CARNET 1
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paysage interne, de telle façon que cela lui a permis d'avoir la sensation qu'il équilibrait
un peu ce déséquilibre, et qu'il s'adaptait mieux au monde, dans la mesure où il le
comprenait et le transformait.
Il n'était déjà plus un simple agent passif à l'égard des choses qui entraient, sortaient,
arrivaient, mais il commençait à pouvoir comprendre ce qui arrivait pour ensuite agir sur
ces phénomènes. Et, dans la mesure où cette opération donnait des résultats positifs en
fonction du but recherché, ces procédés commencèrent à se consolider.
Et c'est ainsi que, peut-être par accident, essai ou erreur, quelqu'un se rendit compte que
l'on pouvait, en frappant deux pierres, produire un côté tranchant et construire un outil
très utile pour la vie quotidienne. Et dans la mesure où cela s'est perfectionné, le fait de
fabriquer des instruments de pierre est déjà un procédé plus ou moins précis. C'était un
procédé qui avait quelques particularités, certaines règles à respecter et qui pouvaient
être transmises des uns aux autres. Cela a signifié une avancée importante dans la
possibilité d'opérer sur le monde.
Notre ami a découvert qu'en répétant le procédé, il pouvait obtenir des résultats et qu'il
pouvait apprendre ce procédé, cette méthode aux autres.
Alors, la méthode surgit comme une nécessité. Une nécessité face à l'expérience
chaotique. Nous disons que la pensée est une abstraction de l'expérience ; mais, lorsque
nous arrêtons l'expérience avec la pensée, nous arrêtons de la saisir, parce que
justement, l'expérience, le vécu, a la caractéristique d'être dynamique. Nous arrêtons
d'avoir la possibilité de stopper son cours, mais, pourtant, c'est l'arrêt du cours de la
pensée qui permet d'analyser, de décomposer, pour ensuite synthétiser, comprendre et
pouvoir opérer.
Ce que nous disons est qu'ici surgit une sorte de paradoxe, sur le fait que lorsque la
pensée effectue cette photographie du mouvement, elle le fait en essayant de pouvoir
comprendre et en réalité, en l'arrêtant, ça lui échappe parce que le statique s'oppose au
dynamique. Pour pouvoir comprendre ce qui est dynamique, je l'arrête. C'est
apparemment contradictoire. Mais grâce au fait que je peux arrêter cette dynamique dans
la pensée, je peux commencer à la comprendre, à comprendre son fonctionnement,
comment elle se relationne et surtout, je peux commencer, à partir de cette
compréhension, à opérer sur elle.
Il ne suffit pas d'améliorer le cours de la pensée, je dois aussi pouvoir le décomposer en
éléments constitutifs, le mettre en relation avec d'autres phénomènes et comprendre
comment il se transforme dans le temps. Et pour que ces opérations produisent, comme
résultat, une meilleure compréhension, j'ai besoin d'une méthode.
LA METHODE EN PHILOSOPHIE
En entrant dans le domaine philosophique, il nous intéresse d'établir une première
distinction que faisait déjà Platon entre la connaissance vulgaire, populaire, ce que
traditionnellement on appelait l'opinion, la « doxa », et la connaissance qui n'est ni un
savoir naïf, ni une connaissance que l'on obtient facilement et qui est convertible en
opinion. Une connaissance qui provient de ce qu'on l'a recherchée, une connaissance
fondamentale, que Platon dénommait « épistémè ».
Une connaissance qui implique un effort, une intention, un processus pour essayer de la
révéler de la manière la plus claire possible, de la manière qui nous rapproche le plus de
ce qu'en philosophie nous pourrions appeler la vérité ; la connaissance exacte, profonde,
ultime.
En philosophie, la méthode, c'est cet ensemble de procédés qui vont nous permettre
d'effectuer une série d'opérations mentales successives orientées vers la compréhension
de l'essence des choses.
En ce sens, la méthode apparaît comme un outil pour pouvoir nous orienter dans ce
chemin de recherche. Parce que sinon, comment ferions-nous pour chercher la
connaissance ? De fait, il y a eu différentes stratégies.
Nous nous centrerons, dans le petit nombre d'exemples que nous allons donner, sur
l'histoire occidentale et, fondamentalement, sur l'histoire européenne. Nous ne
prétendons pas écarter les apports importants provenant d'autres cultures mais plutôt
répondre à la nécessité de délimiter le champ de l'exposé.