Les symptômes non-moteurs du tremblement essentiel sont indépendants de
sa sévérité et impactent la qualité de vie.
Introduction
Le tremblement essentiel (TE) est la cause la plus fréquente de tremblements. Son
phénotype moteur est clairement défini. Cependant, les données actuelles de la
littérature soulignent que le TE n’est pas une simple entité clinique. En effet, en plus
de troubles comportementaux de type neurodégénératifs, il présente une série de
symptômes non moteurs (SNM) qui incluent des troubles cognitifs et
neuropsychiatriques tels que déficit cognitif léger, dépression, anxiété, troubles du
sommeil. Ces troubles impactent au quotidien la qualité de vie (QoL) des patients.
Reste à établir si les SNM font intrinsèquement partie de la pathologie TE et s’ils sont
en lien avec la sévérité du TE. Alors que la plupart des études se sont focalisées sur
un SMN spécifique, les auteurs ont examiné un ensemble de SNM et leurs impacts
sur la qualité de vie chez des patients atteints de TE.
Méthodes
Le recrutement des patients s’est fait à partir d’une information publiée dans un
journal local le « Mainpost » à 157 000 exemplaires ou mise « online » sur le site
« University Hospital Wûrsburg, Germany » et d’un appel direct des lecteurs qui
souffraient subjectivement d’un TE. Après un entretien téléphonique, les participants
munis d’un questionnaire dûment rempli, étaient conviés à une consultation en vue
d’être inclus dans l’étude. 214 sujets ont donné un consentement écrit au protocole
expérimental approuvé au préalable par les Comités d’Ethique.
Examen neurologique et diagnostic du TE. Lors de leur première visite, tous les
participants ont subi un examen clinique par un spécialiste des mouvements
anormaux. Selon les critères de diagnostic TRIG (Tremor Investigation Group), ils ont
été répartis en TE probable, TE possible ou TE définitif. Le tremblement a été
quantifié selon l’échelle de Fahn-Tolosa-Marin et confirmé par la mesure des
coefficients des spirales d’Archimède.
Evaluation neuropsychiatrique. Une batterie de tests neuropsychiatriques
standardisés a été utilisée:
-1- le test SF-36 (Short Form 36-Items Health Survey ) pour évaluer le QoL.
Ce test examine la santé comme un état de bien-être mental, social et physique. Les
composantes mentales (MCS) sont : la santé mentale, la vitalité, la sociabilité,
l’émotivité. Les composantes physiques (PCS) sont la résistance physique, la
douleur corporelle, l’appréciation de l’état général. Plus les scores des diverses
composantes sont élevés, meilleur est le QoL.
-2- le test AES (Apathy Evaluation Scale) pour évaluer l’apathie. Il comprend
18 items mesurés sur 4 semaines. Plus les valeurs sont élevées, plus l’apathie est
grande.
-3- le test STAI-T (State-Trait Anxiety Scale) pour évaluer l’anxiété. Il
comprend 21-40 items de scores 0 à 4. Plus les valeurs sont élevées plus l’anxiété
est grande.
-4- le test BDI (Beck Depression Inventory) pour évaluer les symptômes
dépressifs. Il comprend 21 items de scores 0 à 3. Plus les valeurs sont élevées plus
les symptômes dépressifs sont sévères.
-5- le test ESS (Epworth Sleepiness Scale) pour évaluer la somnolence
subjective diurne. C’est un questionnaire avec 8 situations de scores 0 à 3. Plus les
valeurs sont élevées plus la propension au sommeil est importante.
-6- le test FAB (Frontal Assessment Battery) pour évaluer la fonction
exécutive frontale dans ses divers aspects : conceptualisation, programmation,
sensibilité aux interférences, contrôle inhibiteur et autonomie environnementale. Des
scores faibles indiquent une dysfonction exécutive frontale.
-7- le test PANDA (Parkinson Neuropsychometric Dementia Assessment) pour
évaluer les déficits cognitifs dans leurs aspects : fluence verbale, association de
paires de mots, rappel immédiat ou retardé, perspective visuo-spatiale et mémoire de
travail. Des faibles scores indiquent un déficit cognitif léger connu sous le terme
anglais de « mild cognitive impairment ».
-8- le test Olfactory Sniffin Sticks pour évaluer la fonction olfactive.
Communément utilisé chez les patients parkinsoniens (MP), il consiste à identifier 12
odeurs. L’olfaction est affectée si l’identification est réduite.
Des outils statistiques appropriés déterminent la significativité des valeurs moyennes
des scores (ajustées en fonction de l’âge et du sexe) entre les groupes.
Résultats
Sur 214 patients examinés, 110 patients soit 59,1% de la population examinée dont
65 hommes, d’âge moyen 65,2 ± 14,1 ans, ont édiagnostiqués TE probable ou
définitif et inclus pour passer l’ensemble des tests. Parmi ces patients, tous (100%)
présentent un tremblement des membres supérieurs, 51 des patients (46,4%) ont un
tremblement de la voix, 46 d’entre eux (41 ,8%) un tremblement du chef et 18
(16,4%), un tremblement des extrémités inférieures.
