Sociologie de la consommation et des tendances 1 La consommation a des liens forts avec la vie des médias, des entreprises et des institutions. Les représentations de la consommation ont des influences sur la manière de communiquer. Introduction La consommation est à la croisée des représentations de l'économie, du commerce, de l'objet, des groupes sociaux, des ressources naturelles, des techniques et des croyances. L'objectif de la sociologie de la consommation est de mettre en lumière l'hétérogénéité des pratiques de consommation et de l'aborder autrement que sous l'angle privilégié du champ économique et des pratiques gestionnaires. A travers la consommation, on peut voir les mutations sociales, les mœurs, les modes de vie. L'intérêt pour la consommation est ancien mais celui pour la sociologie de la consommation est récent. Pour les historiens, pendant longtemps, la consommation n'était pas intéressante car la matérialité, l'argent était considérée comme moins importante que les politiques. Il y a une réticence vis-à-vis de la consommation et du marketing: il existe en effet un tabou autour des questions d'échange et de valorisation marchande. On parle d'ambivalence de la consommation: il y a dans notre culture, un paradoxe entre l'attrait et la valorisation de la consommation et d'autre part une défiance qui prend racine dans notre histoire et ses racines judéo-chrétiennes européennes. En effet, les marchands étaient chassés du Temple; au Moyen-Âge, le clergé qui détenait le pouvoir dans la société était réticent vis-à-vis des marchands intermédiaires entre les élites et le peuple, et pourtant, le clergé a en même temps facilité le développement du marché, du commerce en donnant l'autorisation aux marchands de traverser certains territoires. La sociologie intègre ces ambivalences et ces paradoxes car la consommation est hétérogène dans sa perception et sa nature. Paradigme: Cadre global des modèles théoriques mobilisés, point de vue, grille d'analyse, manière de voir. Il y a quatre paradigmes fondamentaux. On peut voir la consommation comme: une activité économique rationnelle, un phénomène intégrateur, un rapport de force, une quête de sens. Sociologie de la consommation et des tendances La consommation comme 2 activité économique rationnelle Cette conception peut être mise en parallèle avec la rationalité en macro-économie. Le modèle libéral d'Adam Smith (1723-1790) qu'il établit dans son œuvre Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations est fondé sur un individu rationnel et soucieux de son intérêt. Le marché est soumis à un ordre naturel où l'offre et la demande d'un bien s'équilibrent naturellement. L'offre excédentaire est supprimée rapidement sans demande. Il ne peut y avoir de conflits entre l'intérêt individuel et l'intérêt collectif puisque tout le monde a intérêt à échanger. L'échange devient le mode d'organisation de la société. Dans un contexte de division du travail, chaque homme ne peut produire qu'une partie de ses besoins, il échange alors le surplus de ce qu'il produit contre d'autres biens dont il a besoin pour vivre et qu'il ne produit pas. Chez Smith, chaque individu par la division du travail et de l'échange devient un marchand et la société est commerçante. La division du travail créerait une opulence générale et serait naturelle par le penchant commun à tous les hommes qui porterait à échanger une chose pour une autre, à faire des trocs. En échangeant, en cherchant à croitre leur richesse, les individus accroitraient la richesse générale. La société commerçante envisage deux activités séparées: la production et la consommation, avec deux qualités des objets qui les transforment en marchandises: l'utilité -valeur d'usage- (les marchandises servent à satisfaire des besoins) et la valeur d'échange. L'homo economicus est pensé comme un individu libre, responsable de ses choix mais envisagé en dehors de ses liens sociaux. Smith évoque également la naturalité de la consommation: il y aurait un bonheur de consommer. Cette notion a par ailleurs inondé la littérature du XVIIIème et du XIXème siècles. Exemples: Montesquieu parlait dans L'esprit des lois du « doux commerce », il écrivait: « Partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce et partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces ». Émile Zola dans Au bonheur des dames s'est largement inspiré du Bon Marché de Aristide Boucicaut où il y avait un accueil récréatif des enfants