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Comment peut-on savoir si une croyance religieuse est vraie ou fausse ?
[Intérêt du sujet] Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, les religions jouent encore un
grand rôle dans notre monde. Ce rôle est parfois positif, lorsqu’une religion incite ses adeptes à se
comporter moralement. Malheureusement, il arrive aussi que les croyances religieuses soient
facteurs de fanatisme ou de graves conflits. Il pourrait donc être intéressant de faire un examen
critique de ces croyances, afin de réfuter les plus dangereuses d’entre elles. Mais comment peut-on
réfuter une croyance religieuse, c’est-à-dire prouver qu’elle est fausse ? De manière plus générale,
comment peut-on savoir si une croyance religieuse est vraie ou fausse ?
[1ère réponse, argumentée à l’aide d’une analyse des notions en jeu] À
première vue, la réponse
à cette question est facile : il suffit de recourir à la science, c’est-à-dire à des connaissances
qui ont été prouvées par des démonstrations ou par des expériences méthodiques. Une
religion, en effet, est un ensemble de croyances et de pratiques par lesquelles une
communauté humaine est censée entrer en relation avec une réalité sacrée, absolument
respectable, supérieure au monde ordinaire. Elle apporte donc des informations, non
seulement sur ce qui est sacré (Dieu, les dieux…), mais sur le rapport entre l’homme et le
sacré. Donc, les croyances religieuses concernent aussi les hommes eux-mêmes et l’univers
qu’ils habitent. Elles disent des choses, par exemple, sur l’origine de l’univers et sur les lois
qui le régissent. Il est donc possible aux sciences – qui étudient justement l’univers et le
monde humain – de prouver que ces croyances sont vraies (logiques ou conformes à la
réalité) ou fausses (irrationnelles ou contredites par l’expérience du réel).
[Objection, et annonce discrète de la 2 ème thèse] Mais ce raisonnement, que nous étudierons
dans une première partie, appelle au moins une objection : certaines croyances religieuses
parlent d’un être transcendant, supérieur et extérieur à l’univers : Dieu. Or, un tel être
peut-il être objet de science ?
[Nouvelle objection et annonce de la 3 ème partie] On pourrait être tenté de répondre
négativement à cette question. Mais en admettant que Dieu soit hors de portée de la
science et de la philosophie, en va-t-il de même pour les représentations qu’on en a ? C’est
ce que nous essaierons de savoir dans le troisième temps de notre réflexion.
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I. On peut vérifier les croyances religieuses à l’aide de la science
Comme on l’a vu plus haut, notre problème semble admettre une solution évidente :
une croyance religieuse peut être réfutée ou confirmée par la science.
Tâchons d’argumenter cette thèse. Une croyance est une idée que l’on considère
comme vraie (logique ou conforme à la réalité) sans avoir pour cela de preuve objective.
Certaines croyances sont invérifiables, parce qu’elles concernent une réalité qui n’est pas
accessible à l’homme. Pour l’instant, par exemple, nous ne savons pas s’il y a des formes
de vie (intelligentes ou non) en-dehors de la planète terre, parce que nous n’avons pas
encore d’outils assez performants pour vérifier cette hypothèse. Mais les croyances
religieuses sont assez différentes. Même si elles se réfèrent à une prétendue réalité sacrée,
qui est bien distincte de l’univers ordinaire, elles sont censées nous mettre en contact avec
cette réalité. Les croyances religieuses ne concernent donc pas seulement Dieu, les dieux,
ou l’au-delà : elles nous parlent du rapport existant entre ce monde supérieur et le monde
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profane. Ainsi, elles disent des choses sur ce dernier. Elles nous disent, par exemple, quelle
est l’origine du monde et de l’homme. Elles attribuent, bien souvent, une cause divine à un
grand nombre de phénomènes naturels (les orages, les tempêtes, etc.). Par conséquent, il
est possible de vérifier à l’aide de la science si les croyances religieuses sont vraies ou
fausses, du moins lorsque ces croyances concernent l’univers visible, celui que nous
pouvons observer. La science, en effet, est une connaissance fondée sur des preuves
rationnelles (raisonnements démonstratifs) ou/et empiriques (expériences). Elle permet
ainsi de prouver qu’une croyance religieuse est en contradiction avec elle-même ou avec la
réalité. Dans le premier cas, il s’agit seulement de faire des raisonnements rationnels. Dans
le second cas, il s’agit de coupler la raison (pour de penser de manière cohérente) avec
l’expérience (connaissance qui s’appuie sur les informations données par les sens).
