Introduction générale La politique économique représente l`action

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Introduction générale
La politique économique représente l'action du pouvoir politique dans le domaine
économique. Une politique économique est une manière orientée et cohérente de conduire les
affaires et une politique économique est donc une certaine orientation de toutes les actions
publiques ayant un impact sur la vie économique : dépenses de l'Etat, régime monétaire,
relations extérieures. La politique économique est aussi l'ensemble des actions concrètes
poursuivies dans un domaine particulier. Ces actions doivent être suffisamment nombreuses
pour donner un corps à la notion de
politique économique. L'idée d'une intervention
permanente et multiple des pouvoirs publics dans la vie économique paraît naturelle, sauf si
l'on adopte un point de vue historique. Quels sont les objectifs fondamentaux des politiques
économiques ? Ils tendent tous vers une finalité unique : la prospérité générale, soit pour
l'atteindre, soit pour en limiter les perturbations. L'objectif général est la croissance, c'est-à-dire
un accroissement durable de la production, du revenu, de la richesse de la nation. On en rend
compte le plus fréquemment en désignant la progression du PIB. Le plein emploi et le progrès
social constitue un second objectif. Il s'agit du plein emploi de tous les facteurs de production,
c'est-à-dire des moyens mêmes de la croissance (en premier lieu, il s'agira du plein emploi des
hommes qu'une croissance élevée ne garantit pas ; ainsi une croissance intensive exploitant les
progrès de la productivité pourra détruire plus d'emplois qu'elle ne pourra en créer. Les deux
exigences de croissance et de plein emploi entretiennent en fait des rapports ambiguës (l'une
n'est pas possible sans l'autre mais elles peuvent être aussi en conflit). Le troisième objectif
est dédoublé ; il implique la maîtrise des équilibres parce que la croissance ne peut être
durable si elle est menacée par des déséquilibres graves : l'inflation ou/et le déficit extérieur
(maîtrise de l'inflation et équilibre extérieur sont respectivement les troisième et quatrième
objectif. L'inflation est une hausse générale des prix, cumulative et inégale qui peut conduire à
des attitudes de précaution ou de spéculation dont les effets perturbateurs peuvent être le refus
de l'épargne ou la hausse des taux d'intérêt. Un déficit extérieur durable conduit à
l'appauvrissement de l'Etat déficitaire. Le carré magique est la conjugaison des quatre objectifs
qui peuvent être contradictoires mais sont interdépendants s'ils sont maîtrisés : croissance,
plein emploi, stabilité des prix et équilibre extérieur.
Encart 1 - le carré magique de N. Kaldor
Tout repose en fait sur la maîtrise de la croissance. Le carré magique exprime
l'interdépendance dans la durée de ces quatre objectifs. Dans la période contemporaine, la
coopération économique internationale s’est accrue et les politiques économiques ont dû
intégrer de nouvelles contraintes. Caractérisons de façon plus précise le développement
contemporain des relations économiques internationales.
En 2005, le commerce mondial de marchandises s’est établi à 10159 milliards de
dollars. Ce chiffre concerne les échanges entre tous les pays, que ceux-ci soient membres ou
-2-
pas d’une zone d’intégration régionale. Les flux commerciaux intra-européens ont représenté
le tiers de ce trafic et dominent le commerce mondial (3201 milliards de dollars). Les flux de
commerce intra-américains se sont élevés à 1115 milliards de dollars et les flux intraasiatiques ont atteint 1424 milliards de dollars. Quelle était l’importance des échanges entre
ces trois ensembles, encore appelés la Triade ? L’Europe exportait 332 milliards de dollars
vers l’Asie et 456 milliards vers l’Amérique. Elle importait 498 milliards de dollars et 306
milliards de dollars respectivement de l’Asie et de l’Amérique. La zone américaine, quant à
elle, exportait 318 milliards de dollars vers l’Asie et importait de cette zone 659 milliards de
dollars. On peut donc constater que le commerce à l’intérieur des blocs régionaux (Europe,
Amérique, Asie) représente presque 60% du commerce mondial. Voir annexe 1 pour
l’analyse des évolutions des poids économiques internationaux respectifs des grandes
ensembles mondiaux (évolutions induites par la mondialisation).
On peut ajouter que le trafic de marchandises reste prépondérant dans le commerce
international par rapport à celui des services dont la croissance se poursuit néanmoins (leur
part est passée de 16% à 17,5% de 1984 à 2004). La nature des échanges de services s’est
aussi modifiée puisque la part représentée par le transport international et les voyages
(respectivement 24% et 26%) dans le commerce mondial de services a régressé au profit des
autres services (50%) au sein desquels les services informatiques et financiers enregistrent les
taux de croissance les plus élevés.
Le développement du commerce international dans la période contemporaine a été
favorisé, d’une part, par le développement des accords commerciaux depuis 1947 sous l’égide
du GATT puis de l’OMC à partir de 1994 et, d’autre part, par la constitution de zones
d’intégration régionale (principalement des zones de libre-échange et plus rarement, des
unions douanière). Depuis 1945, le processus de libéralisation du commerce mondial repose
en grande partie sur des systèmes fondés sur la coordination des politiques commerciales au
sein du GATT puis de l’OMC. Ils s’appuient sur le principe du multilatéralisme, c’est-à-dire
que les concessions et les règles sont négociées non plus entre deux pays mais dans le cadre
de cycles rassemblant un grand nombre de pays (23 à la naissance du GATT, 149 en 2005
dans le cadre de l’OMC). Simultanément, et parfois en raison des difficultés de la négociation
multilatérale, se sont développées les zones d’intégration régionale (CEE en 1957, AELE en
1960, par exemple).
A - Les négociations commerciales multilatérales
-3-
Pour tenir compte des enseignements tirés du repli des économies sur elles-mêmes
dans l’Entre-deux-Guerres, un certain nombre de pays occidentaux développés se sont
concertés pour mettre en place un système de coordination des politiques commerciales visant
à ouvrir progressivement leurs frontières aux marchandises étrangères. En 1947, le GATT
naît pour impulser une dynamique de participation accrue des nations à l’échange
international. Pourquoi un tel choix d’ouverture internationale des économies ? On doit noter
que les organisations internationales et les accords internationaux commerciaux se réfèrent
souvent (plus ou moins explicitement) aux théories classiques et néo-classiques de l’échange
international. Celles-ci ont établi la supériorité du libre-échange sur toute autre forme
d’organisation internationale des échanges (le libre-échange maximisant le gain en termes de
bien-être des agents économiques). Ces théories analysent les fondements de la spécialisation
internationale et démontrent que tous les pays obtiennent des gains de l’échange international
(par rapport à toute situation d’autarcie ou de protectionnisme) sous les hypothèses
restrictives de stabilité dans le temps des structures de coût et de concurrence pure et parfaite.
Cela dit, des économistes, tels P. Samuelson, qui ont contribué à l’établissement du corps
théorique traditionnel de l’échange international ont fait évoluer leurs analyses initiales.
Ainsi, P. Samuelson, co-auteur avec Heckscher et Ohlin du modèle HOS conçu sous
l’hypothèse restrictive d’absence de mobilité internationale des facteurs de production, a-t-il
reconsidéré un certain nombre de résultats qu’il avait établis antérieurement sur les
déterminants de l’échange international en posant une nouvelle hypothèse : celle de la
mobilité internationale des facteurs de production (voir plus loin la partie du cours traitant
cette question).
L’Accord général repose sur quatre principes fondamentaux :
- l’égalité de traitement entre partenaires commerciaux en généralisant uniformément
à tous les partenaires les avantages consentis à un seul : c’est la clause de la nation la plus
favorisée. Ce principe qui fonde le multilatéralisme (principe différent du bilatéralisme) est le
plus important de l’Accord.
- les concessions octroyées doivent l’être sur une base de réciprocité et d’avantages
mutuels de façon à éviter les comportements de passagers clandestins dans le système
commercial multilatéral.
