La Méthode structurelle dynamique – généralités 14

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SOMMAIRE
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Prologue ....................................................................................................................................................................... 2
Introduction .............................................................................................................................................................. 2
Présentation du thème : Qu'est ce qu'une Méthode ? ...................................................... 3
L'expérience humaine – expérience et pensée ........................................................................ 4
La Méthode en philosophie ......................................................................................................................... 4
La maïeutique ......................................................................................................................................................... 5
La dialectique .......................................................................................................................................................... 6
La logique ................................................................................................................................................................... 6
La scolastique.......................................................................................................................................................... 7
Le doute méthodique ....................................................................................................................................... 8
La Méthode scientifique ................................................................................................................................. 8
La vision du Nouvel humanisme ............................................................................................................ 9
Les Principes............................................................................................................................................................. 9
Les lois universelles ......................................................................................................................................... 10
La Méthode structurelle dynamique – généralités .............................................................. 14
La Méthode comme instrument d'étude et de transformation................................. 16
La question .............................................................................................................................................................. 17
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PROLOGUE
La finalité de cet écrit est de développer quelques points travaillés dans le séminaire
Atelier sur la Méthode du Nouvel Humanisme et servir d'appui aux groupes qui souhaitent
s'aventurer dans la connaissance de cet outil important pour l'étude et l'action dans le
milieu. Cet écrit comporte aussi une orientation pratique.
Il est la suite d'un travail plus conceptuel produit en 2003 sous le titre « A propos de la
Méthode » qui a été l'un des premiers écrits produits dans le Centre d'Etudes Humanistes
de Buenos Aires.
L'appellation que nous lui avons donnée « Méthode Structurelle Dynamique » prétend,
outre de l'identifier correctement, de la différencier des autres méthodes, et, dans le
même temps, permet d'exprimer les caractéristiques fondamentales de la vision du
Nouvel Humanisme dont elle est issue.
Ainsi, cette vision et la méthode étudiées ici, ont pour point de départ les développements
de Mario Rodriguez Cobos (Silo) au cours de différentes causeries et écrits. Nous avons
incorporé quelques points antérieurs et postérieurs aux procédés originels et simplifié les
schémas utilisés, dans l'intention de faciliter l'étude et la mise en application de cette
méthode.
Le langage parlé utilisé dans ce développement est dû aux transcriptions
d'enregistrements et à la prise de notes effectuées lors d'ateliers réalisés à Moreno, dans
la province de Buenos Aires du 18 au 20 juin 2005, du 10 au 12 février 2006 et du 18 au
20 juin 2006.
Les annexes de ce séminaire qui sont le Programme de Travail et le Guide de l'Atelier
servent à orienter les groupes qui souhaitent réaliser l'étude de façon ordonnée et
intégrale.
Enfin, une mention spéciale pour l'équipe de Centre d'Etudes Humanistes de Buenos Aires
qui a travaillé dans la transcription, les corrections et les apports, qui font de ce travail
une production d'ensemble.
Buenos Aires, juin 2006
INTRODUCTION
Sur l'attitude dans le Travail
Pour commencer, nous pourrions nous mettre d'accord sur la forme que nous voulons
donner au travail que nous allons réaliser.
Nous présentons donc un programme pour organiser notre temps, l'idée est de
développer ce programme, de façon très relâchée, ce qui facilite l'attitude mentale
adéquate pour mener à bien ces travaux.
Ce programme consiste en une séquence de pas qui, lorsque nous les traverserons, se
rempliront de contenus, de nos propres vécus et le résultat dépendra donc de ce que
nous apporterons en ensemble.
Le point de vue que nous allons lui donner est éminemment pratique et bien qu'il y ait des
explications qui nous serviront d'encadrement, nous allons privilégier la mise en pratique
que nous ferons dans chaque équipe. Nous avons en plus, des matériels théoriques qui
peuvent être consultés, même si, dans cette occasion, ce qui nous intéresse surtout c’est
de développer la pratique dans ce travail avec la méthode.
Par rapport à l'attitude que nous recommandons pour cet atelier, nous faisons trois
propositions :
En premier, nous allons travailler avec la technique connue de la cloche mentale. Cela
signifie que nous essaierons de construire une sorte de cercle thématique à l'intérieur
duquel nous bougerons et qui, évidemment, sera en relation avec les thèmes de l'atelier.
Nous essaierons de laisser de côté les autres thèmes qui peuvent nous préoccuper parce
qu'ils ne conviennent pas.
Cette intention, qui travaille en coprésence, nous permettra de savoir quand nous
sommes en thème et quand nous n'y sommes pas. Si nous sortons du thème, nous
essaierons simplement d'y retourner et cela rendra sûrement le travail meilleur.
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En second lieu, nous proposerons de mettre l'intention, entre nous, sur un système de
relations le plus détendu possible. Cela va nous faciliter les choses, pour que, dans les
travaux en équipes où nous allons essayer de produire et d'intégrer une grande richesse
de points de vue, les tensions non liées au travail proposé n'opèrent pas. La perspective
et l'intention ne sont pas la confrontation des idées, avec ce climat ou ces attributs que
revêt, parfois, la confrontation et qui amène au conflit. La perspective et l'intention sont
plutôt l'apport des idées ou des points de vue, avec un esprit de convergence,
d'intégration. L'intention sera que les différents apports et les différentes propositions de
chacun ne soient pas pensés pour annuler celles d'un autre mais pour que, dans tous les
cas, elles s'ajoutent et s'intègrent dans un plan majeur, avec plus d'ampleur et une vision
plus claire.
En troisième lieu, nous allons proposer de maintenir une attention détendue au cours de
ce travail. C'est un bon moment pour travailler et exercer l’attention, parce que ces
travaux la requièrent ; bien sûr, pas l'attention tendue, l'attention du sourcil froncé mais
celle qui nous permet de suivre les thèmes, tout en étant accompagnés d'une sorte de
relax mental.
Enfin, comme ce travail est proposé en tant qu'atelier d'introduction, il n'est pas
nécessaire que les participants aient de grandes connaissances sur ce thème. Si
quelqu'un vient pour la première fois, c'est la tâche de l’équipe que personne ne se sente
exclu, perdu dans les développements. S'il arrivait que quelqu'un se perde un peu, nous
l'en avertissons et essayons de le réintégrer.
Je crois qu'avec ces considérations, nous pouvons entrer dans le vif du sujet.
PRESENTATION DU THEME : QU'EST-CE QU'UNE METHODE ?
L'intérêt de cette rencontre est de travailler sur la Méthode structurelle dynamique créée
par Silo et proposée par le Nouvel Humanisme comme outil pour l'étude et l'action dans le
milieu. Par conséquent, il est évident que nous devrions, en premier lieu, répondre à la
question de ce qu'est une méthode et quel est notre intérêt de l'étudier.
Nous pourrions la définir de nombreuses façons, mais, dans tous les cas, nous pouvons
choisir une définition que nous pouvons améliorer au fil du travail.
Ce qui nous apparaît en premier est qu'il s'agit d'une méthode qui est un ensemble de
procédés, ordonnés dans le temps, pour aboutir à une fin. Un ensemble de procédés i.e.
différents procédés qui ont un certain ordre temporel. En premier, un procédé, ensuite un
autre, et la finalité, comme celle de tout système est d'aboutir à un but, produire du bien
être, quelque chose de valeur.
Étymologiquement, le mot méthode vient du grec. Met signifie « après que », « ce qui est
plus loin » et ode chemin. Cela nous donne l'idée qu'une méthode est constituée de pas
ordonnés d'une certaine façon pour arriver, avec succès, au bout du chemin.
Sans compliquer beaucoup, et en termes généraux, nous verrons qu'en permanence nous
utilisons des méthodes. Des méthodes, évidemment, que nous ne nommerons pas ainsi.
Mais, il y a des méthodes dans la vie quotidienne, tout comme il en existe en technologie,
en science et en philosophie.
Dans le cas de la vie quotidienne, si l'on observe un peu, on s'apercevra qu'il y a
certaines activités que l'on est habitué à réaliser dans un certain ordre et que cet ordre
permet que l'on n'oublie rien et que le résultat soit correct.
Ce fait de n'oublier aucune partie est important pour diverses activités et, parfois, l'ordre
des pas est fondamental, parce qu'un pas a une relation, par son résultat, avec le pas
suivant.
Ainsi, si nous révisons, nous nous apercevrons que nous avons, au sens large, beaucoup
de petites méthodes que nous utilisons dans la vie quotidienne. Des activités qui
requièrent un certain ordre, que ce soit pour ne rien oublier ou parce que ce sont des
procédés dépendants du résultat de chaque pas. Vous avez certainement déjà rencontré
des personnes qui sont très méticuleuses dans leur agir quotidien.
A titre d'exemple, pensons à la façon dont nous nous préparons à dormir ou à celle dont
nous sortons pour faire nos activités. Certaines le feront chaque fois différemment, mais
d'autres ont systématisé tout ceci pour ne rien oublier.
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Un autre cas dans lequel la séquence est fondamentale, est par exemple, la recette de
cuisine. Ici, en plus de ne rien oublier, l'ordre dans lequel se déroulent les pas est
important. En premier, on prépare les ingrédients, on les mélange, puis on les cuit et,
pour finir, on dresse le tout sur le plat et on décore. Il est évident que si nous altérons la
séquence, le résultat ne sera pas celui escompté.
La technologie, pour sa part, est pleine de méthodes, et la majorité des produits ou des
réalisations (pour ne pas dire toutes), impliquent un développement séquentiel qui, très
souvent, se présente comme un manuel de procédés, qui doit être suivi de façon précise
pour obtenir le résultat recherché.
Et si l'on n'opère pas selon les indications, alors il peut être difficile d'anticiper le résultat.
Et justement, ce qui est recherché est de pouvoir anticiper les résultats afin d'obtenir le
meilleur résultat possible.
De toutes manières, nous dédier à étudier ces méthodes n'est pas notre intérêt dans ces
travaux mais il me paraît utile, pour introduire le thème, de voir comment les méthodes
nous accompagnent dans beaucoup de nos activités.
En avançant un peu plus, nous nous trouvons maintenant sur un terrain où la méthode
est d'une importance fondamentale. Je me réfère à la philosophie et à la science dont le
développement est inimaginable si nous le séparons des méthodes qui ont été suivies
dans leurs que-faire et qui sont étroitement liées au développement de la pensée et du
que-faire humain. Elles ont été très utiles dans la mesure où elles nous ont permis
d'avancer dans la compréhension du monde et dans l'opération réalisée sur ce dernier.
