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ENSEIGNER LA SHOAH ET LES GENOCIDES DU XX° SIECLE
Stage mené en partenariat avec le Mémorial de la Shoah
Stage des 21 et 23 février 2011
Conférence de Joël Kotek : « Les génocides du XXème siècle : comparer pour
mieux singulariser »
Le mot génocide est un mot « malade » du XXème siècle, trop souvent et trop mal
utilisé, qu'il ne faut pas confondre avec les politicides, les ethnocides, les crimes coloniaux
etc.. Si les souffrances sont les mêmes, les crimes sont différents.
Les historiens ne sont pas tous d'accord sur le nombre de génocides au XXème siècle,
J.Kotek se place dans l'école restrictive et n'en admet que 4:
1. Les Hereros: c’est le seul génocide colonial, commis en 1904 en Namibie. En 1904
les Allemands émettent un ordre clair d'extermination: 60 000 Hereros sur 9O 000
sont exterminés. C'était l'ethnie majoritaire en 1904: ils représentaient 40% des
Namibiens. Aujourd’hui, ils ne représentent plus que 7% des Namibiens. Il s'agit
donc d'un génocide « réussi » puisque la part substantielle des Hereros a été
atteinte . Il y a « seulement » 60 000 morts mais un génocide est qualitatif et non
quantitatif, ce n’est pas le nombre brut de mort qui fait la qualification de génocide.
Ainsi la famine artificielle qu'organise Staline en 1931 et qui élimine 5 millions
d'Ukrainiens est quantitativement bien plus lourde mais ne constitue pas un
génocide. Staline veut faire plier le nationalisme ukrainien, son objectif n’est pas
d’exterminer le peuple ukrainien. D'ailleurs Khrouchtchev est ukrainien... Alors que
dans le cas des Hereros, on est déjà dans le racialisme allemand.
2. Les Arméniens: par les Jeunes Turcs. Sur 2 millions d'Arméniens, 1,5 millions
disparaissent, aussi suite à une décision et avec, déjà, des moyens modernes
(télégraphe, chemin de fer...). Là aussi le génocide est efficace : il n'y a plus que 60
000 Arméniens aujourd'hui en Turquie, et il y a toujours un fort négationnisme turc.
3. La Shoah : le mot est tiré de la Torah mais n'est pas religieux : « catastrophe
naturelle irréversible ». L’Europe compte 11 millions de Juifs en 1939, et 1,5 million
en 2011. Pologne: 3,5 millions en 39, à peine 15000 aujoud’hui.
4. Les Tutsis: ici le politicide bascule dans le génocide. 1 million de morts en 100
jours, encore suite à une décision, avec fermeture des frontières du Rwanda,
alors qu'en 1959, dans une situation d’agression généralisée, ils avaient pu fuir
(fondation alors du FPR, en 94 avec Kagamé : les enfants deviennent les vengeurs
de leurs pères...)
Le débat autour de l’utilisation du terme de génocide :
Peut-on parler de génocide au Darfour? Oui, de la part des journalistes, si cela peut
émouvoir l'opinion publique et faire réagir la communauté internationale. Non pour
l'historien : au Darfour il y a eu crime contre l'humanité mais pas génocide.
Qu est ce qu'un génocide?
On tue quelqu'un pour ce qu'il est et non pour ce qu'il fait. C'est un crime contre l'essence
humaine, c'est donc un crime contre l'humanité, le pire qui soit, puisque la victime ne peut
échapper à ce qu’ elle est.
Ce concept est inventé par Raphaël Lemkin, un juif polonais, qui en 1942-194343, qui
cherche à donner un nom à ce que Churchill appelle alors déjà un « crime sans nom ».
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Depuis les années 20, Lemkin réfléchit à partir du massacre des Arméniens à l'obligation
de poursuivre en justice les criminels en droit international. Il crée alors les termes de
« crime de barbarie » (mais le génocide est un crime moderne) et de « vandalisme »
(pour l'ethnocide).
Le génocide des Juifs ne se singularise ni par l'ampleur du massacre, ni par la violence
des tueries, ni par le but (pas nouveau: cf les pogroms) mais bien par le plan concerté de
destruction d'un groupe ou de sa part substantielle.