Par exemple, il est possible de démontrer que de prétendus miracles sont en contradiction
avec les lois de la nature, ou au contraire s’expliquent par ces mêmes lois. Selon les lois de la
physique, il est impossible que la mer Rouge se soient séparée en deux, et que les Hébreux aient pu
la traverser à pied sec, entre deux murailles d’eau. En revanche, on peut très bien prouver que
certains phénomènes extraordinaires (comme l’apparition d’une comète) ont réellement eu lieu,
mais qu’ils s’expliquent par des lois tout à fait naturelles, et non par l’intervention d’une divinité.
Un autre exemple : la Genèse prétend que l’univers a été créé en 6 jours, ce qui contredit de
nombreuses observations scientifiques, comme l’existence de fossiles de dinosaures, ou de traces
d’anciens fonds marins dans des montagnes. Par ailleurs, on peut relever des contradictions
logiques dans certains textes sacrés. Ainsi, la Genèse donne deux récits successifs de la création.
D’après le premier, l’être humain a été créé après les animaux. D’après le second, l’homme a été
créé en premier. En toute logique, il est impossible que ces deux récits soient vrais en même temps.
[Transition – Récapitulation et objection] On vient de voir que la science a les moyens
de confirmer ou de d’infirmer les croyances religieuses, dans la mesure où celles-ci disent
des choses sur la nature et sur l’homme. Mais ce raisonnement n’est-il pas contestable,
dans la mesure où il prête à la science un pouvoir qu’elle n’a peut-être pas ? Est-il possible
de connaître scientifiquement toutes les lois de la nature, et toutes les causes des
événements naturels ? Et la science peut-elle se prononcer sur un être tellement sacré qu’il
s’élève infiniment au-dessus de l’homme : Dieu ?
II. Notre raison peut nous permettre de réfuter des religions incohérentes,
mais elle est incapable de se prononcer sur la croyance en un Dieu infini
[1. Objection à l'argumentation précédente (développement de la transition)]
Comme nous l'avons vu plus haut, les connaissances scientifiques reposent sur des
preuves rationnelles (démonstrations) ou expérimentales. Or, la raison et l'expérience
humaines sont très limitées. Comme l'explique Pascal, il est impossible de tout démontrer :
le raisonnement doit s'appuyer sur des bases considérées comme évidentes. Par exemple,
on sait que l'égalité est commutative : si A = B, alors B = A. Ce genre de vérité n’est pas connu par
la raison (définie comme faculté de bien raisonner), mais par une sorte d'intuition (connaissance
immédiate, directe, qui ne passe pas par un raisonnement). Pascal appelle « cœur » le pouvoir
de connaître par intuition.
Or, notre cœur – s’il n’est pas éclairé par la lumière divine – n’est pas capable de nous
renseigner sur les causes profondes des événements naturels. Nous ne savons pas, par
exemple, pourquoi l’univers existe, ni pourquoi les lois de la nature sont comme elles sont.
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Nous ne connaissons que ce qui est à notre échelle. Tout ce qui est trop grand ou trop
petit, trop éloigné dans le temps ou dans l’espace, nous échappe.
Et si la raison (même avec l’aide de l’expérience et du cœur) s'avère incapable de
comprendre la nature en profondeur, comment pourrait-elle connaître la cause éternelle
de cette nature ? Seul le cœur, éclairé par la grâce divine, peut connaître Dieu : « Le cœur a
ses raisons que la raison ne connaît point [...]. »
[2. La raison est incapable de savoir si la croyance en Dieu est vraie ou fausse]
Pour Pascal, par conséquent, la science véritable n'est pas opposée à la vraie religion,
car elle n'a pas à parler de choses qui la dépassent, et en particulier de Dieu. Il est donc
impossible de savoir de manière rationnelle si la croyance en Dieu est vraie ou fausse. Ce
que la raison peut faire de plus haut, c'est de reconnaître ses propres limites. Aussi grand
soit-il, le savoir scientifique ne nous dit rien sur Dieu, la cause première de toute chose.
