III République vs. Démocratie : un retour aux notables sous

L’idée républicaine en France 1789-99
Les hommes politiques (souvent historiens par ailleurs) de la IIIème République
ont longtemps été divisés sur la question de l’expérience républicaine de 1792-93, et
notamment sur l’épisode de la Terreur. Ils se sont positionnés différemment, les
républicains filtrant souvent l’héritage républicain de la période révolutionnaire.
Ainsi, si certains hommes politiques comme Gambetta ont voulu dissocier l’idée de
République de la peur de la Terreur, d’autres ont considéré que « la Révolution est un
bloc » (Clemenceau), qu’on ne saurait découper.
Aussi, on peut s’interroger sur l’idée républicaine au cours de la période 1789-
99 et se demander comment les contemporains envisageaient (ou non) l’idée
républicaine là où elle fait encore débat presque un siècle plus tard.
En juin 1789 (le 17), lors de la réunion des Etats Généraux, l’assemblée du
Tiers, rejoint par une majorité du clergé et les nobles réformistes, se proclame
Assemblée Nationale. Elle prétend ainsi représenter le peuple français. Cette volonté
s’exprime déjà par la voix de Bailly qui déclare le 23 juin 1789, alors que le roi a forcé
les Etats Généraux à se réunir, que « la Nation assemblée ne saurait recevoir d’ordre ».
Dès lors, 2 pouvoirs coexistent et on ne peut plus parler de monarchie absolue.
Cependant, il est bien trop tôt pour parler de République car personne alors n’envisage
déjà la fin de la monarchie (Louis XVI ayant par ailleurs fait preuve de « bonne
volonté », en acceptant la cocarde des mains de Bailly le 17 juillet 1789 par exemple).
F.Furet parle, pour la période 1789-92, d’une monarchie qui ressemble à une
République. Tout du moins, elle en prend le pas. A l’inverse, en 1799, après Brumaire,
on peut se demander si la tendance ne s’est pas inversée et si la République n’a pas de
nouveau cédé la place à une monarchie (bien qu’il faille nuancer : l’Empire est un
régime ambigu et Bonaparte opère un filtrage de l’héritage révolutionnaire).
Le mot de République est lui-même problématique, car il renvoie à divers
régimes, ce qui rend la notion d’idée républicaine d’autant plus complexe. Il faut faire
entrer en jeu les idées connexes, souvent associées (à tort ou à raison) à l’idée de
République : à savoir l’idée patriotique (cf. influence de la guerre avec les puissances
extérieures), l’idée de Nation et, bien sûr, l’idée de démocratie. En outre, il faudra faire
jouer les Lumières, souvent rattachées, peut-être plus à tort qu’à raison, à l’idée de
République. Néanmoins, Rousseau semble ici jouer un rôle non négligeable, ne serait-
ce que parce qu’il est « l’idole » de Robespierre (mais il sera pourtant panthéonisé par
les détracteurs du « tyran »), une des figures centrales de la période qui ne prétendait
pas moins que se sacrifier pour que perdure la Révolution et ses acquis (dont le régime
publicain peut faire partie).
Se pose également la question de savoir comment s’incarne, concrètement, cette idée
républicaine en fonction des époques et des différents milieux (citadins vs. ruraux). On
peut par exemple la voir s’exprimer de manière « officielle » à travers les différents
régimes (et s’intéresser en retour à la manière dont ceux-ci modifie la perception de
l’idée républicaine), les constitutions ou encore les discours des grands hommes de
l’époque. Mais la forme du régime n’a jamais suffi à définir la République. Aussi
l’idée républicaine peut également transparaître dans une culture républicaine, divers
symboles que se donne le peuple : hymnes, figures visuelles (bonnet phrygien,
Marianne, arbres de la liberté). Enfin, il faudra également envisager que l’idée
républicaine n’est peut-être qu’une illusion rétrospective, et que certains historiens,
aussi respectable soient-elles, aient pu la voir là où elle n’était peut-être pas encore
réellement présente.
