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Culture en partage
La santé mentale, c’est fou ?
Le 10 juin 2015
Taos AIT SI SLIMANE : Bonjour et bienvenue. Merci d’être venus aussi nombreux à ce
premier rendez-vous Culture en partage, « La santé mentale, c’est fou ? », en lien avec une
de nos futures expositions « goes crazy », que Virginie LACOMBE va nous présenter, puis
nous donnerons la parle à nos trois invités : Xavier BRIFFAULT, chercheur en sciences
sociales et philosophe de la santé mentale ; Luc MALLET, chercheur à lSM et professeur de
psychiatrie et Margot MORGIEVE, psychologue
Virginie LACOMBE : Bonjour à tous. Merci d’être là. Je vais vous présenter l’exposition
« goes crazy ». Ce titre est un titre de travail provisoire. Cette exposition sera accueillie à la
Cité du 3 novembre 2015 au 28 août 2016.
Elle fait partie de ce que nous appelons « le grand consortium ». Il s’agit de la réunion de 3
musées :
Heureka (science center) en Finlande,
Le Pavillon des connaissances au Portugal,
La Cité des sciences et de l’industrie en France.
Ces musées se sont associés pour réaliser 3 expositions destinées à itinérer dans chacun
des musées. La première exposition initiée par le grand consortium est « Sciences center
goes crazy », traduit par « La Cité des sciences goes crazy ». La Cité des sciences a
travaillé sur Risque, encore présenté aujourd’hui sur le plateau Marie Curie et nos amis
portugais du Pavillon des connaissances travaillent actuellement sur la production d’une
exposition sur la contagion, qui va s’appeler Viral. Eux ont déjà un titre définitif.
Cette exposition a déjà été présentée en Finlande en 2013/2014. Elle a remporté le Prix de
l’expérience visiteur, qui récompense la manière dont le sujet de la santé mentale est traité à
travers cette exposition.
Pourquoi une exposition sur le thème de la santé mentale ? C’est parce qu’aujourd’hui,
environ une personne sur 4 est confrontée à un problème de santé mentale au cours de sa
vie. Nous connaissons donc tous quelqu’un, plus ou moins proche, qui a ou a eu un souci de
santé mentale ou trouble psychique. Cette exposition concerne donc tout le monde. Elle
constitue une grande première. C’est la première exposition sur ce thème dans des centres
de sciences.
Pourquoi parlons-nous aujourd’hui de santé mentale et non de folie comme par le passé ?
Qu’est-ce qu’un trouble psychique, une maladie psychiatrique ? Est-ce que nous pouvons
tracer une frontière entre la mauvaise santé mentale et la bonne santé mentale ? Toutes ces
questions ont abouti à cette exposition.
Les objectifs de cette exposition visent avant tout la sensibilisation en direction du grand
public pour dissiper les préjugés que nous avons tous sur les troubles psychiques, apporter
quelques connaissances (à destination d’un large public familial notamment, à partir de 10
ans) et encourager les visiteurs à prendre soin de leur propre santé mentale.
Culture en partage : La santé mentale, c’est fou ?
Le 10 juin 2015 à la Cité des sciences et de l’industrie
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D’un point de vue muséographique, les éléments d’exposition sont placés dans de grandes
boîtes en bois, évoquant la boîte à bijoux. C’est-à-dire que, de l’extérieur, ces boîtes en bois
sont à peu près similaires, mais à l’intérieur elles renferment toutes quelque chose de
différent qui a trait à l’intime. Le mobilier n’a pas été fabriqué pour les besoins de l’exposition,
mais chiné par nos amis finlandais dans des vide-greniers et des brocantes. Il s’agit d’un
mobilier familier, qui apporte une ambiance chaleureuse à une exposition, qui traite d’un
sujet tout de même assez délicat. Enfin, le graphisme de l’exposition est assez fort, puisqu’il
a été réalisé en collaboration avec une artiste finlandaise, Vappu Rossi. Cette dernière a
peint des décors à l’intérieur de chaque élément d’exposition. Elle a réalisé des œuvres à
l’intérieur même de l’exposition.
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Culture en partage : La santé mentale, c’est fou ?
Le 10 juin 2015 à la Cité des sciences et de l’industrie
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L’exposition ne suit pas de sens de visite particulier. Elle est centrée autour de trois grandes
familles d’éléments :
autour de ce que nous savons ou croyons savoir sur les troubles mentaux
aujourd’hui ;
comment peut-on vivre quand on est atteint d’un trouble psychique ?
La prévention de ces troubles : prenez soin de vous.
Dans la 1re famille d’éléments sur ce que nous savons ou croyons savoir, il y a deux
éléments d’exposition qui traitent de l’histoire de la folie, de la manière dont elle a été traitée
à travers les âges. La présentation a lieu autour d’un livre numérique intitulé Ainsi soignait-on
la folie ou à travers la reproduction de saynètes de différents lieux clés dans l’histoire de la
psychiatrie et de la psychologie. De petites maquettes reproduisent ainsi différents lieux à
travers l’histoire. En outre, un quiz permet de donner du contenu aux visiteurs et les invite à
interagir sur l’élément. Il porte sur différents symptômes des troubles mentaux, les
personnages célèbres qui ont souffert ou pas de troubles mentaux et sur certains chiffres,
sur certaines statistiques. Enfin, un élément reprend la classification des troubles mentaux.
Les visiteurs pourront donc de cette manière en apprendre davantage sur les troubles
bipolaires. Leurs causes possibles, leurs symptômes et les différents traitements possibles
de cette affection sont expliqués ici. La grande majorité des troubles psychiques sont
présents dans l’élément « Les troubles mentaux ».
Le cerveau et la santé mentale est un multimédia à travers lequel les visiteurs vont pouvoir
constater ce qui dysfonctionne dans le cerveau en cas de schizophrénie ou de dépression.
L’élément Trouver de l’aide permettra aux visiteurs de consulter de la documentation sur
différents organismes de soutien, des structures auxquelles on peut faire appel en cas de
souffrance mentale. De plus, une borne renverra vers différents sites internet pour trouver de
l’aide en cas de souffrance psychique. Cet élément d’exposition est réalisé en étroite
collaboration avec la Cité de la santé, puisque nous avons la chance, à la Cité des sciences
et de l’industrie de disposer de cet endroit, qui permet d’informer gratuitement le visiteur.
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Le 10 juin 2015 à la Cité des sciences et de l’industrie
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Dans la partie Comment se sent-on ?, les visiteurs vont pouvoir constater comment on peut
vivre lorsqu’on est atteint d’un trouble mental. Par exemple, avec la réalité se déforme des
formes, les visiteurs vont entrer à l’intérieur d’un salon de coiffure, où une voix off leur
demandera de s’installer, puis de patienter en leur proposant un café. Ensuite, une autre voix
off va apparaître pour illustrer ce que pourrait se dire quelqu’un souffrant de psychose dans
une situation telle que celle-là. « Pourquoi le coiffeur me fait-il attendre ? Pourquoi me
propose-t-il un café ? On n’est pas dans un café ici… » Cela permet d’entrer dans la tête
d’une personne qui souffre de psychose. Quel est l’objectif de cet élément ? Il montre au
visiteur que pour tout un chacun cela peut être très ordinaire d’aller chez le coiffeur, mais
pour quelqu’un de « psychotique », cela peut s’avérer très compliqué.
Vivre avec la dépression permet aux visiteurs d’entrer dans un salon, où sont installés 3
personnages : un papa qui souffre de dépression sévère, un enfant et la maman. Ils vont
pouvoir entendre comment chacun des membres de cette famille vit la dépression sévère du
père. Cela permet d’expliquer à l’auditeur que la dépression engendre évidemment de la
souffrance chez la personne, qui en est atteinte, mais également dans son entourage.
La chambre des phobies amène les visiteurs à expérimenter différentes sources de phobies :
la peur du noir,
la peur du vide,
la peur des lieux confinés.
Parcours de vie permet aux visiteurs d’écouter les témoignages de patients atteints d’un
trouble psychique. Ces témoignages seront réalisés à la Cité des sciences. Nos amis
finlandais ont réalisé 5 témoignages de personnes malades. Nos amis portugais, qui
reçoivent actuellement l’exposition, ont réalisé également leurs témoignages. C’est pourquoi
nous avons décidé de réaliser les nôtres, car nous nous sommes rendu compte que la
manière d’exprimer son trouble présentait des aspects culturels. On n’en parle pas de la
même manière dans les différents types de cultures.
Le miroir de l’image de soi présente un élément sur les troubles du comportement
alimentaire, où les visiteurs vont pouvoir ajuster le miroir à la façon, dont ils se perçoivent.
Testez-vous propose 4 postes multimédias, à travers lesquels les visiteurs vont pouvoir
tester certaines de leurs compétences cognitives et réaliser un test sur leur propension à
l’addiction. Nous avons repris ce multimédia d’une ancienne exposition sur le cerveau.
Le schizophone est une sculpture acoustique, qui spatialise les sons. Elle a été réalisée par
un artiste français, Pierre-Laurent CASSIERE, qui évoque les troubles de la perception.
Cette dernière partie de l’exposition a une expression plus légère, qui encourage les visiteurs
à prendre soin de leur propre santé mentale.
Avec Danser comme un fou, les visiteurs vont pouvoir écouter des playlists de musiques
françaises et anglo-saxonnes autour de la folie. Il s’agit de danser sous des casques
contenant des capteurs de présence. Ainsi quand les visiteurs bougent, la musique est
diffusée. Quand ils s’immobilisent, la musique s’arrête. Ce concept vise à les inciter à
bouger.
Reconnaître une émotion souligne grâce à un jeu très simple l’importance des émotions, qui
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constituent le 1er contact pour entrer en interaction avec l’autre. Cela renvoie à un souci d’un
trouble psychique, ce souci de reconnaissance et d’expression des émotions.
Le broyeur de soucis encourage les visiteurs à verbaliser ce qui peut les tracasser pour
souligner l’importance de reconnaître ce qui peut nous poser problème et de pouvoir le
verbaliser.
Avez-vous peur ? s’adresse aux plus jeunes. Dans cet élément, grâce à un système kinect,
les visiteurs vont pouvoir chasser des yeux apparaissant sur les murs. Ces yeux peuvent
sembler inquiétants. Or une fois chassé, on se rend compte qu’il s’agissait d’une couverture
de livre ou d’une peluche. Cela permet de souligner l’importance d’être capable d’affronter
ses peurs, une compétence qui se travaille et permet de prendre soin de soi-même.
Est-ce moi ? évoque la représentation des fous ou de la folie à travers l’art. Le tableau choisi
est Le cri de MUNCH. Grâce à un logiciel de morphing, les visiteurs vont voir leur visage
s’incruster et se transformer dans le visage du tableau.
Enfin, le dernier élément, Laissez parler votre corps, propose aux visiteurs d’enfiler des
masques représentant les émotions de base pour les mimer avec leur corps. Cet élément
évoque l’importance des expressions des émotions. Quand on ne peut pas les exprimer
avec des mots, on peut aussi les exprimer différemment, notamment grâce à l’art thérapie.
Cela peut être la danse, le théâtre, etc.
Voilà un petit tour rapide des différents éléments de l’exposition.
Nous aurons notre affiche définitive en juillet. Nos amis finlandais ont travaillé sur leur
communication avec un comité d’experts finlandais. Pour notre part, nous avons travaillé
depuis le début de cette coproduction avec nos experts présents ici, à qui je vais laisser la
parole.
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Un cycle de conférences dédiées à l’exposition ouvrira également à la Cité de la santé, ainsi
qu’une animation et un parcours pour les scolaires. De plus, en collaboration avec l’ICM et la
Fondation Halphen, une application sera téléchargeable via un QR code dès l’entrée de
l’exposition et à l’intérieur de l’exposition. Cette application proposera aux visiteurs de
répondre à un questionnaire sur leur représentation des différentes maladies mentales, des
troubles psychiques. Les données seront ensuite étudiées par un chercheur à l’ICM. Voilà ce
qui sera fait autour de l’exposition. J’ai terminé. Merci.
Applaudissements.
Auditrice : Merci, Virginie, pour ta présentation limpide. J’ai une question au sujet d’une
remarque que tu as faite sur les différences culturelles de traitement du sujet dans les trois
pays concernés. Est-ce qu’il est question de cette différence culturelle dans l’exposition ellemême ?
Virginie LACOMBE : Je pense qu’on voit bien que l’exposition a été réalisée par un musée
finlandais. Nous aurions pu aborder la folie en Inde, en Afrique… Cela n’a pas été le choix,
qui a été retenu. En revanche, à travers le parcours pour les enseignants, nous allons sans
doute être en lien avec le musée du Quai Branly, qui traite ce thème-là. Le parcours
enseignant renverra donc sans doute à ce point.