Le 9 décembre 1948, l'ONU adopte la Convention Lemkin pour la répression et la
prévention des génocides, qui souligne bien l'importance de l'intention dans la destruction
d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, mais pas politique (du fait du contexte
de la guerre froide et du refus de Staline que soit abordée la question) :
6 éléments sont retenus:
un groupe cible, considéré comme « de trop sur terre ».
une idéologie: un terreau raciste, antisémite, colonialiste...Il n'y a pas de
génocide sans idéologie.
une intention d'exterminer physiquement ( ou culturellement: ethnocide).
une décision, un passage à l'acte, souvent daté.
un crime d'État, avec toute sa bureaucratie.
le transfert des enfants à un autre groupe (cf Aborigènes).
...et il faut que « ça marche », qu'il y ait effectivement destruction totale ou de la part
substantielle du groupe visé.
Srebrenica: un génocide? Il y a eu 8000 morts musulmans, c'est une horreur certes, mais
isolée et qui n'a pas touché les femmes et les enfants.
Babi Yar? : 33000 morts en un week-end. Oui ici il y a génocide car il y a eu des dizaines
d'autres Babi Yar et des familles entières ont été tuées.
Le génocide intervient toujours dans un contexte de guerre, ceux qui le commettent en
profitent alors pour « en finir » avec un problème racial. Ainsi pour les Hereros, on a une
guerre coloniale qui devient raciale. Pour les Arméniens, c'est la première guerre
mondiale. Pour les Tutsis, il y a une guerre civile contre le FPR, c'est à dire les Tutsis de
l'extérieur. Il y a bien préméditation: Habyarimana est le premier actionnaire de radio Mille
Collines radio machette ») qui appelle clairement à l'extermination. Il achète et fait
distribuer des milliers de postes de radio avec les piles, de même pour les machettes...
Par contre ni la famine stalinienne ni Hiroshima n'ont pour but d'exterminer les peuples
victimes, « juste » les faire plier.
Peut-on parler de génocide khmer? Non, ce serait absurde car ce serait un « auto-
génocide ». Ici on est en présence d'un politicide organisé par Pol Pot pour régénérer son
propre peuple en le débarrassant des intellectuels, avec une idéologie hyper nationaliste.
Y a-t-il eu génocide contre les Tsiganes? Non, c'est un crime de nature différente car ils ne
sont pas éliminés partout. En France ils ne sont qu'internés, les Allemands n'ont jamais
demandé leur déportation (sauf dans les territoires annexés aux Grand Reich). Il y a
contre eux des pratiques génocidaires, mais pas génocide.
Concernant les Maoris, les Amérindiens, les Patagons, les Aborigènes ? Contre eux, on ne
peut parler de génocide, mais il y a bien eu des pratiques génocidaires et une épuration
ethnique.
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HISTORIOGRAPHIE DU NAZISME, DE LA SHOAH ET DES GENOCIDES par Joël
Kotek, Johann Chapoutot et Tal Bruttmann
Joël Kotek: Pour certains historiens comme Kaplan il n'y a qu'un seul génocide, la Shoah.
Pour d'autres, tout est génocide, même l'attentat du 11 septembre. Et il y a de
nombreuses écoles entre ces deux positions...
3 ouvrages en français :
Yves Ternon,
L’Etat criminel.
Seuil 1998.
Yves Ternon,
Guerres et génocides au XXème siècle : Architecture de la violence de
masse.
Odile Jacob 2007
Bernard Bruneteau,
Le siècle des génocides
, Armand Colin 2004
Jacques Semelin,
Purifier et détruire
: Usages politiques des massacres et
génocides.
Seuil 2005, (professeur à Sciences Po, qui préfère parler de « violence
de masse » plutôt que de génocide, dans un continuum et non un passage à l'acte
précis et daté).
Sur les Hereros, seul Joël Kotek a écrit en français. L'Allemagne a reconnu le génocide des
Hereros en 2004.
Sur l'Arménie, il y a Yves Ternon comme pionnier, et Raymond Kevorkian. Il existe toujours
un négationnisme turc sur le sujet et il reste très difficile d'avoir accès aux archives
ottomanes.