1789-92 constitue une sorte d’avant : la République n’est pas encore proclamée
et, si on finit par en prendre le chemin, l’idée républicaine reste incertaine ; en tout cas
bien plus incertaine que l’idée de Nation qui lui est liée. L’expérience républicaine de
92-93 constitue théoriquement la République la plus démocratique… mais se pose
alors le problème de savoir qui détient l’idée républicaine, qui n’en reste pas moins
encore incertaine ; et surtout, la Terreur vient vite changer la donne. Avec Thermidor
et les deux Directoires, on peut se demander si l’idée de République ne se dissocie pas
du principe de démocratie, perdant alors à la fois de son contenu et de sa crédibilité.
I Avant la République : émergence de l’idée de Nation et, en demi-teinte, de
République (1789-1792)
Le mot de République semble fortement lié à la Révolution, et en particulier à deux
temps forts ce cette dernière : 1789 et le début du transfert de souveraineté de la
monarchie à la Nation ; et la chute de la monarchie en 1792, après le tournant de
Varennes.
a) La Nation avant la République
Début 1789, la fin de la monarchie reste impensable. Les philosophes des
Lumières sont pour la plupart (Voltaire et Montesquieu en tête) opposé au régime
républicain, et davantage en faveur d’un régime monarchique en partie inspirée de la
monarchie constitutionnelle anglaise.
Rousseau semble lui tenir une place à part : sa popularité auprès des
révolutionnaires semble bien plus grande. Ainsi, dès le mois d’octobre 1790, son buste
est placé avec un exemplaire du Contrat Social, dans la salle de l’Assemblée, laquelle
vote en décembre une motion demandant des honneurs publics pour Rousseau.
Comme le font remarquer F.Furet et M.Ozouf dans le Dictionnaire Critique de la
Révolution française, l’œuvre de Rousseau est, de façon globale, un plaidoyer en
faveur de l’égalité (une des bases de la République : liberté, égalité, fraternité), mais
elle n’est cependant pas explicitement hostile à la noblesse.
En outre, l’idée d’une République concrète apparaît encore bien lointaine. Rares
sont ceux qui envisagent réellement la fin de la monarchie en 1789. C’est l’idée de
Nation qui vient d’émerger avant tout avec la proclamation de l’Assemblée Nationale ;
idée autour de laquelle se crée un relatif consensus (que ce soit du point de vue des
mouvances politiques ou des anciens ordres).
Même « les Jacobins entrent en convulsion au seul nom de la République » note
Madame Roland dans ses Mémoires. Robespierre déclare même « qu’on [l]’accuse, si
l’on veut, de républicanisme : [il] déclare qu’[il] abhorre toute espèce de
gouvernement où les factieux règnent ».
Cependant, les symboles futurs de la République sont acquis très vite, bien
avant la République, peut-être même dès juin 1789 ou en tout cas un peu plus tard sous
la monarchie constitutionnelle : droits de l’homme, drapeau tricolore etc.
En outre, F.Furet pose que l’idée de République était déjà en partie présente
dans la Révolution. Ainsi, parlant du Serment du jeu de paume peint par David, il dit
que « rien ne dit mieux l’imaginaire républicain de la Révolution française ».
Néanmoins, on peut se demander s’il n’y’a pas dans ce jugement une certaine forme
d’illusion rétrospective, ne serait-ce que par le tableau lui-même peut en avoir été
victime (idéalisation de la part de David ?).
b) L’idée républicaine se construit contre la monarchie
Le terme de République manque pendant longtemps d’un réel contenu. Il
renvoie soit à une République trop éloignée dans le temps apparemment et peu adaptée
à un pays de la taille de la France (cf. cités antiques), soit à une République trop
éloignée dans l’espace (Etats-Unis).