- le traitement national qui impose que les produits étrangers soient soumis au même
traitement que les produits similaires d’origine nationale dès qu’ils se sont acquittés des droits
-4-
de douane pour entrer sur le territoire national.
- l’Accord favorise les pratiques commerciales transparentes. L’usage du droit de
douane est préféré à toute autre forme de protection (restrictions quantitatives aux échanges
ou quotas, par exemple). C’est la raison pour laquelle les prélèvements agricoles de la PAC
originelle ont été transformés en équivalents tarifaires par l’accord de l’Uruguay round (à
l’initiative des Etats-Unis). Voir en annexe 2 les mécanismes du cycle agricole et de la
politique de soutien des prix agricole avant l’accord de Marrakech.
Cela étant, il existe quelques exceptions à l’application des principes précédents
(exceptions aux principes généraux du libre-échange). Le GATT et l’OMC encadrent et
contrôlent de tels dispositifs dérogatoires dont le nombre est d’ailleurs en régression
aujourd’hui :
- une exception à la clause de la nation la plus favorisée en autorisant la
constitution de zones de libre-échange ou d’union douanière (article XXIV du GATT) ;
- les échanges entre pays développés et pays en développement peuvent être
exonérés de la clause de réciprocité. Citons l’exemple des accords de l’Union européenne
avec certains pays tiers, par exemple les pays ACP dans le cadre des conventions de Lomé
ou encore, l’exemple du système des préférences généralisées.
- la principale exception au principe du traitement national concerne
l’imposition de quotas à l’écran pour les films d’origine nationale.
- les exceptions à l’usage exclusif de droits de douane comme moyens de
protection sont nombreuses : cas de l’agriculture, de la pêche ou encore de pays qui
connaissent de graves difficultés de balances de transactions courantes.
Néanmoins, l’Accord général autorise la mise en place de mesures protectionnistes en
situation de crise ou de pratiques déloyales (des clauses de sauvegarde ou des mesures antidumping peuvent être utilisées). Les clauses de sauvegarde doivent obéir au principe de nonsélectivité.
Dans un tel contexte, le GATT a ouvert plusieurs rounds de négociation pour abaisser
le niveau de protectionnisme tarifaire et non tarifaire international. C’est notamment le cas de
l’accord de l’Uruguay round qui s’est conclu par l’accord de Marrakech, le 15 avril 1994.
Quels en sont les résultats principaux ? On peut citer :
- la poursuite du démantèlement des droits de douane avec notamment la réduction des
pics tarifaires (droits de douane supérieurs à 15%).
- l’extension des règles du GATT à des secteurs jusqu’alors exclus (services, le
secteur textile régenté par l’accord multifibres -AMF-, l’agriculture qui dérogeait aux règles
-5-
générales en matière de subventions et d’accès aux marchés).
- le renforcement des règles qui s’imposent aux parties contractantes du GATT et le
renforcement des procédures de règlements des différends afin de s’assurer que les échanges
sont pratiqués de manière loyale (nouveaux accords anti-dumping, sur les subventions et sur
les marchés publics, adoption par le GATT de normes internationales de l’Organisation
mondiale de la propriété intellectuelle-OMPI-).
La transformation du GATT en OMC a permis de donner un cadre institutionnel aux
négociations commerciales multilatérales, ce qui se concrétise par un travail continu de
négociation au siège de l’OMC. Ajoutons que le champ d’action de l’OMC s’est élargi avec
de nouvelles prérogatives en matière de commerce des services (GATS), l’accord sur le
respect des droits de la propriété intellectuelle (ADPIC), l’accord sur l’application des
mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS), l’accord sur les obstacles techniques au
commerce (accord OTC), etc.
Dans les faits, le lancement du neuvième cycle de négociations commerciales
multilatérales à Seattle en 1999 s’est soldé par un échec dans un contexte de contestation
extérieure de la mondialisation libérale et de dénonciation d’une insuffisante association des
pays en développement aux négociations. A ce propos, on peut noter que si les ONG
demandent la prise en compte dans le commerce mondial de normes sociales, sanitaires et
environnementales (optique de développement durable), les pays du Sud refusent une telle
approche qui serait de nature à remettre en question leurs avantages comparatifs. On est ainsi
conduit à se poser la question de la recevabilité internationale de l’avantage comparatif
actuel. Autant il est possible d’accepter un avantage de coût, basé sur une innovation, un
progrès technique, un savoir faire (que les autres pays n’ont pas ou n’ont pas encore acquis),
autant il est difficile d’accepter un avantage de coût, basé sur l’exploitation du travail (bas
taux de salaire, absence ou faiblesse de la protection sociale) ou sur l’absence de normes
environnementales (excès de pollution des eaux, des sols, de l’air, etc). Il s’agit bien là d’une
question fondamentale qui ne constitue pourtant pas une priorité de l’OMC aujourd’hui !
Par ailleurs, à Seattle, l’Union européenne et les Etats –Unis se sont opposés sur le
dossier agricole, notamment en matière de subventions à l’exportation. Dans le cadre du cycle
de Doha (round de négociation
d’une durée de 3 ans visant à libéraliser davantage le
commerce international, notamment avec les pays en développement), la conférence de Hong
Kong de décembre 2005 avait abouti à une déclaration finale adoptée par consensus qui
laissait entrevoir la possibilité d’un accord. Trois dispositions étaient prévues :
- détermination d’une date butoir pour l’élimination des subventions agricoles aux
-6-
exportations au 31/12/2013 ;
- différentes mesures en faveur des pays pauvres. Les pays développés devaient
accorder à partir de 2008 un accès libre de quotas et de droits de douane sur leur marché
intérieur à 97% des produits en provenance des pays les moins avancés (PMA) ;
- suppression dès la fin de l’année 2006 des subventions aux exportations de coton (les
Etats-Unis étant principalement concernés). Cependant, les Etats-Unis n’ont pas pris
d’engagements précis quant à la diminution de leur soutien interne à la production de coton.
Cependant la déclaration finale de Hong Kong restait décevante, notamment pour
l’Union européenne, en ce qui concerne les questions majeures de l’accès aux marchés des
produits industriels et de la libéralisation des services. En définitive, l’accord ne sera pas
obtenu, les discussions officielles s’interrompant en juillet 2006. Les travaux se sont
néanmoins poursuivis au siège de l’OMC qui espère aboutir à un accord définitif dans le
courant de l’année 2011.
B - La mise en place de zones d’intégration régionale
Après la Seconde guerre mondiale, la libéralisation du commerce s'est effectuée dans
un cadre multilatéral sous l'impulsion du Gatt puis de l'OMC. Mais au cours des années 50,
le régionalisme, en suivant l'exemple des accords européens, s'est développé en Amérique
latine, en Afrique et au Moyen-Orient. Il se caractérise par la constitution d'accords
commerciaux discriminatoires impliquant un accès généralement réciproque et préférentiel
aux marchés des pays membres et le maintien d'une politique plus restrictive à l'égard des
pays tiers. Ce processus de régionalisation s'est ralenti dans les années 80 avant de
réapparaître vigoureusement dans les années 90, favorisé par les difficultés de négociation de
l'Uruguay round. Il représente des potentiels commerciaux très contrastés : par exemple, le
Caricom (Zone de libre-échange d'États des Caraïbes) exportait en 1993 2,548 milliards de
dollars de marchandises alors que l'Alena en exportait 662,045 milliards soit 260 fois plus…
La diffusion des accords régionaux peut être interprétée comme une modalité libérale du
processus de mondialisation mais peut aussi l'être comme un renforcement des liens
régionaux. L'objectif économique de l'intégration régionale reste fondamentalement le même
que celui du libre-échange : la recherche d'une plus grande efficacité économique. Cependant,
les moyens sont différents :
- l'intégration implique le développement privilégié de relations commerciales,
-7-
économiques et financières entre un nombre restreint de partenaires ;
- elle repose sur la suppression de toutes les formes de discrimination entre les
économies de ces pays. Elle vise donc la constitution d'un ensemble économique unifié et
dépasse la simple suppression des obstacles aux échanges internationaux.