Par conséquent, ce savoir est également incapable de nous dire si les miracles sont
impossibles. En effet, l’auteur des lois de la nature ne leur est pas soumis, et il peut
produire des événements qui les violent exceptionnellement.
Pascal est donc très critique vis-à-vis des libertins, ces gens qui, comme le Don Juan
de Molière, se moquent de la religion au nom de la raison. Mais il n'épargne pas non plus
son contemporain Descartes, savant et philosophe qui prétend démontrer l'existence de
Dieu. Pascal n'adore pas « le Dieu des philosophes et des savants », mais le « Dieu
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob », le Dieu révélé de la Bible. Il est tout aussi impossible de
démontrer que Dieu existe, que de démontrer qu’il n’existe pas. Le vrai Dieu, pour Pascal,
est transcendant, c’est-à-dire extérieur à l’homme et à la nature, et radicalement supérieur
à eux. Contrairement à la raison, il n’est pas immanent (non transcendant), même s’il est
présent en l’homme du fait qu’il en est le créateur.
[3. Cependant, notre raison peut réfuter les croyances religieuses incohérentes]
Ce que Pascal appelle la vraie religion, celle qui conduit au Dieu infini et
transcendant qui s’est révélé aux juifs et aux chrétiens, échappe donc à la connaissance
humaine ordinaire. La science et la philosophie sont incapables d’en parler correctement. Il
n’en va pas de même des fausses religions. Pour Pascal, il est possible d’y relever des
contradictions logiques. Prenons un exemple qui ne se trouve pas chez Pascal, mais chez un
philosophe grec : Épicure. Bien qu’il ne fût pas athée, ce dernier combattait à l’aide de sa raison les
croyances populaires concernant les dieux. Il disait qu'on ne pouvait pas considérer les dieux
comme étant à la fois parfaitement heureux, et tourmentés par des sentiments comme la jalousie ou
la colère. La peur à l'égard de Zeus, d’Héra ou de Poséidon était donc sans fondement.
[Transition – Récapitulation et objection] D’après Pascal, donc, la science et la religion
ne sauraient s'opposer parce qu'elles ne parlent pas des mêmes choses. Mais une religion
peut-elle parler de Dieu de façon satisfaisante ? Nous avons vu qu'elle est censée créer un
pont entre les hommes et le sacré. C'est pourquoi elle parle de Dieu (ou des dieux) en des
termes que les hommes peuvent comprendre, à l'aide de symboles et de comparaisons. Or,
n'est-il pas possible, au nom de la raison, de critiquer ce genre de discours ?
III. La raison permet d’examiner la forme et le contenu des croyances religieuses
[1. Objection à l'argumentation de Pascal]
Nous avons vu tout à l'heure que l'homme avait besoin d'une révélation divine pour
accéder à la connaissance de Dieu. Mais comment reconnaître les vraies révélations des
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fausses ? Beaucoup de gens se prétendent prophètes, et ils sont souvent en désaccord les
uns avec les autres. Nous-mêmes, nous pouvons avoir le sentiment que Dieu nous parle.
Mais comment savoir si ce n'est pas notre imagination qui nous joue des tours ? En fait, il
semble bien que la raison soit nécessaire pour démêler le vrai du faux. Pascal, d'ailleurs,
utilisait sa raison pour défendre la religion chrétienne. Il ne pouvait, sans doute,
démontrer la vérité de celle-ci, mais il cherchait à montrer qu'elle était davantage
compatible avec la raison que toutes les autres religions.