C'est-à-dire que nous allons mettre l'accent sur ce type particulier de méthode qui a pour
objectif de produire de la connaissance d'un côté, et d'un autre, de produire en plus, de la
connaissance pour opérer dans le monde avec ce type de méthode.
On pourrait penser qu'il sera difficile d'obtenir une connaissance sans que celle-ci n'ait
ensuite des conséquences dans le monde ; mais lorsque l'on voit comment travaille la
philosophie, il est clair que son orientation concerne fondamentalement la recherche
d'une certaine connaissance, qu'elle ne se préoccupe pas si elle va avoir des
conséquences dans l'opération concrète dans le monde des choses.
Certainement que les avancées dans la pensée se sont données dans un lieu et à un
moment historique déterminé et conjointement à d'autres domaines, bien que pas
forcément liés de façon directe ou causale.
L'EXPERIENCE HUMAINE - EXPERIENCE ET PENSEE
Essayons un instant de nous mettre dans la tête de nos ancêtres, ces premiers hominidés
qui déambulaient à travers la planète et comme dans une fiction, essayons d'imaginer ce
qui a pu leur arriver dans leur tête lorsqu'ils ont commencé à découvrir le monde externe
et leur propre monde interne. Des mondes qui se présentaient de façon chaotique, sans
ordre aucun. Un monde sans élément qui puissent leur permettre de comprendre
pourquoi ils se trouvaient là, pourquoi les phénomènes se passaient comme ils se
passaient, pourquoi ils arrivaient ou cessaient d'arriver.
Face à ce chaos de l'expérience, on peut imaginer qu'apparaît cette nécessité de mettre
un certain ordre dans l'expérience, pour pouvoir la comprendre et opérer de façon plus
efficace et efficiente au milieu de ce paysage incompréhensible et hostile.
Comment mettre en ordre l'expérience, si l'expérience dans sa forme de présentation est
chaotique, désordonnée, sans règles ? Comment ensuite mettre un certain ordre ?
Il existe une fonction, une capacité inhérente à l'être humain, que nous appelons pensée.
La pensée est ce qui nous permet de s'arrêter et d'ordonner l'expérience.
La pensée nous permet, comme dans un film où paysages et acteurs apparaissent
rapidement et de façon désordonnée, de prendre une photo et de commencer à voir les
cadres. Et ainsi, de rencontrer des éléments qui sont différents, de pouvoir les séparer
pour ensuite les relier et reconstruire le film et, depuis la pensée, commencer à organiser
ce monde chaotique.
Sûrement, le monde est aussi chaotique aujourd'hui qu'il l'était il y a des milliers d'années
lorsque nos premiers amis entamèrent ce chemin. Mais ce qui semble évident est que
dans tout ce parcours, l'être humain a pu organiser ce paysage externe et en partie, le
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paysage interne, de telle façon que cela lui a permis d'avoir la sensation qu'il équilibrait
un peu ce déséquilibre, et qu'il s'adaptait mieux au monde, dans la mesure où il le
comprenait et le transformait.
Il n'était déjà plus un simple agent passif à l'égard des choses qui entraient, sortaient,
arrivaient, mais il commençait à pouvoir comprendre ce qui arrivait pour ensuite agir sur
ces phénomènes. Et, dans la mesure où cette opération donnait des résultats positifs en
fonction du but recherché, ces procédés commencèrent à se consolider.
Et c'est ainsi que, peut-être par accident, essai ou erreur, quelqu'un se rendit compte que
l'on pouvait, en frappant deux pierres, produire un côté tranchant et construire un outil
très utile pour la vie quotidienne. Et dans la mesure où cela s'est perfectionné, le fait de
fabriquer des instruments de pierre est déjà un procédé plus ou moins précis. C'était un
procédé qui avait quelques particularités, certaines règles à respecter et qui pouvaient
être transmises des uns aux autres. Cela a signifié une avancée importante dans la
possibilité d'opérer sur le monde.
Notre ami a découvert qu'en répétant le procédé, il pouvait obtenir des résultats et qu'il
pouvait apprendre ce procédé, cette méthode aux autres.
Alors, la méthode surgit comme une nécessité. Une nécessité face à l'expérience
chaotique. Nous disons que la pensée est une abstraction de l'expérience ; mais, lorsque
nous arrêtons l'expérience avec la pensée, nous arrêtons de la saisir, parce que
justement, l'expérience, le vécu, a la caractéristique d'être dynamique. Nous arrêtons
d'avoir la possibilité de stopper son cours, mais, pourtant, c'est l'arrêt du cours de la
pensée qui permet d'analyser, de décomposer, pour ensuite synthétiser, comprendre et
pouvoir opérer.
Ce que nous disons est qu'ici surgit une sorte de paradoxe, sur le fait que lorsque la
pensée effectue cette photographie du mouvement, elle le fait en essayant de pouvoir
comprendre et en réalité, en l'arrêtant, ça lui échappe parce que le statique s'oppose au
dynamique. Pour pouvoir comprendre ce qui est dynamique, je l'arrête. C'est
apparemment contradictoire. Mais grâce au fait que je peux arrêter cette dynamique dans
la pensée, je peux commencer à la comprendre, à comprendre son fonctionnement,
comment elle se relationne et surtout, je peux commencer, à partir de cette
compréhension, à opérer sur elle.
Il ne suffit pas d'améliorer le cours de la pensée, je dois aussi pouvoir le décomposer en
éléments constitutifs, le mettre en relation avec d'autres phénomènes et comprendre
comment il se transforme dans le temps. Et pour que ces opérations produisent, comme
résultat, une meilleure compréhension, j'ai besoin d'une méthode.
LA METHODE EN PHILOSOPHIE
En entrant dans le domaine philosophique, il nous intéresse d'établir une première
distinction que faisait déjà Platon entre la connaissance vulgaire, populaire, ce que
traditionnellement on appelait l'opinion, la « doxa », et la connaissance qui n'est ni un
savoir naïf, ni une connaissance que l'on obtient facilement et qui est convertible en
opinion. Une connaissance qui provient de ce qu'on l'a recherchée, une connaissance
fondamentale, que Platon dénommait « épistémè ».
Une connaissance qui implique un effort, une intention, un processus pour essayer de la
révéler de la manière la plus claire possible, de la manière qui nous rapproche le plus de
ce qu'en philosophie nous pourrions appeler la vérité ; la connaissance exacte, profonde,
ultime.
En philosophie, la méthode, c'est cet ensemble de procédés qui vont nous permettre
d'effectuer une série d'opérations mentales successives orientées vers la compréhension
de l'essence des choses.
En ce sens, la méthode apparaît comme un outil pour pouvoir nous orienter dans ce
chemin de recherche. Parce que sinon, comment ferions-nous pour chercher la
connaissance ? De fait, il y a eu différentes stratégies.
Nous nous centrerons, dans le petit nombre d'exemples que nous allons donner, sur
l'histoire occidentale et, fondamentalement, sur l'histoire européenne. Nous ne
prétendons pas écarter les apports importants provenant d'autres cultures mais plutôt
répondre à la nécessité de délimiter le champ de l'exposé.
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LA MAIEUTIQUE
Nous ne savons pas exactement comment cela s'est passé, mais d'après ce que raconte
l'histoire, le premier à décrire la méthode qu'il utilisait pour penser fut Socrate.
Évidemment, d'autres avant lui dans cette zone de la Méditerranée firent des apports
d'importance : Thalès, Pythagore, Héraclite, Parménides, mais Socrate, le premier, a
expliqué sa méthode.
L'histoire dit qu'il était le fils d'une sage femme et sa méthode fut appelée
« maïeutique », ce qui en grec signifie, " expérience d’accouchements ".
Quelle était sa méthode ? Sa méthode était « la question ». Lorsqu'il voulait arriver à
l'essence d'un concept, ce qu'il faisait, c'était de demander à celui qui était supposé
savant dans le domaine concerné.
Une anecdote connue, racontée par Platon, l'un de ses disciples, qui montre bien cette
méthode de la question.
Socrate, comme vous le savez, n'écrivait pas, mais Platon lui, écrivait beaucoup et c'est
comme cela que toute cette connaissance de son oeuvre nous est parvenue.
Un jour, Socrate voulut savoir ce qu'était la bravoure, le courage. Qu'était l'essence du
courage ? Il sortit donc sur la place publique, s'adressa à un général de l'armée et lui
demanda :

Vous, vous devez savoir ce qu'est le courage !

En effet, dit l'autre.
 Bien et qu'est-ce que le courage ? Le général s'est certainement arrêté un moment
pour méditer, c'était une question étrange qu'on ne lui avait jamais posée et, finalement,
il a dit :

Le courage, c'est avancer contre l'ennemi et ne jamais reculer.
 Ah, dit Socrate, Mais cela n'arrive-t-il pas parfois qu'un général fasse reculer ses
troupes pour piéger l'adversaire en lui faisant croire qu'il est en train de gagner pour
ensuite le surprendre et inverser les résultats ?

Et bien... oui.

Alors, la première réponse que vous m'avez faite n'est pas la plus certaine.

Et bien, non, dut reconnaître le général.

Et donc, qu'est-ce que le courage ?
Et de nouveau le général essaya de trouver une nouvelle réponse, déjà un peu gêné par
ce Socrate, qui n'était jamais satisfait et qui recommençait à poser des questions. Et
guidé par ces questions, il s'approcha peu à peu d'une définition plus juste qui, jamais ne
convenait tout à fait.
Ainsi, par la question et l'ironie, il s'approchait d'une idée qu'il pouvait encore affiner, bien
que jamais il n'aboutirait à la définition parfaite.
Et tout cela qui paraît, depuis le point de vue actuel, un peu naïf, était très intéressant car
avec très peu d'éléments, il pouvait déjà construire tout un système de pensée à partir
d'un élément aussi primaire et simple que la question.
Et pourquoi maïeutique ? Justement, ce qu'il faisait au travers des questions, était de
mettre en lumière une connaissance que l'autre détenait. L'autre ne savait pas qu'il
savait. Socrate, par la question et la re-question faisait que l'autre pouvait sortir les
réponses de lui-même.
Mais ces réponses n'étaient déjà plus une première opinion. Ce n'était plus une chose
naïve qu'il avait parce que « il lui semblait que », mais il avait travaillé pour obtenir cette
réponse et cette réponse pouvait être fondée.
LA DIALECTIQUE
Son disciple, Platon, prit cette méthode et la développa dans ce que nous nommons
jusqu'à ce jour dialectique. Sur la base de la question, il la perfectionne et crée une
méthode qui consiste à lancer une proposition et ensuite, à faire une critique de cette
proposition. A partir d'une critique de la première proposition, il essaie d'obtenir une
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nouvelle proposition mais un peu plus ajustée. L'idée est que l'on va rencontrer la vérité
dans la mesure où l'affirmation pourra résister aux critiques. Des critiques, qui
évidemment, ne tendent pas à la dispute, contrairement à ce que très souvent, on
comprend par dialectique.