pendant les courses des mères. Zola écrit même tout un passage sur les hystéries provoquées par les soldes dans les magasins. La consommation est perçue comme réjouissante mais avec un individu économiquement sous contrainte. La contrainte est économique: on consomme suivant son revenu et l'innovation technologique. A la fin du XIXème siècle, Ernst Engel met en place une loi caractérisant le comportement du consommateur. Il a classé les dépenses en 9 catégories: l'alimentation; l'habillement; l'habitation; le chauffage et l'éclairage; l'outillage et les instruments de travail; l'éducation, le culte, les divertissements culturels; les impôts; la santé (et les voyages) et enfin les services domestiques. Engel établit un rapport entre le revenu et les différents postes de consommation: c'est la loi d'Engel. Il pose par exemple que plus une famille est pauvre et plus la part consacrée à l'alimentation est grande. Il fait cette étude en 1853. Il renouvelle l'expérience en 1891 pour observer les évolutions. Les ménages qui étaient pauvres en 1853, ont en 1891 un niveau de comparable des ménages aisés en 1853. La part consacrée à l'alimentation n'a pas augmentée ni diminuée. En 1853, ils étaient en privation. Comme leur niveau de vie a augmenté, ils consomment mieux, comme de la viande; donc la part consacrée à l'alimentation ne bouge pas. Ceci met en perspective la notion du besoin de consommation. Sociologie de la consommation et des tendances 3 → Qu'est-ce qu'un besoin de consommation? Aujourd'hui, nos besoins sont en majorité satisfaits. Pourtant on continue à consommer. Notre motivation de consommation n'est donc pas forcément basée sur le besoin mais aussi sur le désir. Pendant longtemps, la théorie du besoin avait été établie avec l'idée d'une force interne qui nous poussait à consommer. Abraham Maslow part de ce principe et fait, dans les années 1940, une pyramide dans laquelle il entreprend une classification des besoins de l'homme. L'homme doit d'abord satisfaire les premiers besoins de la pyramide pour passer aux besoins supérieurs. Le besoin de s'accomplir est le besoin de se réaliser, de « devenir tout ce qu'on est capable d'être ». Le besoin d'appartenance est un besoin social. Les besoins physiologiques visent la survie, le gite et le couvert. Ce schéma est aujourd'hui critiqué car on peut douter que les individus éprouvent un besoin d'affection que si leur besoin physiologiques sont satisfaits. On peut avoir plusieurs types de besoins en même temps. D'autre part, on n'est pas homogène: certains ont des besoins forts alors que pour d'autres, ces mêmes besoins seront plus faibles. C'est l'universalité du modèle qui est remise en cause. En plus, nos besoins sont parfois contradictoires. Enfin, les individus n'achètent pas toujours pour leurs besoins selon une rationalité mais sont captés par d'autres logiques marchandes. Le niveau de revenu a une influence sur la partition et l'envie de combler ses besoins. Exemples: Pour des personnes de revenus inférieurs à 11 000 euros par an, l'argent dépensé à l'hôtel, au restaurant ou au café ne représente que 3,6% de leur budget. Pour les gens qui ont plus de 25 000 euros par an, cela représente 7% de leur budget. Sur le logement, on observe le phénomène inverse. Les moins riches dépensent 25% de leur budget pour se loger alors que les ménages aisés en dépensent un peu moins de 12%. Les types de consommation sont minorés ou agrandis suivant les ressources. Simon Langlois dans Consommer en France constate une différence entre besoin et désir de consommation. Alexis de Tocqueville soulève le lien entre désir et besoin dans La démocratie en Amérique quand il observe que le désir matériel augmente plus vite que le revenu. Le besoin est toujours considéré comme une carence ou comme une représentation d'une carence. Langlois identifie trois points essentiels pour le besoin: Le besoin est une affaire de jugement. Le besoin revêt un caractère nécessaire. Tout ce qui est vital, qui assure le confort quotidien est considéré comme besoin. Pour certains, le besoin peut paraître immatériel. Les besoins latents sont proches du besoin mais se situent entre besoin et rêve. Sociologie de la consommation et des tendances 4 Exemple: « J'ai besoin de partir en vacances » révèle un besoin de changer d'air et un rêve des Seychelles, qui ne sont pas nécessaires. C'est un besoin latent, entre besoin satisfait et rêve. Le besoin est défini dans un espace social Il y a une