Sur le Rwanda, il y a un fort négationnisme aussi. Ainsi les Hutus soutiennent la thèse d'un
double génocide et tentent de faire passer les crimes de Paul Kagamé contre les Hutus du
Kivu pour un génocide (or il n'y a eu « que » crime contre l'Humanité). A lire: Jean Pierre
Chrétien,
Les média du génocide
, ou les écrits de Colette Braeckman journaliste au
Soir
(quotidien belge) ou d’ Alison Des Forges.
Tal Bruttmann : sur la Shoah
Il y a 2 grandes écoles, aux USA et en Allemagne, mais leurs ouvrages ne sont quasiment
pas traduits, même
La destruction des Juifs d'Europe
de Raul Hilberg a mis 20 ans à être
traduit (Fayard 1988). Il n'existe pas en France de chaire sur la Shoah ou sur le
nazisme...On croit connaître le sujet mais on le connaît très mal.
En France, l'historiographie commence avec des « marginaux » c’est-à-dire des personnes
qui ne sont pas des universitaires. Léon Poliakov, qui n'est pas historien au départ, mais se
trouve sollicité pour le Tribunal de Nuremberg, écrit en1948
Le bréviaire de la haine
, le
premier ouvrage sur la Shoah. Léon Poliakov n'entre au CNRS que dans les années 70 …
Cette histoire se déplace ensuite hors de France. Aux USA, Raul Hilberg se centre sur les
bourreaux, d'où un conflit avec l'école israélienne qui elle se centre sur les victimes.
On a deux écoles jusque dans les années 70: les intentionnalistes pour qui la Shoah est
prévue dès
Mein Kampf
et les fonctionnalistes pour qui la Shoah ne s'explique que par le
contexte de la deuxième guerre mondiale. Philippe Burrin tranche tout cela et fait
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aujourd'hui l'unanimité dans son ouvrage
Hitler et les Juifs
: les décisions préalables et la
guerre mènent au génocide.
Depuis, le nouveau questionnement porte sur la date de la prise de décision: avant ou
après Barbarossa? Oct 41?...Aujourd'hui, l'auteur le plus intéressant est Christian Gerlach,
pour qui la prise de décision est liée à Pearl Harbor. Globalement, il y a unanimité sur la
prise de décision, liée à l’entrée en guerre des Etats-Unis : tuer tous les Juifs partout sur
le globe.
La chute de l'URSS, l'accès aux archives des pays de l'Est et à l'abondante historiographie
communiste représentent un tournant historiographique. La connaissance devient plus
globale, surtout concernant les Einsatzgruppen et pas seulement Auschwitz.
La micro histoire aussi apporte des changements majeurs, en se spécialisant sur des
territoires précis à l'Est. Timothy Snyder en 2010 dans
Bloods lands
inscrit le III° Reich
dans la confrontation avec le régime stalinien, d'où de nouvelles réflexions à venir sur la
confrontation des 2 totalitarismes.
En France, nous avons la parution de deux thèses: Christian Ingrao,
Croire et Détruire
en
1981 sur des intellectuels de la SS et celle de Florent Brayard qui montre qu'Himmler
demande d'éliminer les Juifs en un an en Pologne.
Énorme documentation à l'est, qui n'a pas fini d'être exploitée.
Johann Chapoutot: sur le nazisme : plus de 40 000 titres...
2 axes majeurs:
- Une première tendance historiographique dans les années 50 s'interroge sur les
pouvoirs et les contraintes. Ainsi Franz Neumann dans
Béhémoth
, en 1942 décrit le
nazisme comme une dictature poly céphalique, une polycratie avec la prééminence d'un
dictateur faible qui ne fait que trancher entre les différents pouvoirs: il y avait des espaces
de « liberté », de décision.