B. Balassa définit l'intégration comme étant un processus visant à supprimer les
discriminations entre unités économiques de différents pays. La constitution de zones
préférentielles représente le stade le plus faible de l'intégration (réduction des tarifs douaniers
et suppression des contingents). En dehors de cette forme élémentaire d'intégration, il
distingue cinq degrés d'intégration classés par ordre d'intensité croissante, chacun des degrés
retenus étant constitué du degré précédent auquel s'ajoute un élément nouveau :
- la zone de libre-échange, dont les pays membres éliminent entre eux les droits de
douane et les restrictions quantitatives freinant la libre circulation des marchandises mais
conservent chacun leur protection initiale envers le reste du monde (Aele créée en 1960 ou
Mercosur créé en 1991) ;
- l'union douanière, se distinguant de l'intégration précédente par l'adoption d'une
politique commerciale commune, notamment l'instauration d'un tarif douanier commun à
l'égard des pays tiers (Union douanière économique de l'Afrique centrale - Udeac - créée en
1973) ;
- le marché commun, qui est une union douanière dans laquelle les pays membres
réalisent la libre circulation et le libre établissement des personnes et des capitaux : la Cee de
1993 avec l'achèvement du marché intérieur est l'exemple recouvrant le mieux la définition du
marché commun, tout en se rapprochant des deux définitions suivantes de l'intégration ;
- l'union économique, qui ajoute aux principes du marché commun l'harmonisation des
politiques économiques nationales;
- enfin, l'union économique et monétaire ou intégration économique totale, qui
implique l'unification des politiques économiques et rend nécessaire l'instauration d'une
autorité supranationale en cas de monnaie commune ou unique; la suite logique de
l'intégration économique est l'union politique : il existe une logique cumulative de
l'intégration en vertu de laquelle l'intégration des marchés,
c'est-à-dire la création d'un
véritable marché commun, appelle une intégration plus poussée d'abord sur le plan
économique (harmonisation des politiques économiques) puis sur le plan monétaire.
Remarque : l'augmentation de la taille d'une zone intégrée suscite généralement de
nouvelles adhésions. Le même résultat peut être obtenu lorsque le degré d'intégration
s'accroît, à couverture géographique inchangée. Ainsi, la réalisation du Marché unique
-8-
européen a-t-elle précédé l'entrée dans l'Union européenne de l'Autriche, de la Finlande et de
la Suède le 1er janvier 1995.
La politique économique résulte aussi d’autres interventions que celles de l’Etat : des
institutions telles que les Banques centrales, les Chambres de commerce ou d’agriculture, les
syndicats professionnels, etc. Il existe plusieurs niveaux de définition et d’application de la
politique économique et donc de traitement des biens collectifs non marchands.
C - Le traitement des biens collectifs non marchands, notamment sociaux
C’est une question d’intérêt commun pour les différents Etats qui participent à un
processus d’intégration régionale. L’optimisation de la production des biens collectifs non
marchands ne peut intervenir que si les différents niveaux de prise de décision (fédéral,
national, régional, local) existent dans cette zone d’intégration et s’ils détiennent un pouvoir de
prélèvement de l’impôt, ressource du financement de la production des biens collectifs non
marchands. C’est généralement le cas quand il existe un budget fédéral et jusqu’à présent, seuls
les Etats fédéraux (Canada, Etats-Unis, Allemagne, Suisse) disposent d’un
tel budget.
Examinons plus précisément la justification économique du fédéralisme budgétaire.
1 - La justification économique du fédéralisme budgétaire : les effets externes
La théorie du fédéralisme budgétaire tente d’affecter, à chaque domaine d’intervention
(défense, éducation, transport, sécurité sociale, etc), le niveau d’autorités responsables le plus
efficace : fédéral, national, régional ou local. Chacune d’entre elles va prélever ses impôts et
fournira des biens publics. Il existe une concurrence entre ces différents niveaux au sein d’une
même fédération pour la pression fiscale et la production des biens et services publics dans un
contexte de mobilité des consommateurs-contribuables-électeurs. Cette concurrence permet
d’ajuster au plus près la fourniture de biens publics aux préférences ainsi exprimées par ces
agents économiques.
Les politiques économiques des Etats de l’Union européenne ont de nombreuses
interdépendances qui font que les objectifs des actions envisagées peuvent en raison de leurs
dimensions ou de leurs effets être mieux réalisés au niveau communautaire. La théorie
économique indique alors qu’il existe des externalités ou des effets de débordement. Il y a effet
-9-
de débordement au sein de l’Union chaque fois que les décisions d’un Etat ont des
conséquences en termes de coût et de bien-être sur les autres Etats. Deux types d’effets
externes peuvent apparaître :
- les effets externes positifs où l’intérêt d’un Etat membre rejoint celui de l’Union. C’est
le cas pour les dépenses en recherche-développement, en infrastructures de transport et de
télécommunication, en environnement, etc. Effectuées par un Etat membre, ces dépenses
contribuent au bien-être de sa population mais aussi à celui des habitants de toute la
Communauté européenne.
- les effets externes négatifs où les décisions et les problèmes rencontrés au niveau d’un
Etat signifient des coûts et une nuisance pour d’autres Etats (pollution, problèmes de santé
publique, compétition fiscale, dumping social, etc).
L’existence d’externalités plaide pour une coordination ou pour une intervention
supranationale. En effet, une décision optimale au niveau national est sous-optimale sur un
plan communautaire à partir du moment où se manifestent des effets de débordement entre
Etats membres. Autrement dit, du point de vue de l’ensemble de l’Union, la production décidée
par les seuls Etats sera insuffisante en cas d’effets externes positifs et trop importante dans le
cas d’effets externes négatifs. Le niveau supranational devient alors l’échelon de décision
pertinent (coordination intergouvernementale ou budget communautaire).
2 - Les enseignements de l’analyse des budgets de fédérations existantes
Le fédéralisme budgétaire permet des combinaisons diversifiées entre la prise de
décision au niveau des autorités centrales et des autorités décentralisées ou locales.
L’allocation des ressources doit s’appuyer sur le niveau de gouvernement le plus décentralisé
capable d’internaliser toutes les externalités économiques. Cela renvoie au principe de
subsidiarité, autrement dit, les fonctions sont attribuées à l’échelon le plus bas, sauf si les
externalités en jeu rendent nécessaires leur prise en charge au niveau supérieur. Dans les
fédérations existantes, quelques enseignements peuvent être tirés à propos du mode de prise en
charge des grandes fonctions budgétaires, relatives à la fourniture des biens collectifs non
marchands (voir tableau ci-dessous).
- 10 -
Part des dépenses des régions dans le total des dépenses*
(par type de dépenses)
Etats-Unis
Canada
Suisse
Allemagne
Education
89,3
85,6
84,4
91,4
Maintien de
l’ordre
62,8
55,7
90,6
90,4
61,7
56,8
45,6
27,9
36,8
83,8
31,4
16,0
23,1
34,0
13,2
12,8
Transport et
communication
Santé
Sécurité sociale
(hors santé)
*Les dépenses locales ne sont pas prises en compte. Les données sont relatives à l’année 1996, pour les Etats-Unis, 1994
pour le Canada, 1995 pour la Suisse et 1991, pour l’Allemagne. Les « Etats-régions » désignent les Etats fédérés pour
les Etats-Unis, les provinces pour le Canada, les Länder pour l’Allemagne et les cantons pour la Suisse.
Source : M.-A Barthe, Economie de l’Union européenne, 2006
A partir du tableau ci-dessus, on peut voir que :
- la fonction éducative est toujours largement décentralisée parce que cela répond
mieux aux diversités des préférences régionales, en fonction du tissu économique, tout en
conservant la définition de règles centrales communes ;
- la fonction de maintien de l’ordre est relativement partagée entre les « Etats-régions »
et le niveau central aux Etats-Unis et au Canada ou relève presque exclusivement du niveau
régional en Suisse et en Allemagne ;
- le financement des réseaux de transport et de communication se partage entre l’Etat
fédéral et les instances régionales, sauf en Allemagne où l’échelon central prime ;
- le financement de la santé est plutôt centralisé, sauf au Canada mais le poids des
dépenses relevant des instances régionales reste important aux Etats-Unis et en Suisse.