Mais que se passe-t-il si les hommes analysent les religions à l'aide de leur raison,
selon une démarche scientifique ou philosophique ? Ils sont alors amenés à lutter contre
tout ce qui est irrationnel dans les religions : les superstitions. Comme on l’a vu plus haut, on
peut relever une incohérence dans le récit biblique de la création du monde. Cela ne conduira pas
forcément les croyants à renoncer à leur religion. Seulement, au lieu de faire naïvement confiance
aux traditions ou aux textes sacrés, ils chercheront à les interpréter.
De même, des philosophes ont cherché à purifier les religions de toutes leurs
contradictions logiques. Dans toutes religions, même celles qui interdisent de représenter
Dieu sous la forme d'une chose matérielle, on se fait une représentation mentale de la
divinité. Et cette représentation – apaisante ou terrifiante, suivant les cas – est inspirée de
choses de la nature (animaux, soleil, montagne, fleuve...) ou des êtres humains. La
superstition consiste à confondre ces images imparfaites avec la divinité qu'elles
prétendent symboliser. Or, ces représentations n’existent pas seulement dans ce que Pascal
appelle les « fausses religions ». On peut trouver dans la Bible (juive ou chrétienne)
beaucoup d’images censées nous aider à nous représenter Dieu : il est comparé à un roi, à
un époux jaloux, à un chef de guerre, à une mère, à un père, etc. Toutes ces métaphores
sont forcément inadéquates, si l’on admet que Dieu s’élève bien au-dessus de nos
faiblesses humaines.
[2. Explication de la thèse]
Que se passe-t-il si l'on va jusqu'au bout de ce travail de purification des religions ?
On aboutit, semble-t-il, à vider le mot « Dieu » de toute signification précise. Tel est, pour
Hegel (1770-1831), un des résultats de la philosophie des lumières : à force de dire que
Dieu est infiniment plus parfait que toutes les images qu'on peut s'en faire (roi, père, juge,
etc.), on se rend incapable de dire quoi que ce soit à son égard. Dieu devient l'Être
suprême (formule reprise par Robespierre) : on ne peut rien en dire, sauf qu'il est
transcendant, bien au-dessus de l'homme et de la nature. Ainsi, le divin et l’humain sont
coupés l'un de l'autre, et la religion décline dans les pays qui ont été marqués par la
philosophie des lumières. Car à quoi sert la religion, si elle n'est plus un pont entre les
hommes et la divinité ?
Pourtant, comme on va le voir, il se pourrait que les philosophes des lumières soient
allés un peu trop vite dans leur critique des religions : si celles-ci sont irrationnelles par
leur forme, il n'est pas sûr que leur contenu le soit aussi. Pour Hegel, les scientifiques et les
philosophes ont raison de critiquer les récits religieux : ceux-ci, en effet, sont irrationnels et
souvent en désaccord avec les faits. Mais cette irrationalité concerne la forme plus que le
contenu. Toutes les religions (et en particulier la religion chrétienne, d'après Hegel)
contiennent une certaine vérité, mais celle-ci se présente sous forme imagée, un peu à la
manière dont La Fontaine utilise des récits animaliers pour faire passer une sagesse qui n'a
rien à voir avec les animaux. Ainsi, la science et la philosophie n'ont pas nécessairement à
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contredire le contenu d'une religion, même s'ils ont le droit de critiquer sa forme.
[3. Argumentation]
La pensée de Hegel est très difficile. Pour comprendre et vérifier son argumentation,
il faudrait se plonger dans tout son système philosophique. On peut tout de même retenir
un argument : avant de prendre une forme scientifique ou philosophique, la raison doit
apparaître sous la forme d'intuitions ou d'images. La pensée religieuse constitue donc une
étape nécessaire dans la constitution d'une pensée rationnelle.
[4. Exemple d'une vérité rationnelle cachée sous des symboles religieux]
Pour montrer en quoi les récits religieux peuvent contenir une vérité profonde sous une
forme symbolique, Hegel analyse entre autres le récit biblique du péché originel. Il peut sembler
absurde de penser – comme Pascal – que Dieu a puni les hommes pour une faute qu'auraient
commise leurs lointains ancêtres. Mais peut-être l'histoire d'Adam et Ève est-elle symbolique. Pour
Hegel, l'histoire d'Adam (nom qui signifie « être humain » en hébreu) est celle de tout être humain.
