L'hélice La « batteuse » constitue un système aérodynamique compliqué où des compromis sont recherchés Même à l'heure du réacteur, l'hélice reste un symbole quasi emblématique de l'aéronautique tout entière. Déjà présente sur la machine de Clément Ader, elle n'en finit pas d'évoluer. Depuis le bois, toujours présent, jusqu'aux composites les plus avancés, elle a connu de nombreuses évolutions formelles qui, parfois, soulèvent l'interrogation des profanes et moins profanes. En dehors de son aspect extrêmement esthétique, qui en fait la proie des collectionneurs, l'hélice est un élément qui a pour raison d'être la transformation de la puissance mécanique, fournie par le moteur, en puissance de propulsion. Sa forme lui permet de créer une accélération du débit d'air et une force dirigée vers l'avant (cas général) que l'on nomme traction et qui, en vol horizontal stabilisé, équilibre la traînée de l'avion. On pourra donc écrire que la puissance de propulsion est égale au produit de la vitesse propre par la traction. Comme l'hélice est une machine qui transforme une puissance mécanique, on ne peut l'aborder sans parler de rendement. Le rendement va donc être le rapport puissance restituée - puissance absorbée (Wa). L'on écrit : = T.Vp/Wa Un rendement moyen d'hélice se situe autour de 0,8. Tout l'intérêt d'un débat sur l'hélice est de connaître les facteurs propres à augmenter le rendement de celle-ci. Décrivons d'abord le fonctionnement de l'hélice dans ses grandes lignes... Comme une aile Si l'on isole une section de pale d'hélice, on obtiendra un profil bidimensionnel comparable à celui d'une aile, c'est-à-dire doté d'un bord d'attaque, d'un bord de fuite, d'une corde, d'une épaisseur moyenne, etc. Comme pour l'aile, ce profil va développer une résultante aérodynamique R, décomposable en deux composantes : la première ne sera pas cette fois la portance mais la traction T, l'autre sera une composante opposée à la rotation et à l'origine d'un couple résistant. Mais, à la différence d'une aile, les termes de portance et de traînée ne sont pas employés, ceux-ci étant des vecteurs aérodynamiques perpendiculaires et parallèles au vent relatif, ce qui, ici, n'est le cas qu'au point fixe. D'autre part, l'incidence, donc l'angle entre le vecteur vitesse relative Vr et la corde de la section, va varier à la fois en fonction de la vitesse de rotation et de la vitesse sur trajectoire de l'avion. On pourra dire que la vitesse relative Vr (parallèle et opposée au vent relatif) de l'hélice est la somme vectorielle de la VP et de la vitesse U (U = 2..r.N) avec r, le rayon, N le régime de rotation) résultant de la rotation comme on le voit sur la figure 1. Le rapport entre ces deux vitesses s'appelle paramètre de fonctionnement et l'on écrit = VP/U Sur la figure 2 représentant la section de référence au point fixe, on voit que l'incidence (angle compris entre la corde et le vent relatif Vr) est égale au calage (angle entre la corde et le plan de rotation). A mesure que la vitesse va croître, le vecteur vitesse relative Vr va pivoter, provoquant une diminution de l'incidence qui deviendra inférieure au calage (fig. 1). Si l'on poursuit, au-delà d'une certaine diminution de l'incidence, la résultante aérodynamique sera confondue avec le plan de la pale (fig. 3). Le couple résistant existera toujours, la traction sera nulle et en conséquence le rendement aussi. Au delà (rotation de Vr au-delà de la corde, incidence négative, fig. 4), la traction et le rendement sont négatifs. C'est le moulinet, en cas de panne, le couple moteur négatif fera cesser la rotation à basse vitesse mais, au contraire, à forte vitesse, c'est le vent relatif qui fera tourner l'hélice, permettant par exemple un redémarrage sans usage du démarreur. L'hélice aura alors une très forte traînée (de là vient la différence entre la finesse d'un avion hélice calée et celle d'un avion