- le financement des systèmes de protection sociale (en dehors de la santé) relève quasi
exclusivement de l’Etat fédéral. Les avantages de la centralisation résultent de la recherche
d’une certaine équité obtenue par la répartition sur une base plus large de la solidarité. A
contrario, la décentralisation conduit à minimiser les impôts locaux affectés aux prestations
d’aide sociale. Une concurrence fiscale de ce type peut aboutir à une inégalité de traitement et
de droit selon les régions du territoire.
- 11 -
Quelles évolutions peut-on attendre du budget européen actuel qui concerne l’ensemble
de l’Union européenne, c’est -à-dire une zone plus large que celle de l’Union monétaire ? Il
faut à travers la question de la réforme du budget communautaire actuel, examiner jusqu'à quel
degré doit être poussé le fédéralisme budgétaire pour l'Union monétaire. Aujourd'hui, en
l'absence de budget fédéral, l'ajustement économique ne peut intervenir qu'en recourant à des
politiques budgétaires nationales contraintes par le Pacte de stabilité, dispositif sans doute
insuffisant pour éviter la hausse du chômage dans l'Union monétaire. De plus, le financement
des biens collectifs est principalement le fait des Etats membres même si le budget européen
intervient progressivement plus fortement pour soutenir la recherche- développement ou le
traitement de problèmes de santé publique.
Rappelons que le rapport MacDougall de 1977 concluait à la nécessité d’accroître
sensiblement la taille du budget européen (à l’époque de 0,7 % du PIB communautaire) pour
répondre aux besoins nés de l’unification monétaire et atteindre 5-7 % du PIB communautaire,
voire 9-10 % de ce PIB si le financement de la politique de défense commune était intégrée au
budget (un tel budget serait alors devenu un budget fédéral). Depuis 1993, la Commission
européenne, tenant compte des réticences de la plupart des Etats à voir le budget
communautaire croître significativement en taille, a indiqué qu’un budget de 2% du PIB
communautaire suffirait à accompagner l’Union monétaire européenne, optant ainsi
implicitement pour une politique économique dominée par le pôle monétaire. Aujourd’hui, ce
chiffre est légèrement supérieur à 1 %, ce qui n’empêche pas néanmoins une augmentation de
la part du financement consacrée aux biens publics (recherche et santé, par exemple).
§§§
- 12 -
CHAPITRE 1
LES CARACTERISTIQUES DES
POLITIQUES MACROECONOMIQUES
ACTUELLES
- 13 -
Dans les politiques économiques conduites au XXème siècle et au début du XXIème
siècle, un thème récurrent est apparu : celui du dosage entre le libéralisme (libre jeu des forces
du marché) et l'interventionnisme de la puissance publique (l'exemple - type est l'intervention
keynésienne de soutien de l'activité).
Section 1 - Une gouvernance économique alternant libéralisme et
interventionnisme étatique
Deux exemples empruntés à l'histoire économique du XXème siècle montrent combien
cette question est fondamentale dans le choix et finalement la portée des politiques
économique : les politiques économiques de la guerre et de la grande dépression avec
l'émergence de l'interventionnisme et les politiques de l'après - euro avec la détermination du
dosage interventionnisme - libéralisme.
A - Les politiques économiques de la guerre et de la grande
dépression: l'émergence de l'interventionnisme1
La grande crise des années 30 marque une rupture économique mais aussi de
civilisation. Les politiques économiques vont désormais s'appuyer sur une intervention
générale de l'Etat auquel il va incomber d'assurer les conditions de la prospérité et non plus
seulement d'être gendarme ou même protecteur. L 'Etat aura une responsabilité sociale
fondamentale. Les Etats-Unis avaient connu au XIXème siècle des crises économiques sévères,
différentes des manifestations cycliques ordinaires : ainsi, la Grande dépression de 1873 à
1895. Mais aucune n'a eu l'ampleur de la crise des années trente. En se référant aux productions
significatives de chaque époque, on constate que de 1874 à 1878, la production de fonte
américaine baissa de 25%, qu'en 1932, la contraction de la production d'acier et d'automobile
s'élève aux trois quarts de la production de 1929 ; l'ensemble de la production industrielle va
chuter de moitié. Au début de 1933, le chômage américain est estimé dans une fourchette
comprise entre 12 et 14 millions, soit un quart de la population active. La conjonction de la
durée, de l'ampleur du recul économique et du traumatisme social (alimentant l'angoisse du
lendemain) font le caractère exceptionnel de la grande crise des années 30. Deux conceptions
de la politique vont se confronter, aboutissant à l'émergence de l'interventionnisme.
1
J.-P. Thomas, Les politiques économiques au XXème siècle, Armand Colin, 1994.
- 14 -
1 - La politique économique de tradition libérale
Le libéralisme qui domine à la veille de la crise est à la fois une doctrine, celle de
l'école classique et une pratique plus nuancée et abstentionniste quant au rôle de l'Etat. Un tel
principe est justifié par la théorie de l'équilibre de plein emploi et de l'optimum économique.
En effet, selon les Classiques, l'équilibre économique, c'est-à-dire l'égalisation de l'offre et de
la demande globale s'établit spontanément en vertu de la loi de Say (l'offre crée sa propre
demande). Autrement dit, toute production a pour contrepartie une distribution de revenus d'un
montant égal qui permet de l'absorber toute entière. L'analyse a été par la suite enrichie en
décrivant l'équilibre global comme le résultat d'une série d'équilibres partiels (tous les marchés
des produits ou des services et celui de l'offre et de la demande de facteurs). Le prix d'équilibre
de chacun des marchés (taux de salaire, taux d'intérêt…) assure l'optimum économique. Dans
cette analyse, la notion centrale est celle de l'ajustement, c'est-à-dire qu'un marché libre va
réagir à toute impulsion par une correction de son prix d'équilibre, ce qui va susciter les
adaptations nécessaires de l'offre et de la demande. Si les mécanismes d'ajustement sont
faussés, alors apparaît une situation de sous-emploi. Telle est l'analyse libérale classique du
chômage volontaire formulée notamment par J. Rueff à propos de l'Angleterre des années 20
(rigidité des salaires nominaux alors que les prix ont fortement baissé)2. Dans le domaine
économique, les critères de l'intervention de l'Etat (en dehors de l'Etat -gendarme faisant
respecter la législation protégeant la libre concurrence) sont plus incertains. Au début du
XXème siècle, on peut la circonscrire à trois domaines : la monnaie, la protection de certains
intérêts reconnus et la prise en charge d'un service public minimal. Par exemple, le
protectionnisme douanier particulièrement vigoureux dans les pays industrialisés avant 1914, à
l'exception de la Grande-Bretagne et renforcés dans les années 20. Ainsi, en France comme en
Allemagne, les lois protectionnistes de la fin du XIXème siècle sont imposées par la coalition
d'intérêts agraires en réponse à la concurrence des blés américains ou russes et de certains
groupes de pression industriels. Ces dispositions s'appuient sur des considérations d'équilibre
social. Le rôle de l'Etat se résume à un arbitrage à la recherche du plus large compromis
possible (la politique économique n'est pas le seul fait de l'Etat, les collectivités locales ou
régionales, les professions organisées… ont aussi un rôle dans sa détermination). Ainsi, la
politique de Méline en France avec les lois de 1892 qui modulent la protection douanière
2 Politiquement, dans la tradition libérale, le pouvoir de l'Etat est légitime dans la mesure où il assure l'ordre intérieur et la
sécurité extérieure de la collectivité nationale
- 15 -
(objectif de protection effective): les droits seront modérés sur les produits de base pour
satisfaire l'industrie et le commerce contre l'avis des producteurs du charbon ; le
protectionnisme agricole sera prohibitif pour freiner l'exode rural…
2 - la naissance de l'interventionnisme
Les années trente sont une époque d'expérimentation parfois débridée sous la pression
de l'urgence. La maturité des politiques économiques interviendra après la Seconde guerre
mondiale. L'intervention étatique va devenir la norme à la place de la conception smithienne
d'un ordre économique spontané. Livrée à elle-même, l'économie conduit au chaos et seule une
instance régulatrice peut lui imposer les finalités du progrès. L'expérience de la Première
Guerre mondiale va guider la naissance de l'interventionnisme.
a - De l'héritage de la Guerre à la recherche de la cohérence.