La nouvelle proposition intègre d'autres éléments et ainsi, nous rencontrerons des
conceptions qui sont plus solides dans la mesure où elles peuvent mieux résister à
d'autres critiques. Jusqu'à ce qu'idéalement, on ne trouve plus aucune critique et qu'on se
situe alors face à l'essence de l'idée.
L'intérêt de cette critique n'a rien à voir avec l'annulation de la critique précédente, mais
c'est plutôt pour la perfectionner. Le mot critique a connu différentes acceptions chez
divers philosophes, mais, celle-ci correspond au sens que Platon lui donne.
La critique était fondamentale dans sa méthode. Et c'était ainsi, il n'y avait pas besoin
que la critique soit faite par quelqu'un d'autre, car, dans sa méthode, chacun pouvait la
développer lui-même. A partir de critiques successives à ses propres propositions et
idées, de nouvelles critiques surgissent et permettent de se rapprocher de l'essence de la
question. C'est donc un dialogue entre la proposition et la critique de cette affirmation.
En allant un peu plus loin, nous pouvons définir deux moments dans ce processus.
Un premier moment est celui de l'intuition de l'idée. L'intuition comme la captation directe
de l'idée de la chose. L'appréhension sans intermédiaire. Le second moment est l'effort
critique pour éclaircir l'idée.
Il y a différentes questions sur lesquelles nous avons des perceptions directes. Par
exemple, cette table, cette fenêtre... Nous pourrions dire que nous avons une captation
directe sur le terrain du sensible, celui des phénomènes pris en compte par nos sens.
Nous avons également une captation directe d'une couleur, d'une forme, d'une taille. Il y
a un premier pas qui a à voir avec cela ; mais il ne s'arrête pas là car il essaie de
l'améliorer pour pouvoir atteindre l'essence de ce dont on a l'intuition et, sur ce chemin
de la recherche de l'essence, sa méthode est la critique.
C'est pour cela que le nom donné à ce procédé est dialectique, dialogue. Mais, observez
bien que ce qui est visé, ce n'est pas ce qui arrive avec l'intuition, mais c'est surtout ce
qui se passe après que l'on a eu une intuition.
Pour Platon, le monde des choses et celui des idées sont deux mondes séparés et pour
expliquer cela, il fait appel à une allégorie et conte le mythe de la réminiscence.
Ce mythe raconte que les âmes, avant de naître
idéal où la perception est, la perception directe
chose comme un ciel platonicien (topos uranos).
d'oubli de tout cela. Mais, si l'on fait un effort, on
dans un corps, ont vécu dans ce monde
et sans effort des idées pures, quelque
Lorsqu'elles s'incarnent, il y a une sorte
peut arriver à s'en souvenir...
Cela est très bien démontré dans une anecdote où l'on raconte que Platon qui parlait avec
un groupe d'amis à Athènes, expliquait sa théorie. Ses amis étaient un peu sceptiques sur
ce qu'il proposait et c'est ainsi qu'il leur montra un exemple.
Un jeune esclave passait par là. Platon l'appelle et demande à son maître, qui était l'un
des contradicteurs.

Ton esclave connaît-il les mathématiques ? Ce à quoi l'autre répond :

Non, qu'en saurait-il ! C'est un esclave, il n'a pas d'instruction, il ne sait rien.
Alors Platon demande au garçon d'imaginer trois lignes droites et, partant de là,
commence à lui poser des questions sur ce qui se passe avec une ligne ou une autre et, à
partir des réponses que donne l'esclave, il construit toute une géométrie.
Platon dit : de toute évidence, il n'a pas d'instruction, il ne sait rien, il ne connaît rien de
la géométrie, et, par conséquent, comment se fait-il qu'il puisse dire de telles choses ?
Avec cela, ses amis devaient être en train de penser que cette affaire de la réminiscence
n'était pas si fantaisiste.
A partir de ce développement dialectique, de questions bien formulées, le supposé
ignorant, pouvait définir des concepts et poser des affirmations qui, jamais auparavant,
n'auraient pu se trouver en lui.
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LA LOGIQUE
Par la suite, Aristote continue à développer la dialectique en lui donnant un
chamboulement important, en faisant attention au mouvement de la raison qui, d'une
proposition va à une autre, et de celle-ci à la suivante. Il formule ainsi les lois générales
du raisonnement correct. Et bien que l'on ne puisse pas dire qu'il a été l'inventeur de la
logique, c'est lui qui lui a donné la forme qui est pratiquement identique à celle que nous
connaissons aujourd'hui.
Ainsi, la logique se convertit en une méthode de la philosophie en posant les lois du
raisonnement mais il est bien d'éclaircir, non pas d'un point de vue psychologique, mais
d'un point de vue logique.
Les lois du raisonnement nous permettent d'affirmer qu'une proposition particulière est
vraie si elle surgit de propositions générales vraies. Aristote montre ainsi comment
démontrer, au travers de la déduction, la vérité d'une affirmation.
A partir de ce moment, il faudra prouver les affirmations pour qu'elles aient valeur de
vérité, et soient d’abord considérées comme partie du savoir philosophique, puis du savoir
scientifique.
A titre d'exemple, voyons un moyen simple d'appliquer un syllogisme, un raisonnement.
Si j'affirme : tous ceux qui sont assis ici sont humanistes, proposition générale que nous
donnons pour vraie.
Et Michel est assis ici, proposition que nous savons également vraie.
Alors, Michel est humaniste. C'est une proposition particulière, que nous pouvons tenir
pour vraie parce qu'elle surgit par déduction des deux propositions antérieures, c'est-àdire qu'elle a une vérité logique.
Ce processus de déduction si clairement développé par Aristote le fut il y a plus de 2300
ans.
Cette méthode de la déduction est très en vigueur aujourd'hui dans quelques sciences
formelles comme les Mathématiques. Dans de telles sciences, je commence en acceptant
certains concepts généraux, certains axiomes pour ensuite arriver à des particularités qui,
dans la mesure où ils sont valables dans leur raisonnement, amènent à des résultats qui
vont également être vrais.
Un exemple classique est la démonstration des théorèmes. Ils sont déductifs, partent du
général vers le particulier et si le processus est logiquement valable, alors le résultat doit
être juste. Démontrer rigoureusement la validité du processus est la preuve de la validité
du résultat.
LA SCOLASTIQUE
En avançant un peu plus dans l'histoire, nous voici au Moyen âge. Nous voyons que ces
méthodes de la déduction et de la preuve furent héritées des écoles philosophiques et
notamment, de l'école scolastique.
C'est ainsi que se nomme l'école philosophique la plus importante de cette époque. Elle
prit la méthode aristotélicienne et la conjugua avec les opinions des sages de l'époque.
Au sein du courant des scolastiques, le plus connu est un italien : Thomas d'Aquin.
A ce moment, l'intention des intellectuels est de prétendre intégrer la pensée des grecs et
des romains avec les révélations divines. La tâche qu'ils se proposèrent est difficile, mais
ils devaient faire en sorte que cela fonctionne.
Il est certain qu'il y eut différentes positions. Certains disaient que les vérités de la raison
ne pouvaient pas être différentes ou contredire les vérités révélées. D'autres en revanche,
pensaient qu'il y avait deux vérités, la vérité révélée et la vérité à laquelle on peut
accéder par la pensée.
Donc, en partant de l'idée aristotélicienne de la déduction et de la preuve, ils
incorporèrent aussi l'idée platonicienne de la « contre-position » (i.e. de la critique) des
idées philosophiques de l'époque.
Ainsi, il y a des travaux dans lesquels apparaît tout le processus de la déduction, du
général au particulier ; mais aussi, en même temps, ils essaient d'opposer les opinions
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des différents sages contemporains sur un thème, à partir d'un processus d'analyse et de
comparaison, pour aboutir à un savoir, où se trouverait la vérité recherchée.
De toutes manières, voyez comme toute cette histoire des méthodes, depuis les Grecs
jusqu'au Moyen âge inclus, tend à voir ce qui se passe après l'intuition. Comment, à partir
d'une intuition de départ, on peut perfectionner un procédé de discours qui nous
rapproche de la vérité, de l'essence des phénomènes.
C'était un essai pour organiser la pensée à travers certains procédés ordonnés, un certain
type de méthode.
Pour résumer ce qui a été dit jusqu'ici, et depuis le point de vue de l'évolution des
méthodes du penser, nous avons vu que le premier à expliquer sa méthode de la question
et de l'ironie fut Socrate. Ensuite, Platon a différencié deux moments de la pensée,
l'intuition et ensuite, la critique dialectique qui permet d'améliorer la première avec
l'intention de se rapprocher de l'idée pure qui existe uniquement dans le monde
platonicien, dans ce lieu céleste où se trouvent les idées parfaites.
Aristote avance sur cette vision, en définissant les lois qui régissent le raisonnement
correct, qui amène d'une proposition à une autre et permet de conduire à une nouvelle
proposition vraie. Cela s'appelle le raisonnement déductif. Il donne son fondement à la
méthode de la preuve.
Puis, au Moyen âge, les Scolastiques développèrent ces idées en intégrant à la méthode
logique, la dialectique entre les diverses visions religieuses de l'époque, en essayant de
trouver le meilleur chemin pour s'approcher de la vérité, mais toujours en privilégiant cet
aspect discursif de la méthode.
Et il en sera ainsi jusqu'au 17è siècle, avec la survenue de la Renaissance, qui produit un
bouleversement fondamental dans la façon de se placer face à cette recherche des
réponses fondamentales.
LE DOUTE METHODIQUE
En 1600, apparaît quelqu'un qui révolutionne fortement la pensée. Il donne une autre
forme aux autres penseurs tout en suivant la méthode philosophique.
Il s'agit de René Descartes, mathématicien et philosophe français qui se préoccupe
d'étudier ce qui s'est passé avant l'intuition.
Rappelons-nous que jusqu'à la Renaissance, la méthode de la philosophie était discursive
et tendait à étudier ce qui se passait après l'intuition.
A partir de Descartes, l'intérêt est placé avant l'intuition.
Il postule que face à l'expérience chaotique et désordonnée qui nous arrive des
sensations, il faut chercher à les éclaircir par l'analyse. C'est-à-dire en décomposant
l'expérience, jusqu'à nous trouver face à une évidence claire et distincte, en pouvant la
détacher de celle qui ne possède pas ces caractéristiques. Sa méthode se développe en
doutant de façon ordonnée et en analysant tout objet qui nous apparaît confus jusqu'à ce
qu'il se convertisse en une intuition claire et évidente. Sa méthode est pré intuitive.