Les résultats ne montrent aucune différence significative dans les composantes de la
partie physique du QoL entre les groupes TE et sujets sains. En revanche, dans le
groupe TE, les scores des composantes du bien-être mental sont réduits (p<0,001)
selon l’ordre : émotivité> sociabilité> santé mentale comparativement aux sujets
sains, sans corrélation avec l’âge, le sexe, l’âge d’apparition ou la durée du TE.
L’analyse des scores des tests neuropsychiatriques chez les patients TE
comparativement à des scores standardisés, met en évidence une augmentation
significative (p<0,001) de lapathie et l’anxiété indépendamment de l’âge, du sexe,
de l’âge d’apparition et de la durée du TE. De même, une diminution significative
(p<0,001) de la fonction cognitive frontale et un ficit cognitif léger (p<0,001)
s’observent chez les patients TE en fonction de l’âge du patient, de l’âge
d’apparition et de la durée du TE. Enfin, aucune différence significative n’est
observée dans les scores des symptômes dépressifs, de la somnolence diurne
ou de la fonction olfactive quelque soit la durée ou la sévérité du TE.
Discussion
L’objectif des auteurs était de répondre à la question restée en suspens dans de
nombreuses publications sur le TE : les SNM présents chez des patients atteints de
TE sont-ils des caractéristiques phénotypiques primaires ou des symptômes
secondaires à la pathologie? Les données disponibles ne permettaient pas d’y
répondre du fait d’un nombre restreint de sujets. Un autre biais pour l’interprétation
des données était la sélection des patients au sein de services spécialisés en
troubles du mouvement. Pour la première fois, des patients TE sont recrutés au sein
d’une population informée par la presse et n’ayant jamais songé à consulter.
Dans cette étude, les 110 patients diagnostiqués atteints d’un TE probable ou
définitif répondent à des critères épidémiologiques en accord avec les données
classiques concernant les symptômes, la localisation du tremblement, l’âge, la
sensibilité à l’alcool, l’histoire familiale, l’âge d’apparition et la durée du TE. Il ressort
que les patients TE présentent de plus, une apathie, une anxiété et un déficit cognitif
plus importants que les sujets sains. Concernant les diverses composantes mentales
(MCS) et physiques (PCS) de la qualité de vie (QoL), le score réduit de QoL chez les
patients TE semble aux facteurs mentaux plutôt qu’aux anomalies physiques; il
serait alors intrinsèquement lié à la pathologie TE.
L’apathie est le symptôme neuropsychiatrique majeur suivi par l’anxiété chez les
patients TE. Ces symptômes neuropsychiatriques sont indépendants de la sévérité
ou la durée du TE. De plus, l’anxiété est indépendante des caractéristiques du
tremblement. Ce résultat est surprenant, car l’anxiété a été souvent corrélée au
handicap fonctionnel. Il est intéressant de noter que bien que l’apathie et l’anxiété
soient des symptômes de dépression, les auteurs n’ont pas trouvé d’augmentation
des symptômes dépressifs. De même, l’altération de la fonction exécutive frontale a
peu d’impact au niveau clinique. Pour la première fois, le test PANDA met en
évidence chez des patients TE un déficit cognitif léger qui est fonction de la sévérité
du TE. Comme les déficits neuropsychiatriques (apathie, anxiété, dysfonction
exécutive frontale) impliquent les régions fronto-temporales et des structures
mésolimbiques, des études d’imagerie s’avèrent nécessaires chez les patients TE
pour détecter d’éventuelles anomalies. Enfin, en dépit de processus
neurodégénératifs impliqués dans la pathologie TE, le système olfactif semble
épargné.
L’interprétation des résultats soulève des remarques. 1- Il conviendrait d’inclure un
groupe contrôle lors des prochaines études pour vérifier ces résultats, les
comparaisons se référant dans cette étude à des valeurs psychométriques
standardisées. 2- Des investigations longitudinales devraient permettre un suivi des
NMS chez les patients TE. 3- La lection devrait être plus sélective incluant seul les
patients les plus intéressés et les plus aptes à répondre aux sondages. 4- Enfin, des
sous-groupes de patients TE devraient être constitués pour tenir compte du sexe, de
la localisation du tremblement et des traitements médicamenteux.
Conclusion. Les données épidémiologiques et cliniques rapportées dans cette étude
sont représentatives du phénotype connu de la pathologie TE. Les déficits
neuropsychiatriques et la diminution de l’index QoL doivent être considérés comme
des caractéristiques phénotypiques propres et non comme des effets secondaires
dus aux symptômes moteurs. Ces déficits peuvent constituer un état psychique p-
morbide. Il convient de les explorer lors d’études longitudinales car ils peuvent
impacter la qualité de vie et le traitement des patients.
Article original:
Thomas Musacchio, Veronika Purrer, Aikaterini Papagianni, Anna Fleischer,
Daniel Mackenrodt, Carolin Malsch, Götz Gelbrich, Frank Steigerwald et
Stephan Klebe. Non Motor Symptoms of Essential Tremor are Independent of
Tremor Severity and Have Impact on Quality of Life. Tremor and Othe Hyperkinetic
Movements, 2016, 6, 1-9.
Résumé : Drs Nicole SARDA et Marie-Hélène BASSANT dans le cadre du réseau
ScienSAs’-INSERM.
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