Qu'a fait la bourgeoisie tunisienne? Voilà à peu près 60 ans qu'elle vit à l'ombre d'un pouvoir absolu et règne
sans partage sur les destinées d'un pays assez riche (comparé aux pays sub-sahariens) et d'un peuple paisible,
travailleur et économe (l'épargne nationale atteignait 22% du PIB jusqu'à 2010 et assurait à peu près 80% des
besoins en investissement public). Qu'a-t-elle fait avec ces moyens exceptionnels?
Certes, elle participé à la lutte de libération nationale dont elle a usurpé le fruit politique et économique. Elle a
développé un enseignement moderne dont le noyau était acquis depuis la période coloniale et a bien fait de le
renforcer et de le généraliser jusqu'à la fin des années des 80. Elle a initié une réforme du code de la famille
dont les conséquences ont été éminemment bénéfiques pour la société et le pays. Et c'est tout !
Sur le plan économique, elle s'est alignée dès l'indépendance sur les pays occidentaux et les organisation
internationales dont la stratégie était de maintenir les pays nouvellement indépendants dans la dépendance et
d'en extorquer éternellement la plus-value sociale par le système de la dette.
C'est ce qui a enfermé l'économie nationale dans une fragilité chronique et l'a menée de catastrophes en
catastrophes, dont les plus importantes ont été, dans le passé, la sinistre politique de coopération qui a ruiné la
paysannerie et déclenché un mouvement d'exode et d'émigration sans précédent et, dans le présent, la grave
crise que vit le tourisme.
Un pays divisé pays en deux parties
L'alignement sur le marché mondial a conduit à orienter l'économie nationale vers l'exportation et donc à
concentrer les capitaux et les entreprises sur le littéral, laissant pour compte et ignorant le vrai pays et le
marché intérieur. C'est ce qui a amené à la division du pays en deux parties et donc à la révolution de janvier
2011.
Sur le plan politique, elle a hérité d'un pays qui jouissait d'une démocratie coloniale avec un pluripartisme et
une certaine liberté de pensée et d'expression fût-elle limitée. Elle a commencé par asservir les organisations
nationales puis, dès 1963, elle a balayé de la place tous les partis et les journaux qui pouvaient lui apporter
quelque opposition. Elle a réprimé le Parti Communiste, le Parti du Vieux Destour, la gauche marxiste, les
Baathistes, les nationalistes arabes et, enfin les islamistes. Cette main de fer n'a été guère bousculée que par le
mouvement étudiant regroupé autour de l'Uget et le mouvement ouvrier par le biais de l'UGTT.
Ces deux organisations ont été, depuis le milieu des années 1960 à l'avant des luttes qui se menaient
sourdement dans le quotidien, mais qui éclataient au grand jour d'une façon épisodique. Notre histoire est
égrenée, depuis l'Indépendance, par des dates mémorables comme le soulèvement paysan au début des années
60, les procès de Perspectives en 68, 72, 74, etc., ceux de l'UGTT en 65, 78, 84, etc. Depuis leur constitution
les organisations dites de la société civile ont connu les affres des interdictions et des exactions : la Ligue de
défense des droits de l'homme, les avocat, les magistrat, les journalistes, etc.
Déposséder le peuple de sa révolution
La marche continue de la lutte des classes, tantôt muette, tantôt loquace, a abouti à l'éclatement de la
révolution. Qu'a-t-elle fait alors ?
Surprise par l'orage, elle a marqué un recul, en campant dans les coulisses de l'histoire à l'attente de son
moment. La grêle de l'islamisme qui a ravagé le pays lui a été un don du ciel! Ses fils prodigues lui en ont fait
un autre : celui de la «transition dans la légalité»; c'était le meilleur moyen de déposséder le peuple de sa
révolution. Ses vautours ont fendu sur le marché pour affamer les masses populaires, appauvrir les moyennes
et accumuler de grandes richesses par toutes sortes de pratiques mafieuses. C'est alors qu'elle s'est présentée au
peuple sous les couleurs du sauveur!