l'âme est le principe qui confère au corps sa perfection de vivant, son être-vivant. Mais le
corps doit être capable de vivre, c'est-à-dire avoir un certain degré d'organisation. Et l'âme est
l'acte premier, car c'est elle qui fait que le corps est vivant ; de là découlent ses propriétés et ses
opérations.

La même idée peut se présenter comme cas particulier de la théorie cosmologique appelée
l’hylémorphisme.
En tout corps, on est amené à distinguer deux principes constitutifs : la matière, qui correspond à
la puissance : c'est l'ensemble des éléments avec quoi le corps est constitué, par exemple les substances chimiques qui entrent dans la composition du corps humain. La forme correspond à l'acte :,
elle spécifie la matière, c'est-à-dire fait que le corps est tel corps, qu’il existe avec telle nature. La
forme assure l'unité et l'activité du corps.
Ainsi l'âme est la forme du corps vivant. Elle constitue le corps dans son être de vivant en unifiant
d’une manière originale les éléments chimiques dont il est constitué.
En conclusion, nous ne dirons pas que le mystère de la vie se trouve expliqué, ni même éclairci,
mais qu'il est exactement cerné. Dans bien des cas, c'est tout ce que la philosophie peut faire, et
c'est beaucoup.
Le vitalisme aristotélicien vu par la philosophie moderne
La philosophie moderne comprend bien que pour Aristote, c’est l’âme qui est le principe explicatif
de tous les êtres vivants (âme, du latin anima : Le souffle vital – Psychè en grec.) Cette âme anime
l’ensemble des fonctions vitales (végétatives, sensitives et intellectives.) L’âme n’est donc pas une réalité
distincte du corps (comme dans le système platonicien.) Etudier le vivant, c’est analyser les modalités de la
composition de l’âme et de la matière corporelle. Seule la notion d’âme nous permet de comprendre le
caractère spécifique et irréductible de la vie, c’est-à-dire la finalité qui semble animer l’organisation des
êtres vivants, et qui nous permet de comprendre que le poisson est fait pour nager, ou l’oiseau fait pour
voler (finalité dont ne se contente guère la philosophie moderne, puisqu’elle ne permet pas selon elle,
d’expliquer.)
La philosophie contemporaine souligne que dans la position aristotélicienne, aucune place n’ait
laissé au hasard, mais que tout ce qui a la vie, existe et se poursuit conformément au but qui lui a été
d’avance fixé. La Nature obéit donc à un plan qui explique sa structure hiérarchique. Ainsi de la pierre à
l’homme, on peut classer tous les êtres selon la complexité de leur organisation, degré étant mesuré à sa
plus ou moins grande proximité avec l’organisme le plus proche de la perfection.
La critique moderne accuse la position aristotélicienne, d’être non scientifique, car elle ne
considérerait pas les manifestations de la vie comme des effets dont il faut chercher et comprendre les
causes, puisqu’elle postule que la nécessité des effets permet de rendre compte des causes.
(1) Il convient de préciser que Claude Bernard n’est pas aristotélicien. Reportez-vous au cours sur l’expérience et la théorie, et vous constaterez que
C. Bernard entend dégager la science et l’épistémologie de la philosophie. Ainsi, il affirme la nécéssité de baser les sciences de la vie sur
l’expérimentation. Dès lors toute finalité est exclue de l’étude physiologique expériementale du vivant. Si les vivants ont une organisation spécifique
qui les distingue des corps bruts, ils n’en sont pas moins soumis à un strict déterminisme, et ils obéissent aussi à des lois. Ces lois sont propres aux
vivants sans constituer pour autant une exception de la nature, car le mot « exception est anti-scientifique. »
Ainsi, pour C. Bernard, ce n’est pas la métaphysique mais la science expériementale qui doit conduire notre connaissance du vivant.
B - ORIGINE DE LA VIE
Sur ce problème, il y a trois hypothèses principales à considérer la génération spontanée, la préexistence et la
création.
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1) Théorie de la génération spontanée
Elle a été longtemps admise comme croyance populaire-; elle a même été intégrée dans la
physique aristotélicienne comme un fait résultant d'une observation superficielle. C'est ainsi que Saint
Thomas ne voit pas de difficulté à ce que le soleil engendre des mouches en chauffant la vase des marais.
Mais c'est aussi qu'il considérait le soleil comme supérieur à la matière brute. Au 19ème siècle, la théorie a
été renouvelée par des savants et philosophes à tendance matérialiste, contre qui s'est élevé Pasteur dans ses
célèbres expériences.