La conception platonicienne sépare le monde des sensations, du monde des idées, qui
étaient transcendantes à l'objet. Au contraire, pour Descartes, les idées se font jour dans
le même monde que la perception sensible et il postule l'immanence de l'objet
philosophique.
Voyons brièvement comment il présente sa méthode, inspirée de la méthode utilisée par
les géomètres pour étudier leurs problèmes. Descartes dit, dans son célèbre Discours de
la Méthode.
1.
Ne pas tenir pour vraie une chose que l'on ne sache pas avec évidence, qu'elle l'est.
2.
Diviser chaque difficulté à examiner, en autant de parties possibles pour arriver à
leur meilleure résolution.
3.
Conduire mes pensées de façon ordonnée, en commençant par les objets les plus
simples et les plus faciles à connaître, pour aller en montant peu à peu, de façon
graduelle, jusqu'à la connaissance d'objets plus complexes, tout cela supposant un
ordre entre les objets qui ne se précèdent pas naturellement.
4.
Faire pour tous les objets des vérifications tellement intégrales et des révisions
9
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tellement générales que l'on soit certain de ne rien oublier.
Extrait du Discours de la Méthode (version originale)
1.
Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment
être telle.
2.
Le second, de diviser chacune des difficultés que j'examinerai, en autant de parcelles qu'il se
pourrait, et qu'il serait requis pour les mieux résoudre
3.
Le troisième, de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et
les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu'à la connaissance des
plus composés, et supposant même de l'ordre entre ceux qui ne se précèdent point naturellement les
uns les autres.
4.
Faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne
rien omettre.
Dans sa recherche, Descartes, en mettant en doute tous les concepts, trouve que l'unique
chose dont il ne peut pas douter est de ce qu'il pense ; et indépendamment de ce qu'il
pense, c'est une expérience claire et indubitable et c'est pour cela qu'il dira : je pense,
donc, je suis.
Après Descartes, une longue liste de philosophes a avancé dans la façon de se placer face
à l'étude de l'être et du connaître et a proposé des méthodes. Ce sujet dépasse largement
la finalité de ces développements dans lesquels nous avons voulu montrer quelques
exemples sur comment les recherches de la philosophie, depuis ses débuts, ont eu besoin
d'une méthode, d'un chemin pour avancer.
LA METHODE SCIENTIFIQUE
C'est à partir du 16è siècle, au cours duquel les explications dérivées de la religion ne
s'avèrent plus suffisantes et durant lequel la science connaît un essor important, en
commençant à émerger jusqu'à s'installer comme point central de la culture actuelle.
C'est le début de l'Age Moderne.
Ces sciences, détachées de la vieille philosophie, se posèrent des questions sur le monde
sensible en essayant de donner des explications à la raison pour laquelle les choses
arrivent de la façon dont on les observe. A partir de ce savoir, elles se demandèrent
comment elles pourraient prédire des événements futurs et donner ainsi des réponses
aux nécessités humaines.
Il est intéressant d'observer le chamboulement qui se donne dans cette étape, où
l'attention sort vers le monde externe et commence à appliquer sa pensée au monde des
choses.
En termes généraux, nous pouvons voir les sciences, dont les limites, parfois, ne sont pas
très précises, comme un grand ensemble de théories qui prétendent expliquer comment
et pourquoi les phénomènes que nous observons se donnent d'une certaine manière.
En ce sens, chaque science se développe en délimitant un groupe d'objets à connaître et
une méthode pour aborder sa connaissance.
Les différentes sciences ont produit des adaptations de la méthode scientifique pour
valider leurs développements et plus qu'une méthode, il existe un ensemble de stratégies
pour produire de la connaissance qui soit considérée valable par la communauté
scientifique.
Dans l'histoire scientifique, différentes façons d'envisager la résolution des problèmes ont
été développées, bien que, en général, ceux-ci furent associés à une certaine forme de
vérification ou de preuve.
Actuellement, la science est moins prétentieuse qu'à d'autres époques et elle propose la
construction de la connaissance à travers la formulation et la mise à l'épreuve et la
validation d'hypothèses.
Les hypothèses sont des affirmations réalisées dans un lieu et à un moment historique
déterminés, dont on ignore la valeur de vérité au moment où elles sont formulées et c'est
pour cela que l'on a besoin d'un procédé qui nous permette de les valider.
Il y a donc plusieurs stratégies pour la validation d'une hypothèse. Nous allons
développer, à titre d'exemple, les pas de la méthode hypothético-déductive, la plus
connue de la science moderne.
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Il existe, dans sa version simple, différents pas :
1.
Formuler une hypothèse
2.
Supposer qu'elle est vraie.
3.
Déduire quelles seraient les conséquences à vérifier si l'hypothèse était vérifiée.
4.
Observer si les conséquences proposées se vérifient.
5.
Confirmer ou infirmer l'hypothèse.
Avec cette méthodologie, on ne prétend pas avoir la certitude sur un énoncé mais, dans
la mesure où une hypothèse est prouvée et ne peut être réfutée, on démontre sa force et
elle survivra à moins que ne surgisse une donnée empirique qui la fasse rejeter.
Comme on le verra, cette méthodologie, qui a été très fructueuse dans des domaines
comme la physique, la chimie et la biologie, s'est trouvée face à de réelles difficultés
lorsqu'il s'est agi de l'employer dans des domaines où le fondamental est le phénomène
humain, comme la psychologie, la sociologie, l'histoire et l'économie, entre autres.
Bien, jusqu'ici, nous avons défini et donné des exemples, pour montrer que les méthodes
font partie du développement humain et comment elles ont aidé à construire le monde
que nous connaissons.
LA VISION DU NOUVEL HUMANISME
Le Nouvel Humanisme est une vision intégrale sur l'Etre Humain et le Monde.
Nous pouvons dire qu'elle part d'une intuition intégrale de tout l'existant qui capte le
phénomène d'une façon directe, sans intermédiaires.
Mais l'expérience est mouvement et changement permanent. Nous sommes sujets au
mouvement et par conséquent, l'expérience n'est pas opérante en elle-même, parce
qu'elle ne nous permet pas d'opérer dans le monde.
Si nous restions seuls avec l'expérience, nous ne pourrions pas avoir un système ordonné
du monde ni de nous-mêmes et nous ne pourrions pas y agir avec cohérence.
Mais la conscience humaine nous apparaît avec une double capacité. D'un côté, celle de
capter de façon directe, divers types de phénomènes, et d'un autre de déployer, par la
pensée, cette expérience pour l'amener à illuminer différentes régions de ce qui est
connaissable.
Cela nous amène à considérer la pensée dans ses formulations les plus générales pour, à
partir de là, apprécier les fondements de la Méthode que nous étudions.
LES PRINCIPES
Les abstractions les plus larges du penser se réfèrent à l'"être", et son comportement
donne lieu à ce que nous connaissons comme Principes.
Ils sont à la base de la science et, bien qu'ils n'aient pas été démontrés, ils nourrissent les
Lois, les Théories et les Méthodes scientifiques.
Pour simplement les énoncer, ce sont les principes d'Identité, de Non contradiction, du
Tiers exclus et de la Raison suffisante.
Dans la théorie du Nouvel humanisme, exposée par Silo, on rend compte aussi des
Principes, Lois et Méthode, ceux-ci étant expliqués à partir des mécanismes du penser.
Mais ces Principes, Lois et Méthode sont fondés sur l'observation des mécanismes du
penser.
Comme l'explication de ces mécanismes dépasse les limites de ce séminaire, nous allons
seulement les énoncer.
Principe d'Expérience : il affirme qu'il n'a pas d’être sans manifestation. On remarque ici
que nous ne pouvons pas parler de ce dont nous n'avons pas de manifestation.
Principe de Graduation : ce qui "est" et ce qui "n'est pas" admettent différent degré de
probabilité et de certitude. Il indique que les choses ne sont pas "vraies" ou "fausses",
mais on peut reconnaître un continuum de probabilité entre ce que "est" et ce qui "n'est
pas".
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Principe de Non-contradiction : il n'est pas possible que quelque chose "soit" et "ne soit
pas" au même moment et dans le même sens. Une chose peut être différente d'ellemême si elle change le moment ou le sens dans lequel nous la considérons.
Principe de Variabilité : l'être "est" et "n'est pas" identique à lui-même selon qu'on le
considère comme moment ou comme processus. Ce principe est semblable au précédent
mais dans un autre contexte : il explique que, considéré comme moment, l'"être" est
identique à lui-même mais, considéré comme processus, il "n'est pas" identique à luimême.
LES LOIS UNIVERSELLES
Comme au-dessus de tout, il y a l'expérience, c'est d'elle que surgissent, en premier lieu,
les Principes et les grands concepts que nous appelons Lois Universelles. Ces Lois sont
des outils de travail conceptuel que nous appliquons ensuite à l'étude de choses, de
phénomènes ou de situations.
Ce travail conceptuel est, en définitive, ce qui nous permet d'agir dans le monde, que ce
soit à travers la pensée ou avec l'action dans le milieu. Les deux, pensée et action,
constituent la base de l'expérience humaine.
Nous parlons de Lois Universelles, car elles embrassent la totalité des phénomènes qui
arrivent à notre expérience. S'il en était autrement, elles ne seraient pas autre chose que
les lois d'une science ou d'une discipline en particulier. Mais, pour nous, il s'agit de lois qui
peuvent servir en physique, chimie, biologie, psychologie, sociologie, économie, etc. Ces
lois, tout comme leur méthode, servent à orienter le processus de la pensée d'une façon
ordonnée et à nous donner la vision la plus ample possible d'un phénomène donné.
Les Lois sont des constructions humaines opérantes, qui permettent d'expliquer un
phénomène et de décrire des tendances, de prédire. Ce sont des idées systématisées de
la façon dont les choses fonctionnent, des régularités qui s'accomplissent dans une frange
déterminée de phénomènes.
Dans l'enceinte de la science, elles proviennent de l'observation de phénomènes
particuliers qui donnent naissance à des hypothèses et à des théories qui, à mesure
qu'elles sont vérifiées par de nouvelles expériences, permettent de construire une vision
« scientifique » du monde.
Dans un tel contexte, les hypothèses se définissent comme des affirmations dont on
ignore la valeur de vérité au moment où on les énonce. A leur tour, les théories sont des
ensembles d'hypothèses, qui soutenues en même temps, prétendent expliquer le
comportement de certains phénomènes dans un milieu donné. Les lois sont des
constructions qui essaient d'expliquer le comportement général d'un ensemble de
phénomènes.