Tout être humain, lorsque sa conscience se développe, devient égoïste et perd son innocence. Mais
ainsi, il cesse d'être un petit animal et devient capable de distinguer le bien du mal (il goûte « au
fruit de la connaissance du bien et du mal »). Le « péché originel » n'est donc pas une catastrophe
contingente, comme le raconte la Bible : c'est le destin de tout être humain. Et ce péché – qui
consiste dans le développement de l'égoïsme et de l'égocentrisme – n'est pas seulement un
événement négatif. Il va permettre aux êtres humains d'agir selon des règles morales, en toute
conscience, et non par instinct. Voilà pourquoi Dieu dit, dans le récit biblique : « Voici que
l'homme est devenu comme l'un de nous, capable de distinguer le bien du mal. » Le remède au
mal est déjà présent dans le mal lui-même : c'est en développant sa conscience que l'être humain
deviendra capable d'agir suivant des règles raisonnables, justes, acceptables par tous. En ce sens,
on peut dire que l'être humain est semblable à Dieu : par sa raison, il est capable de s'élever jusqu'à
un point de vue universel, au lieu de rester enfermé dans ses préjugés et dans son égoïsme.
Hegel va même plus loin : pour lui, c'est à travers l'homme que l'esprit universel (Dieu)
prend conscience de soi. Dieu n'est pas transcendant (purement extérieur au monde), mais
immanent – c'est-à-dire non transcendant, présent au sein du monde. Tel est, pour Hegel, le sens
profond de la croyance chrétienne en une incarnation de l'esprit divin.
[Conclusion] Revenons à notre problème initial : comment peut-on savoir si une
croyance religieuse est vraie ou fausse ? Il semble maintenant possible de répondre cette
question en distinguant dans les croyances religieuses leur forme de leur contenu. Notre
raison permet de repérer une inadéquation entre la divinité – ce qui est véritablement
sacré, ce qui s’élève au-dessus de la nature et de l’homme – et les représentations qu’on
s’en fait. Il est donc possible de prouver qu’une croyance religieuse est fausse par sa
forme. Quant à son contenu, certains philosophes comme Hegel affirment qu’il est
possible de le saisir par la raison. Toutes les croyances religieuses auraient une certaine
vérité, pour peu qu’on sache les interpréter, dégager leur signification profonde.
Même si elle est discutable, cette réponse est sans doute préférable aux deux autres
que nous avons étudiées. La science peut sans doute réfuter certaines croyances
religieuses, mais elle ne peut rien dire sur un être transcendant, qui ne peut faire l’objet
d’aucune expérience scientifique. Cependant, n’en déplaise à Pascal, notre raison peut tout
à fait analyser la croyance en un Dieu infini et transcendant, car cette croyance comprend
en elle-même des représentations limitées, inadéquates avec l’être auxquelles elles
renvoient.
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Annexe : texte de Pascal sur la raison, le cœur et la religion
Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de
cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes, et c’est en vain que le
raisonnement, qui n’y a point de part, essaie de les combattre. Nous savons que nous ne
rêvons point. Quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette
impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison mais non pas
l’incertitude de toutes nos connaissances.
Car les connaissances des premiers principes : espace, temps, mouvement, nombres, sont
aussi fermes qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent, et c’est sur ces
connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle fonde tout
son discours. Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec
certitude quoique par différentes voies, — et il est aussi inutile et ridicule que la raison
demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour y vouloir consentir qu’il
serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions
qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.
Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison, — qui voudrait juger de
tout, — mais pas à combattre notre certitude. […] Et c’est pourquoi ceux à qui Dieu a
donné la religion par sentiment de cœur sont bienheureux et légitimement persuadés,
mais à ceux qui ne l’ont pas nous ne pouvons la donner que par raisonnement, en
attendant que Dieu la leur donne par sentiment de cœur, sans quoi la foi n’est qu’humaine
et inutile pour le salut.
Blaise Pascal, Pensées (1670)
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