- la 2ème tendance s'intéresse à la société allemande : quelle participation? Quelle
approbation? Quel consentement? Le nazisme comme pouvoir de séduction. Pour David
Schoenbaum dans
La révolution brune
paru dans les années 60, c'est la politique sociale
du nazisme qui a attiré les Allemands, la promotion de nouvelles élites, la redistribution
fiscale. Mais cette analyse est à nuancer car les nazis ne sont restés que 12 ans au
pouvoir. Goëtz Aly dans
Comment Hitler a acheté les Allemands,
développe cette idée: la
politique sociale des nazis, la redistribution fiscale et les allocations sont permises par la
spoliation des Juifs et l'exploitation des territoires conquis.
Nouvel éclairage avec l'histoire culturelle, suite à la parution du catalogue d'une exposition
qui a eu lieu à Nuremberg « La fascination du nazisme ». Il en ressort que les nazis ont
promu leur idéologie grâce à une mise en images et en mots très pensée. De nombreux
historiens se sont interrogés sur la généalogie du nazisme mais la culture nazie en soi
reste assez peu étudiée, sous prétexte que ce n'est qu'un fatras idéologique, un habillage
cosmétique etc.. donc pas intéressant. Or c'est faux, de très nombreux intellectuels se
sont mis au service des nazis.
Cette approche est relancée par une exposition en Allemagne en 1995 sur « Les crimes de
la Wehrmacht à l'est » et par le livre de Christophe Browning paru en 1991 sur des
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policiers réservistes, comparés des Allemands ordinaires.
Il faut se méfier du film de 1999
Le spécialiste
sur Eichmann, un film bête ! Le cinéaste
se fie aux impressions d'Hannah Arendt, a priori une caution intellectuelle, qui assiste à
quelques séances du procès d'Eichmann en 1961 et qui voit en lui un homme mécanique,
un criminel sans pensée, un abruti. Or Eichmann n'incarne pas « la banalité du mal », il
est profondément structuré par la culture nazie et mourra heureux d'avoir tué 5 millions
de juifs.
Chapoutot lui même travaille sur l'histoire culturelle : cf sa thèse
Le national-socialisme et
l'antiquité
Conférence de J.Chapoutot sur « La Première Guerre Mondiale, une
guerre matricielle? »
Intro: Les nazis se présentent eux mêmes comme nés sur les champs de bataille de la
Première Guerre Mondiale (cf Ernst Röhm, officier, plusieurs fois blessé et mutilé de la
face).
La chute du communisme amène une relecture de la Première Guerre Mondiale et du
XXème siècle. Avant cela, la date-pivot du XXème siècle est 1945. Après 1989, la date de
1914 est sollicitée comme date matricielle d'un XXème siècle de guerres, de génocides et
de totalitarismes.
On a un profond renouvellement historiographique du lien nazisme - Première Guerre
Mondiale grâce à des études prosopographiques sur des groupes générationnels pour lier
les deux guerres mondiales: une guerre de trente ans, avec la Première Guerre Mondiale
comme mise en condition et rémanence pour la deuxième.
I/ L'expérience de guerre des nazis:
Les fondateurs du nazisme ont tous fait la Grande Guerre, c'est pour eux une expérience
structurante. Hitler l'asocial s'y socialise, y fait l'expérience du groupe, y a ses premiers
amis. Röhm, qui s'ennuyait, y vit sa plus grande expérience.
Dans les années 1920, 80% de l'encadrement sont d'anciens combattants.
Leur après-guerre: traumatisme d'une défaite unanimement refusée. Un refus de défaite
accrédité par la presse, par la droite, par l'armée: pour Hindenburg, l'armée allemande a
été poignardée dans le dos par les Spartakistes. A gauche idem: Ebert en décembre 18
salue « les soldats revenus invaincus du front ».
L'Allemagne a été abreuvée pendant 4 ans de communiqués victorieux, de percées
décisives et n'a jamais été occupée: d'où un déni de défaite, et donc la guerre n'est pas
finie.
« Dépaysement » au sens étymologique: c'est la fin de l'empire et du kaiser. L'Allemagne
perd 15% de sa population et de son territoire, 70% de ses capacités extractives ; elle
n'a plus d'armée (100 000 hommes) or il y avait de nombreux militaires de carrière, qui
rejettent une vie civile dans laquelle ils sont mal acceptés (déclassement).
La guerre continue dans les têtes et même dans la pratique: engagements massifs dans
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