Xavier BRIFFAULT : Bienvenue et merci d’être présents nombreux pour écouter cette
intervention. Nous avons tous les trois intitulé cela : « La santé mentale, c’est fou ? ». La
première raison est que nous cherchions un bon jeu de mots, que vous pourrez réutiliser
pour le titre de l’exposition. Nous ne l’avons pas déposé.
La deuxième raison renvoie à la question de la polarité entre santé mentale et folie, qui était
constitutive. Elle l’est beaucoup moins aujourd’hui, puisque nous n’utilisons plus vraiment le
terme de folie. Je vais y revenir.
La troisième raison est qu’en tant que champ professionnel ou social, la santé mentale induit
de nombreuses réactions. En effet, quand l’INSERM publie une expertise collective sur les
troubles de conduite des enfants il y a quelques années, des pétitions récoltant 200 000
signatures s’y opposent. Des collectifs associatifs se montent en réaction à cela. Des
ouvrages viennent contester ces théories. En bref, des mouvements sociaux s’opposent à ce
qui est initialement une expertise collective, scientifique. On ne voit pas cela en orthopédie,
en cardiologie, en pneumologie. Si les orthopédistes changent le grade stade 4 de l’entorse
du genou, cela ne soulève pas les foules normalement. Ici, cela soulève les foules, parce
que les questions de santé mentale touchent « au propre de l’humain », à savoir nos
fonctions supérieures, le raisonnement, les émotions, les affects, la fièvre relationnelle.
De ce fait, les questions de santé mentale recèlent toujours une dimension anthropologique,
c’est-à-dire une dimension de définition de ce qu’est l’humain. Pour rebondir sur votre
question, cette définition de ce qu’est l’humain n’est évidemment pas universelle. Elle n’est
pas toujours la même au cours de l’histoire. Au sein d’une même société, des visions
anthropologiques et philosophiques très différentes se côtoient. Ainsi, ces visions s’affrontent
instantanément dans le domaine des troubles mentaux. Comme le dit Alain EHRENBERG,
dès qu’on parle de santé mentale et de troubles psychiatriques, la métaphysique est dans la
rue. C’est-à-dire qu’immédiatement des questions philosophiques, anthropologiques, même
métaphysiques sont soulevées.
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Vous retrouverez ces questions dans quelques ouvrages, que je vais vous faire passer. Ici
un ouvrage d’histoire de la folie et de la psychiatrie. Vous le verrez dans cet excellent, bien
qu’énorme, ouvrage qui balaye la philosophie de la psychiatrie à travers le monde, un très
bon ouvrage de synthèse, en anglais et un peu lourd. Vous le trouverez aussi dans ce genre
d’ouvrages de Derek BOLTON, What is mental disorder ? qui présente vraiment une
réflexion générale sur ce qu’est un trouble mental. Je vais les faire passer dans différentes
directions. Vous le trouverez là-dedans. Nous n’allons pas entrer dans le détail de ces
choses-là. Ce serait trop compliqué. Nous n’avons pas assez de temps.
Nous allons vous présenter une vision beaucoup plus mainstream. Quand je dis mainstream,
c’est au sein d’un champ particulier : celui de la psychiatrie scientifique internationale. Il
s’agit de la manière, dont on conceptualise aujourd’hui les troubles mentaux. Je vais donc
vous parler de ce qu’on trouve aujourd’hui décrit dans cet ouvrage aujourd’hui bien connu,
qui est le DSM en l’occurrence dans sa 4e version. Je vais entrer dans les détails de cet
ouvrage.
Tout d’abord j’aimerais vous présenter un historique très rapide. Je pars des États-Unis,
parce que ceci est d’origine nord-américaine, même si cela se diffuse mondialement, y
compris en France, qui résiste pourtant plus qu’ailleurs à cette manière de voir les choses.
En 1840, il n’existait qu’une seule catégorie de maladies mentales, qui était l’idiotie,
l’aliénation.
En 1880, le recensement américain met en place 7 catégories. Il est important de
noter que cela parte du recensement, car il y a des motifs de santé publique. On a besoin de
savoir combien il y a de « fous », de « malades mentaux », etc. pour en organiser les soins,
la prise en charge. C’est tout de même dirigé par la santé publique.
En 1917, des statistiques sont standardisées dans les hôpitaux psychiatriques. Ils
comptent 22 catégories de troubles.
En 1939/45, c’est la Seconde Guerre mondiale. Les guerres sont toujours bonnes
pour le développement de la science et de la technologie, parce qu’elles provoquent une
accélération des recherches et des travaux technologiques. La médecine n’y échappe pas.
Évidemment, il y a des millions de blessés, de morts, de gens traumatisés, y compris de
traumatisés psychiques.
Après la guerre, un ensemble de psychiatres militaires très influents essaient de standardiser
les troubles autour de ce que l’on observe chez les militaires de retour de la guerre. Cette
classification est donc influencée par les troubles mentaux de guerre et par le système
théorique dominant à cette époque, la psychanalyse. Les troubles mentaux sont donc
conçus comme des troubles névrotiques dysfonctionnels à l’environnement. En effet, on
constate que des personnes, qui allaient bien avant la guerre, vont très mal après. Cela ne
nous étonne plus aujourd’hui, mais, à l’époque, c’était surprenant que des personnes testées
dans l’armée américaine et ne souffrant d’aucun trouble reviennent de la guerre et cela ne va
plus du tout.
Dans les noms définis, il y a beaucoup de troubles appelés « réaction à », y compris par
exemple réaction schizophrénique à un traumatisme de guerre, à un meurtre, à une situation
problématique.
En 1968, il y a une 2e version du DSM, toujours influencée par la psychanalyse. Elle
comprend de ce fait la notion de névrose, de structure psychotique, d’adaptation, mais on
abandonne la notion de réaction pour commencer à constituer lesdites réactions en
maladies. Ainsi une « réaction schizophrénique » devient schizophrénie.
En 1971, face à diverses manières de décrire les troubles, on décide de tester si on
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est capable de les décrire de façon identique à différents endroits. Alors on donne un certain
nombre de cas à des psychiatres anglais et américains. Or sur les mêmes cas, décrits de la
même manière, ils ne portent pas du tout le même diagnostic. C’est tout de même étrange,
comme si, sur un même cas, l’un diagnostiquait une grippe et l’autre une tuberculose. Il est
difficile de s’entendre sur le traitement à apporter et sur les causes des maladies, si on n’est
même pas capables de les décrire de la même manière.
C’est pourquoi un projet de standardisation internationale des catégories de diagnostics est
réalisé, avec un focus très important mis sur « la fiabilité interjuges ». C’est-à-dire qu’avant
de se demander d’où viennent les maladies et comment les soigner, il convient de
s’entendre sur leur description. Il faut arriver à ce que 10 personnes différentes portent le
même diagnostic sur la même situation.
La fiabilité interjuges est très importante et elle va donner lieu, en 1980, à ce qui va
être une révolution majeure dans le champ de la psychiatrie : le DSM-III. Je n’en ai pas
amené de version, car cela n’entrait plus dans ma valise. Le DSM-III change complètement
la manière de voir les choses. Il est coordonné avec la CIM, la classification internationale de
l’OMS, qui lui-même mène des travaux coordonnés. Il voit l’abandon complet des catégories
psychanalytiques, ce qui constituera l’une des origines du conflit avec les psychanalystes sur
ce thème. En outre, on abandonne aussi la logique étiologique. C’est-à-dire qu’on ne
cherche plus à coder dans les noms des troubles mentaux leur origine et leurs mécanismes.
On essaie de simplement les décrire. Le DSM-III compte déjà 200 troubles mentaux.
En 1987, une révision mineure du DSM intervient.
En 1994, le DSM-IV circule. Il constitue une révision majeure du DSM-III, sans
changement épistémologique. Il répond toujours à la même logique. En revanche, il expose
un réexamen de la littérature, des données, des enquêtes de terrain spécifiques pour arriver
à 400 troubles répartis en 16 catégories. Cela fait plus de 1 000 pages, rédigées par 1 000
contributeurs répartis en groupes de travail. Il s’agit donc bien d’un committee work.
On commence à développer ce qu’ils appellent eux-mêmes un vocabulaire anti-stigma.
Ainsi, on ne va plus dire un schizophrène, mais « une personne souffrant d’un trouble
schizophrénique ». Ce changement initial est motivé par la volonté de déstigmatiser, à savoir
dire que la maladie ne renvoie plus à l’entièreté de la personne, mais à quelque chose dont
elle souffre. Tout de même, cela modifie la manière de percevoir les choses. En effet, en
psychanalyse, l’ensemble du fonctionnement psychique est impliqué dans les
problématiques. Ici, on considère qu’on est face à une personne atteinte d’une maladie, qui
peut être une schizophrénie comme elle pourrait être une grippe. Les maladies mentales
sont donc « localisées ». Plusieurs facteurs concourent à cela.
En 2000, le DSM-IV est révisé de manière mineure.
Le DSM-V a été publié récemment. Il présente des modifications importantes, mais
pas fondamentales. Il ne remet pas en cause les fondamentaux. Luc, peut-être veux-tu nous
en dire davantage tout de suite ? Toutefois, par rapport aux modifications anticipées, il n’a
pas bouleversé les choses.
C’est aujourd’hui le texte de référence de l’épidémiologie psychiatrique internationale et
globalement de toutes les études scientifiques en psychiatrie internationale, c’est-à-dire de
toutes les études publiées dans ce domaine dans des revues scientifiques utilisent les
catégories du DSM-IV et bientôt V. Cela vient de l’American psychiatric association, qui est
une association américaine comme son nom l’indique.
Qu’est-ce qu’un trouble mental dans le DSM-IV ? Il répond à une définition extrêmement
précise, qui coupe très clairement la frontière entre le normal et le pathologique, en tout cas
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le trouble mental. Il s’agit d’un syndrome – à savoir un ensemble de symptômes – qui est
cliniquement significatif – c’est-à-dire accessible, visible, faisant sens pour le clinicien et au
sein du fonctionnement spécifique de la personne. Toutefois, ce terme n’est pas très précis,
ce qui pose des problèmes pour un manuel, qui se veut extrêmement clair – qui survient
chez un individu – et non dans un groupe social par exemple – et qui est associé à une
détresse ou une altération du fonctionnement social, professionnel, familial, scolaire, etc., ou
à un risque significativement élevé de décès, de souffrance, de handicap ou de perte
importante de liberté.
C’est-à-dire que le trouble mental est non seulement détecté par des symptômes, mais il doit
impliquer concomitamment une souffrance, un retentissement ou un risque. Ce dernier reste
important puisqu’il va donner à l’épidémiologie et aux statistiques prédictives un rôle
important. Ainsi quelque chose va être considéré comme un trouble non s’il a un impact
immédiat, mais s’il représente un risque d’impact ultérieur. Pour le déterminer, on va avoir
besoin d’études sur des populations.
Par ailleurs, ce syndrome ne doit pas être la réponse attendue et culturellement admise à un
événement particulier, par exemple dans le cas d’un décès. Selon les cultures, la réaction
attendue à un décès est codée. De ce fait, il faut examiner le codage social des
représentations avant d’en déduire que ce comportement constitue un trouble. Quelle que
soit la cause de ce trouble, il doit être considéré comme la manifestation d’un
dysfonctionnement comportemental, psychologique ou biologique de l’individu. Cela permet
de distinguer un comportement, un choix existentiel, un caractère, une manière d’être de la
conséquence d’un dysfonctionnement. Vous allez me demander comment on sait qu’il s’agit
bien d’un dysfonctionnement. C’est une excellente question, à laquelle vous trouverez un
certain nombre de réponses dans les ouvrages de philosophie de la psychiatrie, qui
circulent. Ce point va poser problème.
Un dysfonctionnement ne doit pas être un comportement déviant du type opposition
politique, religieuse ou sexuel. L’exemple classique donné par le DSM est celui de
l’homosexualité, qui a été sortie des troubles mentaux par un vote collectif des auteurs du
DSM. Nonobstant ce qui est dit ici, il y a toujours une interaction entre la normativité sociale
et la définition des troubles. Il est extrêmement difficile de s’en débarrasser, même si on
essaie de le faire. En outre, il est précisé : « sauf si la déviance ou le conflit sont le
symptôme d’un dysfonctionnement chez un individu ». Vous voyez ici toutes les
contradictions et les difficultés du DSM, bien qu’il ait été conçu pour être reproductible et
international.
Le DSM-IV était organisé autour de 5 axes :
Les troubles cliniques : dépression, troubles anxieux, troubles du comportement
alimentaire, autisme, schizophrénie, etc. Il s’agit de troubles qu’on a, qu’on acquiert, qui ont
un début, une fin et qui sont localisés.
Les troubles de la personnalité, eux-mêmes divisés en 3 groupes, touchent
globalement à l’ensemble du fonctionnement de la personne, psychologie comportementale,
relationnelle, professionnelle, etc. et qui « durent toute la vie ».