La direction du processus de la science est, en ce sens, fondamentalement inductif, car
les scientifiques partent d'expériences particulières, cherchant à les généraliser dans des
milieux plus importants.
Les hypothèses, théories et lois de la science sont des explications provisoires qui, de
toute façon, servent pour opérer provisoirement dans le monde des phénomènes.
Tout au contraire, les Lois Universelles desquelles nous partons ne s'expliquent pas parce
qu'elles partent d'expériences particulières mais d'une expérience globale, intégrale, de la
compréhension des mécanismes du penser. Ces mêmes lois doivent permettre de rendre
compte du comportement de tous les phénomènes existants.
Les lois universelles s'expriment sur la base de quatre postulats :
 Loi de structure : rien n'existe de façon isolée, tout est en relation dynamique avec
d'autres constituants à l'intérieur d'enceintes qui les conditionnent.
 Loi de concomitance : tout processus est déterminé par des lois de simultanéité
avec des processus de la même enceinte et non par des causes linéaires du mouvement
précédent dont il procède.
 Loi de cycle : dans l'Univers, tout est en évolution, tout avance du plus simple au
plus complexe et est organisé selon des temps et des rythmes cycliques.

Loi de dépassement de l'ancien par le nouveau : l'évolution continue de l'univers
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présente un rythme de différences, combinaisons et synthèses de plus en plus complexes.
De nouvelles synthèses assument les différences précédentes et éliminent la matière et
l'énergie qui ne sont plus qualitativement acceptables pour des étapes plus complexes.
LOI DE STRUCTURE
Rien n’existe de façon isolée, tout est en relation dynamique avec
d’autres constituants à l’intérieur d'enceintes qui les conditionnent.
Cette loi indique que les études sur un objet ne sont valables que
-
si on met cet objet en relation avec d'autres objets se trouvant dans la même
enceinte,
-
si l'on prend en compte le fait que cet objet d'étude comme ceux qui sont en relation
avec lui, sont en mouvement et
-
si on le comprend à l'intérieur d'enceintes plus importantes qui conditionnent leur
comportement.
Depuis cette perspective, les efforts de la science pour comprendre les phénomènes en
les isolant du milieu dans lequel ils se produisent, apparaissent comme un effort
extrêmement limité.
Malgré le fait que lesdits efforts ont été très fructueux dans certains champs comme la
physique, la chimie et la biologie, ils montrent clairement leurs limites lorsque l'on veut
les appliquer aux sciences que l'on appelle humaines, comme la psychologie, la sociologie
ou l'économie.
La complexité des phénomènes humains, leur essence, démontrent qu'il n'est pas possible
de les expliquer si nous les coupons de leur environnement pour les étudier et les
comprendre.
La conscience n'est ni un levier ni un muscle que l'on peut découper pour l'étudier. On ne
comprend pas les mécanismes de conscience si on les sépare du milieu culturel et social
dans lequel ils ont lieu. Et dans ce milieu, leur relation avec d'autres éléments est active
et dynamique.
Rajoutons que leur milieu n'est pas seulement spatial mais aussi et en priorité, temporel.
Mais il ne s'agit pas d'une temporalité externe et linéaire, réductible à des dates, mais
une temporalité interne et structurelle où le passé, le présent et le futur s'entrecroisent
d'une façon active et pondèrent le ici et maintenant de chaque instant.
LA LOI DE CONCOMITANCE
Tout processus est déterminé par des relations de simultanéité avec des
processus de la même enceinte et non par des causes linéaires du
mouvement précédent dont il procède.
Avec cette loi, nous étudions les relations de simultanéité avec d'autres processus qui se
développent dans la même enceinte.
Elle explique que les phénomènes contemporains qui apparaissent dans un milieu, ne
peuvent pas s'expliquer complètement par la simple relation causale de certains
phénomènes sur d'autres, ni d'après leur situation dans un moment passé, mais qu'il faut
les comprendre en relation au moment de processus du milieu dans lequel ils se
produisent.
Ainsi, lorsque nous étudions un phénomène qui se produit à un moment donné, sa
manifestation n'est pas une pure conséquence de l'action d'un autre (cause effet), mais
une condition provenant de l'enceinte majeure dans laquelle il se produit et qui opère
simultanément.
Cette loi est en relation avec la précédente. Rien n'est isolé, mais est en dynamique avec
d'autres phénomènes qui se produisent à l'intérieur d'enceintes qui les conditionnent.
L'explication de ce qui est observé, ne termine pas dans le simple fait de déceler d'où cela
provient immédiatement mais, en premier, il faut étudier le milieu conditionnant où cela
se trouve. Ce milieu est spatial et temporel, c'est une structure de relation qui change
constamment.
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Evidemment, cette vision crée une forte remise en question par rapport à la pensée
linéaire et causaliste, laquelle essaie d'expliquer les phénomènes uniquement en fonction
de leurs causes et de leurs effets, en les isolant de leur contexte.
Nous ne cessons pas de penser que cette pensée causaliste a permis une grande avancée
pour le rationalisme du 19è siècle. Par exemple, lorsque Louis Pasteur développe sa
théorie microbiologique, elle produit un choc profond avec l'idée de génération spontanée,
acceptée par les scientifiques de cette époque. Mais sa capacité d'explication et son
application ont ouvert le chemin aux progrès de la médecine moderne et ont permis la
compréhension de l'étiologie et du processus naturel des maladies infectieuses qui,
jusqu'alors, constituaient la principale cause de mortalité.
Dans la mesure où le profil épidémiologique des populations a changé et où l'on a
commencé à s'intéresser aux maladies chroniques dégénératives, cette théorie n'a plus
suffi et on a dû développer de nouveaux modèles théoriques comme les théories
écologiques et multifactorielles. Mais ces modèles ne suffisent déjà plus pour expliquer les
problèmes complexes qui se présentent à la médecine actuelle et qui requièrent un
nouveau saut conceptuel qui permettent de les appréhender.
Ainsi, la Pensée Structurelle sert de base à une nouvelle vision générale qui dépasse les
contradictions accumulées par la pensée linéaire.
Nous reconnaissons une certaine difficulté pour pouvoir apprécier la relation entre des
phénomènes concomitants parce que nous sommes très marqués par le moule de la ligne
du temps, de la causalité, l'avant et l'après. Il nous est difficile d'appréhender que ce qui
est observé à un moment déterminé n'est pas la simple conséquence de ce qui s'est
passé avant, mais celle de l'existence d'une enceinte majeure dans lequel les
phénomènes sont immergés et qui les conditionnent selon le moment de processus, tout
comme il conditionne aussi le regard de celui qui prétend étudier lesdits phénomènes.
A titre d'exemple, on pourrait se demander : pourquoi suis-je ici, intéressé à étudier la
méthode ? Est-ce parce que chacun de nous a fait un processus individuel qui nous a
amenés jusqu'ici ? Ou est-ce parce que nous participons en même temps dans un
ensemble majeur qui, dans ce moment de processus, est en train de nous influencer vers
un intérêt pour ces thèmes ? On pourrait tendre à regarder différentes choses en tenant
un raisonnement ou un autre. Ce n'est pas la même chose d'essayer de comprendre « ma
situation » si je pense qu'elle est un pur devenir biographique constitué uniquement de
causes et d'effets ou si je la mets en relation avec le contexte social et historique du
monde dans lequel je vis.
Lorsque j'essaie de comprendre une situation, je tends à l'expliquer d'après quelque
élément ponctuel que j'appelle cause. Mais on pourrait aussi se demander : est-ce que
j'aurais pu faire uniquement cela ou bien est-ce que j'aurais pu faire autre chose, si je
m'étais trouvé dans d'autres circonstances ? Quelle est la circonstance majeure qui nous
entoure ? Cette grande circonstance, c'est la structure de relations qui existent dans un
milieu social et dans un moment historique déterminé.
Ce que nous disons ne nie pas la liberté de choix mais nous amène plutôt à réfléchir sur
les limites à l'intérieur desquelles je peux exercer ma capacité de choix.
LOI DE CYCLE
Tout dans l’Univers est en évolution, tout avance du plus simple au plus
complexe et est organisé selon des temps et des rythmes cycliques.
Avec cette loi, nous étudions la dynamique, le rythme, le cycle, le mouvement jusqu'à la
transformation du plus simple au plus complexe. Comme tendance générale, un
processus peut évoluer, régresser, se cristalliser ou peut produire un saut qualitatif qui
transforme radicalement son identité de départ.
Les processus évolutifs ne se développent pas en ligne droite ni avec des temps ou des
accélérations constantes. Ils surgissent, croissent, se développent, déclinent et se
désorganisent, mais en se désorganisant, ils donnent naissance à de nouvelles formes qui
répètent le même processus à un autre niveau.
Ces processus ne sont pas déconnectés entre eux car les éléments progressifs du pas
précédent continuent dans le pas suivant et de ce fait, les cycles ne sont pas des cercles
fermés mais ont la forme d'une spirale.
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Les civilisations qui ont suivi un processus d'éclosion, croissance, développement, déclin
et désorganisation, où l'expérience accumulée la plus évoluée est passée à une autre
civilisation qui a développé encore plus les éléments de progrès antérieurs, sont un
exemple de cela. S'il en était autrement, l'humanité serait toujours en train de
recommencer du même point de départ et l'homme serait encore celui des cavernes qui
naîtrait et mourrait à chaque fois sans découvrir le feu.
Quelqu'un a pris l'exemple de certaines sociétés très conservatrices qui font beaucoup de
résistance au changement. De notre perspective, c'est une posture antihistorique. Et là,
on aura tendance à ce que rien de nouveau ne surgisse parce que n'importe quelle
nouveauté remet en question cette forme dans laquelle on "est". Et cela va produire
beaucoup de conflits, parce que dans l'univers, tout change et cette tendance, c'est
certain, va bien au-delà de la volonté personnelle.
Au niveau personnel, on pourrait dire : je voudrais que les choses restent toujours
comme elles sont aujourd'hui. Cependant, tout est en évolution et cette évolution a une
direction. Ce n'est pas que tout aille vers le désastre, mais tout cherche une organisation
plus complexe qui permette de compenser le déséquilibre qui se produit en permanence.
Cela se voit dans les galaxies, dans les molécules et certainement aussi dans les sociétés
et chez les individus. Rien n'est jamais de la même manière, cela change, cela mute, cela
évolue.
Il est important de comprendre cette idée que la structure est toujours en mouvement,
que nous apprécions ce mouvement en voyant les changements qui ont lieu dans la
structure à tout moment et qu'à leur tour, les différents moments se relationnent entre
eux avec une logique de processus.