La thèse matérialiste est que la vie est une conséquence de l'organisation, et que celle-ci est
réalisable par un concours de causes et conditions purement physiques. C'est ce qui est arrivé à un moment
donné dans le passé de l'univers : la vie a surgi quand l'évolution a amené les conditions nécessaires et
suffisantes ; et c'est aussi ce qui se produira dans l'avenir quand la science sera suffisamment avancée pour
faire la synthèse de la vie.
La critique doit se placer successivement au point de vue scientifique et au point de vue
philosophique.
Au point de vue scientifique, voici ce qu'on peut dire. C'est un fait que les corps synthétiques ne vivent
pas, on a seulement réalisé la matière d'un vivant. Et toutes les anticipations qu'on peut faire sur le progrès
de la science dérivent d'une mentalité « scientiste » qui n'a rien de scientifique. Inversement les
expériences de Pasteur montrent seulement que la vie ne se développe pas dans un milieu stérile. Mais on
doit remarquer, pour être honnête, que les expériences de Pasteur ne prouvent pas l'impossibilité absolue de
la génération spontanée elles montrent seulement qu'elle n'a pas lieu dans les cas envisagés.
Au point de vue métaphysique, la génération spontanée répugne-t-elle absolument? Oui, mais à
la condition qu'on l'entende dans son sens strict, comme production d'un vivant par le seul jeu des forces
physico-chimiques. Car si l'on admet qu'il y a dans la matière des germes de vie, une vie en puissance, la
situation change entièrement. On pourrait même étendre l'idée au cas où un savant ferait la synthèse de la
vie, car celle-ci résulterait d'une disposition intelligente des éléments, et non pas du seul jeu des forces
physiques.
La raison de l'impossibilité est que « le plus ne peut sortir du moins », ou que « le supérieur ne
peut s'expliquer par l'inférieur ». C’est évident, mais encore faut-il préciser. Le premier principe n'est vrai
que s'il y a une différence d'ordre, autrement dit si l'on se place à un point de vue ontologique et non pas
quantitatif. Quant au second, il prend le terme « expliquer » au sens fort de causer, produire, ou
inversement réduire, ramener, car l'inférieur peut bien fournir une certaine explication du supérieur dans la
mesure où il est condition de son existence.
Il peut paraître bien hardi de la part du philosophe de poser a priori des bornes au progrès de la
science. Mais c'est aussi que 1a métaphysique fournit des certitudes qui sont absolues et dépassent toute
certitude scientifique. Ses principes sont intemporels et ne concernent l'avenir que parce qu'ils expriment
des 1ois de l'être.
2) Théorie de la préexistence
a . Exposition de la théorie
C'est celle que Bergson a développée dans L'Evolution créatrice. Elle a été reprise par le P.
Teilhard de Chardin et par E. Leroy sous la forme de l'hypothèse de la « biosphère». L'idée directrice de
ces théories est que la Vie, comme réalité indéterminée, est antérieure à l'apparition des êtres vivants qui en
sont en quelque sorte des condensations ou des concrétions.
Chez Bergson, ce qui est primitif, c'est la Vie. Elle est un mouvement, un élan, un jaillissement
spontané. La matière est la retombée de ce mouvement. Les espèces vivantes apparaissent à la rencontre
de ces deux mouvements de sens contraire.
b. Critique de la théorie
La première remarque à faire est que ce sont là des hypothèses invérifiables ; elles ne sont donc
pas d'ordre scientifique, mais d'ordre philosophique. C'est à ce point de vue qu'elles doivent être discutées.
La doctrine bergsonienne de la Vie se réfère à une métaphysique générale où il n'y a pas d'être mais
seulement du mouvement. Il y aurait donc lieu d'instituer une critique de cette métaphysique. En deux mots,
elle revient à ceci : le mouvement suppose un être qui, tout en changeant, reste identique à travers les
diverses phases ; autrement il n'y a plus de mouvement, mais une suite d'apparitions et de disparitions sans
lien.
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Quant à la conception même de la Vie, réalité indéterminée, c’est une abstraction réalisée, car le
terme de vie désigne ce qu'il y a de commun à tous les êtres vivants, c'est un genre qui n'existe pas en
dehors de l'esprit qui le forme.
Enfin il est difficile de concevoir l'insertion de la vie dans la matière si ce sont des mouvements de
sens contraire. En effet, il n'y a que trois cas possibles. Ou bien les deux mouvements s'équilibrent, mais
alors ils s'annulent, et on n'a plus rien, ni vie ni matière. Ou bien le mouvement ascendant l'emporte, alors
la matière est absorbée dans la vie, on n'a que de la vie. Ou bien, enfin, le mouvement descendant
l'emporte, alors la vie est absorbée dans la matière, on n'a plus que de la matière sans vie. Autrement dit, il
est impossible de donner aux images dont se sert Bergson avec un art consommé, une signification réelle.