Les affections médicales générales ;
Les problèmes psychosociaux et environnementaux : le chômage, les conflits
familiaux, le logement précaire, etc.
Une échelle numérique de 0 à 100 appelée l’échelle globale de fonctionnement.
Quand on codait, dans le DSM-IV, une problématique de troubles mentaux chez une
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personne, cela se faisait sur 5 axes. Ce n’est plus ainsi dans le DSM-V. J’y reviendrai.
Un code numérique est mis en place. Par exemple F32.2 renvoie à une dépression :
« trouble dépressif majeur de type épisode isolé sévère sans caractéristiques
psychotiques ». Ces éléments sont précisés directement dans les numéros. Tous les
troubles mentaux ont le même numéro dans le monde entier. Cela pose éventuellement des
questions concernant l’ancrage culturel et social. Que vous alliiez en Inde, en Allemagne ou
aux États-Unis, un épisode dépressif majeur est codé F32.2. Cela permet de réaliser des
comparaisons internationales dans les enquêtes épidémiologiques.
Il peut y avoir sur l’axe 2, par exemple une personnalité dépendante F60.7 avec un élément
d’une annexe comme mécanisme de défense l’utilisation fréquente du déni, pas de troubles
médicaux ; sur l’axe 4 (problèmes psychosociaux), la peur de perdre son travail. Sur l’axe 5,
cette personne serait égale à 35 sur l’échelle globale de fonctionnement. Cela signifie que la
personne commence à développer des problèmes.
Au plus haut de l’échelle (100 et 91), il y a une absence de symptômes. Entre 80 et 71, nous
sommes dans un niveau réactionnel, c’est-à-dire que les symptômes sont transitoires et
correspondent à des réactions culturellement prévisibles et admissibles à des facteurs de
stress. Par exemple, on a du mal à se concentrer après s’être fâché avec son conjoint, mais
cela n’impacte que très légèrement le fonctionnement. Entre 70 et 61, il y a quelques
symptômes légers tels qu’une humeur dépressive ou une légère insomnie. Cela impacte
quelque peu le fonctionnement, mais globalement ça va. Il y a plusieurs relations
interpersonnelles positives, etc.
Quand on descend, on trouve des symptômes importants tels que des idées suicidaires, des
rituels obsessionnels sévères, des vols répétés dans les magasins. Vous remarquerez que
ces symptômes ne se situent pas au même niveau. Ils sont pourtant regroupés sous un
même chiffre, qui recoupe également un handicap important dans le fonctionnement
(absence d’amis, incapacité à garder un emploi). À partir de 20, cela devient vraiment
problématique, il y a un danger d’auto et d’hétéroagression. On ne peut plus maintenir une
hygiène corporelle minimale. On ne peut plus communiquer. En dessous, c’est
catastrophique.
L’échelle globale de fonctionnement constitue un indicateur parlant. Ainsi, si on dit 35, cela
évoque quelque chose de concret. Toutefois, cette échelle intègre tellement de dimensions
différentes qu’elle a été supprimée dans le DSM-V, car cela ne constituait pas un barème
assez cohérent pour présenter des qualités psychométriques intéressantes. Elle a été
remplacée par le WHODAS (World Healf Organization Disability Assessment Schedule), qui
est une échelle d’évaluation beaucoup plus structurée et cohérente.
Les définitions du trouble du DSM-IV sont donc syndromiques. Il s’agit d’une liste formelle de
symptômes visibles. S’il fallait allonger les gens pendant 6 mois pour acquérir une vision de
leur mécanisme psychique, on ne va pas pouvoir faire de l’épidémiologie avec cela. On ne
va pas pouvoir s’entendre entre 10 cliniciens sur les symptômes observables. C’est pourquoi
le DSM ne s’intéresse qu’aux symptômes observables, ce qui constitue tout de même un
problème. En effet, certains troubles mentaux correspondent à un dysfonctionnement
psychique.
Les troubles sont catégoriels. C’est-à-dire qu’on les a ou non. Par exemple, dans une
dépression, il y a 5 symptômes. Si vous n’en avez que 4, vous n’avez pas de dépression au
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sens du DSM. C’est un problème aussi, car le seuil est très net. Il présente des niveaux de
sévérité. Il implique une détresse ou une souffrance cliniquement significative avec un
retentissement. Il existe des critères d’exclusion permettant d’écarter le diagnostic de telle
affection. Les éléments du diagnostic différentiels permettent également d’affiner le
diagnostic (ce n’est pas mieux expliqué par un autre trouble). Vous trouverez des éléments à
ce sujet dans cet ouvrage avec des arbres décisionnels informatisables. Ainsi, vous entrez
les symptômes des gens et l’arbre vous aidera à les catégoriser et à en faire une analyse
clinique.
Concrètement, avant de passer la parole à Luc ou à Margaux, l’axe 1 est organisé ainsi :
Les troubles de la petite enfance, 2e enfance, adolescence, dans lesquels on trouve
tous les troubles du développement, les troubles du spectre autistique, etc. ;
Les troubles neurologiques, du type démence, troubles cognitifs ;
Les troubles du spectre psychotique : schizophrénie, etc. ;
Les troubles de l’humeur : dépression, dépression unipolaire, dépression bipolaire ;
Les troubles anxieux ;
Les troubles somatoformes ;
Les troubles du contrôle de l’impulsion ;
Les troubles sexuels et de l’identité sexuelle ;
Les troubles dissociatifs ;
Les troubles des conduites alimentaires ;
Les troubles du sommeil ;
Les troubles de l’adaptation, qui correspondent à des réactions à des évolutions dans
l’environnement ;
Les troubles factices du type Münchhausen ;
Les troubles mentaux liés à l’utilisation d’une substance.
L’axe, qui était dit 2, comportait les troubles de la personnalité, qui sont beaucoup plus
pérennes et divisés en 3 groupes :
Le groupe A : « les bizarres et excentriques » – ce qui est plutôt mal-dit pour un
manuel qui ne veut pas stigmatiser est plutôt étrange – qui regroupe les schizotypiques. Ils
considèrent que le monde est dirigé par des forces surnaturelles. Il comprend les schizoïdes,
plutôt en retrait, les paranoïaques, plutôt méfiants.
Le groupe B : « les théâtraux, émotifs et capricieux » – là encore cette dénomination
est antistigmat – concerne les personnalités antisociales, borderline, les histrioniques, exhystériques, dont on a enlevé la dimension de trouble conversif somatoforme, qu’on retrouve
ailleurs, pour ne garder que la dimension comportementale : séduction excessive,
comportement théâtral, personnalité narcissique, etc.
Le groupe C : « les anxieux et les craintifs », au rang desquels on trouve la
personnalité obsessionnelle compulsive – à distinguer du trouble obsessionnel compulsif –,
la personnalité évitante qui, comme son nom l’indique a un peu peur du contact avec les
autres, et au contraire, la personnalité dépendante, qui se sent plutôt mal quand elle n’est
pas en relation avec une figure soutenante, cadrante, etc.
Pour dire rapidement quelques mots sur les conséquences, tous ces troubles – qui sont
beaucoup plus détaillés puisqu’il en existe 400 – contribuent très fortement à la mortalité. Il y
a en effet 12 000 morts par suicide par an en France ; 200 000 tentatives qui nécessitent une
hospitalisation. Ce chiffre est très important. Or une proportion très importante de cas de
suicide – on dit classiquement plus de 70 % – concernent des personnes atteintes d’un
trouble mental au moment du passage à l’acte. Que le trouble mental soit causal du passage
à l’acte suicidaire, la discussion reste ouverte, mais il y a dans quasiment tous les suicides
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un trouble mental présent : une dépression, une schizophrénie et d’autres caractéristiques
de personnalité comme l’impulsivité, l’hostilité, la consommation de substance, d’alcool, etc.
Cela contribue aussi à la mortalité par d’autres biais : des accidents, des maladies
somatiques, la consommation d’alcool, de tabac et d’autres drogues. Cela s’associe dans les
deux sens : alcool/trouble mental, trouble mental/alcool par exemple.
Cela contribue également fortement à la morbidité, c’est-à-dire à la charge de souffrance et
d’impact. En effet, cela a un impact sur l’insertion professionnelle, les arrêts de travail, la
productivité. Cela dégrade la qualité de vie de la personne et de ses proches d’une façon
très importante. Cela entraîne un handicap avec un retentissement fonctionnel, une
souffrance psychique évidemment qui peut être immense.
En termes de prévalence (combien de personnes présentent de tels symptômes) sur une
période de 12 mois, 1 personne sur 5 présente un trouble mental chaque année. C’est
énorme. Par exemple, la dépression concerne 6 % de la population chaque année. Sur la vie
entière, cela représente 1 personne sur 3. Ce n’est pas du tout anecdotique, très loin de là.
Cela a un impact majeur. Quand on voit les frais associés aux problèmes psychiatriques
dans les hôpitaux, etc., cela se vérifie.
Selon l’OMS, 5 troubles mentaux parmi les pathologies entraînent la plus forte morbimortalité :
la dépression et les troubles bipolaires dans les pays industrialisés. En effet, les pays
moins industrialisés sont soumis à des problématiques infectieuses plus importantes.
L’alcoolisme ;
la schizophrénie ;
le suicide et les tentatives de suicide.
Pour vous donner un exemple concret de la structuration d’un trouble dans le DSM, pour
avoir un épisode dépressif majeur au sens du DSM, il faut avoir au moins 5 symptômes
pendant au moins 2 semaines presque tous les jours, presque toute la journée, parmi
lesquels au moins soit 1 soit 2 – c’est-à-dire une humeur dépressive : la personne est triste,
elle pleure, elle se sent vide, etc. – soit une anhédonie – c’est-à-dire une perte de plaisir,
d’intérêt pour les choses qui lui faisaient plaisir antérieurement. C’est le noyau de la
dépression. Toutefois, il y a des débats. Si l’on veut accorder le primat à la tristesse ou par
exemple au ralentissement, on va avoir des différences entre la vision française et la vision
nord-américaine de la dépression.
En plus de ce noyau, il faut au moins 4 autres symptômes parmi 2 autres groupes :
le fonctionnement corporel :

avoir perdu ou gagné un poids significatif, comme 5 % du poids de corps ;

avoir une agitation ou au contraire un ralentissement psychomoteur ;

être fatigué, avoir une perte d’énergie chronique ;
le fonctionnement intellectuel et cognitif :

se dévaloriser à l’excès, se sentir excessivement coupable, de tout à un point
délirant ;

avoir des difficultés de pensée et de concentration : on a l’impression que la pensée
est engluée ; on n’arrive plus à la mettre en œuvre ;

avoir des pensées de mort et des idées suicidaires.
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On peut présenter tous ces symptômes, mais pour avoir une dépression, il faut que cela ait
un impact. Il faut que cela induise une souffrance cliniquement significative ou une altération
du fonctionnement. Vous allez me rétorquer que tous ces symptômes induisent logiquement
un mauvais état général. Toutefois, quand on regarde les études épidémiologiques avec des
échelles de souffrance clinique, on remarque que beaucoup de gens ont beaucoup de
symptômes décrits ci-dessus, mais ils n’expriment pas de souffrance psychique. C’est
difficile à croire et cela relève des études épidémiologiques.
Ce qui est intéressant dans les catégorisations du DSM, c’est que, comme il s’agit d’un
syndrome polythétique, à savoir qu’il faut un noyau de symptômes et certains parmi d’autres,
vous pouvez avoir des présentations du trouble qui n’ont rien à voir les unes avec les autres.
Ainsi, vous pouvez avoir la présentation dépressive suivante : « humeur dépressive. A perdu
7 kilos, est agité, fatigué, se dévalorise. » ou la suivante : « est anhédonique, a pris 7 kilos,
se sent ralenti, a des problèmes de concentration et des pensées de mort ». Il n’y a aucun
symptôme commun entre les 2.
Les présentations pouvant être très différentes posent la question du rapport entre le
syndrome et la maladie ou le dysfonctionnement, dont le syndrome serait l’émanation
concrète. Le DSM – il y a même tout un débat dans l’introduction à ce sujet – ne se
prononce pas sur le statut de maladie des syndromes qu’il décrit. Ce sont des symptômes
visibles comme la fièvre et la toux qui peuvent renvoyer autant à la tuberculose, à la grippe
ou à un rhume. Bref, il peut exister plusieurs expressions symptomatiques d’une même
maladie ou des expressions symptomatiques identiques de maladies différentes. Le DSM
vise simplement à décrire les syndromes. Il ne présente pas d’hypothèse de maladies. Ces
dernières découlent de la recherche effectuée à partir des syndromes.
Souvent les troubles mentaux sont genrés. C’est-à-dire qu’il n’y en a pas la même quantité
chez les hommes et chez les femmes. Par exemple, pour un épisode dépressif majeur, les
enquêtes épidémiologiques observent qu’ils touchent 2 femmes pour un homme. Pour
d’autres troubles, ce sera l’inverse. Cela représente 3 millions de personnes dépressives par
an en France. C’est très significatif.
