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Cours de Philosophie - Licence 1
La question et la réponse
Une introduction aux gestes
et méthodes élémentaires du questionnement philosophique
Auto-parcours ou promenades à deux
en 12 leçons progressives agrémentées d’exercices,
de 50 textes, et d’un index de 150 auteurs
Avertissement, exercices, et validation
Premiers éléments. Enfances de l'interrogation
1) La simplicité des principes du questionnement page 5
2) Archipel de remarques dérivées de ces principes page 11
Exercices : conseils pour prise de note, lecture et audition
3) Y a-t-il de simples questions? Des questions pour rien? page 19
Seconds éléments. Le langage de la question
4) La pluralité pragmatique du langage ordinaire, et de ses fonctions page 25
5) Rhétorique et éthique de la communication page 31
Exercices : conseils pour commentaires de textes,
et sujets de dissertation
Troisièmes éléments. S'orienter dans l'interprétation
6) Gadamer et la primauté herméneutique de la question page 37
7) Ricoeur: Herméneutique et poétique, le monde du texte page 43
Quatrièmes éléments. La question de la méthode et l’horizon
philosophique
8) Kant et la critique des régimes de discours page 50
9) Hegel et la dialectique ; Tillich et la corrélation page 56
Exercices : conseils pour la dissertation,
autres sujets de dissertation
Cinquièmes éléments. Poétique de l'interrogation
10) Rhétorique, herméneutique, poétique: le travail de la métaphore page 67
11) Socrate et Jésus selon Kierkegaard page 69
12) La passion du questionnement et l'enfantement du monde page 73
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Avertissement
Vous avez entre les mains le cours par correspondance en Philosophie sur « La question
et la réponse ». Il est conçu comme une introduction à la philosophie par le biais d'un
exercice des formes élémentaires du questionnement, et d'une histoire de quelques-unes
des grandes figures de l'interrogation philosophique, de Platon à Wittgenstein.
Vous ne savez cependant pas très bien comment vous y prendre, vos souvenirs de la
philosophie ne sont pas toujours très encourageants, et cette masse de lectures
apparemment ardues tend à vous tomber des mains ! Rassurez-vous… D’abord ce
parcours a été conçu pour être divisé en autant de parties qu’il le faut pour être
« digéré » lentement. Ensuite il ne s’agit pas de les faire tous, d’étudier les cinquante
textes donnés en appui, ni de rédiger tous les exercices proposés. Ce sont plutôt des
matériaux pour des libres-parcours que vous pouvez choisir selon vos inclinations
propres pour les thèmes ou auteurs rencontrés.
Ce cours a une brève histoire, puisqu’il est la reprise d'un polycopié de 1986 puis de
1994 à l'intention des étudiants en première année. En m'arrêtant à cette versiondu
cours, j’ai renoncé à y intégrer toutes les remarques bourgeonnées en marge depuis, et
que l’on trouve bien plus développées dans mon livre sur L'éthique interrogative (Paris:
PUF, 2000), qui est le complément de ce manuel, même s’il comporte aussi une visée
d’introduction à l’éthique.
En effet, en rapprochant la pragmatique du questionnement ordinaire (par laquelle les
contemporains mesurent avec passion leurs accords et leurs désaccords), et
l'herméneutique interrogative (par laquelle les générations successives entrent dans la
conversation humaine et la réinterprètent tour à tour), j'ai voulu y proposer une éthique
de notre condition langagière. Cette éthique d'interrogativité, contrepoint nécessaire à
toutes les formes de la responsabilité, jette les bases d'une philosophie du droit et de la
civilité. Il s'agit de penser ensemble la ressemblance et la différence d'humains d'autant
plus heureux de se distinguer qu'ils s'effacent les uns devant les autres. Et l'interrogation
n'ouvre la question de savoir "qui" nous sommes qu'en nous retournant vers un monde
commun.