C’est donc un principe encore abstrait qui, faute de posséder un réel contenu, se
construit petit à petit contre la monarchie. Louis XVI apparaît de plus en plus comme
un « boulet » (problème du veto royal), qui n’est peut-être pas si coopératif que ce
qu’ont pu laisser penser les concessions qu’il a faites. Il faut dire qu’il a perdu une
grande partie de son pouvoir au profit de celui de la Nation depuis la proclamation de
l’Assemblée Nationale. Aussi, à partir du 2 octobre 1790 (ramener à Paris « le
boulanger, la boulangère et le petit mitron »), on le soupçonne de vouloir s’échapper
ou de souhaiter la défaite de la France, aux prises avec les puissances étrangères.
La fuite à Varennes (juin 1791) constitue un véritable tournant. Le chemin
parcouru par l’opinion public en quelques semaines est considérable. L’idée
républicaine bénéficie de la conversion soudaine de Condorcet qui lit, le 12 juillet, au
Cercle social, un texte retentissant : De la République, ou un roi est-il nécessaire à la
conservation de la liberté ?
La division gauche / droite se crée également autour de l’idée républicaine, qui
a l’époque a pour principal caractéristique d’être une anti-monarchie. Les Feuillants,
menés par Lafayette, quittent les Jacobins. Les opposants au régime républicain
s’appuient, entre autres, sur Rousseau qui dit qu’aucun homme de sens
n’entreprendrait de changer les maximes et les institutions de la monarchie française
qu’une durée de treize cents ans a établies. Il s’appuie également sur cette phrase de
Rousseau : « la liberté serait achetée trop cher par le sens d’un seul homme » (liberté,
autres bases de la devise républicaine).
c) Une idée républicaine encore incertaine à quelques mois de la proclamation de la
République
Les modalités du passage à la République effective, en septembre 1792, sont
complexes.
Tout d’abord, il ne faut pas négliger le contexte de guerre latent. La guerre, elle
aussi, participe à la construction de l’idée républicaine : la future république s’affirme
avant tout contre les puissances impérialistes ; on a le sentiment d’un devoir envers les
autres peuples opprimés (les libérer). C’est ici que commence à se créer le lien entre
l’armée et la République : la première apparaît (ou tout du moins, c’est le sentiment
croissant d’une bonne partie de ses membres) comme celle qui défend les valeurs de la
seconde, assiégée, à la manière des modèles de l’Antiquité. La République a besoin
d’ennemis pour se définir et s’affirmer dans le combat.
Par ailleurs, on peut peut-être voir deux idées républicaines différentes qui
s’affrontent alors : une, peut-être plus provinciale, incarnée par les Girondins. Et une
autre, plus parisienne (et aristocratique, au sens littéral du terme ?), que représentent
les Montagnards.
Le 11 juillet 1792, l’Assemblée proclame solennellement « la patrie en
danger ». C’est peut-être un des premiers pas vers la proclamation, indirecte, de la
République. Le manifeste de Brunswick, connu à Paris le 3 août, achève de mettre le
feu aux poudres et constitue en quelque sorte le catalyseur qui cristallise le régime
républicain comme opposé à la royauté, laquelle sera abolie par la Convention dès sa
première séance publique le 21 septembre 1792.
II La République ? Quelle République ? (1792-94)
La République proclamée, on entre, en théorie tout du moins
a) Une République rousseauiste ?
On entre dans une phase où la démocratie directe semble être une des
obsessions du régime. L’influence de Rousseau semble plus que palpable. Dès les
années 1789-1790, des journalistes populaires comme Loustalot ou des conférenciers
très écoutés comme l’abbé Fauchet utilisent les textes du Contrat Social pour montrer
que, la souveraineté du peuple étant inaliénable, le rôle du citoyen ne peut se limiter à
élire des représentants et à les laisser gouverner comme ils l’entendent. Déjà, en août
1791, lorsqu’il avait été question de réviser la Constitution, c’est au nom de Rousseau
et du Contrat Social que l’Assemblée s’est opposée à Thouret qui soutenait que le
peuple ne pouvait exercer ses pouvoirs que par délégation.
Il n’est pas difficile de relier cela au rôle croissant des Sans-Culottes qui atteint son
apogée après le 10 août 1792, où ces derniers obtiennent (par l’intermédiaire des
sections parisiennes de la Commune et l’ultimatum de leur chef Hanriot) l’éviction de
29 députés Girondins de la Convention.