hélice moulinant). Quelques caractéristiques Dans un premier temps, sans rentrer dans les détails du profil et de la forme, on peut caractériser une hélice par son diamètre, son nombre de pales et son pas (H). Commençons par parler de son diamètre. Nous l'avons vu, la vitesse circonférencielle, en bout de pale, dépend directement du rayon mais aussi de la vitesse angulaire de l'arbre moteur. Pour la plupart des avions classiques (moteurs tournants à 2 700 t/mn au maximum), les vitesses en extrémité de pale sont de l'ordre de Mach 0,8 (Mach 0,78 au sol) et leurs longueurs de pale sont quasi similaires. Toute augmentation du diamètre aurait pour conséquence d'approcher un nombre de Mach égal à 1 produisant une augmentation rapide de la traînée - et donc une baisse du rendement -, d'éventuelles ondes de choc générant des vibrations et, enfin, une augmentation du niveau sonore, dont nous aurons l'occasion de reparler plus loin. Certains moteurs, en aviation générale, ont des vitesses de rotation supérieures à 5000 t/mn (Rotax par exemple), ce qui impose (sans réducteur) de réduire les diamètres des hélices pour diminuer les vitesses en extrémité de pale. D'autre part, se pose le problème tout à fait matériel de la garde au sol de l'hélice. Un grand diamètre imposerait un train d'atterrissage gigantesque (citons au passage le Corsair, avion doté d'une très grande hélice et dont le double dièdre des ailes représentait un compromis permettant de diminuer la hauteur du train). Après avoir parlé du diamètre, on peut se poser la question du nombre de pales. L'hélice qui, dans l'absolu, générerait le moins de traînée, serait une hélice monopale, mais cela nécessiterait un contrepoids à l'opposé et serait irréalisable (même si des expériences ont vu le jour...), ainsi l'hélice bipale s'est tout logiquement imposée. On pourrait, pour « passer »» plus de puissance, réaliser des hélices de très grandes dimensions, mais nous ne pourrions éviter les problèmes du mach en bout de pale et de la garde au sol. II ne reste donc que la solution d'augmenter le nombre de pales pour augmenter la traction. Ainsi sur des avions comme les Spitfire, le nombre de pales augmentait au rythme de motorisations de plus en plus puissantes pour arriver, à la fin, à un système contrarotatif (doublet d'hélices tournant en sens opposé) permettant de contrer un couple devenu hors limites. Cependant, cette augmentation du nombre des pales a tendance à dégrader le rendement. On peut à ce sujet faire le parallèle avec une aile d'avion sur laquelle, pour augmenter le coefficient de portance (Cz), on augmenterait la surface alaire sans pouvoir augmenter l'envergure (allongement faible). On augmenterait en conséquence le coefficient de traînée (Cx), et en particulier le Cx induit. Dans le cas de l'hélice, c'est pire puisque l'on augmente la surface alaire en augmentant le nombre d'ailes dont les traînées induites se suivent. Néanmoins, cette solution s'impose pour absorber la puissance avec un diamètre donné. Après le diamètre et le nombre de pales, évoquons le pas. Si l'on considère l'hélice sur le plan tridimensionnel, on constate qu'elle est vrillée. C'est-à-dire que l'angle de calage évolue, diminuant vers l'extrémité de la pale. Ceci est purement lié à la vitesse circonférencielle de plus en plus importante à mesure que l'on s'éloigne du moyeu. Ainsi, pour que, de façon théorique, toutes les sections « avancent »» de la mème distance, le calage évolue au long de la pale. Cette distance, que l'on peut comparer à la distance d'enfoncement dans l'air d'une vis sur un tour de 360°, s'appelle le pas (H). Pas et calage () sont liés par une relation mathématique. H = 2..R.tang (formule dite du pas géométrique). On emploie souvent à tort l'expression d'hélice à pas fixe alors que le terme calage convient mieux puisque le pas réel évolue, cela même sur une hélice à calage fixe. Le pas