Cette logique se réfère à la direction vers une organisation de plus grande complexité. Et
pourquoi une plus grande complexité est-elle nécessaire ? La raison en est que le milieu
change, que les changements déséquilibrent et qu'il est nécessaire de rétablir l'équilibre.
Mais ces changements dans le milieu sont eux aussi de plus en plus complexes et
requièrent de la structure un changement qualitatif pour pouvoir se perpétuer. Lorsque le
changement n'a pas lieu, la structure régresse et disparaît. Et comme toute structure
tend à s'auto-perpétuer, elle devra générer des réponses plus complexes, ce qui requiert
un changement qualitatif en son sein, changement qui implique une plus grande
complexité et une plus grande organisation.
Mais ces changements ne suivent pas un rythme figé mais cyclique. Un rythme qui n'a
pas la régularité du calendrier ou de la montre, parce que ce sont des façons de mesurer
le temps externes. Le temps des processus se comprend lorsque l'on observe les cycles
déterminés par le devenir interne de la structure.
La loi de cycle nous explique le changement des structures. Des structures qui mutent, se
transforment, s'interpénètrent, dans la recherche d'une plus grande complexité qui leur
permettent de mieux s'adapter aux changements du milieu et ainsi, pouvoir se perpétuer
dans le temps.
Et de cette façon, en figeant, dans la pensée, la dynamique de la structure, nous pourrons
étudier un moment de processus et analyser les phénomènes de concomitance qui s'y
produisent, mais tout en ayant présent à l'esprit qu'il s'agit d'un artifice pour essayer de
la comprendre.
LOI DU DEPASSEMENT DE L'ANCIEN PAR LE NOUVEAU
L’évolution continue de l’Univers présente un rythme de différences,
combinaisons et synthèses de plus en plus complexes. De nouvelles
synthèses assument les différences précédentes et éliminent la matière
et l’énergie qui ne sont plus qualitativement acceptables pour des
étapes plus complexes.
Nous étudions, avec cette Loi, la transformation de l'individu et sa relation avec les
changements de l'enceinte majeure à l'intérieur de laquelle elle se produit.
Cette Loi est en relation avec la précédente et explique qu'une structure se désintègre
parce qu'elle ne peut pas faire face aux nouvelles situations que lui impose le
développement car les éléments les plus nouveaux et les plus vigoureux se développent
depuis l'intérieur jusqu'à déplacer l'ancien système. Ce nouveau système est plus
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complexe et plus évolué que le précédent.
De nombreux éléments sont rejetés car ils sont comme des voies sans issue. Malgré le
fait que toute l'expérience est importante, de nombreux éléments ne sont pas
constructifs. Ces éléments qui ne servent pas de fondations à la construction de nouvelles
expériences, nous les appelons expériences non constructives, non progressistes.
Cette idée explique le dépassement de ce qui est vieux par ce qui est nouveau. En effet,
ce qui est nouveau est structuré d'après les expériences passées et en particulier, les plus
récentes. A mesure qu'une expérience s'appuie sur d'autres expériences progressistes,
concomitantes, les plus régressives sont mises de côté.
Ce postulat nous permet d'étudier la composition d'un objet, d'un phénomène ou d'une
situation et explique comment a lieu la dynamique à l'intérieur d'un processus.
Nous avons vu jusqu'ici que tout phénomène que nous voulons étudier n'existe pas de
façon isolée mais est conditionné par la structure majeure qui le contient, que cette
structure évolue vers des formes plus complexes et qu'à chaque étape, on vérifie des
relations de concomitance avec des phénomènes qui se produisent dans ce même milieu.
Arrêtons-nous maintenant sur l'objet que nous souhaitons étudier et analysons sa
composition.
En faisant cela, nous observons que les composants internes ne sont pas statiques, ils
bougent. Mais pas de façon anarchique. Nous trouvons également chez eux une logique
de transformation qui indique que ces éléments, premièrement se différencient, ensuite
se complètent et finalement, se synthétisent. Tout cela, dans un processus continu.
Et dans ces pas de différenciation, de complémentation et de synthèse, nous trouvons
une clé pour la dynamique du processus, dynamique qui donne du mouvement à la
structure.
La différenciation signifie que ce qui était homogène à un moment donné, se désagrège
au moment suivant en donnant naissance à des éléments ayant des caractéristiques
différentes.
La complémentation indique que ces éléments différenciés tendent à se mettre en
relation, à interagir.
Finalement, la synthèse implique que cette interrelation donne lieu à un nouvel élément
qui n'est pas la simple juxtaposition des attributs précédents mais un nouvel élément, de
qualité différente. Dans la synthèse, il y a un saut de qualité qui fait que ce nouvel
élément est plus apte à continuer le processus.
Cette loi nous permet ensuite d'étudier la composition de l'objet, mais pas de façon
statique, figée, plutôt avec une dynamique déterminée par les étapes décrites. Et c'est
dans cette nécessaire tendance au dépassement que les éléments inaptes pour des
étapes plus complexes, sont rejetés et que les nouveaux éléments constituent la base des
prochaines étapes .
Dans l'étude de l'Histoire, par exemple, le matérialisme proposé par Engels et Marx
postule que le moteur de l'histoire est la lutte des classes où les oppresseurs et les
opprimés sont en continuelle dialectique et ceci explique pourquoi se meuvent ces
processus.
Pour nous, il s'agit d'une vision « du dehors » du processus humain, une vision qui étudie
le processus humain comme celui qui étudie l'orbite d'une planète.
En fait, depuis la perspective proposée par cette loi, nous dirions, comme Ortega, que le
moteur de l'histoire est la lutte générationnelle qui se produit lorsque de nouvelles
générations luttent pour déplacer les générations au pouvoir du présent social et c'est ce
phénomène vital qui explique au-delà de toute autre considération, que l'histoire humaine
se déroule. Ce ne sont pas les « conditions objectives », externes qui déterminent le
phénomène mais la lutte entre les différentes subjectivités temporelles que chaque
génération porte en elle. Les générations sont le temps social en mouvement.
Au niveau personnel, nous pourrions également voir comment cette vision opère. Certains
pourraient penser que la conduite peut être expliquée uniquement en réaction aux stimuli
externes, comme dans les expériences de Pavlov. Alors, on pense qu'il est possible de
domestiquer les personnes en fonction des stimuli auxquels on les soumet. De là
émanent, par exemple, les idéologies de la répression ou des récompenses et punitions
pour discipliner la société.
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CARNET 1
Quelqu'un peut aussi se voir ainsi et en étudiant sa vie, croire que ce qui lui arrive est le
reflet mécanique de ce qui lui est arrivé.
Depuis la perspective de cette loi, pour comprendre la vie d'une personne, et
évidemment, la sienne, il est nécessaire de prêter attention à la façon dont la vie
personnelle s'est déroulée selon que les éléments de progrès, de plus grande adaptation
croissante se sont développés et ont déplacé les régressifs. Comment la vie a crû
lorsqu'elle a pu avancer dans ce processus de différenciations, de complémentations et de
synthèses continues et comment la vie a paru s'arrêter lorsque les éléments régressifs
n'ont pu être dépassés.
Bon, mais ce ne sont que des exemples et l'idée n'est pas de les approfondir ; nous
remarquons seulement que cette loi nous dit que ce qui meut la structure dans un sens
évolutif, dans une direction à gagner une plus grande complexité et adaptation, c'est
cette sorte de petit processus de différenciations, de complémentations et de synthèses
que nous pouvons observer à l'intérieur de n'importe quel phénomène qui se produit dans
le monde et dans sa propre conscience.
Voilà donc les quatre structures théoriques qui nourrissent conceptuellement la méthode
que nous allons étudier et à la façon dont nous allons procéder pour comprendre et
opérer.
Cette méthode n'est pas « tombée du ciel », mais provient de cette base théorique de
laquelle elle se détache.
Pour synthétiser ce chapitre, nous remarquons que ces lois sont présentées séparément
pour faciliter leur compréhension, mais il faudra faire l'effort de les considérer de façon
simultanée en construisant en nous-mêmes une façon de regarder structurelle et
dynamique qui nous permette de nous rapprocher des objets que nous allons étudier sous
une nouvelle forme.
Mais cette nouvelle façon de regarder n'est pas habituelle, ne vient pas mécaniquement,
nous avons besoin d'un guide qui nous emmène par le sentier correct et nous soutienne
pour arriver à la fin du chemin que nous allons emprunter.
Nous avons besoin d'une méthode.
LA METHODE STRUCTURELLE DYNAMIQUE - GENERALITES
Nous avons dit au début que chaque courant de pensée a développé une méthode qui
correspondait à sa vision particulière du monde.
De la même façon, la pensée du Nouvel Humanisme requiert une méthode qui la rende
opérationnelle, c'est-à-dire, qui mène ses postulats sur le terrain de l'application.
Cette Méthode ne part pas des principes de la Logique classique mais des Principes fondés
sur l'observation des mécanismes du penser.
Alors le fondement de cette méthode n'est pas une idée de "l'être" mais les mécanismes
du penser, la structure dynamique du penser.
Les quatre Lois Universelles que nous venons de commenter proviennent de cette vision
et, maintenant, nous avons besoin d'un ensemble de procédés qui nous permettent
d'obtenir, de façon ordonnée et pas-à-pas, une connaissance sur le monde et sur nousmêmes qui intègre une vision qui est, par essence, Structurelle et Dynamique.
Ce sont ces caractéristiques essentielles qui nous ont amené à l'appeler Méthode
Structurelle Dynamique.
Faisons une digression et disons que cette appellation ne doit pas être confondue avec le
point de vue structuraliste né au 20è siècle, initié par le linguiste Ferdinand de Saussure,
développé par différents chercheurs en sciences sociales et qui a connu son apogée après
la seconde guerre mondiale, avec les apports de Claude Levi-Strauss, de Lacan et de
Piaget, entre autres.
Le Structuralisme apporte une vision des systèmes et des relations qui s'établissent en
eux mais c'est une vision « du dehors », de l'extérieur du phénomène, ce qui fait une
différence substantielle avec la proposition théorique et méthodologique de l'humanisme
telle que nous allons l'étudier dans ce séminaire et, bien sûr, cela amène à des
conséquences très différentes.
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CARNET 1
Pour revenir à notre exposé, retenons le fait qu'avec cette Méthode Structurelle
Dynamique, nous pouvons étudier n'importe quel phénomène, situation ou chose mais
nous choisirons, dans ce séminaire-atelier, à l'appliquer au domaine des sciences dites
humaines, là où l'être humain se trouve être l'acteur principal.