Je vais m’arrêter là pour cette partie. La question qu’on se pose souvent : est-ce que cela
peut m’arriver ? Est-ce que demain je vais devenir schizophrène, paranoïaque ou le rester ?
Est-ce que je vais développer un trouble du comportement alimentaire ? Faire une
dépression sévère ? Oui ou non ? Pour le savoir, vous pourrez consulter ce très bon ouvrage
de Viviane KOVESS, qui est une spécialiste française de l’épidémiologie psychiatrique :
N’importe qui peut-il péter un câble ? Je ne vous donne pas la réponse. Vous pourrez aussi
avoir plus de détails épidémiologiques sur les prévalences.
Si vous voulez une analyse intelligente du DSM par l’un de ses concepteurs initiaux, Allen
FRANCES, vous pouvez consulter cela. Si vous voulez voir ce qu’il y a dans le DSM sans
vous acheter les 150 €, 1 000 pages et 4 kilos du vrai DSM, vous avez le DSM de poche. Il
existe aussi des versions du DSM pour les nuls. Voilà, je m’arrête là. Merci.
Applaudissements.
Auditeur : Est-ce qu’on a tous des maladies décrites ? En réalité non. Si vous appliquez les
critères du DSM, vous allez vous apercevoir que dans la salle peu de gens n’ont des
symptômes du DSM, voire personne.
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Auditrice : Comme c’est si compliqué, est-ce qu’en analysant le cerveau des personnes,
notamment grâce aux techniques d’imagerie médicale, on peut voir qu’une personne est
schizophrène ?
Xavier BRIFFAULT : Luc va vous répondre. Cela relève de son domaine de spécialité. Ce
n’est pas du tout le mien.
Auditrice : J’ai une question au sujet des classifications, que vous nous avez présentées.
Comment sont-elles utilisées par les praticiens au quotidien ?
Xavier BRIFFAULT : Je pense également qu’il est mieux que Luc vous réponde.
Luc MALLET : Pour répondre à la 1re question, oui, il y a des possibilités de voir des choses.
Toutefois, il faut s’entendre sur ce que signifient « voir des choses ». Pour la plupart des
choses, on arrive à faire des corrélats pour montrer qu’il y a des dysfonctionnements de
structures du cerveau liées à des maladies. Cependant en aucun cas ce n’est de la
prédiction individuelle. Au cours de travaux de classification, sur l’ensemble de la population,
on n’arrive pas à reconnaître que telle personne est schizophrène. On peut approcher de ce
type de choses pour certaines pathologies très graves, mais généralement, si vous prenez
50 types de schizophrènes et que vous leur faites passer une IRM, vous verrez qu’il y aura
des différences, mais pour l’instant, nous ne sommes pas en mesure de les détecter. La
réponse est donc oui et non.
Au sujet de l’autre question sur les praticiens, je pense qu’il y a une évolution sociologique
des pratiques. De nos jours, toutes ces classifications deviennent tout de même des
références. Je pense que les praticiens les utilisent. Elles restent le support principal de la
formation, mais je ne saurais vous dire s’ils les utilisent au quotidien. Néanmoins, j’ai
l’impression que les professionnels communiquent plus sur des éléments qui s’approchent
de plus en plus à la définition de ces troubles dans ces catégories, mais ce n’est pas
forcément évident.
Pour compléter ce qu’a dit Xavier, l’évolution de la catégorie des troubles de la personnalité
est importante. En effet, cette catégorie n’existe plus dans le DSM-V. Je ne suis pas sûr que
cela reflète une évolution du concept de pathologie vis-à-vis du trouble de la personnalité. Je
pense que c’est l’arbre qui cache la forêt. C’est l’inverse qui s’est passé. Les catégories 1 ont
énormément évolué. L’idée qu’un trouble était isolé est un concept quasiment désuet dans
sa conception très précise du type : le trouble apparaît à telle date et doit durer tant de temps
pour être considéré comme un trouble de la personnalité. Or un trouble de la personnalité
apparaît au début de l’âge adulte ou à la sortie de l’adolescence et ne disparaît plus. Le
concept est différent pour la dépression. Un certain nombre de personnes vont être sujettes
à un épisode isolé, mais dans la plupart des cas, il s’agit d’une maladie, qui va durer toute la
vie. Je pense que le balancement des catégories va dans l’autre sens.
Ce critère de temps est extrêmement important, parce qu’il explique cette forte prévalence
des troubles mentaux. Les études épidémiologiques montrent qu’une personne sur 5 va être
atteinte dans l’année et une personne sur 5 sur la vie. Or cela englobe les troubles de
l’adaptation, dont nous n’avons pas parlé. En effet, pour entrer dans les critères de
dépression, il faut avoir les critères des 15 jours décrits plus haut. Cela n’a l’air de rien, mais
ces petites catégories sont très utiles, car vous voyez tout de suite la différence entre
quelques-uns qui va se sentir déprimé, parce qu’il a des idées un peu sombres le matin.
Mais il arrive à penser à autre chose dans la journée, même s’il ne se sent pas bien et est
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triste. Non, la dépression est marquée toute la journée, tous les jours de façon extrêmement
importante pendant au moins 15 jours. Or quand on commence à poser ces questions,
beaucoup de gens ne se sentent plus déprimés. Quand on parle d’épisodes dépressifs, il
faut vraiment appliquer ces critères-là.
Les troubles de l’adaptation correspondent à des réactions à des facteurs de stress
extérieurs. C’est aussi pour cela qu’ils étaient classés comme troubles. Cela ne signifie pas
que quelqu’un va devenir schizophrénique en un mois.
C’est en quelque sorte un challenge pour moi de parler ce matin. En effet, comment peut-on
balayer toute la santé mentale en 2 minutes ? C’est très difficile. J’ai donc choisi l’option de
développer un exemple qui me semble important suite à l’exposé de Xavier, sur les troubles
anxieux notamment, afin de vous montrer comment entrer dans le détail et caractériser un
trouble. Ensuite, je vous ferai une présentation pour le cadre général, qui me semble
important dans le contexte de l’accueil de cette exposition, sur le cadre de la santé mentale
aujourd’hui en France. Si nous en avons le temps, je vous donnerai un exemple plus
scientifique, à savoir comment pour un trouble, il est possible de remonter jusqu’au modèle
animal de la maladie mentale.
Pour illustrer, je vais vous présenter un résumé des troubles anxieux. Vous voyez donc que
pour décrire les différents troubles anxieux, que l’on peut catégoriser en axe 4, en fonction
de l’objet de l’anxiété. Si vous prenez simplement l’objet de l’anxiété, vous arrivez à
distinguer tous les troubles anxieux. Ainsi, la peur du regard des autres ou de la mise en
public relève de la phobie sociale. La peur des situations où on ne pourrait pas être secouru
en cas de malaise relève de l’agoraphobie. Le trouble panique est la répétition de crise
d’angoisse et l’anxiété anticipatoire de ces crises. La phobie spécifique en est toujours une
condition. Elle peut être liée à un rat, à une souris, à un ascenseur, etc.
Le trouble anxieux généralisé concerne des inquiétudes avec des signes de tension continus
liés à des événements négatifs, mais incontrôlables. Cela renvoie à l’idée de crainte qu’il
arrive un malheur à ses enfants, à ses proches, etc. Il est intéressant de contraster ce type
de pathologie avec le TOC, qui renvoie à des inquiétudes de ce type-là sur des situations
que la personne atteinte de TOC pense pouvoir contrôler. Elle sera ainsi dans
l’hypercontrôle de tout.
L’état de stress post-traumatique concerne des symptômes qui apparaissent, avec un délai
variable, à la suite de la confrontation au réel d’un événement réellement traumatique. Il faut
le comprendre dans le sens d’une métaphore chirurgicale. Il y a eu une effraction, une
confrontation à la mort réelle, qui fait que le sujet va se retrouver dans un processus
pathologique présentant des souvenirs d’un événement (flash-back, cauchemars).
Je voulais vous donner ces exemples pour vous montrer comment on définit des catégories
en fonction de l’objet de l’anxiété. Je vais donc prendre une autre position, à savoir d’essayer
de faire le background. Ces diapositives sont issues d’un exposé datant de 2013 à la
commission des affaires sociales à l’Assemblée nationale. Les maladies psychiatriques sont
un défi médical et scientifique en France. Vous voyez que nous avons listé les choses.
Ce sont en
symptômes)
démembrer
évidemment
effet des maladies hétérogènes sur le plan phénotypique (l’expression des
et étiologique. Nous disposons de très peu de facteurs externes pour
cette hétérogénéité. Ce sont des maladies multifactorielles. Elles sont
génétiques, environnementales, psychologiques, sociales. Aujourd’hui, un
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mouvement de science assez important consiste à dire que nous avons des catégories.
L’exposé de Xavier a très bien contextualisé cette perspective historique.
D’un côté, il y a les catégories. Or celles-ci sont en permanence remises en cause. Des
parentés génétiques sont par exemple développées entre bipolarité et schizophrénie. De nos
jours, nous avons une démarche vers la médecine personnalisée, sur le modèle du cancer,
qui vise aussi à proposer peut-être des identifications de biomarqueurs, d’éléments qui vont
totalement redémembrer les groupes. Cela constitue une approche totalement autre. Cet
effort de science, auquel nous voulons participer dans les structures hospitalières,
universitaires, consiste à dire que nous allons faire des cohortes de patients sans tenir
compte de leur catégorie (schizophrènes, bipolaires, dépressifs…). Nous allons réaliser un
screening de choses avec de nouveaux outils biologiques, afin de voir comment nos outils
biologiques vont les organiser. Il y a de fortes chances que cela ne les organise pas du tout
de la façon dont nous les décrivions. C’est intéressant. Je ne sais pas sur quoi nous allons
tomber, mais il est évident que cela sera étonnant.
Je pense qu’il est important que vous gardiez en tête qu’il s’agit d’un mouvement actuel,
puisque nous sommes à la Cité des sciences. Néanmoins, il y a des données importantes.
Je ne vais pas revenir sur les propos de Xavier. En Europe, les maladies mentales
constituent un problème majeur, qui justifie totalement l’exposition. Elles sont les principales
causes de handicap. Bien sûr, on parle toujours de la cardiologie ou d’autres sujets, mais ils
sont réglés. La cardiologie a 30 ans d’avance sur toutes les autres disciplines médicales. Le
vrai enjeu contemporain est vraiment là et dans les maladies neurodégénératives. Ce
fardeau épidémiologique est en augmentation, 1re cause principale de handicap. Si nous
revenons aux chiffres, plus de 38 % de la population européenne est atteinte chaque année.
Les prospectives d’ici à 2020 attendent une progression de cette tendance, notamment du
fait de la crise économique. La France est bel et bien concernée.
Par ailleurs, le cadre, qui a guidé nos interrogations depuis que nous avons été sollicités par
Universcience pour travailler sur cette exposition, est que nous sommes entre
méconnaissance, préjugés, stigmatisation. Le titre même de l’exposition nous met au cœur
de ce sujet. Quelle est l’image de la folie ou des maladies mentales ? Une image
stigmatisée, source de discrimination. Il faut savoir que selon certaines enquêtes, 74 % des
Français considèrent qu’un schizophrène est dangereux. Or il faut savoir que grosso modo
environ 0,2 % des schizophrènes sont dangereux. En revanche, ils sont les premières
victimes d’agressions en prison par exemple, où on trouve de nombreux schizophrènes qui
ne devraient pas y être.
Il faut aussi comprendre que les maladies psychiatriques sont des maladies de jeunes
adultes. Cette conception est également liée à l’évolution des concepts scientifiques. En
effet, la plupart du temps les troubles psychiatriques apparaissent au début de l’âge adulte. Il
est vrai que c’est très différent des troubles neurologiques. La courbe est vraiment croisée
dans ce sens. Cela renvoie par ailleurs aux enjeux importants que sont les maladies
psychiatriques et les maladies neurodégénératives, mais elles n’abordent pas les mêmes
types d’enjeux. Une perspective épistémologique le montre clairement.
Même si ce n’est pas l’objet de l’exposition de l’aborder, le système de soins français n’est
pas en excellent état. C’est un problème. Ce système est fragmenté pour des raisons
historiques. Il s’est appuyé sur des théories très innovantes à un moment donné, mais il
connaît aujourd’hui une fragmentation entre une psychiatrie non universitaire, non générale,
de secteur, la psychiatrie hospitalo-universitaire, la psychiatrie privée. Il y a vraiment des
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mondes complètement clivés, qui se parlent très peu avec une déperdition de moyens
considérables. En outre, l’accès aux soins est très insuffisant et certaines prises en charge
sont totalement inappropriées. Des études font état de retards de diagnostic et d’accès aux
soins absolument considérables. Il y a eu une évolution probablement par un outil de
contrôle social qui est le recours fréquent aux hospitalisations sous contraintes, qui se
déroulent dans des situations pas terribles. Enfin, il y a une spécificité française. Comme
nous sommes les meilleurs au monde, nous n’aimons guère que les autres nous donnent
des conseils. De ce fait, personne ne suit les recommandations internationales. Par ailleurs,
la politique de prévention est très insuffisante, le système très sécuritaire, renforcé par
certaines présidences. De plus, des résultats de recherche restent méconnus. Enfin, le
personnel soignant est bien souvent insuffisamment formé.