De même, on peut citer la formule suivante du Contrat Social, consacrée dans
la Constitution de 1793 par le principe de ratification populaire des lois : « Toute loi
que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle ; ce n’est point une loi ». Le
rousseauisme a donc apporté une institution concrète : la ratification des lois par le
peuple.
Néanmoins, lorsqu’on fait a posteriori du rousseauisme le principe de la
politique jacobine, on pourrait en oublier que Rousseau n’avait pas immédiatement été
perçu ainsi. Si Robespierre et Saint-Just avaient fait l’éloge de Rousseau, c’est à leurs
liquidateurs qu’il reviendra de le panthéoniser.
Par ailleurs, l’idéal de Rousseau est de limiter au maximum les échanges
économiques ; aussi, ce n’est pas chez lui que les chefs des mouvements populaires et
jacobins ont trouvé l’idée d’économie dirigée, de taxation et de réquisition, que
peuvent expliquer les conditions exceptionnelles comme la guerre.
b) La Terreur, République de l’idée ou l’abstraction révolutionnaire et ses errements.
Le 5 septembre 1793, la terreur est déclarée « à l’ordre du jour ». Avec elle, on
assiste à ce qui peut sembler être la fin des 3 grands principes qui faisaient l’essence
même de l’ordre républicain : la séparation des pouvoirs (cf. la Convention), le respect
de la loi fondée sur l’application d’une constitution (suffrage universel jamais
appliqué) et l’intégrité de la souveraineté nationale.
En ce sens, la République a pu apparaître dès sa naissance comme un régime
d’exception, lié à la guerre et compromis par la Terreur. Dans cette exception, elle a
pourtant trouvé deux traits qui ont fait sa permanence et sa vérité : elle s’est confondue
avec la défense de la patrie et elle a fait reposer l’ensemble de son système sur
l’exigence de la vertu. « Quel est le principe fondamental du gouvernement
démocratique et populaire ? » demandait Robespierre ? La vertu bien sûr !
La vertu demeure malgré tout une… vertu… bien abstraite. La morale, dixit
Robespierre, doit-être le « fondement unique de la société civile ». Ainsi, le
jacobinisme dans ce qu’il a de plus extrême a placé au cœur de l’idée républicaine « le
sentiment sublime », c’est à dire la préférence de l’intérêt public à tous les intérêts
particuliers. Robespierre lui-même dit se sacrifier pour la Révolution. On ne
s’étonnera pas qu’il cite Rousseau pour montrer aux représentants qu’ils ne doivent
pas avoir une volonté autre que celle du peuple : le commerce, cible de critiques chez
Rousseau, est en effet opposé à la société civile en ce qu’il encourage les intérêts
particuliers au détriment de l’intérêt général. Cependant, Robespierre a même fini par
se croire l’incarnation de la volonté du peuple, celui à travers qui l’intérêt général
s’exprimait, aussi paradoxal que cela puisse paraître.
En revanche, en dépit des apparences, la dictature de salut public n’est peut-être
pas la conséquence de la théorie politique rousseauiste, et en particulier du contrat
d’aliénation totale. Ainsi, Rousseau et sa conception du contrat social ne sont jamais
convoqués pour justifier ce gouvernement. Quant à Robespierre, il déclare même en
décembre 1793 que « la théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que
la révolution qui l’a amenée. Il ne faut pas chercher dans les livres des écrivains
politiques qui n’ont point prévu cette révolution ».
Mais c’est surtout en installant la trahison/le complot/la suspicion/la délation
(rayer la mention inutile) au sein même de l’identité républicaine que la République,
sous sa forme jacobine et montagnarde, s’est constituée sur le rassemblement du
peuple contre les « ennemis de la liberté », opposition en grande partie fantasmée :
quel critère légal permettait de décider une bonne fois pour tout où commençait la
frontière entre les défenseurs et les ennemis de la République ? Indubitablement,
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