Les métaphysiques principales

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L’homme et l’Univers physique
Le monde est dangereux à vivre ! – non pas tant à cause de ceux qui
font le mal, – mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.
(Albert Einstein)
Ce texte est une conférence donnée au forum de philosophie de
Matane, 20 novembre 2010. Ces notes sont tirées substantiellement
de deux ouvrages de Claude Tresmontant, Les métaphysiques
principales et Problèmes du christianisme.
Ouvrages dont je recommande absolument l’achat…si ce n’est pas
déjà fait…
Nestor Turcotte
--------------------------------------------------------------------------------Il existe, dans l’histoire de la pensée humaine, quelques métaphysiques (conceptions de
l’être humain) qui sont en nombre très restreint. Ces métaphysiques sont constantes à
travers les siècles. Il n’existe aussi que quelques types de solutions aux problèmes
posés.
J’ai choisi, pour illustrer mon propos, quelques documents particulièrement expressifs, de
préférence aux origines de la tradition philosophique, pour démontrer que ces archétypes
métaphysiques subsistent et traversent les âges. Il est permis de croire, (à condition
d’utiliser la bonne méthode, la seule méthode normale de la pensée, la méthode
expérimentale, la méthode scientifique), qu’il est possible de trouver des solutions
cohérentes et justes à ces questions.
La méthode scientifique qui est la méthode expérimentale consiste à ne pas tenir compte
des préférences subjectives de chacun dans l’analyse du donné. Plusieurs personnes
(qu’on appelle maladroitement des philosophes) sacrifient volontiers le donné objectif à
leurs préférences subjectives, à leurs amours ou à leurs haines pour tel ou tel courant de
pensée. Ils condamnent, souvent tel ou tel auteur, tel courant, sans l’avoir vraiment
étudié. Certains auteurs modernes (Nietzsche, Heidegger, Sartre, et bien d’autres par la
suite…) ont en horreur la méthode scientifique. Celle-ci exige que l’on parte du donné et
qu’on le respecte.
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Tous les savants du monde sont d’accord sur le fait que le point de départ de la
connaissance, c’est l’expérience objective; que le critère de la vérité, c’est l’expérience;
qu’il faut partir du donné, l’écouter, l’ausculter, l’explorer, et tirer ensuite des
conclusions.
Les philosophes qui règnent sur la Planète aujourd’hui ne sont plus d’accord sur rien,
même pas et surtout pas sur la question du point de départ de la connaissance
philosophique. Il n’y a plus d’espoir de ce côté-là.
Le seul espoir d’un renouvellement, d’une nouvelle jeunesse de la métaphysique, se
présente du côté des chercheurs, des scientifiques, qui ont vu, qui ont compris l’existence
et l’intérêt des problèmes métaphysiques, et qui aimeraient en traiter, comme on le faisait
au Moyen-âge (ce temps qu’on dit de…noirceur !)
Les scientifiques sérieux (ceux qui œuvrent dans les laboratoires) pensent que la
métaphysique n’est pas quelque chose de mystique, ni de magique ou d’irrationnel. La
métaphysique est tout simplement l’analyse logique, complète, intégrale, du donné de
notre expérience. (En passant, il y a deux ans, lors d’un deuxième voyage en Grèce, je
me suis arrêté, au retour du Mont Athos, dans le petit village de Stagire, lieu de naissance
d’Aristote. Si celui-ci revenait sur cette planète, lui fin observateur du réel, de tout le réel
de son temps, en utilisant les moyens de son temps, se précipiterait directement dans les
laboratoires scientifiques pour savoir ce qu’on y dit du monde, ce qu’on a découvert au
sujet de la vie, au sujet de l’astronomie, etc. Il s’ajusterait….)
La philosophie se sert tout simplement de ce qui donné dans l’expérience humaine, de
toute l’expérience humaine, et s’efforce, par la suite, de raisonner correctement.
L’Être et le Néant
Quel est, selon vous, le problème auquel la pensée humaine a été confrontée depuis
nombre de siècles ? Réponse : celui de l’être du néant.
La pensée humaine a vu très vite que, du néant absolu, c’est-à-dire la négation de
tout être quel qu’il soit, il est impossible de concevoir la naissance, ou la genèse, ou
le surgissement, ou le commencement de quoi que ce soit. Les Latins disaient : Ex
nihilo nihil. (Cette expression est tirée d'une citation du philosophe latin Lucrèce : Ex
nihilo nihil, in nihilum posse reverti (Rien ne vient de rien, ni retourne à rien). Elle
résume la pensée atomiste qui était la sienne. L'expression a depuis souvent été
réutilisée, dans un sens contraire, par les créationnistes selon lesquels Dieu créa l'univers
à partir de rien).
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C’est peut-être LE SEUL POINT à propos duquel la pensée humaine est en accord avec
elle-même, en ses diverses branches, en ses divers rameaux.
DU NÉANT ABSOLU, AUCUN ÊTRE NE PEUT SURGIR. Il en résulte donc
forcément qu’il a toujours existé quelque être. Qu’il y a toujours eu de l’être. Sur la
nature de cet être qui existe nécessairement, et qui a toujours existé, la pensée humaine
diverge. Mais sur le principe de fond, à savoir que du néant absolu aucun être ne peut
surgir ou commencer d’être, elle est d’accord avec elle-même.
Nous sommes sur la frontière ultime de ce que l’intelligence humaine peut examiner et
explorer. Le problème de l’être et du néant est le problème ultime de l’intelligence
humaine. On ne peut aller plus loin. Si on y va, les réponses que l’on trouve vienne d’un
autre niveau : discours théologique, par exemple et interroge le monde de la foi.
Nous sommes donc, (problème de l’être et du néant), devant un axiome, un postulat, une
évidence première au-delà de laquelle on ne peut pas remonter. Une évidence première
ne se démontre pas. Elle est le point de départ de toute démonstration. Il existe donc
une évidence que personne ne peut nier, c’est que quelque être est nécessaire ; parce
que le néant absolu est impossible, parce que le néant absolu ne peut pas être
premier, et que par conséquent il n’y a jamais eu de néant absolu.
Le concept de néant absolu est un pseudo-concept, une pseudo-idée, une pseudoreprésentation. Personne ne peut penser le néant absolu, tout simplement, parce
quelque être est nécessaire.
En d’autres mots, toutes les grandes ou principales traditions métaphysiques sont
d’accord pour reconnaître qu’à partir du NÉANT ABSOLU, ou négation de tout
être quel qu’il soit, il est impossible de concevoir le commencement ou le
surgissement de quoi que ce soit.
A)
La grande tradition métaphysique MONISTE et ACOSMIQUE (sans
relation avec le monde sensible) affirme l’existence d’un ÊTRE UNIQUE
qu’on appelle le Brahman. Tout le reste n’est qu’illusion ou apparence. Il
existe quelque être nécessaire qui n’a pas commencé, qui ne finira pas, qui ne
s’use pas, qui ne vieillit pas et qui n’évolue pas – c’est le Brahman. Tout le
reste n’est qu’illusion - Pensée hindouiste et en partie bouddhiste. (NOTE :
(Le monisme est la doctrine fondée sur la thèse selon laquelle tout ce qui
existe - l'univers, le cosmos, le monde - est essentiellement Un, sans second,
et donc, notamment, qu'il est constitué d'une seule substance (réalité
fondamentale qui n'a besoin que d'elle-même pour exister). Le monisme
s'oppose à toutes les philosophies dualistes, qui séparent le monde matériel et
le monde spirituel (l'au-delà)…
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B)
La grande tradition matérialiste affirme elle aussi qu’il existe quelque
être éternel dans le passé, éternel dans l’avenir, sans commencement,
sans évolution, sans vieillissement et sans usure, - c’est l’Univers
physique. Il est l’être à proprement parler et il n’y en a pas d’autres.
Puisqu’on ne peut concevoir le commencement de l’Être (ici l’être du monde)
à partir du Néant absolu, et puisque l’Univers physique est l’Être lui-même et
tout l’Être, il en résulte évidemment que l’Univers physique n’a pas
commencé. Il est incréé, puisqu’il est l’Être lui-même. Il est inusable,
impérissable. C’est lui l’Être nécessaire, l’Être absolu. Le néant n’existe donc
pas…
C)
La tradition hébraïque (que vous retrouvez surtout dans la Bible et la Torah
juive) affirme qu’il existe bien quelque être qui est nécessaire, qui n’a pas
commencé, qui ne finira pas, qui n’évolue pas, qui ne s’use pas, qui ne vieillit
pas. – Mais la tradition hébraïque pense que cet Être qui est l’Être
nécessaire, n’est pas l’Univers physique. C’est ainsi qu’elle se distingue de
la grande tradition idéaliste, moniste et acosmique, par le fait qu’elle affirme
l’existence réelle et objective de l’Univers physique.
Nous sommes donc en présence de trois thèses, de trois doctrines ou de trois écoles, de
trois métaphysiques principales, de trois conceptions de l’être humain (et il n’y en a pas
d’autres)
1.