L’état des lieux montre une faible adhésion aux guidances internationaux, notamment dans
le traitement des maladies bipolaires. En effet, l’approche des guidances internationaux
entre les Anglais et les Français (selon une étude réalisée en Auvergne) montre une vision
très différente. Les effectifs de psychiatres sont très importants (+ de 12 000 en France).
C’est 2 fois plus qu’en Angleterre ou en Allemagne. Toutefois, il y a un déclin avec la baisse
du numerus clausus et les départs en retraite. La répartition sur le territoire est inégale et elle
induit beaucoup de prises en charge par les généralistes.
Un exemple de retard de diagnostic et de traitement, pour le trouble bipolaire, on considère
que la durée de la période non traitée est d’environ 10 ans, ce qui est considérable, puisque
chaque épisode de la maladie handicape les interactions sociales et agit même sur la
maladie elle-même. Le graphique est très clair.
La comorbidité médicale connaît un développement dans les 2 sens : on s’intéresse au fait
que les malades mentaux développent des maladies médicales. Par exemple, l’enjeu de la
dépression renvoie à des maladies cardiovasculaires. Les personnes dépressives sont plus
susceptibles de mourir de maladies cardiovasculaires, de suicides évidemment. C’est
également un modèle médical, lié à l’étiologie inflammatoire des maladies dépressives.
Beaucoup de gens travaillent sur les virus latents, qui expliqueraient cette forme de
fluctuation de symptômes. Ce champ est très intéressant pour la recherche, mais il ne peut
pas tout expliquer. Il ne faut pas avoir une vue totalisante et retomber dans les erreurs
passées. Nous avons évolué.
Par ailleurs, tout ce qui relève de la psychoéducation est très utilisé. Je pense que Margot en
dira un mot. Il y a une révolution silencieuse via les objets connectés, la web-participation.
La psychoéducation bénéficiera d’une meilleure connaissance du public. On parle de mieux
manger, mieux bouger. Des éléments très intéressants peuvent être développés concernant
le mental. Leur impact est probablement très sous-estimé. Nous pouvons penser que
certains éléments seront intéressants à l’avenir.
Dans le trouble bipolaire, il est possible de montrer assez simplement un effet direct de la
psychoéducation sur le nombre de jours d’hospitalisation (24 versus 41 jours sur 24 mois).
La psychoéducation consiste à apprendre à une personne une certaine hygiène de vie par
rapport à son trouble. Dans la psychoéducation bipolaire, on va ainsi apprendre aux
personnes à suivre des rythmes de veille sommeil équilibrés en fonction de leur
environnement. Un bon médecin devrait faire de la psychoéducation, mais si ce n’est pas si
simple qu’il n’y paraît. Néanmoins, il existe des programmes de psychoéducation, qui
permettent à la personne d’agir sur sa façon de vivre pour essayer d’aller mieux, notamment
grâce des choses très simples, de bon sens. Cela a un impact réel, ne serait-ce qu’en
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termes de coût, puisqu’elles permettent de diminuer de moitié le nombre d’hospitalisations
sur 2 ans.
Les fameux indicateurs, dont a parlé Xavier, se réfèrent au poids médico-économico-social
des pathologies. Vous voyez ici les DALY pour les États-Unis, le Royaume-Uni et la France,
leurs dépenses de santé ainsi que l’effort de la recherche en pourcentage. Vous noterez que
la position de la France n’est pas très bonne en matière de DALY. Universcience peut
essayer de promouvoir un petit message politique sur ce point.
Par ailleurs, quand on se penche sur la distribution en santé publique, car devant le malade
en consultation, il y a la science, les neurosciences du moins, et la manière dont les
maladies s’inscrivent dans la société, vous remarquerez que la France est très en retard en
matière de publications. Cela reflète bien l’intérêt et les faibles moyens mis pour étudier ce
type de sujets.
Enfin, nous avons déjà abordé la question du fardeau économique. Les maladies mentales
engendrent des dépenses directes : le coût sanitaire, médico-social, la perte de productivité,
les pertes de qualité de vie. En France, par an, cela représente 107 milliards d’euros. Bien
sûr, une très large part de ces coûts est totalement invisible avec des systèmes informels.
Tout le monde voit le système de santé et les soins formels, mais il s’accompagne de
nombreux coûts informels liés notamment à la perte de productivité et à la perte de qualité
de vie, qui est très importante.
En l’occurrence, les recherches sont dirigées par la Fondation FondaMental mais il existe
d’autres réseaux de recherche en France. Tout le monde se dirige relativement vers un
modèle identique, à savoir qu’il faut mettre en place une notion de centre expert ou de centre
de soins, qui connaît bien les maladies et qui est en mesure d’offrir à la fois un travail de
dépistage, diagnostic et un suivi avec des projets de recherches, notamment via des suivis
de cohortes.
Je voulais vous présenter un état des lieux en plus du contexte historique, que nous avons
abordé tout à l’heure. Il est bon que vous sachiez quelle est la démarche en cours au sein de
la médecine, qui vise à étendre ce système sur tout le territoire avec le soutien de certaines
fondations, en l’occurrence la Fondation FondaMental et par des programmes
d’investissements gouvernementaux. Nous arrivons donc à un système tout de même mieux
intégré.
Les objectifs consistent en une amélioration des soins primaires avec les médecins
généralistes et spécialisés, à développer des stratégies de partenariat d’expertises, à
développer la coordination de projets, à construire un lien.
Je vais passer rapidement sur les hypothèses de recherche. Pour revenir à la question sur
l’imagerie, toute la recherche va bien au-delà de l’imagerie. La recherche porte beaucoup sur
la génétique, avec l’identification de gènes liés aux horloges dans l’autisme,
l’immunogénétique dans la schizophrénie et les troubles bipolaires. Les facteurs
environnementaux tiennent également une place importante, notamment tous les aspects
liés à l’urbanicité, à l’immigration, à l’utilisation du cannabis dans les psychoses, qui
déclenche des psychoses sur des terrains vulnérables. On commence également à
s’intéresser aux modes de vie, à la nutrition, qui va probablement constituer un grand champ
dans l’avenir. Vous avez parlé de l’imagerie.
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Il y a également les biomarqueurs. Je voulais souligner ces éléments pour vous dire qu’il
existe des travaux très importants ces dernières années sur l’identification de mutations
fonctionnelles dans des gènes impliqués dans la formation de synapses. On peut donc aller
très loin en matière de recherche. En effet, la synapse entre 2 neurones peut être impliquée
dans des pathologies. Voilà comment montrer les facteurs d’environnement dans les
psychoses depuis l’étape avant la fécondation, la fécondation, l’affection maternelle, les
formalismes dans l’enfance (traumatismes psychiques), le stress maternel, les
environnements urbains, les migrations, l’utilisation du cannabis… Tout cela renvoie à un
modèle multifactoriel, qui fait que des expériences subcliniques, puis une étape prodromique
– c’est-à-dire avant l’expression de symptômes – et enfin l’expression du symptôme et le
développement d’une psychose. C’est un modèle.
Tester l’interaction entre ces différents facteurs reste très complexe et n’a pas encore été
résolu. Néanmoins, il existe des hypothèses très précises sur par exemple le rôle de
rétrovirus et de la production d’anticorps et de système inflammatoire sur des terrains
génétiques. C’est là que nous arrivons à quelque chose de très personnalisé, puisqu’en
fonction de ce profil de type biologique, les réponses aux traitements proposés sont
différentes, d’où l’intérêt de développer quelque chose de très personnalisé. Vous voyez
qu’on est très loin des catégories, dont nous avons parlé.
Je vous montre des images d’IRM avec des activations sur des cohortes de patients, qui
montrent des dysfonctions dans le cerveau. Je vais avancer quelque peu pour terminer par
un exemple montrant le dysfonctionnement cérébral particulier et les symptômes. Vous avez
peut-être entendu parler d’une technique, qui s’appelle la stimulation cérébrale profonde, qui
consiste à mettre des électrodes dans le cerveau pour soigner notamment la maladie de
Parkinson et les maladies neurologiques comme le tremblement essentiel. Il s’agit d’une
technique qu’on développe actuellement dans des maladies psychiatriques très sévères, qui
ont résisté à tous les traitements. Ce type de technique nous a véritablement appris des
choses sur le fonctionnement du cerveau et sur le dysfonctionnement de certaines aires
cérébrales dans le cas de troubles et notamment de TOC. Je vais vous montrer que des
techniques, testées sur la souris, permettent d’aller beaucoup plus loin.
La stimulation cérébrale profonde – pour ceux qui ne connaissent pas cette technique –
consiste à introduire des électrodes par voie stéréotaxique – c’est-à-dire qu’on n’ouvre pas
totalement la boîte crânienne – dans le cerveau. Les électrodes sont placées de manière
définitive et reliées par un câble à un générateur, qui délivre un courant continu, qui va
s’exprimer au sein du cerveau. Vous voyez ici une modélisation du courant sur une aire
cérébrale. Vous constaterez qu’il est possible de régler le stimulateur de l’extérieur. Cela
concernait au départ seulement les maladies neurologiques.
Or on a vu, au cours de l’implantation de ces électrodes et de stimulations-tests apparaître
des modifications émotionnelles du type rires, voire même dans certains cadres des états
dépressifs minute induits par la stimulation réversible. Ce type de choses nous a amenés à
réfléchir sur l’impact de petites structures au cœur du cerveau, plutôt connues pour leur
régulation de la motricité, sur des éléments beaucoup plus généraux. Cela s’explique par le
fait qu’elles reçoivent un certain nombre d’informations de nature différente (motrices,
associatives ou émotionnelles) de la part du cortex. Probablement qu’au sein de ce système
de quelques millimètres au cœur du cerveau, il y a une intégration de ces différentes
modalités.
On a donc étudié les modifications du comportement dues à la stimulation très précise de
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ces zones, pour aboutir à la conclusion que cela pourrait avoir une action sur les
comportements. Je vous montre l’exemple des relais limbiques dans les ganglions de la
base pour une maladie neuropsychiatrique – la maladie de Gilles de la Tourette – avec
l’expression de tics, éventuellement de gros mots, etc. Vous voyez que la patiente stimulée
dans les ganglions limbiques de la base, les TIC continuent sur la face, le tronc. Pendant la
stimulation d’un de ces relais, elle ne présente plus de TIC. Pendant une expérimentation
placebo, on voyait réapparaître les TIC. Cela permet d’être sûrs que l’action est bien due à
ce type de stimulation.
À la suite de ce type de travaux, on a pu montrer que ces recherches présentaient un intérêt
dans le traitement des TOC. Vous voyez ici une patiente essayant de vérifier de façon
continue que sa porte est bien fermée. Le TOC est centré par l’impression que quelque
chose ne va pas, une détection d’erreur et une anxiété incontrôlable. La personne est
obligée de répéter un certain nombre de comportements compulsifs pour essayer de
contrôler cette angoisse. On a montré que la stimulation de certaines régions du cerveau
pouvait améliorer ce type de comportements.
La psychiatrie est véritablement entrée dans le domaine des neurosciences. Ici vous voyez
l’intervention du 1er patient à la Pitié-Salpêtrière. Son cerveau est ici dans le cadre
stéréotaxique, qui permet d’implanter les électrodes via ces trajectoires. Vous remarquerez
les petites zones du cerveau, dans lesquelles on implante les électrodes, sur lesquelles on
recueille des activités neuronales. On peut ainsi étudier l’activité de ces neurones en
corrélation avec des symptômes ou avec une réponse aux stimuli. Je pense que vous serez
intéressés par le fait qu’on a essayé de reproduire des vérifications. Pourquoi le sujet vérifie
tout le temps ? On a donc réussi à recréer en laboratoire une tâche cognitive. Cette
technique est de nos jours très utilisée en recherche psychiatrique. On essaie de reproduire
des situations, qui confrontent les gens. Une partie de l’exposition est quelque peu fondée
sur ce principe. Elle vous confronte à des situations, où vous ressentez la situation d’un
malade, même si ce n’est pas avec la même intensité.