La guerre impose une cohérence (attribut indispensable de toute politique
économique). Celle-ci est plus grossière pour la guerre : une subordination totale de toute la vie
économique et sociale au ravitaillement en produits stratégiques et à la production de guerre :
la mobilisation des ressources et l'organisation de la pénurie en sont les deux aspects
fondamentaux. L'expérience de la guerre est particulièrement riche d'enseignements dans le
domaine monétaire et financier. La monnaie, comme toute autre ressource, est en effet
mobilisée : la convertibilité des billets en or est suspendue et les exportations du métal
interdites. Dès lors, l'Etat étant délivré des disciplines de l'étalon - or, pourra pratiquer une
inflation sans laquelle les dépenses indispensables ne pourraient être totalement financées. La
loi de l'urgence justifie tout et lorsque la crise surviendra, la dépense de relance sera jugée aussi
vitale que la dépense de guerre de la période antérieure. Un des héritages importants de la
guerre sera notamment l'annulation des effets de l'inflation. J. Saint-Geours soulignera que les
politiques déflationnistes de l'entre-deux guerres seront les premières politiques cohérentes.
Pourquoi ? La conception de la déflation va impliquer une vision globale de l'économie, fondée
sur les ajustements classiques et un jugement motivé sur les prix, les coûts, les changes et leur
niveau comparatif entre les nations Ces notions guideront la cohérence de la déflation
britannique des années 20. Le retour en 1925 à la parité- or de 1914 est cohérent avec la
volonté de baisser les salaires des mineurs quelques mois plus tard. Détaillons cet exemple :
comme tous les belligérants, la Grande-Bretagne a connu l'inflation. La crise de reconversion
- 16 -
des années 1920-1921 a abouti à la baisse des prix de gros de près de moitié dans le monde
entier mais ceux de l'industrie britannique ont gardé un niveau relativement plus élevé que la
moyenne internationale (en raison d'une hausse des salaires réels). Selon J. Rueff, cette
rigidité salariale (résistance des Trade Unions) sera à l'origine d'un chômage volontaire, c'està-dire résultant du refus de travailler au taux de salaire naturel : les firmes britanniques, à la
compétitivité précaire, vont alors débaucher massivement dans les industries de base exposées
à la concurrence internationale (charbon, acier, coton, construction navale). D'autres causes
vont expliquer l'apparition de ce chômage volontaire : la vétusté des structures et de
l'équipement industriels et surtout les choix monétaires britanniques. En effet, en 1925, la livre
redevient convertible en or, à sa parité d'avant-guerre, c'est-à-dire de 1914 (réévaluation du
sterling puisque le taux de change est augmenté de 10% - passage de 4,40£ à 4,86 £ l'once
d'or-). C'est une décision qui paraît à l'époque raisonnable et justifiée par la position
internationale de la livre sterling et les revenus substantiels que le pays retire du rôle financier
de la place de Londres. Un ajustement classique aurait exigé que cette réévaluation de la livre
soit compensée par un mouvement inverse des prix et de salaires domestiques pour maintenir
inchangée leur expression en monnaie étrangère. De 1992 à 1929, le chômage britannique qui
atteint parfois deux millions de personnes (14% des actifs) ne descendra jamais au-dessous du
seuil incompressible d'un million de personnes. L'effort patronal et gouvernemental pour
forcer l'ajustement des salaires va déboucher en 1926 sur une grève générale de plusieurs
mois des mineurs qui lésera une économie exsangue. La rigidité salariale est responsable du
chômage aussi bien selon Rueff que Keynes. On estime qu'en 1929, les prix britanniques sont
supérieurs aux prix mondiaux de 15%. L'étalon - or ne peut exister sans danger en l'absence
de mécanismes d'ajustement classiques. De plus, au-delà, des comportements ouvriers, c'est
l'intervention abusive de l'Etat qui est remise en cause : l'instauration d'une indemnisation
excessive du chômage incite les travailleurs à refuser les emplois jugés mal rémunérés. La
difficile restauration libérale des années 20 (illustrée par l'exemple britannique) a cherché à
rétablir les équilibres spontanés de marché mais elle a surtout mis en évidence une exigence
fondamentale des politiques économiques : la nécessité de la cohérence des décisions et de la
réflexion.
Autre exemple : la politique économique de lutte contre la crise de Roosevelt (ou NewDeal) en 1933 marque une rupture avec la tradition libérale américaine (pas d'intervention de
l'Etat). Le New Deal correspond à une relance de la consommation grâce à un accroissement de
revenus (distribution d'allocations à caractère social, emplois dans les grands travaux
d'aménagement - vallée du Tenessee). La pratique d'un déficit budgétaire permettra à l'Etat de
- 17 -
distribuer des ressources nouvelles dans l'économie pour relancer l'activité. Des résultats
décevants sont obtenus en ce qui concerne l'emploi qui ne se redressera qu'avec l'entrée en
guerre des Etats-Unis. Le New Deal a soutenu la demande globale (démarche pré-keynésienne)
mais cette multiplication des dépenses de relance n'a pas empêché
Roosevelt d'adopter
l'Economy Bill qui va amputer de 15% les traitements et les pensions révélant une volonté
d'équilibre budgétaire qui débouchera en 1937 sur une situation déflationniste aggravant la
crise économique. On le voit la cohérence des mesures adoptées est essentielle pour obtenir
l'équilibre recherché.
b - L’apparition d’un nouveau contrat social
La mutation des années 30 ne va pas se limiter à l'économie et va s'inscrire dans une
révolution sociale, morale et politique de trente ans sur la période 1914-1945. La crise des
années 30 est apparue comme la sanction d'un oubli : celui du social. On va assister alors à un
rejet progressif du social subordonné à l'économie. La pratique des politiques économiques
sera alors marquée par l'importance de la dépense à finalité sociale : création d'emplois sur
fonds budgétaires (emplois publics), établissement d'un salaire minimal aux Etats-Unis, hausse
salariale générale en France en 1936... La crise de 1929 a révélé la carence des sociétés
capitalistes devant l'exigence de solidarité, la fin de la guerre va les ressouder autour de valeurs
collectives nouvelles qu'énoncera en Grande-Bretagne le rapport Beveridge de 1942. Ce
rapport donnera son contenu à la nouvelle notion de Welfare State (Etat du bien-être). Le social
sera érigé en un impératif s'imposant aux politiques économiques. Une politique globale de
progrès social aura pour objectif la victoire sur cinq fléaux : l'insécurité du revenu, la maladie,
l'ignorance, le manque d'hygiène et le chômage. Il s'agit d'une politique de socialisation de la
demande que la dépense de l'Etat est seule à même de maintenir à un niveau compatible avec la
résorption du chômage. Cette politique a bien sûr pour corollaire une certaine redistribution des
revenus privés dont les implications n'échappent pas à Beveridge puisqu'il indique :"l'Etat, en
organisant la sécurité ne devrat pas étouffer l'incitation, l'aptitude à saisir l'occasion, la
responsabilité; en établissant un minimum national, il devra laisser un espace et un
encouragement pour l'action volontaire de chaque individu en vue de s'assurer plus que ce
minimum, pour lui et pour sa famille". On le voit le problème de l'équilibre entre la solidarité
collective et les aspirations individuelles est posé à cette époque comme il l'est encore
aujourd'hui.