Ceux qui disent que l’Univers physique en réalité n’existe pas. Il est
une grande illusion ou une apparence. L’Être absolu, le Brahman,
est autre que l’Univers, qui n’est qu’une représentation, un rêve, un
cauchemar.
2.
Ceux qui disent que l’Univers physique existe objectivement,
réellement et que c’est lui l’Être absolu et nécessaire.
3.
Ceux qui disent que l’Univers physique existe réellement et
objectivement, mais que ce n’est pas lui l’Être absolu et nécessaire.
L’Être absolu est tout autre que l’Univers. C’est même lui qui créée
l’Univers. Il est celui qui englobe toutes choses et tout être.
La pensée hébraïque (la pensée chrétienne) se trouve entre la grande tradition idéaliste et
acosmique, et la grande tradition matérialiste. C’est la raison pour laquelle cette tradition
sera toujours à travers les siècles et jusqu’à aujourd’hui objet d’exécration ou d’aversion.
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Il faut prendre le temps d’étudier en profondeur ces trois courants ou trois thèses. Elles ne
peuvent être vraies en même temps. Elles peuvent contenir certains éléments qui se
recoupent, mais elles ne sont pas interchangeables. Les gens ont l’habitude de dire
que chacun est bien libre de choisir celle qu’il veut parmi les trois. Par affectivité.
On ne fait pas un bon travail de philosophie sans exposer correctement les trois thèses et
chercher où se trouve la vérité.
La tradition idéaliste moniste acosmique et la
tradition matérialiste
Les premiers témoignages écrits que nous possédons remontent aux Védas, à l’époque de
l’entrée des Aryens dans l’Inde et elles ont dû être rédigées entre le IVe et le Xe siècle
avant Jésus-Christ. On retrouve le même type d’enseignement dans la Bhagavad-Gîtâ. Je
vous en donne un extrait :
Upanishad 6.8 Chândogya : Tu es Cela
Uddalaka Aruni s'adressa à son fils : "Apprends de moi, mon cher
Shvétakétu, ce que c'est que le sommeil. Quand ici-bas, un homme
dort, on dit :
"Il est en fait uni à l'Être, il s'est résorbé en lui-même et c'est pour
cela qu'on dit de lui : il dort. Il s'est résorbé en lui-même.
" Et de même qu'un oiseau, un fil à la patte, vole de-ci de-là, ne
trouvant où se réfugier, finalement se pose là même où le fil est lié, "
" De même, mon cher, notre pensée vole de-ci de-là et ne trouvant où
se réfugier, finalement se pose sur le souffle même, car c'est au
souffle (à l’Être) qu'elle est liée.
...
"Là, mon cher Shvétakétu, considère que ton corps est un plant qui a
poussé. Ce plan ne peut-être dépourvu de racine. Et cette racine, où
serait-elle sinon dans l'eau ?
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"De la même façon, lorsque l'eau est le plant, sache que le feu est la
racine, et lorsque le feu est le plant, sache que l'Être est la racine.
"Toutes les créatures, ici-bas, ont l'Être pour racine, l'Être pour refuge,
l'Être pour support.
"Et comment ces trois divinités que sont le feu, l'eau, la nourriture se
combinent triplement en l'homme, je te l'ai déjà expliqué. Sache
seulement que lorsqu'il meurt, sa voie passe dans la pensée, sa
pensée dans son souffle, son souffle dans le feu et le feu dans cette
divinité suprême qu'est l'essence subtile.
"L'univers tout entier s'identifie à cette essence subtile, qui n'est autre
que l'Âme ! Et toi aussi, tu es Cela, Shvétakétu !"
Si l’on suppose que tous les êtres au fond n’en font qu’un, si l’on suppose que nous
sommes TOUS l’Être unique et incréé, alors nous sommes TOUS éternels dans le
passé et dans l’avenir avec l’Être nécessaire et éternel unique, le Brahman. Mais, on
le sait, l’expérience nous enseigne le commencement des multiples, et leur fin, leur mort,
leur disparition. Il faut donc choisir entre une métaphysique selon laquelle tous les
êtres sont l’Être nécessaire et incréé, - et l’expérience. Si cette métaphysique a raison,
si elle est vraie, alors l’expérience a tort. L’expérience nous trompe.
La plus ancienne métaphysique grecque a été entraînée dans cette affaire. S’il n’existe
qu’une seule sorte d’être, s’il n’y a pas lieu de distinguer entre l’Être unique et
incréé, et les êtres multiples, - alors la totalité de l’être est nécessaire, éternelle dans
le passé, éternelle dans l’avenir, et l’expérience qui enseigne le contraire a tort.
L’expérience nous trompe.
Un premier visage : Héraclite qui fleurit autour des années 504-501 avant Jésus-Christ.
La doctrine d’Héraclite d’Éphèse est claire. L’Univers physique est incréé. Ce n’est pas
un quelconque Dieu qui l’a fait. Pourquoi dit-il cela ? Il est possible, depuis la destruction
de la Samarie en 721 avant Jésus-Christ, depuis l’incendie de Jérusalem en 586, que des
colonies d’émigrants hébreux se soient dispersées dans tout le bassin Méditerranée, en
particulier l’Asie mineure (l’actuelle Turquie). Il est fort possible qu’Héraclite d’Éphèse
ait entendu parler de cette étrangère doctrine selon laquelle ce monde-ci a été créé par un
dieu.
A la place du dieu créateur, l’Être premier et ultime, Héraclite place le feu. L’Univers
physique résulte d’une expansion à partir du Feu primordial et éternel, et la cause de cette
expansion, de cette dispersion, c’est ce qu’Héraclite appelle la Guerre. Le retour de
l’Univers physique au Feu originel est provoqué ou causé par la Paix, qui est donc
principe ou cause d’annihilation pour la diversité des êtres. Ce processus d’expansion et
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de résorption au sein de l’Univers originelle est cyclique et éternel, périodique. Ce
sera le système préféré d’Engels, ami de Karl Marx. Il n’y a donc pas de pensée créatrice
à l’origine de l’Univers. Il y l’expansion et la différenciation du Feu originel, puis le
retour du multiple à l’Un et cela éternellement.
Un autre visage : Parménide qui fleurissait vers 504-500 avant Jésus-Christ. Celui-ci
part du présupposé que l’Univers physique est l’Être pris absolument, tout simplement
parce qu’il n’en connaît pas d’autre. L’Univers existe, il est, et le néant absolu n’est pas.
En effet, si quelque chose existe, alors le néant absolu, qui est la négation de tout être
quel qu’il soit, n’existe pas.
Cet Univers physique existe, - mais la question est de savoir s’il existe seul, s’il est seul à
exister, s’il est le Premier existant. Parménide ne pose pas cette question.
Ayant supposé que l’Univers est l’Être pris absolument, Parménide poursuit en disant
«qu’il est inengendré, il n’a pas connu de genèse ; il est indestructible, impérissable ; il
est immobile et sans fin». On ne peut pas dire de lui que dans le passé il était, ni que dans
l’avenir il sera, puisque c’est maintenant qu’il est, tout entier à la fois, simultanément.
Parménide, autour de 550 avant Jésus-Christ, ignorait la distinction entre l’être incréé et
l’être créé. Ignorant tout de cette distinction il considère, il envisage l’être comme si cette
distinction n’existait pas. Il développe ainsi une théorie de l’être nécessaire, sans
commencement, sans évolution, sans usure, sans vieillissement, sans fin, qui est en
somme en gros la théorie de l’être incréé que les Hébreux de leur côté avaient
développée. La différence c’est que les Hébreux distinguaient l’être incréé et l’Univers
physique, tandis que pour Parménide, qui ignore cette distinction, l’Univers physique est
l’Être incréé.
L’Être pris absolument, l’Être unique et incréé ne peut pas comporter de commencement
ni d’origine. Or l’Univers physique, c’est lui l’Être absolu, l’Être pris absolument,
puisque par hypothèse, IL EST LE SEUL. L’Être du monde physique ne peut don ni
s’user, ni subir de genèse et de développement.
C’est ce paralogisme que le matérialisme athée a repris constamment depuis 25 siècles et
jusqu’à aujourd’hui. L’athéisme (matérialisme athée) professe que l’Univers physique
est l’Être purement et simplement, et en ce sens, Parménide peut être dit père du
matérialisme athée. Par le fait qu’il enseigne aussi dans sa théorie que les apparences
sont trompeuses, que le devenir, les genèses, les naissances, les morts, appartiennent au
monde de l’illusion, il est aussi le père de l’idéalisme et ce qu’il dit ressemble
étrangement à ce qu’enseignent les antiques Upanishad du VIIe siècle avant notre ère.
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NOTE : Un paralogisme est un raisonnement faux qui apparaît comme rigoureux, mais
où le locuteur est de bonne foi, contrairement au sophisme pour lequel il y a une volonté
de tromper. Le paralogisme est un antonyme de syllogisme.