On peut ainsi proposer l’expérience de vous montrer une image qui disparaît puis réapparaît
soit différente, soit identique. Vous devez décider si elle est identique ou différente. On peut
rendre cela très compliqué pour vous rendre l’exercice très difficile. Dans cette tâche, vous
disposez ensuite d’un écran où vous pouvez voir si votre réponse était bonne ou non, ou
vous pouvez revenir à la 1re image et refaire le test. Vous pouvez vérifier si vous n’êtes pas
sûrs de votre réponse. On peut ainsi manipuler ces éléments pour faire en sorte que vous ne
soyez pas très sûrs et donc amenés à vérifier plus souvent. Ensuite, nous pouvons étudier
cela chez nos patients. Ainsi, cela montre que les patients atteints de TOC sont beaucoup
plus enclins à vérifier que quelqu’un qui n’a aucun TOC de vérification.
Quand on réalise cette expérience au bloc opératoire et qu’on enregistre des neurones avant
la décision de vérifier ou non, cela montre que l’activité de ces neurones prédit le
comportement de vérification. Je tenais à vous montrer cela, car il s’agit de l’incarnation de
ces activités. On a identifié des neurones dans le cerveau, qui prédisent ce comportement.
Cela ne signifie pas que tout se passe là, mais il y a un raisonnement en place à ce momentlà dans le cerveau, qui est lié à ce comportement de vérification. Cela concerne des patients
atteints de TOC très graves. Vous voyez que cette patiente opérée est confrontée à son
TOC en permanence. La vie de ces gens-là est un enfer.
Je vais passer rapidement sur les modèles, dont nous disposons, afin de voir en quoi il y a
des processus liés à ces vérifications. Notre stimulation agit sur une petite structure, qui est
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un seuil laissant ou non exprimer les comportements. Trois ans après la stimulation, la
même patiente est totalement guérie. Elle ne présente plus aucun symptôme et elle explique
dans cet entretien qu’elle va très bien et qu’elle n’a plus aucun rituel dans sa vie quotidienne.
L’objectif serait donc d’aller plus loin, de capitaliser ces résultats et de proposer un modèle
de la compulsion. Pourquoi avons-nous des compulsions ? En quoi la stimulation nous aidet-elle à sortir d’une compulsion, qui nous maintient par exemple dans l’indécision ? Une
démarche – c’est peut-être la diapositive la plus importante – montre qu’aujourd’hui le
raisonnement psychiatrique part d’observations cliniques. Ici il s’agit d’une modification du
comportement à la suite de la stimulation. Ensuite, on applique des techniques d’imagerie,
d’électrophysiologie – enregistrement des neurones – ce qui ramène à reconceptualiser
certains schémas d’organisation de l’information dans le cerveau, puis on le teste chez des
modèles animaux.
Pour résumer, il y a des maladies psychiatriques, qui présentent des symptômes, des
comportements compulsifs et là, on peut essayer de développer des modèles et d’agir sur
ces modèles. Je vais terminer sur ce point. Je ne vais pas aborder les détails de
l’optogénétique, parce que ce serait trop compliqué.
Je voulais seulement vous informer qu’on profite d’une technique très récente, qui vise à
rendre des neurones sensibles à la lumière en injectant des protéines, qui les rendent
sensibles à la lumière et pilotables grâce à cette lumière. Il devient ainsi possible de piloter le
comportement lié à ces neurones particuliers. De plus, on dispose d’une souris, à qui il
manque une protéine, qui entre dans la construction synaptique des structures que je vous ai
montrées juste avant. Que lui arrive-t-il ? Elle se gratte. Elle se lisse les moustaches en
permanence, à tel point qu’elle en arrive à développer des lésions cutanées. Un exemple
d’expérience très intéressant a été réalisé sur cette souris.
Il s’agit de conditionnement. Vous prenez des souris pour les placer dans une cage, où elles
reçoivent une petite goutte d’eau sur les moustaches. Une souris normale qui reçoit une
goutte d’eau sur les moustaches se lisse les moustaches. C’est normal. Ensuite, vous
provoquez un conditionnement très classique : juste avant la goutte d’eau, vous lui faites
entendre un son. Au bout de 200 essais, la souris se lisse les moustaches dès qu’elle entend
le son, alors que l’eau n’est pas encore tombée. Si l’on poursuit l’expérience encore jusqu’à
600 essais, elle finit par se déconditionner. Je ne dis pas qu’elle a compris, mais quand elle
entend le son, elle ne se gratte plus les moustaches. En revanche, le comportement existe
toujours : dès que la goutte d’eau tombe, elle se lave toujours les moustaches.
La souris mutée, à qui il manque cette protéine, réagira de la même manière que ses
congénères au début de l’expérience. Mais elle ne se déconditionnera jamais. Elle présente
donc une compulsion, à partir d’un conditionnement, qui ne disparaîtra jamais. La phase
intéressante de l’histoire est que le chercheur du MIT a stimulé optogénétiquement – c’est-àdire qu’il a infecté des gènes au hasard – la zone orbito-frontale de la souris. Or il s’agit
d’une zone très impliquée – d’après les résultats de l’imagerie – chez l’homme dans les
TOC.
Pendant la stimulation optogénétique de la souris mutée, que se passe-t-il ? La souris
entend le son et se grattent les moustaches. Si vous stimulez optogénétiquement cette voie
neuronale très précise, qui n’a pas été choisie au hasard, vous voyez qu’elle ne se gratte
plus les moustaches au son. Cependant, le comportement n’a pas disparu. Elle se gratte
toujours les moustaches, lorsque la goutte tombe. Or si on arrête la stimulation
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optogénétique, instantanément, elle se regratte les moustaches au son.
Nous réalisons ce type de travaux en psychiatrie. Il s’agit d’identifier des circuits de façon
extrêmement précise au niveau cellulaire, qui arrive à restaurer chez une souris déficiente
une capacité d’inhibition d’un comportement répété. On est très proche des modèles de
conditionnement des TOC. Sur cette vidéo, vous voyez bien le conditionnement de la souris :
la goutte tombe et elle se gratte de manière naturelle. Cela démontre donc que le
comportement initial n’a pas été supprimé. On a ensuite identifié que c’était lié à certains
neurones, mais c’est très compliqué.
Je voulais vous montrer qu’on pouvait aller aussi loin. Cette diapositive est très importante.
Tout d’abord, elle souligne l’intérêt des aides des animaux. Je pense que vous êtes au
courant de toutes les histoires sur la recherche chez l’animal. Il est important que vous soyez
au courant que pour les recherches en neuropsychiatrie chez l’animal, le recours aux
animaux est absolument essentiel. On ne peut pas s’en passer. On approche de
mécanismes, qui vont nous servir à optimiser les traitements et à comprendre ce qu’on va
faire. Il est donc très important que, dans les dispositifs mis en œuvre pour étudier les
technologies, l’environnement des patients, la représentation des maladies – c’est le travail
de nos amis socio-anthropologues – les modèles animaux permettent de construire le
panorama actuel et moderne de ce que personnellement je me représente de la maladie
mentale, donc du sujet de votre exposition. Je pense qu’il était important de réaliser un focus
sur ce point pour la Cité des sciences. Voilà, j’ai fini.
Applaudissements.
Auditrice : J’ai une question. On voit de plus en plus que les maladies mentales imprègnent
le monde du travail. Quoi qu’il en soit, on entend de plus en plus un certain nombre de
termes, qui relèvent de ce que vous avez décrit dans le monde du travail. Quand je viens
vous voir en vous confiant que mon milieu professionnel me rend folle, que je suis folle,
comment arrivez-vous à discriminer un ressenti d’une maladie ? Je viens vous voir en tant
que psychiatre. Je vous dis que je suis complètement folle, que cela me rend profondément
malade.
Luc MALLET : Je pense qu’il faut que nous répondions à plusieurs à votre question. Je crois
que votre question renvoie à 2 niveaux : un 1er niveau assez simple. Un patient vient voir un
médecin. Il arrive avec une souffrance. Il ne se sent pas bien pour telle et telle raison. Cela
ramène à notre classification de tout à l’heure grâce au DSM-V. Est-il malade ou non ? Ai-je
quelque chose à lui proposer ou non ? C’est un 1er point.
Vous avez ensuite parlé du milieu professionnel, qui renvoie à autre chose. Est-ce que le
burn-out est une maladie ? Est-ce que les risques psychosociaux sont importants ? Cette
question est assez complexe et relève de la médecine du travail, en entreprise. Il existe du
stress en entreprise. Ce n’est pas nouveau. Des cohortes étudient cela, comme la cohorte
Gazel chez EDF, qui existe depuis des années, connues, car elle est publiée. Une cohorte a
également été mise en place à la SNCF. Un article a été publié à son lancement, mais elle
est toujours en cours. Il existe donc des entreprises, qui réalisent un travail épidémiologique
du stress sur de gros effectifs (des milliers de salariés par an). On peut en critiquer la
méthodologie, mais des choses sont faites.
Il est intéressant, par exemple dans le cas du suicide, qu’il y ait une différence considérable
entre les données médiatiques sur le suicide d’entreprise et les données objectives. Ainsi,
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tout ce qui a été raconté à un moment donné sur les suicides sur le lieu de travail ne
correspond pas à la réalité. Cela n’existe pas. Le nombre de suicides répertoriés dans le
milieu du travail n’a pas augmenté. C’est une non-information. Je parle bien ici de suicides
sur le lieu de travail. Il y a peut-être plus de suicides en dehors. En outre, cela ne signifie pas
qu’il n’y ait pas de stress en entreprise. Vous voyez qu’il faut se méfier et garder un abord
scientifique des choses.
Il y a une augmentation de la souffrance exprimée dans certaines entreprises, parfois liée à
des restructurations. Je pense qu’il y a quelque chose à entendre de ce point de vue. Est-ce
que cela relève du champ de la science ou du management de l’entreprise ? C’est une autre
question. Une partie de ping-pong se déroule souvent au sein des entreprises entre les
différentes instances pour se renvoyer la problématique.
D’un point de vue purement psychiatrique, il n’y a aucune raison que le travail ne génère pas
de stress, de la même manière que n’importe quelle situation de la vie. Un repas de famille
peut être bien plus stressant que n’importe quelle réunion de travail.
Xavier BRIFFAULT : Je peux effectivement compléter, en commençant par exprimer mon
total accord avec les propos de Luc. Les données épidémiologiques le confirment
effectivement. Toutefois, la complexité de ces situations est accrue par le fait qu’elles
s’insèrent dans des problématiques de rapports de force, de représentations sur les salariés,
les employeurs. À l’époque des problèmes à France Télécom (en 2007/2008), il y avait eu,
apparemment, une épidémie de suicides, « une mode de suicides », comme l’avait dit Didier
LOMBARD. Il faut tout de même rappeler son nom pour ne pas l’oublier. Viviane KOVESS,
dont j’ai fait circuler un ouvrage, avait réalisé une étude statistique pour montrer que, par
rapport à ce que l’on attendait du taux de suicide dans cette population spécifique, il n’y avait
ni plus ni moins de suicides qu’ailleurs.
Epidémiologiquement, ce sont des données empiriques globalement confirmées partout. On
ne peut pas montrer qu’il a des impacts spécifiques du travail sur la socialité. Toutefois, on
peut l’exprimer socialement de différentes manières. Vous pouvez affirmer directement que
c’est faux ou choisir un chemin plus subtil, plus progressif, en expliquant que c’est
multifactoriel. Tout suicide répond à un mécanisme psychopathologique. Cependant, le
passage à l’acte peut être déclenché par le fonctionnement de l’employeur. Bien
évidemment les fonctionnements managériaux complètement déconnectés peuvent tuer les
salariés. C’est une évidence. Ils sont victimes de stress, de burn-out, de souffrance
psychique, de désinsertion sociale, de dépression. C’est assez bien démontré
expérimentalement.
Entre stress, burn-out, dépression, dépression sévère, pensées suicidaires, plan suicidaire,
tentative de suicide, suicide, mort par suicide, à chaque fois on progresse. Il y a 12 000
suicides par an en France. Les suicides concernent majoritairement des hommes plutôt
âgés, ce qui va à l’encontre des représentations usuelles que nous avons du suicide,
notamment chez les jeunes, qui pourrait être lié à la crise économique ou à des problèmes
d’insertion, etc. Il serait un problème majeur de ce public et serait en augmentation. C’est
faux. Les moins de 25 ans ne représentent que 600 décès par suicide par an. En revanche,
les tentatives sont plus importantes et concernent davantage de jeunes femmes. Les morts
touchent plutôt des hommes âgés de plus de 50 ans.
Ce sont des problèmes très délicats, pour lesquels il est très difficile de montrer une
causalité. Par ailleurs, en France, on s’aperçoit que concernant la relation entre les
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catégories socioprofessionnelles et les taux de suicide, les données datent de mathusalem.