- 18 -
B - Les interrogations sur les politiques de l'après - euro : le dosage
interventionnisme - libéralisme.
Le 1er janvier 1999, onze Etats membres de l'Union européenne ont constitué une union
monétaire dont la période transitoire s'est achevée au début de 2002.A ce moment - là, tous les
agents économiques (agents financiers et non financiers) ont utilisé la monnaie unique. La
politique économique suivie dans cet espace dont l'intégration économique sera achevée (en
effet, l'union économique est monétaire est le dernier degré de l'intégration économique dans la
typologie de Bela Balassa) est une question d'autant plus importante que les Etats membres ont
des structures économiques différentes, même si la réalisation du marché unique a accru leur
degré de convergence. La réaction de certains Etats membres à des chocs macro-économiques
exogènes (hausse des prix de l'énergie, contagion de hausse salariale) pourra être spécifique
alors que les politiques centralisées de l'Union européenne (politique monétaire) sont
notamment adaptées au traitement des chocs macro-économiques exogènes communs. Le
principal problème en union monétaire concerne le traitement des chocs économiques internes
consécutif à la perte de l'instrument du taux de change. Cette question est abordée par la théorie
des zones monétaires optimales. Elle énonce qu'une zone monétaire optimale regroupe des
pays qui parviennent à corriger leurs déséquilibres réels à l'intérieur d'un espace économique
doté d'une unité monétaire commune (ou unique) ou de plusieurs monnaies nationales
convertibles entre elles à des taux de change définitivement fixés. Un instrument d'ajustement
aux chocs économiques est définitivement perdu : la variation des taux de change intracommunautaires.
1 - La définition d’une zone monétaire optimale
La théorie des zones monétaires optimales indique les conditions économiques à
respecter par les régions de la zone monétaire pour que les coûts d'ajustement aux difficultés
économiques soient le moins élevés possibles. Il existe plusieurs critères de définition d'une zone
monétaire optimale, qui n'ont pas la même signification. Certains étudient les conditions de
l'ajustement économique dans le contexte de perte de l'utilisation du taux de change national.
D'autres identifient les conditions économiques qui rendent l'utilisation du taux de change national
inutile ou inopérante. Les premiers sont les plus fondamentaux : ils indiquent que la flexibilité
factorielle est une condition indispensable pour qu'une union monétaire minimise les coûts de
résorption des chocs économiques.
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a - L’optimalité par la flexibilité factorielle
Tout d'abord, R. Mundell a montré en 1961 que la mobilité du travail était une variable
essentielle d'ajustement dans une union monétaire. Il considère un monde composé de deux pays
mono - producteurs A et B, aux prix domestiques rigides, liés entre eux par un taux de change fixe.
Un choc exogène (perte de compétitivité - prix) survient, qui déplace la demande globale du pays
A vers les produits du pays B, les facteurs de production demeurant immobiles. Le pays A
enregistre une sous-exploitation de son potentiel productif, une hausse de son taux de chômage et
un déficit de sa balance commerciale. Quant au pays B, il subit une surcharge de ses capacités de
production, une élévation de son inflation et un excédent de sa balance commerciale. En union
monétaire, un tel déséquilibre ne peut être corrigé que par la flexibilité factorielle, c'est-à-dire la
modification des taux de salaires ou (et) les mouvements de main-d'œuvre. Dans le pays A, la
hausse du sous-emploi provoque une réduction de la rémunération du travail. A contrario, dans le
pays B, la croissance économique favorise une meilleure rémunération de la main-d'œuvre.
L'ajustement économique se manifeste de la manière suivante : dans le pays A, le prix de la
production diminue, rendant de ce fait plus compétitifs les produits de ce pays, ce qui stimule la
demande domestique ; inversement, dans le pays B, la demande domestique se contracte à la suite
de l'élévation du prix de la production. Une autre solution existe pour résorber le choc subi par le
pays A : les travailleurs de ce pays peuvent émigrer dans le pays B pour y satisfaire la demande de
travail excédentaire. Cette solution élimine le chômage dans le pays A et résorbe le sous-emploi
dans le pays B, sans variation du taux de salaire dans les deux pays. Selon R. Mundell, la mobilité
du travail à l'intérieur de la zone fournit la voie d'ajustement dans un système de changes
complètement fixes. Une autre voie d'ajustement, plus discutable, réside dans la mobilité du
facteur capital. En 1973, J.C. Ingram souligne la voie d'ajustement permise par la mobilité du
capital. La résorption des chocs économiques peut s'effectuer par transfert de capitaux financiers
de la zone en expansion vers la zone en récession d'une union monétaire. Toutefois, dans un
contexte de globalisation financière, la libération des capitaux ne lève pas l'indétermination sur
leur destination parce que ceux-ci auront tendance à s'allouer dans les zones offrant les meilleures
conditions de sécurité et de rémunération. Ce critère doit donc être utilisé avec prudence dans la
définition d'une zone monétaire optimale.
b - L’optimalité par la convergence économique
- 20 -
Les critères non liés à la mobilité factorielle rendent compte des évolutions économiques
domestiques des Etats et de leur convergence, phénomènes de nature à faciliter le renoncement à
l'utilisation du taux de change intra-communautaire. Le degré d'ouverture des économies
(McKinnon, 1963), mesuré par le rapport entre les biens échangeables et le Pnb, révèle
l'opportunité de création d'une union monétaire. Plus ce rapport sera élevé, plus les pays membres
de la zone d'intégration régionale auront intérêt à avoir des taux de change stables (ou une monnaie
unique) qui faciliteront le développement des échanges. En 1969, P. Kenen souligne l'importance
de la diversification de l'appareil de production : un pays dont la structure productive est plutôt
spécialisée a intérêt à choisir un système de changes flexibles pour endiguer les pertes de
compétitivité affectant ses activités. En revanche, un pays dont les industries sont très diversifiées
sera concerné par des chocs sectoriels de compétitivité, éventuellement forts, mais qui, sur un plan
macro-économique, seront plus atténués. Ce pays peut adopter un système de changes
complètement fixes parce que la crise ne peut être que sectorielle. Dans une économie diversifiée,
la diminution de la demande n'affectera en fait qu'un faible pourcentage de ses exportations et
l'impact sur l'emploi sera en définitive réduit. L'ajustement
s'effectuera par la mobilité
intersectorielle du travail si un recours à la modification du taux de change n'est plus possible. En
1986, C. Kindleberger indique que des échanges commerciaux importants à l'intérieur d'une zone
économique intégrée révèlent que les pays membres ont les mêmes préférences à la fois pour les
marchandises échangées mais aussi pour les biens collectifs. Ces préférences identiques
concernent surtout le choix des objectifs clés d'une politique économique, en particulier la lutte
contre l'inflation. Toutefois, l'arbitrage inflation - chômage peut différer d'un pays à l'autre,
entraînant des coûts d'ajustement dans l'union monétaire. Ceux-ci n'existent pas dans l'analyse
monétariste où l'inflation est un phénomène purement monétaire sans effets réels, n'impliquant
aucun coût. La Commission européenne a négligé la relation inflation - chômage parce qu'elle
doutait de sa réalité dans la réalisation de l'Uem. Une telle conception a conduit à un choix
monétariste des critères de convergence de Maastricht (absence de tout indicateur relatif au
chômage). Ces critères nominaux sont les suivants:
- inflation : elle ne doit pas être supérieure de plus de 1,5 % à celle de la moyenne des trois Etats
membres les moins inflationnistes (inflation calculée à partir de l'indice des prix à la
consommation) ;
- déficit budgétaire: il ne doit pas être supérieur à 3 % du Pib, sauf s'il est en diminution régulière
ou en cas de circonstances exceptionnelles ;
- dette publique : elle ne doit pas être supérieure à 60 % du Pib, sauf si elle diminue vers le seuil
de référence;
- 21 -
- taux d'intérêt à long terme : il ne doit pas être supérieur de plus de deux points au taux moyen à
long terme des trois Etats membres les plus performants en matière de stabilité des prix ;
- change : il faut faire partie du Sme depuis au moins deux ans en respectant les marges de
fluctuation normales entre les monnaies participant à ce système, sans dévaluation de la monnaie
par rapport à celle d'un autre Etat membre.