Ainsi donc le même présupposé, à savoir qu’il n’existe qu’une seule sorte d’être,
engendre soit la matérialisme athée, qui professe que l’Univers physique est l’Être
pris absolument, ou ce qui revient au même, l’Être absolu – ce sera la doctrine de tous
les maîtres du matérialisme jusqu’au baron d’Holbach, Marx, Engels et Lénine ; - soit
l’idéalisme qui professe que l’Être est unique en réalité et que l’Univers physique est une
illusion, une apparence, une simple représentation.
Dans les deux cas (matérialisme et idéalisme) on présuppose qu’il n’y a pas à distinguer
entre l’être créé et l’être incréé. Il n’existe donc qu’une seule sorte d’être, soit l’Univers
physique pour les matérialistes, soit l’Un pour les idéalistes. Dans ces deux
hypothèses, tout est incréé, puisque il n’y a pas de création au sens strict du terme. Ou
bien l’Univers physique est incréé, parce qu’il est tout l’Être lui-même et il n’y en a pas
d’autre, ou bien il est incréé parce qu’en réalité, cet Être n’existe pas : il n’est que ma
représentation.
Le matérialisme athée, et l’idéalisme acosmique de Fitche et de Schopenhauer, ont
également horreur de la distinction hébraïque entre l’incréé et l’Être créé. Le philosophe
Heidegger va hériter de cette répulsion profonde pour la métaphysique des Hébreux.
Empédocle d’Agrigente en Sicile (444-443), sans doute disciple de Parménide, reprendra
la thèse de ce dernier : en réalité, il n’y a pas de genèse, il n’y a pas de commencement
d’être. Et donc en réalité tout préexiste. Il n’y a pas non plus d’annihilation. La mort n’est
pas une disparition, le retour au néant puisque le néant n’existe pas. L’Être (la réalité)
reste constant : sans genèse ni corruption.
Un document à peu près contemporain dit à peu près la même chose dans une autre
langue, c’est le texte de la Bhagavad-Gîtâ dont nous avons déjà parlé :
Jamais temps où nous n’avons existé, moi comme toi, comme tous ces princes ; jamais
dans l’avenir ne viendra le jour où les uns et les autres nous n’existerions pas.
L’âme dans son corps présent traverse l’enfance, la jeunesse, la vieillesse ; après celui-ci
elle revêtir de même d’autres corps…
Pas d’existence pour le néant, pas de destruction pour l’être. De l’un à l’autre le
philosophe sait que la barrière est infranchissable.
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Indestructible, sache-le, est la trame de cet univers : c’est l’Impérissable ; la détruire
n’est pas au pouvoir de personne. Les corps finissent ; l’âme qui s’y développe est
éternelle…Croire que l’on tue, penser que l’autre est tué, c’est également se tromper ; ni
l’un ne tue ni l’autre est tué. Jamais de naissance, jamais de mort ; personne n’a
commencé ni ne cessera d’être ; sans commencement et sans fin, éternel, l’Ancien (=
L’Âme universelle) n’est pas frappé quand le corps est frappé.
Donc, dire que l’Univers qu’il est l’Être, pris absolument, c’est dire que l’Univers est
l’Être absolu, ou la Totalité de l’Être, puisque par hypothèse, il n’y en pas d’autre, - et
dire que l’Univers est divin, c’est la même chose. L’Univers se suffit à lui-même (on
parle parfois d’aséité… (Aséité vient du latin scolastique aseitas, venant lui-même de
l'expression a se signifiant par soi.)
Ce terme désigne l'état d'un individu qui existe pour soi-même et par soi-même (raison
individuelle et indépendante), sans voir son existence assujettie à quelque chose d'autre.
Sa provenance scolastique renseigne sur l'objectif premier de ce mot : il est employé pour
qualifier la nature de Dieu ; saint Anselme énonçait ainsi que l'existence divine ne
pouvait provenir que du divin lui-même. Ainsi, cela s'oppose à l'abaliété où, cette fois,
l'existence est soumise à un extérieur (personne ou objet) de suffisance ontologique, de
l’éternité dans le passé, de l’éternité dans l’avenir.
Mais du fait que des êtres capables de vie et de conscience sont apparus dans l’Univers et
sont pour nous objets d’expérience, - les animaux et les hommes, - si l’on a supposé tout
d’abord que l’Univers est l’Être et qu’il n’y en a pas d’autre, on est conduit à supposer
volontiers que l’Univers est animé, tout entier, que la matière elle-même est animée, que
tout est animé dans l’Univers. D’où vient la vie qui n’était pas là, (demandent les savants)
au départ et comment expliquer qu’elle soit apparue, il y a quelques 3 milliards
d’années ?
Que l’Univers physique soit divin, c’est la doctrine de la plus ancienne philosophie
grecque, c’est la doctrine de Platon, d’Aristote, des stoïciens, puis de Plotin, de Proclus et
de Damascius (voir Platon, Timée, 30 b).
[* Le « mythe vraisemblable » de la genèse de l’univers dans le Timée : La création
du monde par le Démiurge « Si notre monde est beau et si son démiurge est bon, il
est évident que le démiurge a fixé ses regards sur ce qui est éternel » L’intellect dans
la matière : la nature comme vivant. L’invention du temps « image mobile de
l’éternité » : la mise en ordre circulaire du ciel./ Ce que l’être est au devenir, la
vérité l’est à la croyance.]
« [27e] Or, il y a lieu, à mon sens, de commencer par faire cette distinction : qu’estce qui est toujours, sans jamais devenir, et qu’est-ce qui devient toujours, sans être
jamais ? De toute évidence, peut être appréhendé [28a] par l’intellect et faire l’objet
d’une explication rationnelle, ce qui toujours reste identique. En revanche, peut
devenir objet d’opinion au terme d’une perception sensible rebelle à toute
explication, ce qui naît et se corrompt, ce qui n’est réellement jamais. De plus, tout
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ce qui est engendré est nécessairement engendré sous l’effet d’une cause ; car, sans
l’intervention d’une cause, rien ne peut être engendré. Aussi, chaque fois qu’un
démiurge fabrique quelque chose en posant les yeux sur ce qui toujours reste
identique, et en prenant pour modèle un objet de ce genre, pour en reproduire la
forme et les propriétés, tout ce qu’il réalise en procédant ainsi est nécessairement
beau ; au contraire, s’il fixait les yeux sur ce qui est engendré, le résultat ne serait
pas beau.
Soit le ciel dans son ensemble ou le monde - s’il arrive qu’un autre nom lui
convienne mieux, donnons-lui ce nom. Il faut d’abord examiner à son sujet ce que,
suppose-t-on, il faut examiner en premier lieu au sujet de toute chose. A-t-il toujours
été, sans aucun principe de génération ? Ou bien a-t-il été engendré, tirant son
origine d’un principe ? Il a été engendré, car on peut le voir et le toucher et par suite
il a un corps. Or, tout ce qui est tel est sensible. Et ce qui est sensible, ce qui est
appréhendé par l’opinion au terme d’une perception sensible, cela, nous venons de
le voir, est engendré et sujet à la naissance. Pour sa part, ce qui est engendré, c’est,
disons-nous, nécessairement par l’action d’une cause que cela est engendré. Cela dit,
trouver le fabricant et le père de l’univers exige un effort et, lorsqu’on l’a trouvé, il
n’est pas possible d’en parler à tout le monde.
Mais il faut encore se demander au sujet de l’univers, d’après lequel des deux sortes
de modèles son fabricant l’a réalisé, d’après [29a] ce qui reste identique et dans le
même état ou d’après ce qui devient ? Si notre monde est beau et si son démiurge est
bon, il est évident que le démiurge a fixé ses regards sur ce qui est éternel ;
autrement - hypothèse qu’il n’est même pas permis d’évoquer -, c’est sur ce qui est
engendré. Il est évident pour tout le monde que le démiurge a fixé les yeux sur ce qui
est éternel ce monde en effet est la plus belle des choses qui ont été engendrées, et
son fabricant, la meilleure des causes. Par suite, ce qui a été engendré, c’est en
conformité avec ce qui peut être appréhendé par la raison et par la pensée, c’est-àdire en conformité avec ce qui est reste identique, qu’il a été fabriqué par le
démiurge.
