« Pourquoi tout ce qui n’est pas femme… », p. 4
fonctionne du point de vue ensembliste comme son complémentaire
. Ici gît donc l’ultime différence
entre les faits allégués dans les des deux énoncés « à la Tarski » relativement à leur prédicat de
départ : dans le premier, aucun trait positif ne vient subsumer la détermination négative de « non-
blanc », alors que le trait le plus positif qui soit, le trait phallique, vient à tout coup subsumer la
détermination négative « non-femme ».
Il faut alors atteindre la négation suivante pour sentir vraiment où le bât blesse. Si je nie « non-
blanc », il est clair que je reviens à « blanc » puisque la négation est un opérateur qui fait passer
d’une proposition à son complémentaire dans l’univers du discours, et vice versa ; si alors je nie
« non-femme », dois-je en conclure que je reviens de même à « femme
» ? On pourrait le croire,
mais pour peu que j’aie, au passage, identifié « non-femme » à « homme », comme m’y presse la
prééminence de la différence sexuelle, dois-je de même en conclure qu’à nier « homme », j’en reviens
derechef à « femme » ? Tout dépendra de la qualité de mon identification de « non-femme » à
« homme », dont on conviendra qu’elle ne relève pas de la seule logique. Si cette identification est
stricte, Tarski a raison sur tous les plans. Or il y a lieu de la questionner à plus d’un chef, non pas en
étudiant le comportement logique du prédicat – on vient de le faire – mais en observant celui du sujet
censé supporter ledit prédicat.
« Neige » est un terme positif qui possède un référent simple
, constatation qu’il n’est pas
possible de faire pour « je ». Pour faire bref : « je » ne réfère pas de la même façon que « neige ». Or
c’est là que cesse, s’interrompt, se brise, l’identification de la femme à la femelle vers laquelle nous
pressait silencieusement le raisonnement à la Tarski. Et qu’on n’imagine pas que cela tient à la
« première personne » et à ses prestiges de toujours, car j’aurais pu aussi bien prendre « ‘elle est une
femme’ est vrai si et seulement si elle est une femme », disqualifiant ainsi le « je » qui prétend être
ceci ou cela et semble plonger dans les mystères de la subjectivité. Va donc pour la troisième
personne : « Elle » et « la neige » : quelle différence ?
L’écart entre les deux n’est pas total : la troisième personne constitue en effet, au dire des
linguistes, le « délocutoire », ce dont parlent « je » et « tu » quand ils conversent de « quelque
chose », quoi que ce soit, et donc, qu’ils parlent de neige ou de femme, au fond, peu leur chaut. Sauf
qu’en virant ainsi de première personne à la troisième, il aura fallu… que je décide d’un genre
grammatical, anticipant d’autant sur le sens de la proposition dont je me promets d’étudier la valeur. Si
« elle » n’est pas une femme, qu’est-elle donc ? L’énoncé « la neige est blanche » pose, lui, la
On remarquera que l’énoncé « ‘je suis une blonde’ est vrai si et seulement si je suis une blonde » est
entièrement passible, lui, d’un registre à la Tarski, justement parce que « non-blonde » n’est pas aussi aisément
réductible à « brune », sauf à ignorer les rousses, les auburn, les châtain, les décolorées, les grisonnantes, etc.
Lacan en est venu à poser explicitement la question : « […] cette bipartition à chaque instant fuyante de
l’homme et de la femme : tout ce qui n’est pas homme est-il femme, on tendrait à l’admettre. Mais puisque la
femme n’est “pas toute”, pourquoi tout ce qui n’est pas femme serait-il homme ? » J. Lacan, … ou pire, séance du
10 mai 1972.
Y compris pour les Inuits, à qui l’on attribue sans raison près de soixante-dix mots pour dire chacun des états de
la neige auxquels ils ont affaire, en laissant croire que pour eux, « La neige » n’existe pas plus que « La femme »
chez Lacan. Malheureusement pour une aussi élégante démonstration, la langue inuit est une langue
« agglutinante » et tous les mots pour « neige ceci » « neige cela » ne sont que des « mots-phrases », soit une
même racine suivie d’une multitude de désinences qui qualifient les très nombreux états de la neige. J’ignore s’il
existe en inuit des occurrences du radical de « neige » sans aucune désinence, mais ça me paraît hautement
vraisemblable.