relation entre besoin et société. Le besoin est défini à une époque, dans un espace social et au sein des groupes. Exemple: Il y a 20 ans le téléphone portable n'était pas un besoin. Finalement, un besoin est un désir qui a réussi. La société reconnaît le besoin à satisfaire. Exemple: En France, le besoin de vacances est reconnu mais dans d'autres cultures, pays, il ne l'est pas. On consomme aujourd'hui 3 fois plus qu'il y a 50 ans et de manière différente. La consommation de pain entre 1970 et 2006 est passée de 80kg/personne/an à 53kg/personne/an; la consommation de sucre, de 20kg à 6kg et la consommation de vin de 95L/an/personne à 24L/an/personne. En 1960, l'alimentation représentait 38% du budget des ménages et en 2007, cette part est de 25%. On ne consomme pas les mêmes denrées alimentaires: on consomme de moins en moins de produits bruts et de plus en plus de produits élaborés. Aujourd'hui, le premier poste du budget est le logement, à cause de la croissance des ménages propriétaires mais aussi de l'augmentation du coût des loyers. Les dépenses de communication, de loisirs et de culture ont connu la plus grande progression entre 1960 et 2007: elles sont passées de10% à 16%, elles ont quintuplé pour ce qui concerne le poste de communication, seul. Le progrès technologique a fait évoluer les choses mais aussi l'urbanisation, le travail des femmes, les mœurs. Exemple: Aujourd'hui, un divorce fait gagner de l'argent à Darty ou à Ikea. Pourtant, ces dernières années, les Français ont un sentiment de restriction et de frustration. Ce sentiment est présent depuis le premier choc pétrolier 1974, mais est de plus en plus important. Les besoins ne sont donc pas stationnaires, ils se transforment et ils varient selon le profil des consommateurs. Les travaux du BIPE, société d'étude économique et de conseil en stratégies se penchent sur le pouvoir d'achat. Celui-ci a augmenté depuis 2000 mais il y a un décrochage dans la perception. Plusieurs éléments permettent de l'expliquer: Il y a une différence entre le pouvoir d'achat par ménage et des ménages. L'INSEE raisonne en terme macro alors que les ménages raisonnent par ménage. On assiste à l'augmentation globale de la population et des divorces, donc du nombre de ménages. L'effet euro a entraîné, au début des années 2000, une perte de repères. L'effet qualité est l'évolution de la structure de consommation sur des produits innovants mais plus chers alors que l'indice des prix est calculé à panier constant. Il y a aussi une différence entre pouvoir d'achat et vouloir d'achat: achat des marques de distributeurs au lieu des 'vraies' marques. On note un écart très important entre le revenu disponible et le revenu libéré. Le revenu libéré est le revenu disponible moins le revenu précontraint dans lequel il y a le poste logement, assurances, électricité, eau, transports. Ce budget est précontraint sur lequel l'individu n'a pas de possibilité d'arbitrage. Le revenu libéré est le revenu pour les dépenses où on a la sensation de consommer. Or, on assiste à l'augmentation des dépenses précontraintes. Il y a donc une frustration portant sur ce revenu libéré. Depuis le début des années 2000, les dépenses contraintes ont progressé plus vite que les revenus. Elles représentent environ 35% du revenu disponible, c'est une moyenne. Il y a des disparités liées à l'habitat, selon la géographie, liées à la structure familiale. Le pouvoir d'achat moyen n'existe pas dans la réalité. Aujourd'hui, l'homo economicus est en forme. Avec la crise économique, est apparue l'idée qu'on est Sociologie de la consommation et des tendances 5 dans le « smart shopping », le shopping intelligent. On le voit beaucoup dans la communication avec la valorisation d'un individu très calculateur. L'homo economicus agit rationnellement en cherchant les meilleures affaires, notamment sur Internet. Les critères du choix sont objectifs et sont donc le prix, le rapport qualité/prix, la durabilité, l'accessibilité. Attention, demeure la différence entre un achat impliquant, comme une voiture pour laquelle on se renseigne avant d'acheter) et un achat d'impulsion, comme les bonbons en tête de gondole. Le luxe et le tabac sont tout deux marchés essentiels de l'irrationalité. Néanmoins on observe des comportements rationnels tout de même: un individu fumeur v,a par exemple, préférer acheter du tabac en zone duty free lors de voyages parce qu'il y est moins cher. Actuellement, les grandes tendances que l'on