Dans le polycopié, il s'agit surtout de donner aux étudiants un équipement commun dans
le maniement des questions rencontrées, et une sorte d’ « entrée » méthodologique:
pour les disciplines de la pratique et de l'éthique en les axant sur le partage de la parole
et la pragmatique, pour les disciplines bibliques et historiques en les axant sur la lecture
et l’herméneutique, pour les disciplines philosophiques et de théologie générale
(dogmatique) en les axant sur la dissertation ou la méditation écrite. Cette entrée
méthodologique est double : "On ne peut comprendre une proposition que si on la
comprend comme une réponse à une question", disait Gadamer. Meyer ajoute: "la
question à laquelle la réponse renvoie diffère de celle qu'elle résout".
Ces deux citations énoncent à leur manière deux principes de méthode, des gestes
simples pour aborder un problème (1ers éléments), une intelligence de la conversation
ordinaire (2nds éléments), mais aussi des gles de lecture pour des textes dont on ne
sait plus à quelles questions ils répondaient (3èmes éléments) et une oscillation
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profonde dans l'histoire des idées entre un principe plus critique et un principe plus
dialectique (4èmes éléments). Finalement elles désignent ces lisières nous ne savons
plus si nous interrogeons ou si nous répondons, et sur lesquelles Kierkegaard avait osé
un rapprochement entre Socrate et Jésus (5èmes éléments).
Entre la pragmatique (2nds éléments) et l’herméneutique (3èmes éléments)
l’interrogation est aujourd'hui au carrefour de traditions hétérogènes (anglo-saxonnes
pour la première et plus continentales pour la seconde). Il ne s’agira pas de proposer un
impossible synthèse entre ces traditions mais de faire valoir leur complémentarité. Et
d’élargir les usages de ce que nous croyons être la philosophie on peut se reporter au
petit plaidoyer que je propose à la fin de la leçon 9 pour l’indulgence aux examens de
philosophie !
La philosophie est-elle ce que l'on fait au café de la République
1
, en cherchant à parler
de la même chose, sachant que ce n'est pas forcément le cas, et interdisant à l'un de nous
de dire que sa question ou sa problématique est la seule ? Est-elle ce que l'on fait dans
son atelier, avec un outillage et un soin d'artisan très spécialisé, en s'attachant sans
polémique à contribuer modestement aux communes connaissances ? Est-elle ce que
l'on fait en conversant avec un enfant, lorsqu'une petite question ébranle le monde et le
remet en jeu ? C'est un peu tout cela, mais de toute façon c’est d’abord un exercice
élémentaire de l'interrogativité.
Exercices et textes :
Accompagné de "Travaux Pratiques" sur des textes, ce cours peut être lu et pratiqué
comme n'importe quel "Manuel" (j’ai mis en italique ce qui en relevait directement,
mais tout en relève, car ne compte ici que l’exercice), au sens exact il est proposé
aux étudiants de faire l'équivalent manuel du travail intellectuel, par une série de
petites opérations (souligner ce qu'on lit, le recopier ailleurs en le distribuant
autrement, couper aux ciseaux, monter, coller les idées comme des figures de couleur,
essayer plusieurs plans, plusieurs configurations avant d'arrêter la ligne du
Commentaire ou de la Dissertation, etc).
Les exercices sont regroupés à la fin de chaque leçon, accompagnés généralement de
textes choisis soit pour leur rapport au développement de la réflexion sur la question et
la réponse, soit pour leur importance dans l’histoire de la philosophie. Cela fait une
cinquantaine en tout, sans compter la trentaine de textes que l’on trouve cités à
l’intérieur du cours
2
. Ces textes ayant été le plus souvent scannés pour ce polycopié, ils
peuvent comporter des fautes qui n’ont pas encore été repérées : je vous serais très
reconnaissant de bien vouloir les signaler
1
Le banquet de Platon (et son fameux éloge du vin dans les Lois), et la "campagne des banquets" qui
ébranla la monarchie de Juillet, en sont des variantes.
2
Pour la prochaine édition je prépare des textes de Lévinas, StThomas, Bataille, Mauss, Calvin, Bergson,
Freud, Spinoza, Hobbes, Machiavel, Luther, Epicure, Marc-Aurèle, et Husserl.
4
Auteurs des textes donnés en TD : 1 : Merleau-Ponty . 2 : R. Rorty. 3 et 4 :
Platon. 5 : M. Meyer. 6 : Platon. 7 : Aristote. 8 : Descartes. 9 : Kant. 10 : S.