Mais, dans ces conditions, notre monde doit de toute nécessité être l’image de
quelque chose. Il est bien sûr de la plus haute importance de commencer par le
commencement naturel. Voici donc, concernant une image et son modèle, la
distinction qu’il faut établir, étant admis que tout discours porte sur quelque chose
et que ce sur quoi porte ce discours lui est apparenté. D’un côté donc, tout discours
qui porte sur ce qui demeure, sur ce qui est stable et translucide pour l’intellect, cela
ne doit en rien manquer d’être stable et inébranlable, pour autant qu’il est possible
et qu’il convient à un discours d’être irréfutable et invincible ; d’un autre côté, tout
discours qui porte sur ce qui est la copie de ce dont on vient de parler, parce qu’il
s’agit d’une copie, entretient avec la première espèce de discours un rapport
d’image à modèle. Ce que l’être est au devenir, la vérité l’est à la croyance. Si donc
Socrate, en bien des points et sur bien des questions - les dieux et la génération de
l’univers -, nous nous trouvons dans l’impossibilité de proposer des explications qui
en tous points soient totalement cohérentes avec elles-mêmes et parfaitement
exactes, n’en sois pas étonné. Mais, si nous proposons des explications qui ne sont
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plus des images plus infidèles qu’une autre, il faut nous en contenter, en nous
souvenant que moi qui parle et vous qui êtes mes juges sommes d’humaine nature,
de sorte que, si, en ces matières, on nous propose un mythe vraisemblable, il ne sied
pas de chercher plus loin.
[…] Disons maintenant pour quelle raison celui qui a constitué le devenir, c’est-àdire notre univers, l’a constitué. Il était bon, or, en ce qui est bon, on ne trouve
aucune jalousie à l’égard de qui que ce soit. Dépourvu de jalousie, il souhaita que
toutes choses devinssent le plus possible semblable à lui. Voilà donc quel est
précisément le principe tout à fait premier du devenir, c’est-à-dire du monde ; en
l’accueillant sur la foi d’hommes de sens, [30a] nous ne saurions en accueillir de plus
correct. Parce que le Dieu souhaitait que toutes choses fussent bonnes, et qu’il n’y
eût rien d’imparfait dans la mesure du possible, c’est bien ainsi qu’il prit en main
tout ce qu’il y avait de visible - cela n’était point en repos, mais se mouvait sans
concert et sans ordre - et qu’il l’amena du désordre à l’ordre, ayant estimé que
l’ordre vaut infiniment mieux que le désordre. Or, il n’était pas permis, et ce ne l’est
pas, à l’être le meilleur de faire autre chose que ce qu’il y a de plus beau. Ayant
réfléchi, il se rendit compte que, de choses par nature visibles, son travail ne
pourrait jamais faire sortir un tout dépourvu d’intellect qui fût plus beau qu’un
tout pourvu d’intellect et que, par ailleurs, il était impossible que l’intellect soit
présent en quelque chose dépourvue d’une âme. C’est à la suite de ces réflexions
qu’il mit l’intellect dans l’âme, et l’âme dans le corps, pour construire l’univers, de
façon à réaliser une œuvre qui fût par nature la plus belle et la meilleure possible.
Ainsi donc, conformément à une explication qui n’est que vraisemblable, il faut dire
que notre monde, qui est un vivant doué d’une âme pourvue d’un intellect, a, en
vérité, été engendré par suite de la décision réfléchie d’un dieu.
[…] 37c Or, quand le père qui l’avait engendré constata que ce monde, qui est une
représentation des dieux éternels, avait reçu le mouvement et qu’il était vivant, il se
réjouit et, comme il était charmé, l’idée lui vint de le rendre encore plus semblable à
son modèle. Comme effectivement ce modèle se trouve être un être vivant éternel, le
dieu entreprit de faire que notre univers aussi devienne finalement tel, dans la
mesure du possible. Or ce vivant, comme il était éternel, il n’était pas possible de
l’adapter en tout point au vivant qui est engendré. Le démiurge a donc l’idée de
fabriquer une image mobile de l’éternité ; et, tandis qu’il met le ciel en ordre, il
fabrique de l’éternité qui reste dans l’unité une certaine image éternelle progressant
suivant le nombre, celle-là même que précisément nous appelons le « temps ».
En effet, les jours, les nuits, les mois et les années n’existaient pas avant que le ciel
fût né ; c’est en même qu’il construisait le ciel, que le dieu s’arrangea pour qu’ils
naquissent. Tout cela, ce sont des divisions du temps, et les expressions « il était »,
« il sera », ne sont que des modalités du temps, qui sont venues à l’être ; et c’est
évidemment sans réfléchir que nous les appliquons à l’être qui est éternel, de façon
impropre. Certes, nous disons qu’ « il était », qu’ « il est » et qu’ « il sera », mais à
parler vrai, seule l’expression « il est » s’applique à l’être qui est éternel. [38a] En
revanche, les expressions « il était » et « il sera », c’est à ce qui devient en
progressant dans le temps qu’il sied de les appliquer, car ces deux expressions
désignent des mouvements. Mais ce qui reste toujours dans le même état sans
changer, il ne convient pas que cela devienne plus jeune ou plus vieux avec le temps,
11
ni que cela soit venu à l’être dans le passé ou vienne à l’être dans l’avenir. Et, de
façon générale, à ce qui reste toujours dans le même état sans changer, n’appartient
rien de tout ce que le devenir a attaché à ce qui est transmis par les sens, mais ce ne
sont là que des modalités du temps qui imite l’éternité et qui se meut en cercle
suivant le nombre. Et, en plus de celles qui viennent d’être mentionnées, nous
utilisons des formules de ce genre : le passé « est » le passé, ce qui est en train de
devenir « est » le futur, et ainsi le non-être « est » le non-être, formules qui ne
représentent aucune exactitude. Mais, sur toutes ces questions, ce n’est peut-être
pas, au point où nous en sommes, le moment opportun d’apporter des précisions.
Le temps est donc né en même temps que le ciel afin que, engendrés en même temps,
ils soient dissous en même temps, si jamais ils doivent connaître la dissolution ; en
outre, le temps a été engendré sur le modèle de la nature éternelle, pour qu’il
entretienne avec elle la ressemblance la plus grande possible. Effectivement, le
modèle est de toute éternité quelque chose qui est, alors que le ciel sans discontinuer,
d’un bout à l’autre du temps a été, est et sera. »
[Platon, Timée 27e-30c et 37c-38c, trad. Brisson, Paris 1992, pp. 115-119 et 127-128]
Et Aristote :
Frappé de la régularité et de la beauté des astres et probablement aussi sous l’influence de
la mythologie, Aristote attribue aux corps célestes une nature beaucoup plus parfaite
qu’aux corps terrestres. Étrangers aux quatre éléments, ils sont constitués par une
cinquième, appelé éther ; leur matière première est totalement et définitivement dominée
par leur forme, de sorte qu’ils sont incorruptibles et inaltérables : ils excluent ainsi tous
les changements, substantiels ou qualitatifs, admettant le seul mouvement local qui a
cette propriété de laisser intacte leur éminente perfection. Et en l’absence d’expérience
concluante, Aristote prouve par des raisons a priori que le mouvement circulaire, étant le
plus parfait, est le seul qui conviennent aux astres.
Ces hypothèses, avant d’être contredites par les nouvelles observations scientifiques,
surtout celles du XXe siècle, pouvaient être admises comme probables par des
philosophes, mêmes chrétiens.
Mais Aristote propose aussi la doctrine de l’ÉTERNITÉ DU MONDE d’une façon qui
serait inconciliable avec l’enseignement biblique, de la création du monde. Pour Aristote,
la perfection du mouvement des astres exige son éternité : l’ordre immuable des
révolutions célestes est un fait dont il faut expliquer l’existence mais non pas l’origine,
car il n’a pas eu de début : bien plus il ne pouvait pas y en avoir. Il donne deux raisons
principales. Nous n’avons pas le temps de les examiner ici.
12
Les découvertes de la science moderne au sujet du
monde
Les Hébreux installés au pays de Chanaan à partir du XXe siècle ou du XIXe siècle avant
notre ère, par vagues successives, ont développé une métaphysique qui est, point par
point, opposés ou contraires à celles que nous avons envisagés jusqu’à présent.
Lorsqu’on étudie l’histoire de la pensée grecque ou l’histoire de la pensée chinoise ou
hindoue, on observe une diversité d’écoles philosophiques qui vont dans tous les sens.
Nous avons vu, en parcourant quelques écoles philosophiques grecques, qu’il y a bien
quelque chose de commun : le présupposé arbitraire que l’Univers est l’Être lui-même
et qu’il n’y en a pas d’autre, la divinisation de l’Univers supposé incréé, éternel et
cyclique.
Selon la métaphysique des Hébreux installés au pays de Chanaan, il existe bien quelque
être qui est nécessaire, éternel dans le passé, éternel dans l’avenir, sans genèse, sans
évolution, sans usure et sans vieillissement, impérissable, exactement comme le pense
l’antique et vénérable métaphysique qui apparaît dans l’Inde ancienne, et comme le
pensent aussi les métaphysiciens grecs tels que Parménide, Héraclite et les autres. Mais
comme nous l’avons noté déjà en passant, la différence, c’est que selon les Hébreux,
l’Univers physique existe réellement, objectivement. Ce n’est pas une illusion, une
apparence. C’est en cela que la métaphysique des Hébreux se distingue de celle de
l’Inde ancienne. Selon les Hébreux, l’Être absolu et nécessaire, ce n’est pas l’Univers
physique. Il est distinct de l’Univers physique. L’Univers physique n’est pas l’Être pris
absolument, comme le pensaient Parménide, Héraclite et suivants. C’est en ce sens que la
pensée hébraïque se distingue de la plus ancienne pensée grecque.