réel est, en vol, inférieur au pas théorique (ou géométrique) du fait de l'incidence nécessaire à la traction. II ne sera égal au pas théorique que lorsque l'hélice sera en transparence (traction et freinage nuls). On peut d'ailleurs écrire comme définition du pas réel H'= VP/n Comme ce calage varie, on détermine un calage nominal pour chaque hélice, généralement pris sur une section de référence à 75 % du rayon maximal (on trouve parfois la valeur de 70 % dans des ouvrages plus anciens, cette valeur étant une valeur française). Gérer la puissance et optimiser l'hélice Sur un avion à hélice à calage fixe, le régime d'hélice est directement lié au régime moteur. Lorsque le régime est stable, la puissance motrice est égale à la puissance absorbée par l'hélice. Le calage sur ces avions est généralement optimisé pour la vitesse de croisière et son régime. On l'observe d'ailleurs très bien sur la courbe de variation du rendement hélice en fonction de la vitesse propre VP (fig. 5), assez comparable à une courbe de performance humaine! Le rendement maximum est obtenu pour une VP optimale. Pour les VP inférieures à cette vitesse, en montée notamment, l'hélice absorbera trop de puissance moteur. Celui-ci aura du mal à prendre tous ses tours. A mesure que la vitesse propre va augmenter, la puissance absorbée par l'hélice va se stabiliser et le rendement augmenter. Au contraire, pour les vitesses supérieures à celles de croisière, en piqué par exemple, l'hélice absorbera une puissance inférieure à la puissance moteur et une réduction s'imposera afin de ne pas emballer celui-ci. Après avoir évoqué les généralités, on peut se demander ce qui justifie tant de formes différentes. L'hélice doit représenter un compromis entre des choix liés à la recherche du meilleur comportement aérodynamique d'une part et le respect des contraintes mécaniques d'autre part. Les contraintes aérodynamiques sont liées à la recherche du rendement optimal dans les phases du vol les plus caractéristiques de l'avion. Une hélice à calage fixe ne sera pas la même pour un appareil destiné au remorquage de planeurs ou, au contraire, destiné à de la croisière rapide. Ainsi une hélice optimale pour la montée, donc efficace à basse vitesse (composante VP faible), aura besoin d'un grand diamètre (composante vitesse circonférencielle forte) pour obtenir une vitesse relative optimale. Le calage le plus adapté sera un calage faible. La pale aura plutôt une longueur de corde faible (analogie avec une aile à grand allongement). Une hélice optimale pour la croisière, donc optimale à grande vitesse (composante VP forte), sera plutôt caractérisée par un petit diamètre (composante vitesse circonférencielle faible). Le calage le plus adapté sera un calage fort avec plusieurs pales ou une corde assez importante pour retrouver une surface suffisante (fig. 6). La figure 7 représente les différentes sections d'une hélice en bois prévue pour un Rotax 912. Le profit dissymétrique est convexe à l'extrados, plat à l'intrados. Ce type de profil permet un calage à l'intrados (profits de type Clark). On observe l'évolution du calage de plus en plus faible vers le bout de pale, la diminution de l'épaisseur relative et enfin de la courbure (ou cambrure). Comme pour une aile d'avion, la courbure et l'épaisseur relative sont capitales dans la définition du profil et l'évolution de son coefficient de portance (Cz). Le Cz variant au cours du vol, la valeur voulue permet de déterminer l'angle d'incidence du profil pour un régime donné (régime de croisière par exemple). Cet angle d'incidence permettra de déduire un angle de calage. II restera à choisir la cambrure qui, encore exactement comme sur une aile, est la courbure moyenne exprimée en pourcentage de la corde. L'article de Paul Lucas, père du Dieselis (Expérimental n° 56) fait état d'une relation très simple entre cambrure optimale et coefficient de