peut constater sont: la sensibilité à la promotion Nous sommes dans une époque qui valorise les réductions, les offres promotionnelles, les soldes qui sont quasi permanentes dans certains secteurs. Internet joue un rôle avec des sites comme venteprivée qui propose des objets déstockés toute l'année. De plus, on peut y trouver des sites spécialisés comparateurs de prix. Leclerc joue là-dessus avec quiestlemoinscher.com. Normalement réservé à des acteurs indépendants, cela montre l'assurance de la marque. la sensibilité aux informations données par d'autres consommateurs Les phénomènes de bouche-à-oreille sont très puissants et peuvent avoir un impact très important sur les marques, leurs offres, leurs prix. On dit souvent aujourd'hui qu'il y a une valorisation de l'information plus que de la communication. le recyclage Le statut de l'objet évolue aux différentes périodes: l'objet neuf, usé et l'objet recyclé, réintroduit. Il y a un engouement pour ce dernier et donc pour les brocantes, vide-greniers et revente sur Internet ainsi que le troc. Ainsi le SEL a 30 000 adhérents, c'est un phénomène marginal qui gène le travail des artisans et qui est considéré comme une arme anti-crise et anti-solitude. la prise en compte de l'impact sur l'environnement On observe notamment des mouvements locavores qui militent pour éviter les produits qui ont amené à beaucoup de rejet de CO2. le glanage Cela constitue en la récupération des produits invendus auprès des marchés et des supermarchés. Il y a des modes de récupération alimentaire par des personnes d'horizons beaucoup plus variés que ceux qu'on imagine: étudiants, retraités, personnes insérées avec un travail, adeptes de la décroissance qui considèrent que consommation ce n'est pas bien. Les degrés de rationalité sont différents selon les pays. Par exemple, les allemands achètent pour Noël en amont des Français, eux même achetant en amont des Espagnols. Le consommateur est un individu rationnel plein d'irrationalités. La rationalité économique ne suffit pas à analyser les comportements de consommation. Sociologie de la consommation et des tendances La consommation comme fait social et phénomène 6 intégrateur Émile Durkheim, Le suicide, 1897 C'est le père fondateur de la sociologie moderne. Il a comparé les taux de suicide suivant les groupes sociaux: c'est la prémisse de l'analyse multivariée. Il intègre des éléments démographiques mais aussi de manière plus originale, la structure familiale. Avec sa méthode, il a fondé école puisqu'il a été le premier à considérer les faits sociaux comme des objets. Marcel Mauss, Essai sur le don, 1925 Il a recherché dans les sociétés lointaines des lois universelles: il est le fondateur de l'anthropologie sociale moderne. Il a comme Durkheim procédé par méthode comparative. Pour Mauss, un fait social est « un système efficace de symboles qui vont s'insérer au plus profond de l'individu ». La nécessité de donner est au cœur du potlatch. Il y a un défi symbolique dans le don: on ne peut refuser le potlacht, ce serait reconnaître qu'on ne peut donner en échange. Dans les sociétés qu'il étudie, il n'y a pas de rapport au temps. L'obligation de rendre est impérative mais elle peut être différée dans le temps. On n'est donc pas dans le registre de l'homo economicus mais dans une logique d'intégration sociale. Max Weber, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, 1905 Il développe la notion de communauté par rapport à celle de société. Il fait part de ces observations dans les milieux d'entrepreneurs capitalistes allemands: ce sont des milieux très aisés mais la dépense, au regard de cette opulence, y est modeste. Le vêtement reste sobre, les fêtes religieuses ne tombent pas dans le faste. Il observe que le temps ne doit pas être gaspillé, que les loisirs ne sont pas considérés comme une fin en soi, juste une manière de garder un équilibre. Ce sont des pratiques de modération. Il tend à montrer que l'esprit du capitalisme est inhérent à la communauté protestante. C'est l'idée que chacun peut exprimer l'amour de son prochain à travers l'accomplissement de son métier et que contrairement aux catholiques, c'est dans le temporel que l'on peut manifester cet amour et son appartenance à la communauté. La réussite professionnelle apparaît comme liée à l'espoir d'être sauvé, le travail permettant de se libérer de l'angoisse du salut. Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie, 1913 Il travaille sur la classe ouvrière. Il pose la question: à revenu égal, consommons-nous de la même manière? Il compare les manières de consommer des ouvriers et des employés. Il conteste la relation linéaire établie par Engel. Pour Halbswachs, le revenu n'agit pas de manière directe sur la consommation: il y a d'autres filtres. Il y a certes, une influence du budget mais qui va s'exprimer à travers le système des goûts et des préférences, qui se forge dans le milieu des individus, le milieu étant l'ensemble des conditions d'existence, de travail, traditions familiales, cultures locales, système de valeur des individu. Exemple: les gagnants du loto perdent leurs repères car ils ne sont pas habitués au mode de consommation de leur nouveau statut, des riches. Ils n'arrivent pas à consommer au regard de ce qu'ils ont connu avant. Un même revenu consacré à la nourriture cache des paniers différents: plus de pommes de terre pour les ouvriers et plus de viande pour les employés. Quand il y a une augmentation de revenus chez les employés, on observe une meilleure table, meilleure vie alors que pour les ouvriers, on Sociologie de la consommation et des tendances 7 constate une amélioration du confort du logement. Halbwachs observe la répartition des dépenses, ce n'est pas le même type d'achat. Les employés utilisent un budget supplémentaire pour s'instruire et se distraire. Les différences de classe l'emportent sur les écarts de revenu. Une classe sociale ne se définit pas par un niveau de ressources, ce sont alors les conditions d'existence, les représentations, la consommation, la culture qui sont à la source des différences de classe. Avec Halbswachs nait la sociologie moderne des modes de vie et des rapports de force. [Plus tard, cette théorie sera confirmée par Duesenberry avec l'effet de crémaillère quand les individus subissent une perte de revenus.] Théodore Veblen, Théorie de la classe de loisir, 1923 Il entreprend un travail sur la consommation ostentatoire. Avant lui, on considère qu'on achète pour consommer. Il considère qu'il y a des fonctions latentes, on chercherait à maintenir ou à acquérir un statut social par l'acquisition, la consommation qu'on symboliserait sa puissance pécuniaire. Il étudie la classe des nouveaux riches. Il montre que de manière systématique les nouveaux riches s'emploient à dilapider leurs ressources. Il y a un gaspillage des biens privilégiés quand l'individu essaie de toucher un milieu plus vaste que son milieu proche. Avec la société moderne, on est dans un rapport d'anonymes. Il faut donc « tracer en grosse lettre la signature de sa puissance pécuniaire, en assez grosses lettres pour qu'on puisse les lire en courant ». C'est une course effrénée pour être remarqué. L'honorabilité se fonderait en partie sur la possession de bien. La qualité d'un produit serait également indissociable de sa chèreté. La valeur du produit dépend plus de sa chereté que d'autres critères. Plus on est utilisateur et détenteurs de règles de savoir vivre et de bonnes manières, plus cela prouve qu'on a passé du temps et de l'argent à consacrer à cette acquisition. Il y a donc un caractère ostentatoire d'un beau parler. Dans la consommation ostentatoire, on fait des cadeaux. Les dépenses vestimentaires: les corsets et les canes ne servent à rien mais font partie pour Veblen de la consommation ostentatoire; en effet, celui qui détient une canne n'a pas les deux mains libres, donc ne travaille pas. Avoir un vêtement onéreux serait indispensable. Pour lui, la mode est un mode de consommation ostentatoire. Il achève sa présentation en prenant le cas des animaux. Le statut de l'animal change à cette époque, comme en Chine actuellement. Ils deviennent des animaux domestiques de compagnie, élevés pour le plaisir. Les chiens et les chats deviennent des animaux de salon, les chevaux deviennent des chevaux de course: ils ont les moyens de nourrir des animaux inutiles. Il évoque les chevaux comme un instrument de rivalité efficace. Gagner aux courses est un moyen de domination. Le point commun de toutes ces dépenses est le gaspillage. Pour un économiste, il n'y a pas de dépenses plus légitimes que d'autres. On appelle gaspillage une dépense qui n'est pas utile au bien-être de la société. Plus la société progresse en terme de niveaux de vie, pour Veblen, plus la tendance est forte de substituer la consommation ostentatoire aux loisirs. Il y aurait un nombre de groupes sociaux homogènes conséquents tant dans leurs pratiques que