Puisque l’Univers physique n’est pas l’Être absolu ou l’Être pris absolument, il n’y a
aucun inconvénient à supposer que l’Univers physique a commencé. Lorsque nous avons
abordé rapidement les documents qui nous restent de Parménide, Héraclite et les autres,
nous avons vu se former le raisonnement suivant :
-
-
L’Être pris absolument ne peut avoir commencé, puisque l’Être ne peut
surgir ou commencer à partir du Néant absolu, - négation de tout être quel
qu’il soit.
Or, il est évident que l’Univers physique, c’est lui qui l’Être, la totalité de
l’Être. Il n’y en a pas d’autre.
Par conséquent, l’Univers physique n’a pas commencé. Il est éternel dans le
passé.
On sait que tout cela n’est pas vrai. L’astrophysique moderne le confirme.
L’Univers physique a commencé, il y a environ 15 milliards d’années. Il reste à
13
savoir comment a-t-il commencé ? Il ne peut avoir commencé à partir du néant
absolu puisque le néant absolu n’existe pas. Comme l’être qui n’avait pas l’être
a-t-il pu, se donner ce qu’il n’avait pas ?
Les Hébreux anciens ont pensé que les astres ne sont pas des dieux (comme le
pensaient les Grecs) que les astres ne sont pas divins. Ils ont dédivinisé, désacralisé le
monde physique. Ils ont rejeté les cultes égyptiens, babyloniens, grecs et romains qui
divinisaient les Rois, les Empereurs, les Césars. En somme, ils ont dédivinisé ce que
les anciens grecs avaient divinisé : le TOUT (Inde), l’Univers (monde grec) ou
l’Un.
Les métaphysiciens hébreux ne voient donc aucun inconvénient à admettre le
commencement de l’Univers physique puisque l’Univers physique a commencé d’une
manière ou d’une autre, et avant qu’il ne commençât, ce n’était pas le néant absolu, la
négation de tout être quel qu’il soit. Autrement dit, il y a toujours eu de l’Être mais
cet être ne peut pas être assimilé à l’être physique.
Du point de vue de l’ontologie hébraïque, il n’y a jamais eu de NÉANT absolu.
Pour elle, le néant absolu est impossible.
Que dit alors la métaphysique hébraïque au sujet du monde ? Celle-ci nous présente
une théorie de l’Univers selon laquelle celui-ci est un système historique,
irréversible et orienté. Le système du monde n’est pas figé. Ce n’est pas un système
fixiste. Le monde physique est un monde spatio-temporel. Le monde n’est pas une
réalité cyclique en perpétuel recommencement, comme le pensaient les philosophes
de l’Inde et de la Grèce antique.
Tout le réel cosmique, physique et biologique est constitué, formé par une pensée
créatrice. En sorte que l’on trouve partout dans l’Univers, dans le grand Univers tel
que l’envisageait Albert Einstein, de l’information, c’est-à-dire de la pensée et de
l’intelligence. Qui n’était pas et qui apparaît.
Autre chose. Selon la métaphysique des Hébreux, les êtres multiples, singuliers et
particuliers, ne retourneront pas à l’Unité originelle, pour une raison fort simple, c’est
qu’ils n’en sont pas issus, ils n’en sont pas sortis. Être créé, c’est n’est pas sortir de.
Si l’on sort de, c’est qu’on existait auparavant. Si l’on est créé, alors on n’existait pas.
La métaphysique de Platon, par exemple, admet la préexistence des âmes. La
métaphysique des Hébreux n’admet pas cette thèse. Selon cette pensée, les êtres
singuliers, créés, voulus pour eux-mêmes dans leur singularité, ont un avenir
personnel.
Non seulement les métaphysiciens hébreux ont pensé qu’à l’origine de l’Univers
physique il existe une pensée créatrice, mais de plus ils ont pensé qu’à l’origine de
cet Univers physique il existe une volonté et un dessein. En sorte que l’existence de
l’Univers physique est intelligible, son histoire est intelligible, parce que sa finalité
est intelligible.
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Évidemment les métaphysiques qui rejettent l’idée d’une cause première de l’Univers,
intelligente et consciente, rejette aussi avec horreur l’idée d’une finalité ultime de
l’Univers. Si l’Univers physique est issu du Chaos originel, il est peu vraisemblable qu’il
ait une finalité. S’il existe de toute éternité et d’une manière nécessaire, il n’a pas non
plus de finalité, et son avenir est identique au passé. Or, le monde physique n’est pas
éternel ; il n’est pas nécessaire. Il a un passé, un avenir. Et cet avenir n’est pas la
répétition de ce qui est déjà. Le monde est en régime de genèse, et il apparaît sans cesse
de l’information qui n’était pas là dans un passé récent.
Selon la métaphysique des Hébreux, la plénitude de la Création, sa perfection, ne se
trouve pas en arrière de nous dans le temps, dans le passé, (comme le pense la tradition
hindoue et platonicienne), mais dans l’AVENIR, au terme de la vie terrestre. Il n’est pas
question de retourner à l’unité originelle (pensée hindoue et platonicienne) ou de
retourner à l’unité primitive puisque de fait nous n’y avons jamais été. L’homme
nouveau, l’homme parfait n’est pas situé dans le passé, aux origines, ou même avant
l’origine du monde, comme le pensent certains gnostiques et théosophes, mais dans
l’AVENIR. Le premier homme est fait corps animal, corps psychique. Le premier
homme est issu de la terre. Il est adamique, terreux, glaiseux…Le second Homme, la
seconde humanité est issu des cieux.
La Pensée créatrice - certains la nomment Dieu – est première, ou, plus exactement :
quelque Pensée est première, ce qui explique que l’Univers soit intelligible et ordonné.
De plus, l’Univers, la Création est un processus finalisé.
Et quelle est la finalité de l’Univers selon les Hébreux ? Que la création terrestre se
termine par l’union de l’Homme nouveau, véritable, à ce Dieu unique et incréé (qui est et
ne peut pas ne pas Être, qui est la Totalité de l’Être), sans mélange, sans confusion.
En terminant, un mot sur l’immortalité. La théorie de l’immortalité n’est pas du tout la
même dans la pensée hébraïque et la pensée platonicienne.
Selon Platon, je l’ai déjà dit, l’âme humaine est immortelle de plein droit et en son
essence même, parce qu’elle est d’essence divine. Elle est divine par son essence. Elle est
tombée dans un corps mauvais dans lequel elle est exilée, aliénée, et pour lequel elle est
souillée. Il lui suffit pour retrouver sa condition divine originelle de quitter ce corps
mauvais, cette matière mauvaise, de se libérer des liens du corps, et de retourner à sa
condition originelle qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
Selon la doctrine hébraïque (donc chrétienne), l’âme humaine n’est pas d’essence divine.
Elle n’est pas divine par essence. Elle n’est pas incréée. Elle ne préexistait pas à sa
descente dans le corps. D’ailleurs, elle ne préexiste pas au corps, parce qu’en réalité c’est
elle, l’âme, qui constitue le corps organisé et vivant. Il n’est donc pas question de
retourner à la condition originelle divine, car nous n’avons jamais été dans le passé en
condition divine. Il n’est pas question de retourner de retourner au sein de l’Un, parce que
dans l’Un nous n’avons jamais été. Il est question par contre de naître de nouveau, de
naître d’en haut, c’est-à-dire de la Pensée créatrice (Dieu), d’effectuer ou de réaliser une
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métamorphose qui fasse que le vieil homme, l’homme animal dont parle Paul de Tarse,
devienne un Homme nouveau et véritable, capable de prendre part à la vie personnelle de
Dieu. Dans la condition terrestre, l’homme ne peut atteindre Dieu. Dans le corps céleste,
par don, il pourra voir son Créateur, puisqu’il a été créé, «son semblable»…
Aujourd’hui, on étudie le donné de l’Univers et on se demande si le donné que l’on peut
connaître scientifiquement, peut réussir à rendre compte de ce qu’il est.
On étudie, par exemple, l’apparition de la Vie dans l’Univers, et la genèse des espèces
vivantes, et on se demande si l’Univers physique qui précède suffit à rendre compte de
l’apparition, il y a trois ou quatre milliards d’années, de deux systèmes linguistiques qui
sont apparus, le système linguistique à quatre éléments qui se lisent trois par trois, et avec
lequel sont écrits tous les messages génétiques depuis trois ou quatre milliards d’années ;
- et le système linguistique qui fonctionne avec une vingtaine d’éléments, une vingtaine
d’acides aminés, avec lesquels sont écrites toutes les protéines depuis trois ou quatre
milliards d’années ; - et puis le lexique qui permet d’effectuer la correspondance, le
passage dans la langue des protéines. – Ensuite, on se demande comment comprendre
l’existence des premiers messages génétiques, ceux qui commandent à la constitution, à
la formation des premiers vivants, monocellulaires ; - puis, à la constitution des seconds,
pluricellulaires, etc. Toujours, on se demande si l’Univers d’avant suffit seul à rendre
compte de ces inventions, de ces créations d’être qui sont des systèmes biologiques et des
psychismes. –
On procède la même manière avec le peuple hébreu. On commence par l’étudier, en
utilisant les méthodes habituelles de l’histoire, de l’archéologie, etc. Et puis on se
demande comment comprendre le fait : à savoir l’existence de ce peuple qui tout seul
pense le contraire de tous les autres, dans tous les domaines, - en ontologie,
cosmologie, anthropologie, théorie du temps, de la matière, du devenir, etc.