Ces critères établissent une contrainte de fonctionnement des économies ambitionnant de
participer à l'union monétaire. La convergence réelle n'est pas recherchée (sauf dans le long terme
par la politique des fonds structurels) ; elle est pourtant la seule à permettre la définition et
l'utilisation de politiques économiques communes, ce qui peut révéler l'existence d'une volonté
européenne minimale en la matière.
2 - Les scénarios de politique économique
Dans le Rapport sur l'état de l'Union européenne, les économistes de l'OFCE autour
de J.P. Fitoussi (janvier 1999) s'interrogent sur les politiques économiques à mettre en place
une fois l'unification monétaire achevée et estiment que les règles de conduite adoptées pour
l'après-euro interdisent l'utilisation des instruments de la politique économique pour combattre
le chômage. Il constate que le système européen de Banques centrales constituera une autorité
monétaire très indépendante et le Pacte de stabilité, une contrainte très forte sur le pouvoir des
gouvernements
pour financer leurs dépenses par l'emprunt3. En l'absence d'instance
centralisée de coordination et de décision (le Conseil de l'euro n'est pas en mesure aujourd'hui
de jouer un tel rôle), les prérogatives des gouvernements des Etats membres seront
comparables à celles des collectivités locales qui bénéficient "des seules libertés permises par
la gestion comptable". Quels sont les scénarios d'action économique envisageables ?
- le modèle de la séparation : l'économie y est considérée comme étant séparée de la
société, c'est-à-dire qu'elle échappe à la régulation nationale. Dans la mesure où les politiques
sociales sont de la compétence des Etats - nations, la société est disjointe de l'Europe. On aurait
donc une double séparation : l'économie serait "hors société" et la société hors l'Europe. Le
sommet européen de Luxembourg sur l'emploi représente une illustration de cette situation. Le
3
Il est destiné à éviter qu'une politique budgétaire laxiste dans un Etat membre ne pénalise les autres Etats
membres par ses conséquences sur les taux d'intérêt de la zone. Il comporte deux volets : la concertation sur la
situation économique et financière des Etats membres (surveillance multilatérale selon l'article 103 du Traité) et
des règles de fonctionnement de la procédure des déficits excessifs (article 104 C du traité) comprenant la
définition de circonstances exceptionnelles pouvant conduire le Conseil à exempter de la procédure, un Etat
membre dont le déficit public dépasse 3% de son PIB.-
- 22 -
sommet sur l'emploi est un sommet spécifique, ce qui revient à dire que l'emploi serait un
problème de société alors que la finance et l'activité économique constitueraient des problèmes
techniques gérés indépendamment de la société. Pour la première fois, au sommet de
Luxembourg, la question de l'emploi est considérée comme étant distincte de la politique
macro-économique (politique en charge des questions monétaires et budgétaires). Disjointe de
la construction européenne, la question du chômage, question sociale, ne peut être envisagée
qu'en dehors de l'Europe, c'est-à-dire dans le cadre des sociétés nationales. Chaque Etat
membre essaiera tout d'abord de résoudre ce problème par la flexibilité ou/et par le partage du
travail puisqu'il ne peut y avoir de politiques européennes communes pour traiter ce fléau.
Cependant, une interrogation se pose : les politiques de l'emploi peuvent-elles demeurer
différentes dans un espace communautaire décloisonné, sachant que ces politiques ont un effet
sur le coût du travail et la compétitivité des économies ? Les économistes de l'OFCE tentent de
réintroduire dans ce modèle la logique économique en considérant que le chômage n'est pas le
résultat d'un dysfonctionnement de l'économie mais la conséquence de l'inadaptation d'une
partie de la population : une partie de la population sera déclarée inemployable. Cette logique
fonctionne dans plusieurs pays de l'Union européenne si l'on se réfère au bas niveau du taux
d'emploi de cette catégorie de population. Le modèle de la séparation, qui s'accommode de
l'exclusion, reste toutefois un modèle solidaire et donc coûteux en termes de prélèvements
obligatoires. Ce modèle pourra-t-il échapper au choc de la compétitivité induite par le
décloisonnement élargi des marchés européens (ouverture des marchés des produits et des
services) et internationaux ?
- le modèle libéral de société : le choix d'un tel modèle peut être justifié
historiquement par le fait que la chute du mur de Berlin a institué le modèle américain en
référence universelle. J. P. Fitoussi souligne que le libéralisme comme la mondialisation sont
des idéologies d'inspiration américaine mais à usage externe principalement. En effet, le
libéralisme économique des Etats-Unis est en fait limité à l'acceptation des inégalités de
revenus mais la politique économique américaine demeure interventionniste. Quand la
croissance se ralentit et que le chômage s'élève, les pouvoirs publics des Etats-Unis utilisent
tous les instruments de la politique économique (politiques monétaire, budgétaire et de change)
pour lutter contre l'élévation du sous-emploi.
En revanche, dans l'Union européenne, il
apparaît une situation dans laquelle la politique semble moins interventionniste. L'élasticité de
la demande globale européenne par rapport au prix va s'élever par rapport à la situation
antérieure de pluralité des monnaies (comparabilité plus grande des prix et des coûts
- 23 -
respectivement pour les consommateurs et les entreprises de l'Union européenne). Dès lors, les
stratégies nationales de compétitivité pourraient s'appuyer sur la désinflation compétitive, la
concurrence fiscale et sociale. Dans ce cas, la baisse des dépenses publiques et sociales
deviendrait inévitable et constituerait une alternative plausible aux politiques d'expansion. La
poursuite d'une politique monétaire rigoureuse accompagnée par l'ajustement budgétaire des
Etats membres ne laisse plus aux gouvernements que l'instrument de la réforme structurelle
pour endiguer leurs difficultés sociales, en premier lieu le chômage. Dans l'espace de la
monnaie unique, les politiques structurelles nationales (flexibilité du travail, concurrence
accrue) peuvent avoir une efficacité très forte mais socialement coûteuse. La conséquence qui
en découle immédiatement est que les politiques nationales s'appuieront sur des stratégies non
coopératives qui ont en fait comme effet d'exporter le chômage et non pas de le réduire.