dans leurs consommations. La consommation ostentatoire n'est pas édictée par l'extérieur. L'appartenance aux groupes présuppose de dépenser de telle ou telle manière. Veblen amorce la réflexion de Bourdieu: les groupes cherchent toujours à se rapprocher et à se comparer aux groupes immédiatement supérieurs. Il y a un esprit de compétition dans la société. Les individus se situeraient sur une échelle de richesse en cherchant à se comparer aux autres. Plus la comparaison serait défavorable, plus il serait frustré. Il y a un effet pervers: l'objectif n'est pas d'avoir beaucoup, mais d'avoir plus. Il constate une variabilité des besoins en fonction du contexte. Une personne a autant de mal à Sociologie de la consommation et des tendances 8 descendre d'un niveau de vie moyen à un niveau de vie bas qu'à un niveau de vie bas à un niveau de vie très bas. La frustration est la même. L'ancienneté des habitudes donne le niveau de la frustration. Pierre Bourdieu, La distinction, 1979 Bourdieu a été influencé par ces différents travaux. On peut faire un parallèle avec Le goût des autres (film) où un groupe a le capital économique et l'autre le capital culturel. Bourdieu répartit la société entre dominants et dominés. L'espace est organisé entre capital économique et capital culturel avec des compartiments dans la société, des champs, qui sont des « microcosme autonome à l'intérieur du macrocosme social »; exemples: champ artistique, champ universitaire, … . Les champs sont des lieux de lutte et de concurrence internes, des jeux. Les luttes de le champ universitaire sont des luttes, des jeux entre courants d'idées. Celui qui entre dans un milieu doit maitriser les codes et les règles internes sinon il serait hors-jeu. Les acteurs intègrent ces contraintes par l'habitus. L'habitus est un ensemble de principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations. Il est structurant. Plus les individus sont proches, plus leur habitus sera proche. A priori, les individus conservent leur libre-arbitre, mais chacun est le fruit, le produit de son milieu et qu'il est prisonnier de routine d'action. Il y a un déterminisme mais sans exclure les capacités créatrices d'un individu dans un milieu donné. C'est une approche à la fois figée et dynamique. Les goûts et les styles de vie donc la consommation sont déterminés par la position sociale. La société est un espace de différenciation dans lequel les rapports de domination sont dissimulées, intériorisés par les individus. Bourdieu veut démonter ces logiques de domination. Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, La sociologie de la bourgeoisie Dans la bourgeoisie, il y a une conscience de soi inégalée. Ces deux sociologues définissent la bourgeoisie (la grande) comme une classe qui « accumule une richesse multiforme »: argent, culture, relations sociales et prestige. Ils évoquent la constitution de lignées qui sont centrales dans la transmission de la position dominante. Il y a trois lieux de la construction sociale, de la socialisation: la famille, l'école et les rallyes. La famille est celle dont on hérite les valeurs, les manières, du nom, parfois du prénom. Les rallyes sont nés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour favoriser les mariages entre soi. Ce sont des soirées organisées par des mères pour inviter l'ensemble de leur progéniture: le rallye est un lieu de socialisation des jeunes permettant aux familles de garder un contrôle des fréquentations. Ce sont des préalables au réseau. Les clubs sont des lieux sportifs, amicaux servant à entretenir ces relations. Certains clubs ont un coût d'entrée; exemple: le club du Fouquet's. Certains rallyes sont côtés et difficiles d'entrée. Pour une soirée de rallye, il faut un carton d'invitation; la soirée est prévue quelques mois avant. Il y a un entretien par ces modes de vie et cette consommation spécifique d'une cohésion de classe puissante. On note ainsi l'importance du collectif dans le maintien de cette classe sociale. La fusion s'opère entre cette classe sociale également par la cohabitation dans les mêmes quartiers: il y a des ghettos à l'année mais aussi dans les villégiatures, lieux d'évasion communs à l'étranger. Ce sont des quartiers de l'entre-soi. On observe des regroupements spatiaux. Certaines adresses sont suffisamment prestigieuses pour un gain social. Pinçon et Pinçon-Charlot entreprennent une analyse fixiste des choses, ils font une étude des logiques de reproduction