Nous disposons de très peu de données statistiques. Si vous prenez l’exemple des
agriculteurs, le taux de suicide des agriculteurs est 3 fois supérieur à celui des cadres. C’est
typique dans les troubles mentaux, si vous regardez la stratification sociale. De la même
manière, il y a plus de cancers, de fumeurs, d’accidents, etc. dans les catégories sociales les
plus défavorisées, qui sont exposées à plus de facteurs de stress. Des cumuls de facteurs
amènent les gens dans des situations d’impasses, etc. Si vous prenez les troubles bipolaires
ou les troubles borderline, ils sont multipliés par 40 ou par 50. Ce ne sont pas du tout les
mêmes rapports. En outre, cela ne permet pas de recouper lesquels des agriculteurs, qui
font augmenter le taux de suicide, étaient aussi bipolaires ou autre. Il est assez compliqué
d’étudier ces statistiques.
Auditrice : Par rapport au suicide lié au travail, la reconnaissance en accident de travail
constitue un nouvel indicateur. Ainsi, au moins 2 suicides chez Renault ont été reconnus
comme accidents de travail. Ils peuvent être liés aux risques psychosociaux.
Xavier BRIFFAULT : Comme vous le dites, il ne s’agit que de 2 cas. Par ailleurs, il faut
distinguer la reconnaissance sociale, juridique, la qualification des choses comme accident
du travail, ce qui suppose que l’entreprise a joué un rôle dans l’accident, dans le passage à
l’acte.
Luc MALLET : Je pense que vous avez raison. Ce qui est remarquable, c’est la
reconnaissance récente. Si nous avions la possibilité de faire l’autopsie de tous les suicides
sur le lieu de travail depuis un siècle, il y en aurait un certain nombre. À mes yeux, il n’est
pas intéressant de découvrir qu’ils existent, mais bien le fait qu’on arrive à ce qu’ils soient
reconnus comme accidents du travail. Il me semble que le centre d’intérêt est de regarder
quelle est la pénétration du monde du travail dans le champ de la santé mentale. C’est
intéressant à capter et cela a bel et bien une signification du point de vue des symptômes.
Simplement du point de vue de la santé mentale, des maladies psychiatriques, nous venons
de vous exposer que la situation est complexe et résulte de la rencontre d’un processus. Le
fait d’en parler a une signification, qui doit recevoir une réponse d’ordre sociétal, politique.
Xavier BRIFFAULT : Tout à fait. Sur le sujet dont parlait Luc, vous pouvez avec profit lire un
certain nombre d’ouvrages d’Alain EHRENBERG, notamment La fatigue d’être soi sur la
dépression ou son ouvrage récent intitulé La société du malaise, sur la manière dont les
troubles mentaux sont socialement codés et acquièrent une charge sociale, en référence à
l’ouvrage de FREUD, Malaise dans la civilisation. Il appelle cela un idiome de la santé
mentale, c’est-à-dire la manière socialement autorisée pour exprimer les problèmes. Cela
s’inspire d’une lecture que proposait Marcel MAUSS, un sociologue français, sur l’expression
obligatoire des sentiments. Quand il y a un malaise, qu’il soit collectif ou individuel, soit on
l’exprime en termes de rapports de force, de lutte des classes et de conflits ou l’idiome social
implique de l’exprimer en termes psychologisés, voire psychiatrisés. Il devient donc
médicalisé, ce qui a des conséquences.
Quand Marie-France HIRIGOYEN a écrit son fameux livre sur le harcèlement moral, dans
des perspectives sans doute très bien intentionnées, cela a amené des recodages, qui
peuvent aboutir à psychologisation et à une médicalisation excessive. Cela a amené aussi à
une pénalisation du harcèlement moral, qui est devenu un délit, ce qui est une bonne chose.
Néanmoins, d’un point de vue de qualification juridique, le pénal est beaucoup plus lourd que
le civil ou les prud’hommes. Il faut que la qualification soit stricte, qu’il y ait des preuves, etc.
Ce n’est pas forcément, in fine, un cadeau fait aux victimes d’avoir pénalisé le harcèlement
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moral. Il en va de même pour le burn-out. Faut-il y voir une maladie ? Est-ce une
dépression ? Est-ce un syndrome d’épuisement lié au stress ? Quand on rentre dans les
détails, c’est toujours plus complexe que dans les grandes catégories.
Auditrice : Une question qui va peut-être vous faire rire : aujourd’hui, on ne peut plus dire
« fou » ? Il n’y a plus de fou. Apparemment on peut guérir, mais à quel moment on décide
qu’une personne doit être internée dans un hôpital psychiatrique, parce qu’elle est folle ?
Margot MORGIEVE : Pour répondre à la question si on peut parler de fous ou non, il y a
bientôt la mad pride. Justement leur communication est axée sur la thématique : « c’est fou,
nous sommes fous et justement nous organisons un joyeux défilé de fous ». Ils ne sont pas
tous d’accord. C’est très intéressant. En effet, beaucoup d’associations de patients portent
ce défilé de fous. D’autres associations puissantes sont totalement opposées au concept de
s’amuser de cette situation, comme l’UNAFAM, tout particulièrement autour du débat de
stigmatiser ou non, d’affirmer être fous ou non, etc. Effectivement, les mots ne sont pas
anodins et ils font débat autant chez les professionnels et chez les personnes qui en
souffrent ou leurs proches. La mad pride a donc lieu le 14 juin.
Auditrice : Les familles ne peuvent pas dire au nom des malades : je suis fier d’être fou.
Margot MORGIEVE : Non. Elles peuvent dire qu’elles souhaitent ou ne souhaitent pas
employer cette catégorie. Elles peuvent s’associer au mouvement et venir défiler ou
désapprouver.
Auditrice : Dans le dossier de presse, on ne traduit pas littéralement par « fiers d’être
fous ». On contourne.
Margot MORGIEVE : Dans les prospectus de communication, le mot fou apparaît.
Auditrice : Toutes les associations ne sont pas d’accord et les plus importantes ne le sont
pas.
Xavier BRIFFAULT : Cela illustre ce que je disais en introduction et que souligne Alain
EHRENBERG : la conflictualité sociale est inhérente à la question des troubles mentaux, de
la folie, des maladies mentales, etc., parce que, consubstantiellement, cela renvoie à des
représentations anthropologiques différentes et à des groupes sociaux différents. C’est codé
dans l’idiome social servant à exprimer la souffrance, le mal-être, la difficulté. Cela structure
nos relations. C’est donc extrêmement lié dans nos manières d’être au monde et d’entrer en
communication avec les autres. De ce fait, dès qu’on y touche, cela génère des
complications, des conflits, des positionnements identitaires, des revendications
stratégiques, des utilisations contournées à des fins rhétoriques de rapports de force, etc. de
l’usage de la maladie. Toutes ces catégories modifient la manière dont nous fonctionnons
socialement. Quand nous regardons la manière dont ces éléments ont été utilisés
historiquement, il y a des choses, qui n’auraient pas été pensables, conceptualisables
autrefois, aujourd’hui. Ces problématiques sont inhérentes aux troubles mentaux.
Margot MORGIEVE : Comment les personnes se représentent-elles elles-mêmes ? Quels
mots souhaitent-elles employer ? Nous travaillons sur des témoignages, dont parlait Virginie
en introduction. J’ai demandé à une personne atteinte d’un TOC extrêmement sévère si elle
était d’accord pour témoigner, quels seraient les mots qu’elle utiliserait pour définir son état ?
Pense-t-elle qu’elle a un TOC ? Se considère-t-elle malade ? Handicapée ? Je lui ai posé
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cette question et elle m’a répondu qu’elle ne se considérait pas malade. Cependant, quand
elle en discute avec son psychiatre, elle convient bien qu’il s’agit d’une maladie. Pourtant,
quand elle rentre chez elle, elle pense manquer de volonté, etc. Nous voyons bien à travers
cet exemple que le terme à employer n’est pas clair pour les patients. Il se définit toujours
dans une dialectique, dans une relation à l’autre, à la société, y compris pour les personnes
elles-mêmes.
Xavier BRIFFAULT : Chaque choix de mot renvoie à des obligations. Ainsi, PARSONS, un
sociologue américain avait conceptualisé le rôle de malade. Le rôle de malade existe
socialement. C’est-à-dire qu’en tant que malade, on a des droits. On a le droit de ne plus
travailler. On a le droit d’être soutenu par les autres. On a le droit qu’on nous laisse en paix.
On a un certain nombre de droits, qui s’accompagnent d’obligations. On a l’obligation de se
soigner et de prouver qu’on veut aller mieux. Pour cela, on a l’obligation d’aller consulter et
de suivre les traitements qu’on nous recommande. Si on ne le fait pas, c’est bien la preuve
qu’on n’est pas malade, que de ce fait on est un simulateur, que de ce fait le rôle est usurpé.
Cela implique qu’on perde ces droits.
Il existe un certain nombre de négociations en permanence à la frontière. Le trouble mental
est déjà prénégocié dans la famille. Quand il y a des problèmes au sein d’une famille et que
celle-ci va décider qui est fou, qui va recevoir le label de malade mental, qui est responsable
de la souffrance de la famille. Cela va se déposer sur une personne. Ensuite, le système
familial se sédimente autour de cela. Un certain nombre de négociations dépendent donc de
la famille, des rapports de force intrafamiliaux, des psychopathologies individuelles, du lieu
de vie des personnes, etc. Cela induit une préattribution du statut de fou : mon fils est fou.
Ma mère est hystérique. Mon père est paranoïaque. Par la suite, cela sort de la famille pour
recevoir d’autres labels. Cela se renégocie.
La négociation est permanente. Est-ce que je suis malade ? Fou ? Est-ce un choix de vie ?
Est-ce que je suis génial ? Différent ? Tous ces éléments se négocient en permanence dans
les choix de catégories. Il y a des logiques rationnelles dans le fait de choisir – je dis bien
choisir – d’être dépressif, schizophrène, etc. Je parle bien de la catégorie utilisée pour se
présenter socialement comme une victime de burn-out, une personne en dépression, un
trouble bipolaire, une personne épuisée par le stress, une personne qui choisit de lutter
contre le speed de la société et donc d’être plus lent, etc. Ce sont des négociations
permanentes. Elles révèlent une intentionnalité, de la discussion, des conflits, des rapports
de forces, des négociations, des choix intentionnels, une réalité biologique et psychologique
et des catégories sociales.
Auditrice : Dans une de vos interventions, vous avez exposé que la maladie mentale est
déjà présente au départ. Elle s’amplifie ensuite, notamment avec un déclencheur.
Ainsi, si ma dépression est là, à un moment donné dans un milieu professionnel, est-ce que
quelque chose, qui était en moi, se révèle ? Ou est-ce le milieu, qui crée ce sentiment avéré
ou non d’une forte dépression dans le milieu professionnel ? Je vais aller voir le médecin du
travail ou le psychiatre, qui va m’aider à déterminer si j’ai une dépression. Si oui, est-ce
qu’elle était en moi ? Est-ce qu’elle a été déclenchée par le milieu professionnel ? Comment
objectiver avant tout aujourd’hui les moyens d’appréhender cette situation ?
Xavier BRIFFAULT : Je pense que nous allons revenir à une civilisation éminemment
individuelle. Si la personne avait des antécédents de dépression, cela va être un travail
clinique, qui va aller vers l’identification d’une maladie dépressive récurrente ou autre. Cela
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n’empêche pas que la rechute soit due à des facteurs de stress professionnels bien
présents. Il va être très compliqué de répondre à votre question de façon générale.
Vous dites : je l’avais en moi. Oui, on peut penser que vous aviez cette vulnérabilité
psychologique de la dépression en vous et qu’elle s’exprime à l’occasion d’un stress plus
marqué qui en l’occurrence est professionnel. D’un point de vue strictement médical sur la
question, l’origine du stress n’est pas importante.
On peut par ailleurs penser que vous n’aviez pas cette vulnérabilité et qu’un stress
particulièrement important est venu créer quelque chose. Il va être difficile, dans l’expression
symptomatique clinique décrite par les patients, d’émettre un avis tranché, car cet avis
repose sur quelque chose d’éminemment subjectif. En pratique, dans une situation concrète,
l’essentiel consiste à amener le sujet vers la solution, qui lui semble la plus acceptable. Si un
mouvement dépressif lui donne l’énergie pour négocier quelque chose de sa position dans
l’entreprise. C’est l’occasion de le faire et c’est bien. Si cela révèle l’expression d’une
maladie dépressive, c’est autre chose.
Le modèle de la maladie dépressive est toutefois très complexe. Autant ce concept « c’était
en moi » s’exprime dans certains éléments scientifiques de la psychose. L’objectif futur
viserait à identifier des biomarqueurs susceptibles d’anticiper certaines choses latentes,
comme des attitudes psychoéducatives, afin d’éviter à ces personnes de basculer dans les
symptômes bruyants, qui vont leur causer des difficultés. Autant c’est vrai pour la psychose,
autant la dépression est une maladie très hétérogène et donc plus complexe.