- le retour de la souveraineté nationale : dans une certaine mesure, l'union monétaire
crée des marges de manœuvre supplémentaires susceptibles d'être utilisées par les
gouvernements nationaux. En effet, la politique économique peut connaître un relatif
affranchissement de la tutelle des marchés financiers. Le taux d'intérêt à court terme redevient
une variable de politique économique alors qu'antérieurement, il était plutôt une donnée (une
contrainte) des marchés. Dans le cadre du SME, les pays participant s'engageaient à conserver
relativement fixe la parité intra - européenne de leur monnaie. Les pouvoirs publics
engageaient leur crédibilité sous la vigilance des marchés financiers dans le maintien du taux
de change. En cas de doute de ces marchés, une crise de change pouvait survenir (exemple de
la crise de change de juillet 1993 caractérisée par une attaque du franc français). La spéculation
contre une monnaie a en général deux effets négatifs pour le pays dont la monnaie est
perturbée : la dépréciation de sa monnaie ou la hausse de ses taux d'intérêt. Le pays est alors
perdant. La flexibilité des changes peut engendrer une élévation de l'inflation et décourager
l'investissement. Un pays est d'autant plus petit que le pourcentage de ses importations par
rapport à son revenu national est élevé. Dès lors, les variations de son taux de change risquent
d'entraîner un phénomène d'inflation importée parce que l'évolution de l'inflation interne est
une moyenne entre les prix des biens produits nationalement et ceux des biens importés. Pour
cette raison, une dépréciation monétaire oblige à une plus grande rigueur salariale. Le pays
risque alors de ne tirer aucun profit de la dévaluation puisque l'inflation viendra annuler
l'avantage de compétitivité produit par la dépréciation monétaire. Dans les pays du noyau dur
du SME, pays très ouverts les uns sur les autres, les politiques de désinflation compétitive ont
été le plus souvent efficaces, en particulier dans la période contemporaine. Mais aujourd'hui,
- 24 -
les contraintes extérieures nationales (précédemment importantes en raison du degré
d'ouverture élevé des économies de l'Union entre elles) disparaissent en union monétaire et s'y
substitue la contrainte extérieure européenne qui est beaucoup moins forte du fait du faible
degré d'ouverture de l'économie européenne. L'euro sera la monnaie unique d'un grand pays,
faiblement ouvert sur l'extérieur et donc moins vulnérable aux fluctuations de son taux de
change (pratique possible du benign neglect). Dans ces conditions, la politique budgétaire
nationale peut retrouver une efficacité maximale dans la mesure où ses effets ne sont pas
dissipés par une hausse du taux d'intérêt national. Mais l'existence du Pacte de stabilité
contraint tous les Etats membres à ne pas pouvoir utiliser l'arme budgétaire dans un sens
expansionniste. Le danger que ce Pacte veut endiguer est le laxisme budgétaire d'un Etat
membre qui aboutirait à une hausse du taux d'intérêt dans l'ensemble de la zone euro
(externalité négative d'un pays peu vertueux) ou à une obligation pour la Banque centrale
européenne de monétiser la dette d'un pays imprudemment et excessivement endetté (risque de
perte de crédibilité d'une institution fondamentale de l'Union monétaire européenne). J. P.
Fitoussi considère que les arguments en faveur du Pacte de stabilité sont peu recevables en
énonçant deux réserves autour de l'idée que chaque gouvernement européen a intérêt à ce que
les autres pratiquent une politique expansionniste :
. les conséquences d'une politique budgétaire expansionniste sur le taux d'intérêt de
l'euro ne peuvent être que minimes voire marginales (exemple : un grand pays européen qui
élève ex ante son déficit d'un point de PIB ne va représenter qu'une hausse d'un ou deux
dixième de point du déficit budgétaire européen sans effet sensible sur le taux d'intérêt) ;
. en union monétaire, l'augmentation du déficit d'un pays engendre spontanément la
réduction du déficit budgétaire de tous les autres.
Cependant, le lien entre le soutien de la demande globale et la résorption du chômage
doit être établi. Des gains de productivité peuvent diminuer l'impact de la croissance
économique sur l'emploi dans une situation où le paradigme des nouvelles technologies affecte
toutes les activités, ce qui soulève avec acuité la question du déversement intersectoriel de
l'emploi.4
4 Pour les partisans de la thèse de la fin du travail (V. Forrester, J. Rifkin), la vague actuelle de progrès technique (véritable troisième
révolution industrielle) présente des spécificités tenant au fait que les précédentes révolutions industrielles concernaient l'utilisation de
l'énergie pour actionner des moteurs et ont donc eu peu d'impact sur le secteur des services. Or, les derniers progrès techniques affectent la
circulation et le stockage de l'information et tous les secteurs sont concernés. Il se pose alors la question du déversement intersectoriel de
l'emploi. Les destructions d'emplois agricoles et industriels ont été compensées par la création d'emplois dans les services. En 20 ans en
France, les effectifs ont augmenté de 40% dans le tertiaire et baissé de 20 % dans l'industrie et 50 % dans l'agriculture. Aujourd'hui, 40 000
emplois de secrétaires ou d'employés administratifs disparaissent chaque année. En dehors de ce qu'André Gorz appelle la "nouvelle
domesticité" (promeneurs de chiens, livreurs de pizzas…), les potentialités d'emplois ne semblent devoir exister que dans l'exploitation
- 25 -
En revanche, il existe une certitude : celle qu'avec la monnaie unique, les pays
européens ont à leur disposition le moyen d'accroître ensemble leur souveraineté.
- le modèle fédéraliste : il y a deux voies possibles pour répondre au problème de la
régulation globale en Europe : soit les Etats membres disposent d'une plus grande liberté dans
la conduite de leur politique budgétaire (ce qui n'est pas envisageable à l'heure actuelle avec
l'existence du Pacte de stabilité), soit le budget européen devient plus important (modification
de la structure actuelle des dépenses et augmentation de taille) et permet l'exercice d'une
véritable politique fédérale. L'Union peut-elle mettre en place une monnaie unique sans
simultanément se doter d'un budget de taille fédérale sur le modèle des unions monétaires
existantes? En l'absence d'un tel budget, les stabilisateurs automatiques requis pour compenser
la perte du taux de change feront défaut à l'UEM. Il est plausible de considérer que l'union
monétaire ne supprimera pas les asymétries entre pays de la Communauté, que celles-ci soient
issues des chocs qui les affectent ou des structures et comportements qui déterminent les
réponses à des chocs communs. Ces asymétries peuvent engendrer des différences d'évolution :
chômage dans certaines régions et inflation dans d'autres régions de l'union monétaire. Ainsi,
une baisse de la demande de biens touchant un Etat se traduit par des pertes de revenus et du
chômage. Si cet Etat est à l'intérieur de l'union monétaire, il ne peut pas utiliser la dévaluation
pour permettre l'ajustement du salaire réel. Mais, avec l'existence d'un budget fédéral, la baisse
de son revenu est en partie compensée par la baisse des impôts fédéraux et la hausse des
transferts en provenance du reste de l'union. Un budget fédéral octroie ainsi au pays qui a
renoncé à son autonomie monétaire en quelque sorte une assurance automatique contre les
chocs asymétriques. Un budget fédéral a à la fois une fonction de redistribution et de
stabilisation du revenu des Etats. Il y a redistribution parce que le revenu disponible de chaque
Etat diffère de son revenu primaire en raison des prélèvements et des transferts ; dès lors, le
rapport du revenu disponible au revenu primaire est plus élevé pour un Etat pauvre que pour un
Etat riche. Il y a également stabilisation parce que pour tout Etat, riche ou pauvre, les variations
transitoires du revenu disponible sont plus faibles que celles du revenu primaire. La réalisation
de l'union monétaire peut rendre nécessaire la mise en place d'un système d'assurance
communautaire pour compenser la perte de l'instrument de change, s'il existe dans l'union des
pays en retard de convergence. Dans ce cas, pour éviter l'apparition d'externalités négatives
dans l'UEM imputables à de chocs asymétriques traitées nationalement, il apparaît nécessaire
directe ou indirecte du nouveau paradigme des technologies de l'information (création de logiciels, activités de conseil…) mais il s'agit là
d'un travail qualifié.
- 26 -
de mettre en place un budget fédéral avec des politiques nationales budgétaires étroitement
coordonnées. Sinon, l'UEM ne devrait rassembler que les pays les plus convergents c'est-à-dire
à chocs communs qui pourront pratiquer des politiques budgétaires décentralisées avec une
contrainte relativement faible de coordination budgétaire (le budget central demeurant en
l'état). Les économistes de l'OFCE considèrent, quant à eux, que la priorité n'est pas de
prévenir la situation d'un pays qui, connaissant un choc spécifique, verrait son déficit dépasser
le seuil des 3% (objectif du plan de stabilité). Au contraire, elle est de permettre une politique
économique européenne capable de remédier à des chocs communs récessifs, par exemple
l'existence d'un chômage de masse.
Des quatre modèles envisagés, les deux premiers avaient la plus grande probabilité
de réalisation et sont effectivement mis en œuvre dans l’union monétaire actuelle. Aujourd’hui,
dans l'Union européenne, il apparaît un dosage favorable au libre-échange (au libéralisme
économique de façon générale).
Section 2 - Les nouvelles contraintes pesant sur la politique économique
(voir fichier suivant)
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