portance visé : la cambrure notée f/c = 0,1Cz ce qui donne, par exemple, pour un Cz de pale en croisière de 0,35, une cambrure de 0,035, soit 3,5%. Ce n'est pas suffisant pour trouver le calage, il faut connaître les caractéristiques du profil, et en particulier l'angle de portance nulle (0). Le même auteur donne comme solution approchée, valable uniquement pour les profits de type Clark Y, de prendre pour 0 la valeur de cambrure elle-même (0 = -f/c). La largeur de la pale, ou si l'on préfère la longueur de corde, trouve à la fois une justification mécanique (résistance en pied de pale) et aérodynamique (diminution de la traînée induite en bout de pale). Généralement, la corde est réduite d'environ de moitié en extrémité. Chez l'hélicier Evra, par exemple, pour une hélice classique, on applique la règle de 60% de la corde à 0,7R en bout de pale. La longueur de la corde et le traitement du profit en pied de pale sont un autre sujet. II faut insister sur cette partie de la pale. Pour Richard Evra, le problème est très différent entre un avion à large capot et prise d'air (Cessna 150, par exemple) et un avion au capot profilé dans le prolongement du cône (MCR-01), sur lequel la pale pourra offrir un meilleur rendement propulsif. Des efforts à supporter Les contraintes mécaniques résultent de la nécessité de résister aux efforts appliqués. Une hélice en subit un certain nombre. Le premier est l'effort centrifuge. Cet effort est proportionnel à la masse, au rayon et au carré de la vitesse de rotation. II est transmis en pied de pale, d'où la nécessité de travailler aussi cette partie proche du moyeu. Le deuxième effort est un effort de flexion qui tendrait à fait fléchir la pale vers l'avant pour une hélice tractive (charge de l'hélice). Mais l'effort de flexion est en partie compensé par la force de réaction aérodynamique liée à l'avancée de l'avion. L'effort centrifuge qui, nous l'avons vu, est proportionnel à la masse, tend, par la répartition inégale des masses entre bord d'attaque et bord de fuite, à créer un couple de torsion tendant à faire diminuer le calage. Les rapprochements de fréquences, flexion - torsion, sont parfois générateurs de problèmes d'aéroélasticité... Au final, pour être certifiée, l'hélice, élément vital, doit supporter quatre fois l'effort. L'utilisation de moteurs tournant à des régimes élevés, la nécessité de diminuer le niveau sonore et les nouveaux procédés industriels (composites), ont fait apparaître de nouveaux types d'hélices en aviation générale et dans le monde de l'ULM. Ainsi, les formes en « cimeterre » ou avec des extrémités de pales en flèche, sont là pour retarder les effets de la compressibilité, exactement comme sur un avion volant aux vitesses subsoniques (Mach 0,80). On observe aussi, sur des hélices plastiques de faible diamètre, tri ou quadripales destinées à des ULM, des longueurs de corde très faibles visant à travailler l'allongement et à réduire la traînée induite de l'hélice. Cette caractéristique, alliée a des épaisseurs relatives et masses faibles, a pu être obtenue grâce à la technologie des composites. Certaines formes apparues sur des avions de transport à turbines ont aussi pour fonction de déphaser les sources acoustiques. Leur développement a nécessité des calculs complexes, car elles ne sont pas sans poser des problèmes structuraux dus au fait notamment de décalages par rapport à la fibre neutre et aux effets d'aéroélasticité évoquée plus haut. Nous avons vu que des hélices de diamètre et profils semblables pouvaient donner des performances différentes suivant leur calage choisi comme un compromis correspondant au mieux à la vocation de l'aéronef. En conséquence, l'idéal serait de disposer dune famille d'hélice adaptée à chaque phase du vol. Aussi, un prochain article parlera de l'hélice à calage variable... Lionel CHAUPRADE Illustrations de l'auteur, photos F. Besse et auteur