Nicolas Weill-Parot (UPEC/IUF) – Moscou, sept. 2011
Ockham avance un autre argument fondé sur la distinction animé/inanimé. En renvoyant
à la Physique VII.2 [244b 3-15], il écrit que « toute qualité dans ces êtres inanimés est
sensible ». Or « aucune qualité sensible n’est causée dans le fer…ni couleur, ni son, ni odeur,
ni saveur, ni chaleur, ni froid, ni dureté, ni une autre qualité tangible », comme on peut en
faire l’expérience. Mais il convient de relever qu’Ockham termine son analyse avec malice en
disant « Quant à savoir si ces arguments sont concluants ou non, cela apparaîtra plus tard.
Mais pour l’heure ils sont ajoutés pour stimuler l’intelligence des étudiants ».
En somme, Ockham utilise la distinction animé / inanimé pour contester l’explication
d’Averroès qui voudrait qu’une forme ou vertu soit conférée au fer par l’aimant. Mais du
même coup il remet en cause, au moins d’un point de vue logique, l’autre axiome de base de
l’aristotélisme : l’impossibilité d’une action à distance.
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Comment donc réfuter à la fois l’hypothèse inacceptable de l’action à distance et
l’hypothèse inacceptable d’une animation de la matière minérale ? C’est à ce défi que Walter
Burley, lecteur de Guillaume d’Ockham, mais tenant de l’explication d’Averroès, est
confronté dans son ultime commentaire à la Physique, dont les livres VII et VIII furent révisés
entre 1334 et 1337. À propos de l’attraction magnétique, Burley suit de très près, en la copiant
parfois mot à mot, l’Expositio d’Ockham (sans le nommer), mais il s’en sépare radicalement ;
il réaffirme, lui, la thèse averroïste qui fait de la vertu magnétique, et non de l’aimant, la cause
du mouvement du fer, écartant par là l’hypothèse impossible d’une action à distance. Il
affronte donc les deux arguments d’Ockham mettant en jeu la distinction animé / inanimé
mais, il n’en déduit pas la solution ockhamiste ; au contraire, il parvient à surmonter ces
objections en rétablissant contre Ockham la solution d’Averroès.
1. D’abord l’argument de la qualité sensible.
Texte 5 POWER POINT
En réponse à l’autre argument, lorsqu’il est dit que toute qualité dans les choses inanimés est
sensible, il faut noter que le Philosophe ne veut pas dire cela, puisqu’il y a de nombreuses qualités de
la deuxième espèce de qualité, qui se trouvent dans les choses inanimées et qui ne sont pas sensibles :
en effet toute qualité n’est pas active ou passive, au sujet de la deuxième espèce de qualité sensible,
cela est manifeste.
Burley rejette cette objection : la qualité dont il est question relève de la « seconde
espèce » de qualité, c’est-à-dire l’aptitude ou l’inaptitude naturelle, laquelle n’est pas
forcément sensible.