C'est de la poésie et rien de plus.
4) Théorie de la création
Reste donc que la vie ait été créée par Dieu quand l'univers a fourni les conditions de sa
possibilité. Rien n'oblige du reste à admettre que Dieu ait créé ensemble toutes les espèces vivantes, ni
même qu'Il ait créé directement chacune à des moments différents de l'histoire du monde. Il n'y a pas de
raison métaphysique qui interdise d'admettre une évolution des espèces à partir d'un germe primitif, étant
entendu que Dieu dirige l'évolution par sa Providence, et que l'homme en est exclu parce qu'il a une âme
spirituelle qui ne peut provenir que d'une création directe de Dieu, non seulement pour le Premier homme,
mais pour chaque homme en particulier.
II ] EXPOSE CONTEMPORAIN
A – NOTIONS
1) Une science tardive
Il est important de remarquer que le titre de cette notion est la connaissance du vivant et non de la vie. C’est
que la vie est un mystère et que le vivant nous apparaît plus facile à aborder.
D’ailleurs, le mot biologie (connaissance rationnelle des phénomènes du vivant), n’apparaît qu’au 19ème
siècle. Et l’étude de la science de la vie ne faisait pas partie des disciplines des grandes et anciennes
civilisations (Bien qu’il y avait certaines pratiques médicales floues.) Pourquoi a-t-il fallu attendre si
longtemps pour voir se constituer cette science ?
Deux éléments de réponse semblent s’imposer à la philosophie moderne : Parce que l’objet n’était pas
encore clairement défini et cerné, et qu’il fallait disposer de méthodes rigoureusement adaptées à
l’investigation de cet objet. On peut en conclure la complexe spécificité du phénomène de la vie et de son
étude.
2) Les propriétés du vivant
Quelle est la nature de la vie ?
La vie se définit par des 3 propriétés caractéristiques indéniables : nutrition, reproduction et mort. Il en est
deux autres qui portent à discussion : L’unité et la finalité.
Pour résumer tous les êtres vivants ont en commun – et sont seuls à posséder – deux aptitudes essentielles :
- Ils sont en relation constante avec un milieu extérieur.
- Ils tendent à se maintenir dans l’existence.
La philosophie moderne aime désigner le vivant comme un système clos et relativement autonome,
possédant un degré minimal d’organisation.
Pour être plus précis, les êtres vivants sont des organismes aptes à l’auto-construction, l’auto-conservation,
l’auto-régulation et l’auto-réparation., telles sont les principales fonctions qui motivent la citation de
Bichat : la vie est « l’ensemble des fonctions qui résistent à la vie. »
Et tout le problème est là : Comment étudier un phénomène par nature inséparable des fonctions par
lesquelles il se manifeste ? Un phénomène d’ailleurs, que l’on ne peut jamais isoler complètement. Et que
vaut la méthode expérimentale, puisque très vite, elle se heurte au risque de faire disparaître l’objet même
de l’expérimentation, d’aboutir à la mort et non pas à la vie ? Ce sont là des difficultés qui ont longtemps
entravé le progrès de la connaissance du vivant.
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B – DEBATS CONTEMPORAIN
1) La position actuelle
Bien qu’elle prétende obsolète la position de Darwin, il faut reconnaître que la pensée actuelle en est
tributaire. Elle se vante d’être une synthèse de tous les courants précédemment cités.
Elle affirme l’irréductibilité de l’organisme à la machine, laquelle ne peut si se construire, ni se réparer. En
effet, dans l’organisme, des forces internes sont à l’œuvre.
Elle se raccroche à la théorie de Jacques Monod, pour qui les êtres vivants si distinguent de tous les autres
êtres par leur dessein, leur projet. Lequel consiste à conserver l’intégrité et la totalité de leur structure et la
reproduire. Cette activité a été appelée par Monod, téléonomie.
La position actuelle se veut être un synthèse du mécanisme et du finalisme, et de dépasser leur opposition.
Elle fait appel aux lois physico-chimiques pour expliquer le vivant, mais elle se réfère également au projet
des organismes et à la téléonomie.
Ainsi, tout le débat repose aujourd’hui sur un néo-darwinisme et sur les travaux de la génétique moderne.
Rappelons au passage que la génétique est la science de l’hérédité. La thèse étant que les caractères de
l’espèce sont contenus dans un ensemble de gènes qui se transmettent d’individus à individus. Cet
ensemble peut évoluer dans la transmission et conduire à de nouvelles espèces.