Kierkegaard. 11 : MerleauPonty. 12 : E. Jabès. 13 : J. L. Austin. 14 : GW
Leibniz. 15 : N. Frye. 16 : Wittgenstein. 17 : J.P Vernant. 18 : Augustin. 19 :
Schopenhauer. 20 : R.G. Collingwood. 21 : HG Gadamer. 22 : Heidegger. 23:
P. Ricoeur. 24 : Gadamer. 25 : W. Benjamin. 26 : RW Emerson. 27 :
Nietzsche. 28 : H. Arendt. 29 et 30 : P. Ricoeur. 31 et 32: Kant. 33 :
Wittgenstein. 34 : P Bayle. 35 : Leibniz. 36 : Kant. 37 et 38: Rousseau. 39 :
Karl Marx. 40, 41 et 42 : Hegel. 43, 44 et 45 : Nietzsche. 46: P.Tillich. 47 :
M. Serres. Sans parler donc des textes donnés à même les leçons, comme ceux de
Kierkegaard et de Arendt dans la dernière.
En annexe j’ai placé un Index des auteurs, philosophes et autres, que vous rencontrerez
le plus fréquemment au cours de vos études. On utilisera plus aisément ce manuel en le
pratiquant à deux ou trois, comme une suite de promenades sur des parcours plus ou
moins difficiles. Bonnes promenades.
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Premiers éléments.
Enfances de l'interrogation
L'interrogation est d'abord une "méthode", une technique pour se comporter
devant un discours ou une situation : en effet savoir interroger, c'est percevoir
l'invisible, les questions auxquelles les faits, les paroles et les comportements répondent
; c'est comprendre que ces questions ne sont pas forcément les nôtres. Et c'est
comprendre que ces réponses peuvent ouvrir de nouvelles questions, auxquelles elles ne
répondent pas. L'apprentissage de l'interrogation est aussi une intelligence: l'intégration
progressive des questions d'autrui et des autres points de vue à notre perception et à
notre conception du monde.
Leçon 1
La simplicité des principes du questionnement
Nous allons examiner le langage de la question et de la réponse à partir de deux
principes, auxquels tous les autres peuvent plus ou moins se ramener. La philosophie ici
ne suppose pas des connaissances préalables: c'est un doublegeste à attraper. Comme
on va le voir, le "principe de question implicite" permet de distinguer le sens des
réponses on ne peut comprendre une proposition que si on la comprend comme une
réponse à une question » Gadamer
3
), et le "principe de différence problématologique"
permet de distinguer celui des questions la question à laquelle la réponse renvoie
diffère de celle qu'elle résout » Meyer
4
).
1.1) Principe de question implicite
Exemple 1: Se reporter à la planche de Tintin à la page suivante (Les bijoux de la Castafiore): « bonjour,
Professeur... », jusqu’à « plus un mot sur ce chapître ». Dans ce cas, le malentendu vient de ce que les
mêmes énoncés (dans les images 6 à 10 de la page) répondent implicitement à des questions différentes.
Les présuppositions des journalistes (le mariage HaddockCastafiore) et celles de Tournesol (sa nouvelle
rose) ne sont pas les mêmes. Le phénomène est évidemment théatralisé par la surdité du professeur, mais
les journalistes, jusqu'au bout, ne se rendront pas compte qu'ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde
que lui. Le malentendu est évidemment comique, mais pour le lecteur seulement, et on imagine sur le
mode shakespearien le comique que doit représenter pour Dieu le monde humain (par exemple les
théologiens). Antisthène, un philosophe de l'Antiquité, disait que les gens discutent de toutes façons pour
rien, parce qu'en fait on ne parle jamais de la même chose; il exagérait probablement un peu.
Cf. Tintin, Les bijoux de la Castafiore, p.23
la-question-et-la-reponse-1.jpg
3
Hans Georg Gadamer dans "itinéraire de Hegel", Critique n.413, oct.8l, p.888 (texte allemand paru à
Frankfurt: Suhrkamp, 1979).
4
Michel Meyer dans Logique langage et argumentation, Paris : Hachette, 1982, p.125.
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