mais ils ne sont pas dans une analyse du changement. Ils ne s'intéressent, par exemple, au phénomène de gentrification urbaine qui est une revitalisation de l'espace par une classe plus aisée. La nouvelle population plus aisée fait pression sur les autorités locales pour obtenir un meilleur quartier. Ce phénomène de classe a donc un impact sur le tissu et le paysage urbains. Sociologie de la consommation et des tendances 9 La consommation est un phénomène d'intégration des individus à des groupes. On peut prendre l'exemple de la sociologie de la mode. La mode n'est pas prévisible, donc on ne peut faire qu'une étude des tendances. La mode a un caractère arbitraire. Elle n'est donc pas prévisible, si ce n'est que l'on peut dire que la mode constitue un « univers autarcique » (Roland Barthes). Elle a une logique propre et « prophétique auto réalisatrice » (Guillaume Erner). A partir du moment où elle est déclarée par une personne légitime, la prophétie se réalise. Georg Simmel écrit en 1904 sur la mode. Pour lui, il n'y a pas de mécanique; la diffusion dépend des groupes de consommateurs. Les premiers sont les fashionables, les arbitres des élégances: les biens qu'ils utilisent perdent leur caractère choquant pour devenir des normes. Ils sont précurseurs. Ils ne sont pas assurés d'être suivis par les conformistes, car quand eux adhèrent, la mode est lancée. La plupart des gens sont conformistes: tôt ou tard ils rejoignent le mouvement. Ils sont libérés du problème du choix, ils s'intègrent avec zéro risques. Le troisième groupe, les excentriques accentuent la mode en question. Cette caricature va conduire au déclin de la mode par l'outrance. Enfin, le quatrième groupe, les anti-mode nient la mode par conviction morale et parfois contraintes budgétaires. Malgré eux, ils contribuent à ce que la mode évolue. La mode est emblématique de l'intégration sociale par la consommation. Il y a alors la possibilité en communication de jouer sur le désir d'être intégré. MANQUE DERNIER COURS Sociologie de la consommation et des tendances La consommation comme 10 rapport de force Il y a une ambivalence de la consommation: consommer, c'est à la fois accomplir et détruire. Les discours d'influence ont recours à la rhétorique qui a pour but de séduire, de convaincre et donc de faire acheter. Nombreux sont ceux qui ont peint les risques de la consommation. Vance Packard en 1957 publie La persuasion clandestine: les médias et en particulier la publicité orientent perfidement les consommateurs. Il explique comment les sciences humaines sont récupérées par la publicité comme technique de manipulation. Il écrit en 1968 : une société sans défense : il évoque le phénomène du fichage. Il a été précédé par Le viol des foules par la propagande politique, en 1939, écrit par Serge Tchakhotine dans lequel il précise que la propagande politique réussi à « violer » en se greffant en quelque sorte sur l'inconscient collectif de la foule. Les fondamentaux de cette critique sont une critique des entreprises et de leurs désirs de vendre, une critique de la société de la consommation (on consomme trop), et une critique politique. Cette trilogie est quasi permanente dès lors que l'on parle de manipulation. Dans tous les cas, on s'appuie sur une perception de l'homme passif. La critique est marquée donc par le courant behaviorisme fondé par Watson. Le pan politique de la critique est illustré par Karl Marx qui dénonçait la société capitaliste. Il a remplacé la « religion » par la marchandise comme aliénante. C'est dans la continuité de Marx qu'est née l'école de Francfort dans les années 1920. Leur particularité est de dévelop per une théorie critique de la société. La société y est vue comme une entreprise de domination et d'aliénation. Ils proposent en particulier une critique de la culture de masse qui est vue comme un appareil de contrôle idéologique. Theodor Adorno, membre de cette école a beaucoup écrit sur l'art: il oppose l'art pur à la culture de masse qu'il désigne comme vulgaire et fonctionnalisée. Le point de vue esthétique doit primer sur l'aspect fonctionnel. La culture de masse est industrielle, produit en masse et de manière conformisée. Pour lui, le jazz fait partie de la culture de masse; alors qu'aujourd'hui, il est réservé à une certaine élite. Tous les membres s'interroge: pourquoi les ouvriers, alors qu'ils souffrent, sont-ils démobilisés politiquement? Pourquoi n'y a-t-il pas plus de frustrations? Il n'y aura pas