On étudie, en utilisant les méthodes de l’histoire et de la critique, le prophétisme hébreu,
et on se demande si celui-ci existe réellement. Lorsqu’on s’en est convaincu en
comprenant les oracles des anciens prophètes hébreux avec les faits de l’histoire de
l’ancien Orient, on se demande comment ce fait est possible. Est-ce que l’humanité en ce
temps, en ce lieu, suffit à rendre compte de ce phénomène qu’est le prophétisme hébreu ?
Et s’il ne suffit pas, faut-il reconnaître que l’humanité en ce point, en ce lieu, en ces
temps, reçoit de l’information, de même que l’Univers physique a reçu de l’information
pour constituer les premiers vivants ?
La notion de création
L’idée de création est extrêmement difficile à penser. Peut-être la plus difficile des idées
métaphysiques. Parce que nous n’avons pas l’expérience personnelle de la création de
l’être. Nous avons l’expérience constante, universelle, de l’être créé, mais non du
processus créateur.
16
Nous faisons l’expérience de fabriquer à partir de matériaux extérieurs. Mais ce
n’est pas cela, la création. Le matériau préexistait. Avec ce dernier, nous ne créons
pas de l’être, nous ne créons pas des substances : nous façonnons un objet
quelconque. Nous arrangeons la matière préexistante. Nous ne créons pas ; nous
fabriquons.
L’homme est incapable de créer une substance. L’idée de création n’est pas
anthropomorphique. L’idée de création signifie qu’un être commence absolument
d’exister, sans aucune préexistence. Cette idée, nous l’avons vu, va à l’encontre de
l’affirmation quasi constante dans la grande tradition métaphysique de l’Inde, comme
dans le néo-platonisme, affirmation selon laquelle nous serions originellement issus de
la substance divine ou de la substance de l’Absolu lui-même, le Brahman ou l’Un.
En effet, si nous sommes une partie ou une parcelle de l’Absolu, un fragment de
l’Absolu, descendu dans le monde de la matière, alors en réalité nous n’avons pas
commencé d’être. Nous préexistons, de toute éternité. Il n’y a pas pour nous de
commencement réel d’exister, mais seulement une descente dans ce monde empirique,
puis transmigration de corps en corps, et enfin délivrance de ce corps.
C’est ce qu’enseigne les Upanisads, le philosophe grec Empédocle : pas de naissance, pas
de genèse, pas de mort, simplement émergence dans le monde des phénomènes, puis
retour à l’origine incréée.
Si donc, nous avons commencé d’être, réellement, (comme l’enseigne la tradition
hébraïque), c’est que nous ne sommes pas issus de la substance divine, c’est que nous ne
sommes pas originellement consubstantiels à l’Absolu. L’affirmation de commencement
de l’être créé va donc à l’encontre du monisme ou du panthéisme.
La doctrine de la préexistence des âmes se situe toujours dans une perspective moniste et
panthéiste. Les âmes étaient originellement au sein de la substance divine, elles étaient la
substance divine elle-même. Puis, elles se sont séparés, elles sont descendues, elles sont
devenues individuelles, chacune pour soi, elles se sont livrées elles-mêmes à ce monde de
la douleur, de l’illusion, jusqu’à ce qu’elles découvrent la vérité, à savoir qu’elles sont
l’Absolu, et qu’elles y retourneront en se libérant du souci de ce monde de douleur. Dans
la perspective du peuple hébreu, les âmes sont considérées comme créées et qu’elles ne
sont donc pas originellement divines.
Le mythe de la préexistence des âmes est un mythe précisément parce que rien dans
l’expérience ne vient le fonder, ni le justifier. Tout dans l’expérience affirme le contraire.
Nous savons de science certaine qu’un être vivant commence d’exister lorsqu’une cellule
mâle, le spermatozoïde, s’unit à une cellule femelle, l’ovule. Le commencement de l’être
vivant, c’est l’union de deux messages génétiques, la réunion de deux informations, l’une
qui vient du parent mâle et l’autre du parent femelle. L’idée de préexistence des âmes ne
repose sur rien dans la réalité objective.
De plus, elle est impossible et même dépourvue de signification, car l’âme ne descend
pas dans un corps organisé déjà existant antérieurement, elle le constitue : c’est elle qui
17
informe une matière multiple pour constituer un corps organisé. Parler d’une descente de
l’âme dans le corps n’a aucun sens et parler du passage d’une âme d’un corps dans un
autre encore moins car cette imagination présuppose qu’un corps organisé pourrait être et
subsister sans information, antérieurement à l’information qui lui vient de l’âme.
En philosophie, il faut raisonner à partir de l’expérience, non à partir des mythes.
La grande tradition métaphysique qui s’est développée en Inde récuse l’enseignement de
l’expérience puisqu’elle professe que l’expérience est l’illusion, maya, l’apparence, le
songe bien lié, ou le cauchemar. Seul le Brahman existe, tout le reste est illusion et
impermanence.
Dans la philosophie grecque, on trouve cette tendance représentée par Parménide d’Élée,
autour de 500 avant notre ère. L’enseignement de l’expérience est illusoire. C’est dans
cette même tradition que se situe Empédocle. Il professe qu’il n’y a pas de genèse, pas de
mort, mais simplement apparition et disparition hors du champ de l’expérience,
préexistence des âmes, transmigration des âmes, cycles de réincarnations, toute comme
dans les écoles philosophiques de l’Inde.
Si nous tenons à l’expérience, tous les êtres du monde, de l’Univers physique,
commencent d’exister, et l’Univers aussi, qui n’est jamais que l’Ensemble de tous les
êtres physiques.
Si un être commence absolument d’exister, alors il n’est pas la substance divine, alors il
n’est pas originellement consubstantiel à la divinité. C’est bien la raison pour laquelle le
panthéisme à travers les siècles a toujours enseigné que les êtres de notre expérience ne
commencent pas en réalité d’exister. Ils ne sont que des manifestations ou des
modifications de l’éternelle et unique Substance divine. La grande tradition moniste a
toujours eu tendance à professer la préexistence des âmes et donc la transmigration.
Leibniz nous raconte qu’il a lu des textes de Spinoza dans ce sens, textes que Spinoza a
brûlés avant de mourir.
Ajoutons ceci encore. Dire que l’Univers comporte un commencement, comme est
porté à le penser aujourd’hui en astrophysique, ce n’est pas encore dire que l’Univers est
créé. Que l’Univers comporte un commencement, c’est une proposition qui relève de la
physique cosmique. Que l’Univers soit créé, c’est dire qu’il dépend d’un autre dans
son être, voilà une proposition qui relève non pas de la physique mais de l’analyse
métaphysique.
Lorsqu’on a établi que l’Univers a commencé, on n’a pas encore établi qu’il soit créé,
c’est-à-dire ontologiquement dépendant par rapport à l’Être absolu qu’il n’est pas. Il
faut l’établir, et cela relève d’une analyse métaphysique, qui n’est pas d’ailleurs pas
très difficile à effectuer.
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Comment faire alors, car c’est
la question la plus importante de la
philosophie ?
On établit d’abord que, si l’Univers a commencé d’être, alors il n’est pas l’Être absolu, ou
l’Être pris absolument ou encore la totalité de l’Être.
Disons cela autrement. Si l’Univers a commencé, alors il n’est pas tout l’être, ou la
totalité de l’être. Si l’Univers a commencé, alors il n’est pas le SEUL Être, et il en existe
un autre, qui lui, n’a pas commencé.
Pourquoi ? On part d’un principe simple ou d’une évidence première, au-delà de laquelle
on ne peut remonter. Cette évidence première, que personne ne peut contester, c’est celleci : du néant absolu ou négation de tout être, quel qu’il soit, aucun être ne peut surgir.
S’il y avait eu néant absolu à un moment donné, si l’on peut dire cela, car dans le
néant il n’y a pas de durée, - s’il y avait jamais eu néant absolu, alors éternellement le
néant absolu serait. L’Être ne peut pas sortir du néant.
Cette évidence première, tout le monde l’accepte, et en tête les matérialistes athées. C’est
même l’un des principes du matérialisme invoqué par Lucrèce : ex nihilo, nihil.