Et plus particulièrement, comme les participants à cet atelier sont des personnes
appliquées à l'action sociale transformatrice, l'étude de situations et de conflits sociaux
que nous rencontrons dans notre travail quotidien va particulièrement nous intéresser et
cela, avec l'intention d'arriver à une vision plus claire du problème et des alternatives
présentées par sa formulation.
Alors, mis en situation et au premier regard, le monde qui nous entoure nous apparaît
chaotique, sans ordre et lorsque nous nous mettons à l'étudier avec d'autres, nous
voyons que nous pouvons émettre différentes opinions à son sujet. Des opinions qui, dans
quelques cas, pourront coïncider et dans d'autres, diverger tellement qu'il nous semblera
que nous observons des choses différentes.
Nous trouvons aussi des situations pour lesquelles nous ne savons pas bien que penser et
cela nous déconcerte ou nous désoriente.
Nous prétendons tout de même avoir une méthode qui nous permette de comprendre ce
que nous vivons et qui nous aide à avoir plus de clarté sur la façon d'opérer dans le
monde.
Nous ne disons pas que nous recherchons la vérité ou l'essence des choses que nous
allons étudier. Nous disons simplement que nous recherchons la clarté et l'accord entre
notre regard et le monde auquel il s'applique.
Ainsi, la méthode sera un essai de compensation ordonnée face à tout un système
d'expériences désordonnées.
Voyons maintenant, de façon résumée, comment procéder.
Pour faciliter leur application, nous allons diviser les procédés en trois étapes :
1.
La Question. Nous énonçons le problème, nous formulons la question et nous
définissons l'objet de l'étude et son intérêt.
2.
L'Analyse. Nous définissons le cadre de l'objet d'étude et nous développons une
triple analyse du processus, de la relation et de la composition.
3.
La Réponse. Nous élaborons la synthèse et de cette réponse à la question de
départ, nous arrivons à une conclusion qui éclaircit notre problème et permet de
produire des critères pour l'action.
Il est donc nécessaire, en premier lieu, d'avoir un problème. Si nous n'avons pas de
problème, nous n'avons besoin d'aucune méthode parce qu'il n'y a rien à éclaircir ou à
résoudre.
De ce fait, ne s'appliqueront dans cette étude que les personnes qui ont rencontré sur
leur chemin une difficulté qui ne se résout pas seule. Une difficulté qui requiert notre
intervention et notre compréhension.
Mais ce problème, pour être travaillé, doit être décrit clairement, complètement et le plus
simplement possible.
De sa définition surgit la formulation de la Question qui sera exprimée avec précision en
évitant les termes vagues ou ambigus. Elle nous indique ce que nous voulons savoir et
cela est très important parce que si nous ne savons pas ce que nous cherchons, nous ne
saurons pas quoi faire avec ce que nous trouverons.
Selon la Question, nous passerons à définir l'Objet d'Etude. Pour cela, nommer l'objet à
étudier ne sera pas suffisant, car il sera incontournable d'expliquer à partir de quel intérêt
nous allons le regarder. Nous entendons par Objet d'Etude une structure objet-intérêt et
par conséquent, si l'intérêt change, l'objet change aussi.
Cet Intérêt doit être maintenu présent et immuable tout au long de l'étude. Ce sera notre
fil d'Ariane qui, comme dans le mythe, nous aidera à ne pas nous perdre dans notre
incursion.
Une fois cela résolu, nous pouvons passer au moment suivant qui consiste à encadrer et
analyser. C'est le coeur du que-faire méthodique.
L'encadrement nous amène à situer notre Objet de façon conceptuelle et spatiale. Pour
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CARNET 1
cela, nous devrons répondre à trois questions-clés : quelle est son enceinte majeure ?
quel est son enceinte moyenne ? quel est son enceinte mineure ?
Nous sommes maintenant en condition de développer la triple analyse que nous propose
la méthode. Cette Analyse est un exercice du Point de Vue, semblable à celui qu'effectue
un observateur qui, lorsqu'il désire connaître un objet, le regarde depuis des perspectives
diverses.
Il pourra le regarder par devant, par dessus, par dessous, par derrière et, de ces
perspectives, sa vision sera différente.
Dans notre cas, les perspectives sont le Processus, la Relation et la Composition et, bien
que l'ordre employé ne soit pas déterminant, l'exercice avec les trois points de vue est,
quant à lui, fondamental.
L'Intérêt est fixe, le Point de Vue change à chaque pas de l'Analyse que, pour plus de
clarté, nous allons développer en suivant un ordre qui commence avec le Processus,
continue avec la Relation et culmine avec la Composition.
La première analyse nous conduit donc à étudier notre objet en Processus. C'est-à-dire
que nous n'allons pas le voir comme atemporel, mais nous allons plutôt visualiser
comment il se développe dans le temps et c'est dans ce devenir que nous allons fixer
notre attention à un moment déterminé. C'est le moment qui nous intéresse d'après la
question à laquelle nous devons répondre.
Pour la seconde analyse, étant situés dans un moment de processus défini, nous allons
étudier la relation dynamique que notre objet entretient avec les autres éléments
présents de façon concomitante dans l'enceinte moyenne.
Enfin, la troisième analyse nous amène à sa composition. Dans ce pas, nous séparerons
les éléments qui composent notre objet et nous les ordonnerons en essayant de visualiser
le processus de transformation qui, selon la différenciation, la complémentation et la
synthèse, se produit en son sein.
Nous serons alors en condition d'aborder la dernière étape de l'étude qui nous conduit à
obtenir une Réponse à la Question originelle.
Pour cela, nous ferons, en premier, une description très fournie de tout le développement
déjà effectué. Ensuite, nous résumerons les aspects les plus déterminants et pour finir,
après avoir mis en relation les éléments travaillés, nous essaierons d'élaborer une
synthèse qui intègre tout ce qui a été étudié.
Cette synthèse implique d'avoir eu accès à une nouvelle vision, une nouvelle expérience
de l'Objet d'Etude qui, maintenant, se présente à nous avec une clarté nouvelle.
Nous avons dit au début que, pour l'étude, nous avions besoin d'information, mais il nous
paraît évident que cette clarté nouvelle ne sera pas fournie par la simple accumulation de
données mais, fondamentalement, par les travaux d'analyse et de synthèse que nous
avons réalisés, guidés par les procédés proposés par la Méthode.
C'est de la synthèse de l'étude de l'objet et avec une nouvelle compréhension, que nous
pourrons aborder la réponse à la question formulée et cela constituera la conclusion à
laquelle nous serons parvenus. Elle ne sera déjà plus une simple opinion traduite en une
plus grande réflexion mais le résultat d'une pensée en ensemble, avec rigueur et de façon
intégrale sur le problème que nous avions formulé au départ.
Il restera enfin à réaliser un rapport final, qui, d'une façon claire et synthétique, expose
ce qui a été réalisé et puisse être compris par un interlocuteur n'ayant pas participé au
travail réalisé.
LA METHODE COMME INSTRUMENT D'ETUDE ET DE
TRANSFORMATION
En révisant ce qui a été dit jusqu'ici et pour terminer ces premières explications, je
voudrais attirer votre attention sur quelques points.
Les Lois et la Méthode conforment un système et de ce fait, maintiennent entre elles une
relation harmonieuse et cohérente.
Tout notre système de pensée découle des Lois universelles et nous les rencontrons
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CARNET 1
reflétées dans les éléments qui constituent la Méthode. Ainsi, en mettant en relation les
Lois et la Méthode, on constate que celles-ci explique celle-là et vice versa, étant donné
qu'il s'agit des mêmes choses appliquées dans des plans différents.
Les Lois nous donnent le cadre ou l'encadrement conceptuel. La Méthode nous permet
d'améliorer la compréhension que nous avons des problèmes, de même qu'elle sert d'outil
de transformation de celui qui effectue la recherche et du monde qui l'entoure. Ce n'est
pas seulement un mode organisé d'analyse que nous pouvons appliquer aux choses. C'est
aussi un instrument pour la transformation personnelle et sociale.
Au niveau personnel, le travail avec ces procédés amène l'opérateur à ordonner aussi ses
habitudes de pensée.
C'est un point de grand intérêt, parce que le travail avec la méthode ne permet pas
uniquement d'avoir une plus grande compréhension, ce qui est très utile, mais il a
également la particularité que lorsque l'on opère de cette façon méthodique, avec ce
cadre, ma façon de penser va s'ordonner autrement. C'est cet ordre particulier qui produit
chez l'opérateur une transformation nécessaire. Je ne suis pas le même quand, de façon
désordonnée, j'essaie de mettre en ordre, et quand je me propose d'opérer et de
comprendre ce qui se passe dans le monde et en moi au moyen de cette méthode.
Nous sommes en train de dire que c'est la façon d'opérer qui m'amène à me transformer.
Cette façon d'opérer nécessitera, de notre part, d'aiguiser notre capacité de séparation, le
déploiement des mécanismes de critique, d'autocritique et de réversibilité sur ce que nous
percevons, ce dont nous nous souvenons et ce que nous imaginons. Cette exigence nous
mettra en face de la nécessité de travailler en veille attentive et lucide.
Nous allons voir, lorsque nous appliquerons cette méthode, que des résistances vont
apparaître. Des résistances qui seront dues à la façon habituelle de raisonner,
désordonnée et manquant de niveaux et de profondeurs. La méthode va donc nous aider
à refléter tout cela et nous guidera pour que les choses avancent et cela, évidemment, ne
peut pas être très loin de moi. C'est moi qui fais tout cela. C'est moi qui suis en train de
manier d'autres modes de pensée.
Donc, un phénomène que nous observerons certainement tout au long de l'étude, ce sont
nos propres résistances à penser avec ordre et cohérence.
Cela sera un indicateur du fait que nous ne sommes pas habitués à être clairs, à percevoir
de façon intégrale et d'appréhender la dynamique des processus. A l'inverse, l'exercice
répété nous apportera une nouvelle compréhension du monde qui nous entoure et de
nous-mêmes.
Il est important de signaler ce fait parce que, plus d'une fois, tout au long du travail, des
sensations de frustration nous envahiront et nous serons tentés de laisser les choses
comme elles l'étaient. Et c'est là que, sans tension mais avec décision, nous tendrons à
mettre le meilleur de nous-mêmes pour surmonter les écueils dans la certitude que le
chemin emprunté nous mènera à une bonne fin.
Nous disons aussi que la Méthode est un instrument de transformation sociale parce que
si nous acceptons le fait que nous ne sommes pas isolés du monde, que nous constituons,
nous et notre circonstance, une structure indivisible, alors mes changements de vision se
transporteront au monde où nous agissons.
La méthode nous aidera à avoir une plus grande compréhension du monde et des
alternatives d'action qui se présentent à nous.