Le vivant individuel n’est donc que l’expression d’un ensemble de gènes portés par une macromolécule
d’ADN, contenant le code qui définit les caractères généraux de l’espèce dont il fait partie ainsi que les
siens propres. Tout cela se transmet lors de la reproduction, de telle sorte que se trouve assurée la fixité de
l’espèce.
Ainsi, le vivant semble bien gouverné par les lois de la physico-chimie, qui se traduise par un évolution des
espèces et une lutte pour la vie. Telle est la position moderne qui reconnaît dans la position darwiniste un
apport. Ainsi, l’homme est pour elle le produit d’une évolution. La supériorté de l’homme repose donc sur
son organisation et ses performances qui sont plus complexes, mais pas sur une différence de nature.
Pour Darwin, la vie est un tout en évolution, et la loi de l’évolution des espèces est déterminée par les
principes de l’adaptation et de la sélection naturelle.
2) Hasard et nécessité
On comprendra facilement que cette position vise le vitalisme aristotélicien. La cause finale est ce pour
quoi une chose est faite et explique cette chose.
N’est-on pas obligé de viser le principe de finalité ? Les structures et comportements des vivants ne sont-ils
pas adaptés à des fins ?
La philosophie contemporaine se demande si une telle position est vraiment admissible dans le vivant. Pour
conforter cette position on cite en général Monod, pour qui le vivant est un objet doué d’un projet. Or qui
dit projet, dit finalité. Mais à contrario, Jacob s’oppose à toute cause finale dans le vivant.
3) Le problème éthique
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L’accélération récente des découvertes dans les domaines de la biologie et de la génétique obligent les
scientifiques, les législateurs et le philosophes à se pencher sur les questions éthiques et déontologique de
l’étude du vivant et de sa manipulation : c’est toute la question de la « bioéthique. »
Ceci est vraiment indispensable dans la mesure où l’homme pour la première fois accède à la possibilité de
transformer sa propre nature. En modifiant son essence, le sujet humain est ainsi conduit à toute une
problématique éthique et juridique. Comment maîtriser la maîtrise ?
Car il est certain qu’il est des problèmes éthiques soulevés par les possibilités d’action sur l’espèce
humaine en tant que tel. Peut-on manipuler les embryons humains comme des objets ? Et que penser du
clonage et de l’eugénisme ?
Deux axes de questions conduisent ce problème bioéthique :
D’abord, il faut considérer que les pensées modernes n’ont pas une notion de vie très évidente ni très claire.
Il est en effet difficile de déterminer clairement les limites propres de la vie. Où commence-t-elle, où finitelle ? Une fleur, un animal, un virus sont-ils des êtres vivants ?
N’y a t’il pas une responsabilité vis-à-vis de l’humanité future ? C’est bel et bien notre socle biologique qui
est en question. Ne faut-il pas poser des limites à l’expérimentation sur le vivant ?
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FICHE TECHNIQUE
1) Définitions
* Croissance : N° 29
* Reproduction : N° 102
* Vivant : N° 125
* Nutrition : N° 83
* Substance : N° 115
* Ame : N° 5
2) Citations
1 – « La vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort. »
Bichat, Recherches physiologique sur la vie et la mort.
2 – « Lorsque les hirondelles viennent au printemps, elles agissent en cela comme des horloges. »
Descartes, Lettre au Marquis de Newcastle.
3 – « Dieu et la Nature ne font rien en vain. »
Aristote, Du Ciel.
4 – « Aucun organe de notre corps n’a été créé pour notre usage ; mais c’est l’organe qui crée l’usage. »
Lucrèce, De la Nature.
3) Table d’orientation
Logique & Mathématique
Théorie & Expérience
Connaissance du vivant
Technique
Histoire
4) Références
a.
Philosophiques
- H. Bergson, L’Evolution créatrice.
- R. Descartes, Discours de la méthode, Ve partie.
- F. Jacob, La logique du vivant.
- J. Monod, Le Hasard et la Nécessité.
b.
Littéraires
- Lamartine, Milly, Harmonies poétiques (Et bien d’autres poésies romantiques.)
- Cf. toute la littérature dans laquelle il est fait mention de médecin, d’expérience sur les vivants
- Cf. toute la littérature fantastique portant sur le thème de la vie : Pinocchio, Frankenstein, etc…
c.
Cinématographiques
- Mêmes références qu’en littérature.
- Cf. Scène finale du film « Orange mécanique » de Stanley Kubrick.
d.
Générales
- Rembrandt, La leçon d’anatomie.
- Se mettre au courant des travaux de génétique, des débats bioéthiques. Mais, pour que toutes ces questions demeurent
philosophiques, il faut toujours considérer la nature du vivant.
5) Devoir
Cf. feuille jointe.
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