La totalité de l’être ne peut pas provenir du néant absolu. Puisque de fait il y a de
l’être, ou quelque être, c’est qu’il y a toujours eu de l’être ou quelque être,
QUELQUE ÊTRE a toujours existé, ou encore : quelque être est nécessaire,
puisqu’il est impossible que la totalité de l’être ait été précédée par le néant absolu.
Ce qui revient à dire que le néant absolu n’a jamais existé ou qu’il n’y a jamais eu de
néant absolu, ou qu’il a toujours existé quelque être.
Car s’il en était autrement, on retomberait dans l’hypothèse d’un néant absolu qui précède
l’être, l’hypothèse impossible puisque s’il y a néant absolu, éternellement il y aura néant
absolu. Du néant absolu ou négation de tout être aucun être ne peut surgir.
Mais quel est donc CET ÊTRE NÉCESSAIRE ET ÉTERNEL, qu’aucun néant ne peut
avoir précédé ? Est-ce le monde physique ? C’est justement ce que pense la grande
tradition matérialiste, depuis Parménide d’Élée, qui raisonnait de cette manière :
L’Être pris absolument ne peut comportement de commencement, car si l’être pris
absolument ou la totalité de l’être comportait un commencent, alors l’Être pris
absolument serait issu du néant absolu, ce qui est impossible. Or l’Univers physique est
l’Être pris absolument, ce qui suppose qu’il n’en existe pas d’autre.
Par conséquent l’Univers ne peut comporter de commencement, puisqu’il est l’Être pris
absolument.
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L’erreur de ce raisonnement se trouve bien entendu dans la seconde proposition :
l’Univers physique est L’Être pris absolument, ou, ce qui revient au même, est l’Être
absolu.
La majeure du raisonnement est correcte : l’Être pris absolument ne saurait avoir
commencé.
La seconde proposition ou mineure est arbitraire : l’Univers physique est l’Être absolu.
La troisième proposition ou conclusion est fausse : l’Univers n’a pas commencé.
Comment savons-nous qu’elle est fausse ? Tout simplement parce la physique cosmique
nous l’enseigne.
Reprenons le raisonnement de Parménide. Et corrigeons-le où il faut, c’est-à-dire à la
seconde proposition, qui est une pétition de principe. Nous obtenons alors :
123-
Il est vrai que du néant absolu aucun être ne peut surgir, et par conséquent
quelque ÊTRE est nécessaire, qui n’a jamais commencé.
Or l’Univers lui, a commencé : c’est la physique cosmique qui nous l’enseigne.
Par conséquent l’Univers n’est pas l’ÊTRE pris absolument, le seul être, l’Être
absolu ou l’Être nécessaire. Il est quelque être, un ensemble d’êtres qui ont
tous commencés d’exister, mais non pas l’Être absolu ni la totalité de l’être.
Nous avons établi que l’Univers n’est pas l’Être nécessaire. Contre le monisme et contre
le matérialisme qui, sur ce point fondamental, sont d’accord. Le matérialisme est une
espèce de monisme (il n’y a qu’un être et c’est la matière éternelle) et un monisme de
type idéalisme (il n’y a qu’une réalité, c’est l’esprit, tout le reste est illusion). Les deux
(l’idéalisme moniste et le matérialisme moniste) sont d’accord pour dire une chose : il
n’existe pas de Dieu (Pensée créatrice) créateur distinct du monde, et donc qu’il n’existe
au fond qu’une seule sorte d’être.
L’Univers existe objectivement, il n’est pas une apparence ni une illusion. C’est ce
qu’enseigne l’expérience (voir les données de la science cosmique).
L’Univers existe réellement, il n’est pas une illusion, mais s’il a commencé, comme
l’enseigne la science cosmique, alors il n’est pas l’Être absolu. L’Univers n’a pas pu
se donner l’être à soi-même : car pour se donner l’être, il faut d’abord exister, et si
l’Univers n’existait pas, il ne pouvait rien se donner du tout.
L’Univers ne peut pas tenir son existence ni de lui-même ni du néant absolu. Il n’est pas
lui-même nécessaire, puisqu’il a commencé il reste donc qu’il tient son existence du seul
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et unique Être absolu, et c’est cela qu’on appelle la création, venant d’une Pensée
créatrice (Dieu).
Reprenons encore le raisonnement de Parménide. Il a bien vu que l’Être absolu ne peut
avoir commencé, c’est-à-dire qu’il ne saurait y avoir de genèse de l’Absolu. Il ne peut y
avoir de développement, d’enrichissement de l’Absolu. L’Absolu, ne peut pas se
donner à lui-même ce qu’il n’a pas, car, pour se donner, il faut l’avoir ; - ni se
donner à soi-même quelque chose qu’il a déjà, car s’il l’a il ne peut pas se le donner.
Parler d’une autogenèse de l’Absolu est un non sens (les gens disent dans leur langage :
«Dieu, qui est-ce qui l’a fait, lui ?»)
L’Être absolu ne peut pas devenir ce qu’il est. Il ne peut pas s’enrichir, se donner à soimême des richesses d’être qu’il ne possédait pas, ni des richesses qu’il possédait déjà.
L’Être absolu est ce qu’il est. Il n’est pas en genèse ni en évolution, ni en
développement. Parménide est certes un grand métaphysicien. Il a vu une partie de la
vérité. Il n’a pas vu toute la vérité sur l’être.
Spinoza reprend d’ailleurs intégralement dans la seconde partie de l’Éthique la thèse de
Parménide : la Nature est un système qui n’évolue pas, car elle est la Substance ellemême.
Si l’on suppose que l’Univers est l’Être absolu ou la totalité de l’être, alors l’Univers ne
peut pas évoluer. C’est-à-dire que le monisme et le matérialisme athée sont incompatibles
avec l’évolution de l’Univers. Or l’évolution de l’Univers est un fait, un fait
incontestable, et personne ne le conteste aujourd’hui. Le matérialisme athée peut se
soutenir en théorie, à la condition de ne pas prendre en considération l’expérience, la
réalité objective, ce que faisait précisément Parménide qui déclarait la réalité
expérimentale illusoire.
C’est-à-dire que le monisme est forcément une métaphysique de type idéaliste et que,
lorsque le monisme se prétend matérialiste, il se met en contradiction avec lui-même
puisqu’il ne peut pas supporter l’enseignement de l’expérience, qui le contredit. Il est
donc obligé de se constituer à part de l’expérience, a priori, ce qu’il fait, depuis le
matérialisme antique jusqu’à Marx, Engels et Lénine.
Corrigeons Parménide :
1. L’Être absolu ne saurait comporter ni évolution, ni développement, ni
enrichissement au cours du temps.
2. Or, l’Univers est un système objectivement en régime d’évolution au cours du
temps, et d’enrichissement.
3. Par conséquent l’Univers n’est pas l’Être absolu et le matérialisme athée est
faux.
Si l’Univers physique n’est pas l’Absolu, ou la Nature, n’est pas l’Absolu, il faut donc
convenir que l’Univers ou la Nature ne se suffise pas. S’ils se suffisaient, ils seraient
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l’Absolu. Il faut donc établir, contre Spinoza que Dieu n’est pas la Nature et que la
Nature n’est pas Dieu. Il faut donc réfuter le MONISME ÉTERNEL…C’est là toute la
difficulté. Établir l’existence de la Pensée créatrice (Dieu) et la création du monde. Donc,
établir contre Spinoza qu’il existe un Dieu distinct du monde, libre par rapport au monde,
créateur du monde. C’est justement ce que Spinoza rejetait.
Si quelque être commence absolument d’exister, s’il ne préexistait d’aucune manière,
alors il n’est pas la substance divine, il n’est pas consubstantiel originellement à la
substance divine, il n’est pas une partie ni une portion, ni une parcelle de la divinité
incréée. S’il commence d’être, forcement il reçoit l’être d’un autre, car il ne peut pas se le
donner à soi-même. C’est cela, être créé : recevoir l’être. Et c’est cela créer: donner
l’être.
Or l’Univers est un Ensemble dans lequel tous les êtres connus dans notre expérience
commencent d’exister. Tous les êtres de l’Univers commencent d’exister. Ils sont tous
créés et l’Ensemble de ces êtres est créé lui aussi.
La création ne doit se concevoir comme un ACTE INSTANTANÉ, puisque les êtres qui
constituent l’Univers commencent d’exister les uns après les autres, dans l’histoire de la
genèse de l’Univers, dans la cosmogénèse. Chaque instant de cette durée cosmique
marque le commencement d’être nouveau. La création s’effectue, se continue, à
chaque instant, lors de la genèse de chaque être nouveau.
Cette réflexion tient compte, comme vous pouvez le constater du fait que l’Univers est un
système évolutif, épigénétique, à information croissante. C’est la grande découverte du
XXe siècle. Les Anciens, Platon, Aristote, Plotin, puis saint Thomas d’Aquin, Descartes,
Leibniz, Kant, se représente l’Univers comme une totalité achevée, depuis une éternité
selon les philosophes grecs païens, qui ignoraient la notion de création.