Elle n'ordonne pas seulement ma pensée mais aussi mon action, en étant aussi un
instrument de transformation personnelle et sociale.
Pour finir et compléter ce qui a été dit au début, je voudrais suggérer une attitude pour
développer ces travaux ; elle a trois caractéristiques.
D'un côté, l'attitude persévérante de celui qui développe un métier, qui ne se laisse pas
abattre par les difficultés qu'il rencontre en chemin et qui insiste jusqu'à compléter le
travail proposé.
D'un autre côté, l'attitude du vrai scientifique qui accomplit sa tâche très rigoureusement,
en cheminant avec des raisonnements solides et cohérents, même si cela implique d'avoir
à reconnaître et à corriger ses erreurs.
Enfin, l'attitude des enfants, qui peuvent s'émerveiller, admirer ce qu'ils découvrent, qui
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CARNET 1
sont ouverts à ce qui est nouveau, qui n'ont pas de posture à défendre et qui peuvent
s'amuser et profiter de l'aventure magnifique que signifie l'apprentissage sans limites.
Bien, avec ces quelques idées, je crois que nous sommes en condition de commencer à
travailler.
LA QUESTION
Avant de commencer nos études, nous devons nous arrêter un moment pour définir avec
précision ce que nous allons étudier.
Ce pas est d'une importance fondamentale car c'est à partir de celui-ci que nous
développons notre méthode.
Exposé du problème
Lorsque nous parlons de la nécessité d'avoir une méthode pour penser et opérer, c'est
parce que nous nous trouvons avec une difficulté qui ne se résout pas mécaniquement.
C'est à ce moment que nous disons que nous nous trouvons face à un Problème.
Un problème est une situation qui ne se résout pas seule et qui, d'une certaine façon,
rend difficile ou empêche notre avancée et c'est pour cela que nous nous intéressons à la
résoudre.
Si nous n'avons pas de problème, nous n'avons pas besoin d'une méthode parce que,
comme on l'a dit, il naît comme un besoin de donner une réponse à une situation qui n'est
pas claire et que nous voulons résoudre.
Maintenant, nous pouvons avoir une sensation diffuse du problème. Nous savons que
quelque chose nous touche mais nous ne savons pas bien comment l'exprimer.
Pour que l'on puisse travailler sur un problème de façon méthodique, il doit être clair et
formulé avec la plus grande précision possible et cela implique un premier travail pour
ordonner notre pensée.
Alors, demandons-nous : quel est le problème ? C'est cela le point de départ.
Pour le travailler, nous commencerons par poser les limites de ce que nous voulons
étudier.
En premier, il faudra donc préciser quel est le champ thématique dans lequel se trouve la
situation qui nous intéresse ou, dit autrement, quel est le thème que nous allons
travailler.
Dans la pratique de notre atelier, chaque groupe choisira un problème à travailler et il
faudra se mettre d'accord sur celui-ci.
Il sera bien, à l'intérieur du thème choisi, de réaliser un grand échange pour nous
permettre de nous approcher du problème en tournant autour, jusqu'à ce qu'il nous
apparaisse clairement.
Sûrement, des personnes différentes auront des visions différentes qu'il faudra considérer
jusqu'à ce qu'ensemble, nous nous mettions d'accord sur ce point : quel est le problème
qui se présente à nous et, lorsque cela est clair, nous pourrons passer au pas suivant.
Il sera bon d'être bien en phase avec le problème. D'y reconnaître une difficulté qu'il nous
importe de résoudre. Le problème ne nous est pas indifférent et c'est une caractéristique
importante que nous devrions observer.
Il est possible que cela soit évident mais que nous nous trouvions dans la situation où
nous n'avons pas beaucoup d'information, où nous ne connaissons pas beaucoup le
problème.
Face à cela, il y a au moins deux possibilités. Nous pouvons compenser cette faille par la
recherche de sources d'information ou bien nous trouver devant le fait qu'une telle
information n'existe pas.
Si on peut en obtenir, il faudra réviser les sources, mais s'il n'y en a pas et qu'il est
impossible d'en avoir, il sera mieux de chercher un autre problème, parce que si nous
entamons le travail et si la méthode nous demande de l'information alors, nous devrons
nous arrêter et nous ne pourrons plus avancer.
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CARNET 1
Enfin, un problème sera d'un plus grand intérêt dans la mesure où sa résolution aura des
conséquences dans les décisions que nous allons prendre.
Nous disions que cet atelier était orienté pour travailler sur les conflits sociaux, tels ceux
que nous rencontrons lorsque nous développons un front d'action, par exemple. La clarté
que nous aurons se reflétera donc dans les décisions que nous prendrons et elles pourront
ainsi avoir des conséquences intéressantes.
En finalisant l'étude, nous prétendrons avoir avancé dans la clarté que nous avons sur le
problème.
Mais les problèmes font que nous nous posons des questions. S'il n'y a pas de questions,
nous ne pourrons pas avancer non plus...
Formulation de la question
Nous avons posé les limites et exprimé clairement le problème. Nous sommes maintenant
en condition de l'exprimer d'une manière plus opérante. Cela, nous l'appelons Formulation
de la Question.
La question est une interrogation que nous nous posons face au problème.
A partir du problème, beaucoup de questions peuvent surgir et nous allons choisir celle
qui représente le mieux ce que nous voulons connaître.
Nous travaillerons cette question jusqu'à ce qu'elle soit claire, simple et précise étant
donné que si elle ne possède pas ces attributs, avancer dans le travail nous sera par la
suite très difficile.
L'étude nous conduira à répondre à la question que nous nous formulons et si celle-ci
n'est pas claire, nous ne pourrons pas espérer non plus une réponse qui le soit.
Il faudra éviter que la question contienne des termes vagues, dont la signification est
imprécise ou des termes ambigus qui peuvent avoir différentes interprétations possibles.
Le travail sur la question est préalable à la méthode. La méthode nous guide pour trouver
une réponse à la question mais rien ne nous dit comment elle apparaît dans la pensée du
chercheur.
Pourquoi une situation nous apparaît-elle comme un problème ? Pourquoi nous
interrogeons-nous sur certaines choses ? Ce ne sont pas des problèmes de méthode mais
une fois que nous aurons la question, la méthode nous sera d'un grand secours pour
trouver les réponses.
Sans question, il n'y a pas de méthode parce qu'il n'y a pas de terrain d'application.
Définition de l'Objet d'Etude
Une fois la question formulée, nous définirons l'objet à étudier afin d'y répondre.
L'Objet d'Etude est ce vers quoi nous allons diriger notre attention avec l'intention de le
dévoiler, de le comprendre en profondeur dans certains de ses aspects.
Au sens large, ledit objet pourra être un objet ou une manifestation observable, d'un
individu ou d'un groupe ou un élément théorique, non observable. C'est-à-dire que,
lorsque nous parlons de l'objet d'étude, nous nous référons à tout phénomène que nous
connaissons, qu'il soit interne ou externe, et pourvu qu'il soit susceptible d'analyse.
Mais si nous prêtons attention à un tel phénomène, nous verrons que nous pouvons le
faire selon différents intérêts.
Prenons par exemple un phénomène collectif comme la mobilisation d'un groupe de
voisins. Qu'est-ce qui nous intéresse, dans cette étude ? Sa signification politique, son
ampleur, le phénomène psychosocial qu'elle représente, le fait qui l'a déclenchée ?
Chacun de ces intérêts fait ressortir certains attributs, caractéristiques ou qualités de
notre objet et fait en sorte que d'autres passent au second plan ou ne soient pas
considérés.
En changeant d'intérêt, la structure que nous voyons change et en la changeant, ce que
nous voyons change l'objet de notre attention.
Autrement dit, il n'existe pas d'objet indépendant de son observateur parce que c'est ce
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CARNET 1
dernier qui, en déterminant son intérêt, constitue l'objet en tant que tel.
La conscience structure l'objet observé de façon active et depuis un intérêt déterminé.
Ces différents intérêts que nous avons sur un objet font que nous parlons, plus
précisément, d'une structure objet-intérêt qui, depuis notre perspective structurelle, est
indivisible.
La définition précise de l'Objet-Intérêt est d'une importance fondamentale dans le travail
méthodique, parce qu'elle doit rester la même tout au long de l'étude.
Analogiquement, l'Objet d'Etude est comparable à la représentation. Lorsque nous
prêtons attention à un stimulus qui provient de l'un des sens, nous parlons de perception
mais comme notre conscience n'est pas passive, cet objet d'attention est structuré selon
des nécessités de la conscience. Cela génère ce que nous appelons une représentation et
en réalité, c'est d'elle dont nous avons l'expérience. Nous n'avons pas l'expérience de
l'objet en tant que tel mais, dans la mesure où il est élaboré, transformé de façon
compensatoire et structurelle par notre conscience, c'est de cela que nous avons
l'expérience.
Ainsi, lorsque nous faisons ressortir du "monde" un objet pour l'analyser, cet objet auquel
nous prêtons attention est travaillé par ce que nous appellerons intérêt. C'est cet intérêt
qui élabore et présente l'objet pour notre étude, dans la mesure où il fait ressortir
certains de ses attributs.
Fixer l'intérêt, c'est rendre explicite ce travail de la conscience et cela pose l'engagement
de l'observateur envers ce qui est observé. Cela rompt l'illusion d'un regard « objectif »,
comme contemplation d'une réalité en soi, en permettant de comprendre l'élaboration
que nous en faisons. Nous appelons cet objet élaboré, Objet d'étude.
D'un autre côté, du fait de travailler ensemble avec d'autres, l'explicitation de l'objetintérêt, nous permettra d'être sûrs que nous sommes en train de travailler sur le même
objet d'étude et cela revêt une importance fondamentale.
L'oubli ou la modification de l'intérêt de départ est une erreur relativement fréquente dans
ce travail avec la méthode. Lorsque cela arrive, nous pouvons croire que nous parlons
toujours du même objet, mais il n'en est pas ainsi.
Une autre erreur est de considérer ce que nous appelons l'intérêt comme l'application
ultérieure que nous voulons donner à l'étude de l'objet. Dans l'exemple de la mobilisation,
il se peut que nous voulions décider si nous nous y joignons ou pas. Cette décision
interviendra après l'obtention de la nouvelle compréhension et il s'agira de la réponse à la
question formulée mais ce ne sera pas l'intérêt qui structure l'objet d'étude.
Le terme intérêt signifie donc ici l'activité de ma conscience qui met en relief certaines
caractéristiques de ce à quoi je prête attention et non pas ce que je prétends faire avec
les résultats de l'étude.
Bien, avec ce qui a été dit, je crois que nous sommes en condition de commencer les
travaux par groupes.
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