70, elle est redevenue, comme à l’époque de gloire de l’exportation de produits primaires au
début du 20ème siècle, une politique d’endettement international. Celle-ci gouverne les prix
relatifs de l’économie et aura ainsi réduit à néant l’espoir de voir la démocratie modifier
substantiellement le cours de l’histoire sociale en Amérique latine.
Avec l’endettement extérieur, le titre financier s’impose comme forme d’énonciation
de la richesse qui déterminera toujours plus sa répartition
. La dette n’était pas qu’un excès
fortuit de dépenses de l’Etat. D’un point de vue macro-économique, la dette a transformé en
problème de paiements externes le déclin de rentabilité de l’investissement productif dans les
années 60, du à des marchés trop restreints. De façon récurrente, les opérateurs financiers
craignent l’occurrence de ruptures de paiement depuis la crise de la dette extérieure des
années 80. Dans la nouvelle phase critique inaugurée par la crise mexicaine de 94, à l’inverse
de la décennie dite perdue des années 80, marquée par la dévaluation constante du taux de
change, c’est la montée des déficits commerciaux et/ou budgétaires, autorisés par l’ancrage
des parités sur le dollar, qui augmente le service de la dette ; à un point où le creusement des
déficits est jugé insoutenable et force – dans la crise - à la dévaluation.
La finance finit par être victime de son propre succès. En imposant à l’Etat un usage
de la monnaie qui limite sa liberté pour répartir la richesse sociale, elle engendre les
déséquilibres qui la font passer de l’optimisme au pessimisme. La crise de la dette des années
80 et les crises financières récentes sont, de ce point de vue, l’expression d’un conflit
structurel entre deux modes de partage de la richesse où se jouent les marges de manœuvre de
l’action gouvernementale. Ce conflit est d’abord politique même s’il se donne à voir sous la
seule apparence économique du prix des biens, des services et du travail. Il est, en dernier
ressort, un conflit symbolique portant sur l’énonciation des titres de la richesse entre le
pouvoir du marché, surtout financier, et le pouvoir politique. Dans ce conflit se délimite
désormais le territoire du pouvoir de la finance, le monde économique où peut s’imposer son
mode d’évaluation. Ce ne sont plus seulement de titres de richesse qu’il s’agit, mais de
moyens de production en général. La finance évalue le prix du capital physique de
l’entreprise et le coût de son financement éventuel. En fixant les taux d’intérêts et les taux de
change, elle détermine en grande partie la compétitivité de l’entreprise ; elle dicte l’arbitrage
technique entre capital et travail, elle soumet à la concurrence internationale l’emploi et les
salaires.
Cette régulation des rapports sociaux est à la fois économique et politique. Le cours de
bourse et les taux de change deviennent des facteurs décisifs de la conjoncture. Le débat
d’experts sur la politique monétaire oriente alors, voire régente, le débat de politique générale
et s’impose dans la parole publique une représentation financière de la souveraineté. Ce qui
devient une doctrine monétaire produit les crises et les règle par ailleurs, ceci sur deux plans.
Le prêteur en dernier ressort, devenu en partie international, la légitimité politique se pose au
premier chef en termes de capacités de règlement. La loi du marché, entonnée dans la
rhétorique politique ressource alors la légitimité gouvernementale sur ce qui est
manifestement une illégitimité flagrante : l’anomie sociale engendrée par le chômage et la
précarité du travail. La vulnérabilité financière se double d’un déficit de légitimité mais celui-
ci n’ouvre manifestement pas, jusqu’à présent, de voie à une quelconque alternative. Le
Rappelons que l’endettement est aux origines historiques de la monnaie, contrairement à ce que laisse croire la
fable du troc qui l’assimile à une procédure marchande à terme différé. La souveraineté monétaire des Etats,
dans sa forme contemporaine qu’est la banque centrale, renvoie dans la longue durée à la fonction originelle
mais toujours actuelle de la monnaie comme représentation de la totalité sociale. Cette qualité symbolique lui
permet précisément d’être un instrument crédible à la fois de l’échange marchand et de la finance (Aglietta et
Orléan, 1998).