Nous savons maintenant, à cause de l’expérience, à cause des sciences de l’Univers et de
la nature, que la création ne s’est pas effectuée seulement au premier commencement de
l’Univers, avec la production du premier noyau d’énergie ou de matière, mais qu’elle se
continue à travers toute l’histoire de l’Univers, jusqu’à aujourd’hui, car toute
l’histoire de l’Univers est une série de commencements et d’innovations. Ce n’est pas
une histoire répétitive, ni une histoire cyclique, comme s’imaginaient les Anciens, mais
une histoire irréversible, une histoire évolutive, une histoire génétique, l’histoire
d’une genèse, c’est-à-dire d’une création continuée.
Il n’y a aucune raison de croire que la création est achevée. L’humanité en particulier en
est encore à son stade embryonnaire, au stade de l’embryogénèse. Il s’agit de savoir où
elle va. L’histoire n’est pas cyclique. Elle prend l’allure d’un VECTEUR…Elle a une
direction. Elle est faite en vue de quelque chose à préciser.
Dans l’Univers, tous les êtres commencent d’exister, tout simplement pour des raisons
physiques. Il est impossible qu’un être physique, c’est-à-dire composé, que ce soit un
noyau complexe, ou une molécule complexe, ou un organisme, subsiste éternellement
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dans l’avenir, car tout être physique, c’est-à-dire composé, tend à se décomposer. Il
s’use et il vieillit, qu’il s’agisse d’une étoile comme le soleil, d’un ensemble d’étoiles
comme une galaxie, d’un atome de polonium, d’un organisme quelconque, d’un
enfant qui va devenir un vieillard, d’une fleur des champs. Les réalités physiques ne
sont pas constituées pour durer indéfiniment. C’est ce que depuis la moitié du XIXe
siècle on appelle le Second Principe de la thermodynamique, ou Principe de CarnotClausius.
Sous sa forme générale, ce principe peut s’énoncer ainsi : toute réalité composée,
qu’elle soit physique, biologique ou intellectuelle, comme par exemple une doctrine,
tend par elle-même, par son propre poids, à se décomposer ; elle tend à retourner à
la poussière qui est son état le plus probable, si elle continue à recevoir de
l’information. L’information, par elle-même, tend à se dégrader, si elle n’est pas
renouvelée. Si vous transmettez un message, et s’il est transmis par une série
d’intermédiaires, si ces intermédiaires ne font que recopier le message, sans le
renouveler, alors les erreurs de copie vont s’accumuler, l’information va diminuer et
l’entropie du système va augmenter. Toute création qui n’est pas renouvelée, meurt…
C’est parce que l’Univers aura une fin dans l’avenir qu’il a eu un commencement dans le
passé. L’Univers ne peut pas avoir été éternel dans le passé s’il n’et pas construit pour
être éternel dans l’avenir. Tout être, quel qu’il soit, ne peut pas avoir été éternel dans le
passé, s’il n’est pas construit pour être éternel dans l’avenir. Mais la proposition inverse
n’est pas vraie. Il n’est pas nécessaire d’avoir été éternel dans le passé pour être éternel
dans l’avenir. L’homme créé a commencé d’être, il n’est pas éternel dans le passé, mais il
est appelé, invité à l’éternité pour l’avenir.
Saint Thomas d’Aquin (mort en 1274 et commentateur d’Aristote) ne savait pas tout cela.
Il pensait, tout comme son maître Aristote, que certaines substances, par exemple les
astres, sont par nature incorruptibles. C’était une erreur. Nous le savons maintenant : les
étoiles ne sont pas plus incorruptibles que les fleurs et il n’existe aucune réalité physique
dans l’Univers qui échappe à la loi de la genèse et de la corruption, c’est-à-dire au
Second Principe de la thermodynamique.
Résumons. Les deux grandes découvertes des temps modernes, au XIXe siècle et au XXe
siècle, sont la découverte du Second Principe de la thermodynamique, et la
découverte de l’évolution cosmique. Croissance de l’information et croissance de
l’entropie se composent dans l’Univers. L’Univers est un système dans lequel
constamment l’information augmente par création. L’Univers est un système dans
lequel toutes les réalités physiques - et toutes les réalités physiques dans l’Univers –
tendent elles-mêmes à s’user, à vieillir, à se défaire et à se décomposer – croissance
de l’entropie. L’Univers est un système en genèse continuée, en régime de création
continuée, et un système fragile, qui reçoit constamment de l’information mais qui, par
lui-même, s’il n’en recevait pas, s’effondrerait dans son état le plus probable, la
poussière, le multiple. Tu es poussière et tu retourneras en poussière.
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Ces deux découvertes, croissance de l’entropie et croissance de l’information, ont une
signification et une portée philosophique énorme. Toutes les deux, chacune à leur
manière, elles enseignent la création. Et c’est bien la raison pour laquelle des
philosophes monistes et matérialistes, comme Haeckel au siècle dernier, se disaient
disposés à sacrifier le Second Principe de la thermodynamique qui contredit le monisme
de la Substance (panthéisme).
C’est la raison pour des philosophes comme Engels, Nietzsche professent, l’Un, l’éternel
révolution cyclique de l’Univers, et l’autre l’éternel retour et l’éternelle répétition du
même : ainsi ils pensaient échapper à l’évidence d’une genèse irréversible, qui est la
création elle-même.
On le voit, une fois de plus, que les philosophes matérialistes ne peuvent soutenir leur
philosophie qu’en récusant l’enseignement de l’expérience c’est-à-dire la réalité
objective. On remarquera combien tout ce que nous avons découvert au XXe siècle
rejoint la pensée profonde des Hébreux du Xe siècle avant notre ère : que l’Univers a
commencé, qu’il est en régime de création continuée, qu’il est fragile, qu’il est
comme un vêtement (voir le Psaume 102), qu’il n’est pas lui-même la Consistance, le
Rocher.
LE ROCHER est un AUTRE. Toutes les découvertes modernes nous éloignent de la
cosmologie des anciens philosophes grecs, pour lesquels l’Univers est l’Être divin,
l’Être absolu, l’Être incorruptible, échappant à toute genèse et à toute corruption.
Comment se fait-il que les Hébreux, 10 siècles avant notre ère ont-ils pu être informé ce
que la science vient à peine de découvrir ? C’est un tout autre problème. Cela relève de
l’enseignement biblique. Et de la foi !
Conclusion
C’est donc à partir du début du XIXe et lors du XXe siècle que l’on a commencé à
découvrir qu’en réalité l’Univers n’est pas une vaste machine qui tourne en rond, comme
le pensait Laplace, mais un processus historique, génétique, irréversible. Irréversible de
deux manières : 1) D’abord que l’histoire naturelle de l’Univers, de la nature, de la vie est
l’histoire d’une composition, comparable à une composition musicale ; 2) parce que
toutes les compositions physiques, chimiques, biochimiques, biologiques et autres ont
tendance à se dégrader, à vieillir, à s’user, à retourner au multiple, tout comme les
messages que nous communiquons se dégradent, s’abîment, lors des transmissions.
Le déterminisme qui résultait des imaginations de Laplace, a pesé on sait sur les têtes, les
cerveaux pendant le premier tiers du XXe. Le raisonnement était le suivant : l’Univers
est une vaste machine, éternelle dans le passé, éternelle dans l’avenir, incréée,
constante et cyclique. Connaissant parfaitement le passé de cette vaste machine, je
peux déclarer avec certitude son avenir. Par conséquent, la liberté humaine est
impossible, est une illusion.
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Ce qui était une illusion, c’était la philosophie sous-jacente à cette conclusion
désastreuse, la cosmologie sous-jacente, qui était tout simplement celle des plus anciens
philosophes grecs.
Il a fallu attendre un philosophe d’origine hébraïque Henri Bergson, pour que commence
la critique de cette vision du monde qui était celle des anciens grecs.
C’est seulement au début du XXe siècle que les physiciens ont commencé à découvrir
que quelque chose n’allait pas bien dans la conception du déterminisme formulée par
Laplace.
A partir des années 1930, à partir des grandes découvertes cosmiques des années 1927
(dont nous avons longuement parlé) l’affaire devenait de plus en plus claire.
Nous découvrons qu’en réalité l’Univers n’est pas comme l’imaginait Laplace, UNE
VASTE MACHINE INCRÉÉ, éternelle dans le passé et éternelle dans l’avenir, mais un
processus historique, évolutif, génétique, irréversible. Et donc, tout le présupposé de
Laplace s’effondrait et avec lui l’idée - ou plutôt le mythe – du déterminisme.
Avec les nouvelles données de la science, le matérialisme est insoutenable ; le
panthéisme ne l’est guère. Il ne reste que la théorie de la création continuée, en processus
historique, génétique et irréversible. C’est ce qu’on connu les Hébreux, longtemps avant
nous, mais par Révélation…
Nestor Turcotte
418.566.2110
P.S. Il s’agit de notes de référence. Il est possible qu’il y ait quelques coquilles.
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