de démobilisation car il y aurait des gadgets produits par l'industrie donnant un plaisir immédiat. Il y aura une culture de masse, hochet pour les citoyens. Il y aurait une coalition d'acteurs avec du pouvoir tels que les médias, la publicité, les industriels qui exerce leur impact sur l'inconscient des consommateurs. Ils parlent de conditionnement intellectuel par le plaisir facile de la consommation. Ainsi, pour l'école de Francfort, il y aurait uniformisation des aspirations et des goûts entre les différentes classes sociales. La publicité par ses prescriptions créerait une manière de vivre. Le marché sert donc à masquer les inégalités de classes, la culture de masse rendant les produits accessibles même aux classes les moins riches. La consommation apparaît comme un outil de manipulation car il y a uns système masquant les inégalités de classes. Paul Lazarsfeld travaille avec Bernard Berelson et ils se sont élevés contre l'idée de manipulation de masse. Ils se sont demandés comment les individus réagissent à l'influence. → Est-ce que les messages médiatiques transforment les croyances, comme le prétend l'école de Francfort? En 1944, Lazarsfeld mène une enquête sur l'influence de la radio sur les manières de consommation. Ainsi durant une campagne électorale, il a constaté que moins les individus avaient été exposés aux médias, plus ils avaient changé d'opinions. Pour lui, le profil social des électeurs avait en fait plus d'influence que la propagande médiatique: le poids de la famille, les discussions Sociologie de la consommation et des tendances 11 entre amis sont plus importants que la lecture du journal ou du discours du candidat à la radio. Les informations n'atteignent jamais l'ensemble de la population et sont véhiculées par les leaders d'opinions. Michel de Certeau dans L'invention du quotidien et La culture au pluriel entreprend des approches culturelles de la consommation. Certeau s'intéresse aux pratiques, c'est-à-dire aux opérations que font les individus quand ils font usage des biens culturels. Il observe une prolifération disséminée de créations anonymes et périssables: au lieu de montrer ce que les pratiques ont d'uniformisante, il montre comment chaque individu négocie avec la norme. Au lieu d'analyser ce que la télé diffuse, il se pose la question de ce que les téléspectateurs vont créer, dériver. Le consumérisme est l'action des consommateurs, notamment au moyen d'associations et d'organisations, en vue de faire prendre leurs points de vue en considération par les pouvoirs publics et professionnels. Aujourd'hui, on parle même de cyberconsumérisme par l'expression sur les forums, sites dédiés. En France, le consumérisme est puissant: on se souvient notamment de l'affaire des Lu. classe action: groupe qui s'unissent pour la suppression de certains produits; exemple: le TGV aux États-Unis à cause du lobby juif. Au Canada, la protection des consommateurs se fait sous le ministère des industriels. Au Japon, l'agence de la consommation agit sous la tutelle du premier ministre. En Espagne, il y a un ministère de la santé et de la consommation. En France, on a vu naître des associations anti-pub, telles que les casseurs de pub, la meute, chiennes de garde, RAP -résistance à l'agression publicitaire-, la BAP -brigade anti-pub-, le CCP contre le publi-sexisme-, ou bien encore Paysages de France qui arrive par exemple à faire retirer des panneaux. Certains font des actions de détournements avec de fausses publicités; exemples: McBobard's, « Parce que je le veau bien ». Tout ceci répond à un souci de moins de publicités et plus d'informations. Aujourd'hui, consommation et RSE, la responsabilité sociale des entreprises sont liées. La consommation est liée au sociétal. Les trois problématiques majeures dans la RSE sont le développement durable, la citoyenneté et le traitement des salariés. On parle de plus en plus de consommation durable, ce qui paraît paradoxal vu que la consommation appelle à la destruction. Jean Baudrillard explique qu'au Moyen-Âge, la société s'équilibre entre Dieu et le Diable alors qu'aujourd'hui, la société s'équilibre sur la consommation et sa dénonciation. Le mythe de la consommation est constitué par ces deux versants. La société de consommation est son propre mythe: « notre société se pense et se parle comme société de consommation ». Sociologie de la consommation et des tendances 12 La consommation comme a Sociologie de la consommation et des tendances 13