Le constat empirique que j’ai mentionné tout à l’heure précise qu’il y a davantage de troubles
mentaux dans les groupes sociaux les plus défavorisés. Pourquoi ? Il y a 2 tentatives
d’explications : l’hypothèse de sélection. C’est-à-dire que grosso modo les personnes se
retrouvent dans les groupes sociaux défavorisés, parce qu’ils ont des problématiques
psychopathologiques. Ou bien les personnes ont des troubles psychopathologiques, parce
qu’ils se retrouvent dans des groupes sociaux défavorisés. En fonction du tropisme social de
droite ou de gauche que vous avez, vous aurez une inclination plutôt pour une hypothèse ou
pour l’autre.
Si nous prenons la 1re hypothèse, à savoir de droite pour simplifier – c’est de la faute des
gens –, la trajectoire de vie sera fortement marquée par une petite dysrégulation
émotionnelle tempéramentale plus ou moins innée. Vous développerez des problèmes
d’attention à l’école, puis des problèmes d’opposition, de conflits, les instituteurs vont
commencer à s’énerver contre vous. Ils vont vous stigmatiser. Cela va vous placer dans une
position difficile. De ce fait, vous allez devenir encore plus difficiles à réguler. Au collège,
cela va se compliquer. Vous aurez déjà une histoire, une étiquette. Quand la charge
cognitive va augmenter, cela va devenir de plus en plus compliqué. Vous allez être confronté
à l’échec. Vous allez commencer à devenir anxieux, à vous déprimer. Vous arrivez au lycée,
si vous y arrivez ou vous n’avez pas de chance et vous vivez dans un mauvais lieu de vie.
Vous êtes « trajectoirisé » vers quelque chose. Vous vous retrouvez dans un emploi moins
bon, d’un moindre niveau hiérarchique. De ce fait, vous êtes dans un environnement plus
stressant, plus dur. Vous vous déprimez davantage. Puisque vous avez des problèmes de
régulation émotionnelle, vous allez au clash. Vous frappez votre supérieur hiérarchique.
Vous êtes viré. Vous avez une réputation horrible. Vous ne retrouvez plus de travail. Vous
êtes au chômage. Votre conjoint vous quitte, parce qu’il n’en peut plus. Vous divorcez.
Quand vous avez un problème de relation à l’abandon, vous vous écroulez, parce que votre
mère, comme ses grands-parents, vous a mal nursé. À ce moment-là, vous commencez à
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boire, etc. Vous tombez. Boom. Vous êtes dans le mur et c’est fini.
C’est l’hypothèse d’une trajectoire individuelle, mais vous voyez bien que vous pouvez
reprendre la même trajectoire dans l’autre sens. Vous êtes né dans une mauvaise famille,
parce que vos parents avaient des stratégies parentales dysfonctionnelles. Ils étaient
hargneux envers vous. Ils manquaient de soutien émotionnel. Ils vous mettaient face à des
objectifs contradictoires. Ils vous frappaient. Éventuellement, ils vous abusaient
sexuellement. Vous étiez dans une ville où le milieu scolaire était mauvais, parce qu’on y
envoyait les professeurs en début de carrière, parce que les gens ne veulent pas vivre au
milieu des tours. De ce fait, il n’y a pas de budget, etc., etc.
La même personne dépendant de l’angle d’une trajectoire répond à de multiples facteurs, qui
interviennent. Quand la personne arrive enfin en clinique, si la personne est allée consulter,
dans le meilleur des cas, avant de s’envoyer dans le mur, le psychiatre va remonter sa
trajectoire de vie. Il va essayer de comprendre ce qui s’est passé. Ainsi, dans le meilleur des
cas, il va en déduire une stratégie thérapeutique pharmacologique, si tout le système
biologique est écroulé et qu’il faut intervenir, psychothérapeutique de court, moyen ou long
terme. Il va tenter de revenir sur les facteurs de personnalité, de faire modifier le système
familial, social. Bref, ce sont des interventions nécessairement complexes, individualisées,
comme le soulignait Luc. Elles sont à chaque fois singulières.
Auditrice : Il y a tout de même des fous qui réussissent…
Auditrice : Une question simple : on entend beaucoup parler du burn-out. Quelle est sa
traduction en français ? D’un point de vue médical et scientifique, que signifie-t-il ?
Xavier BRIFFAULT : Le burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel, en français. Sur
les mécanismes, je vais laisser Luc répondre.
Auditeur : Je voudrais poser une question sur l’ethnopsychiatrie. Vous affirmez que l’image
est différente selon les pays. Ce que nous appelons folie à l’hôpital Avicenne relève
simplement parfois de la sorcellerie. J’ai une question là-dessus.
Auditeur : Je répète ma question : quid des gens qu’on classe fous et qui réussissent ? Ou
des gens qui réussissent, parce qu’ils sont fous ?
Luc MALLET : Les gens qui réussissent, bien qu’ils soient fous, nous en avons des
exemples, de prix Nobel, d’hommes politiques, etc. Winston CHURCHILL était probablement
bipolaire. Bien évidemment, l’ex-président d’Intell avait écrit un ouvrage intitulé Seuls les
paranoïaques s’en sortent. Il y a des fonctionnements de personnalité, qui sont favorables à
la réussite sociale. La paranoïa peut en être un ; l’obsession peut en être un dans certains
domaines ; même les troubles limites de la personnalité, qui présentent des capacités de
mimétisme caméléonique, peuvent faciliter l’insertion sociale. Bien sûr, on peut réussir bien
qu’on ait des problématiques de santé mentale.
Réussir, parce qu’on a des problèmes de santé mentale. Cela a été une grande époque de
la folie comme génie. C’est tout de même beaucoup épidémiologiquement beaucoup plus
discutable, je pense.
Xavier BRIFFAULT : Sur ce sujet, je pense qu’à chaque fois, cela repose la question de la
définition. Ainsi, dans une définition très fonctionnelle, un trouble mental est un élément à
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l’origine d’une souffrance significative dans un contexte particulier, social, etc. À partir du
moment où une disposition mentale peut être, dans son expression, catégorisée comme un
trouble, s’il y a une souffrance associée, permet au contraire de réussir, ce n’est plus un
trouble mental. Le terme de paranoïaque devient un jugement, plus une maladie. La frontière
est complexe.
Il y a des modèles de personnes qui, comme on disait dans l’ancien temps,
« décompensent ». Il décompense sa paranoïa une fois arrivée à la tête d’une
administration, d’un institut. Il décompense sa paranoïa, parce qu’il est paranoïaque et c’est
pour cela qu’il est arrivé là. C’est une vue comme cela. Je n’affirme pas que j’adhère à cette
disposition. J’essaie de décrire les choses. De ce fait, faut-il encore appeler cela « trouble
mental », dans la mesure où c’est adapté ? C’est toute la question.
Votre question sur fou tout à l’heure était très intéressante. Je voulais y revenir. Les
exemples que vous avez pris me semblaient renvoyer tous à une notion de ne pas se rendre
compte qu’on est malade et d’avoir besoin qu’on s’en rende compte pour vous. C’est un
aspect de la maladie mentale : la non-conscience du trouble, qui peut advenir dans certains
cas. Elle est transitoire dans la plupart des cas. Même les psychoses prennent conscience.
Dans le temps, on considérait ce cap dangereux, car il s’accompagnait souvent de suicides.
Le mot fou – c’est intéressant pour les sociologues – est renvoyé à l’incapacité à se rendre
compte de sa situation. C’est un mot-valise, qui véhicule un certain nombre d’éléments très
intéressants. Le mot fou ne me gêne pas en particulier. Je pense qu’il est très stigmatisé
aujourd’hui, donc on ne peut pas en parler. Le fait de le promouvoir ou non renvoie à
l’identification sociétale et aux enjeux de pouvoir qui s’y cache. En effet, ce sont des enjeux
de pouvoir. Nous pourrions en conclure que la problématique familiale se retrouve au niveau
familial et que les associations puissantes sont liées aux familles. Il n’est pas question qu’ils
s’autonomisent et nous disent ce qu’ils ont envie de faire. En réalité, ces enjeux de pouvoir
sont très complexes.
Pour répondre à la question sur le burn-out, vous trouverez tous les critères sur Wikipédia.
C’est un épisode compulsionnel avec des symptômes de type anxieux, dépressifs liés au
surinvestissement dans le travail. Tout devient négatif. Cela a été décrit dans différentes
définitions. Il s’agit d’un trouble de l’adaptation anxio-dépressif lié aux conditions de travail.
Aujourd’hui, sa définition est au cœur de la problématique. Est-ce un trouble réellement
identifié ? Est-ce une expression de symptômes ? Que révèlent-ils ?
Luc MALLET : Dans le DSM-V, est-ce qu’il y a une catégorie burn-out ? Vous me posez une
colle. Je ne crois pas. Je suis désolé, je ne peux pas vous répondre. Il faut vérifier. Je ne
sais pas s’ils l’ont inclus en tant que tels.
Ce serait particulier, puisque, si je prends la référence du DSM-IV, il comprenait les troubles
de l’adaptation avec une cause identifiée. Cette définition pouvait tout à fait contenir ce type
d’affections. Toutefois, il est vrai que le burn-out présente des spécificités cliniques très liées
à la spécificité liée au travail. Dans l’évolution à la fin du DSM-IV révisé, il y avait une
explosion des catégories due à un mouvement intéressant, en tout cas décrit comme tel. Je
pense que Steve DEMAZEUX vous présentera une conférence à la rentrée beaucoup plus
précise sur ce sujet, car il s’agit de son sujet d’étude.
Pour vous donner une idée des éléments, que l’on pouvait retrouver, à un moment donné, il
a été dit que l’explosion des catégories – on pourrait créer un burn-out des électriciens, puis
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un burn-out des plombiers, etc. – était due, aux États-Unis, au fait que chaque catégorie
ouvrait le droit à un contrat d’assurance spécifique. Cela provoquait donc une explosion
« artificielle », qui néanmoins a des caractéristiques sociétales. En effet, si AXA décide
quelle doit être la nomenclature de la santé mentale, en soi, cela ne me pose pas de
problème. Il suffit du savoir.
Xavier BRIFFAULT : Ce que vient de dire Luc est très critique. Le seuil entre normal et
pathologique est socialement défini. Nous l’avons maintes fois répété : il n’existe pas de
marqueur objectif pour définir un trouble mental, comme pour le cancer, la fracture du tibia.
Le syndrome d’épuisement professionnel est-il bien différent du stade 3 du syndrome
général d’adaptation au stress d’Hans SELYER ? Rien ne l’affirme. Réaction, adaptation,
écroulement des mécanismes, dysrégulation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
dans la stimulation permanente et l’épuisement biologique qui peut en résulter, que cela
provienne d’un manager dingue, harceleur, méchant ou d’un conflit familial récurrent, de
l’exposition à une zone de guerre ou à des cafards dans sa maison, n’est-ce pas les mêmes
mécanismes physiologiques ?
Luc MALLET : Pour revenir à l’exposition, son mérite, selon moi, a été de se cantonner à
des définitions : les psychoses, les schizophrénies, les troubles bipolaires, les troubles de
l’humeur, les troubles anxieux… Ces éléments concernent énormément de monde. Il me
semble intéressant de parler de ces maladies, d’exposer les causes biologiques et les
traitements possibles. C’est déjà un début de réponse.
Dans les confins, la discussion est intéressante, très sociologique, mais infinie.
Auditeur : Il en va de même pour les troubles musculo-squelettiques (TMS). Le passage de
la rhumatologie – due à la personne – à la tendinite – due aux gestes répétitifs – relève
d’une décision sociale. Concernant l’ethnopsychiatrie.
Luc MALLET : Très bonne question. Nous avons oublié l’ethnopsychiatrie. Elle renvoie à
une question très complexe. Si nous examinons les critères DSM, on va parler de sorcellerie.
Le problème de l’ethnopsychiatrie, à mes yeux, est que l’on confond souvent 2 objets. Il est
important de revenir à ce qu’on étudie et dans quel contexte.
Soit vous faites de l’ethnopsychiatrie dans le pays d’origine, selon les critères DSM, on parle
de sorcellerie, sauf si le tissu social local décide de changer cette dénomination. Or on
confond souvent l’objet ethno psychiatrique avec tout l’historique et le problème de la
psychiatrie des migrants. Mes amis Marie-Rose MORO et Thierry BAUBET, à qui j’ai donné
des cours d’internat, s’intéressent à ce qui naît du déracinement. Ils définissent très
précisément leur objet, ce qui est plutôt intéressant. Nous ne nous demandons pas comment
on appellerait là-bas ce qu’ils font là. Ils s’intéressent à ce qui se produit du fait de la
migration.
Taos AÏT SI SLIMANE : Si vous n’avez pas d’autres questions, il ne me reste plus qu’à
remercier chaleureusement nos invités et intervenants : Virginie LACOMBE, Luc MALLET,
Margot MORGIEVE, et vous pour votre présence très attentive.
Applaudissements.
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