B. Engelhardt-Bitrian Economie Politique
le prêteur, correspondant à la durée du prêt), et celui du risque (risque d’insolvabilité de l’emprunteur et
risque de perte de valeur de son capital pour le prêteur). Au niveau macro-économique, le niveau des taux
d’intérêt varie en proportion inverse de la confiance que les agents accordent à l’économie.
La monnaie est aussi devenue à la fois instrument et objet de spéculation : elle est utilisée, sur les
marchés financiers, pour produire de la monnaie nouvelle qui n’est, le plus souvent, pas réinjectée dans le
circuit de l’économie réelle (par exemple sous forme de consommation ou d’investissement productif
supplémentaires). La spéculation stérilise ainsi une partie de la richesse créée par les activités de
production.
1.2.2. La monnaie, lien social
La monnaie a enfin un rôle de lien social : elle fait partie intégrante des institutions que se donne
une société, institutions dans lesquelles se reconnaissent les habitants d’un territoire donné. La maîtrise
de sa monnaie est aussi l’un des signes essentiels de l’indépendance et de la souveraineté d’un pays
en matière économique. Ceci explique l’impact symbolique très fort du passage à l’euro (considéré par un
certain nombre de citoyens comme un abandon de souveraineté), et les contestations ou les réactions
parfois vives qu’il a suscitées à l’époque chez les populations concernées.
L'Euro est souvent présenté comme l'un des acquis majeurs de la construction européenne.
C’est une monnaie qui, malgré les apparences, n'est comparable à aucune autre des grandes monnaies.
C'est, d'un côté, un formidable accélérateur de croissance : en effet, l'abolition des frontières a contribué au
développement du commerce intra européen et donc au bien être des Européens. Mais l’Euro constitue,
d’un autre côté, une énorme contrainte pour l'ensemble de l'économie européenne. Celle-ci tient au fait
que la création de l'Euro a instauré un système de taux de change fixes à l'intérieur de la zone mais variables
à l'extérieur de celle-ci. Ce double visage impose une solidarité monétaire à l'intérieur et une souveraineté
monétaire assumée à l'extérieur. Cette ambivalence explique les difficultés de sa gestion en même temps
que l'incompréhension que celle-ci suscite dans l'opinion. Or, en ce qui concerne l’Europe, la solidarité
seule permet la puissance, celle-ci assurant l'indépendance (surtout la non-dépendance) sur laquelle
se fonde la souveraineté.
Le problème, c’est que la zone Euro rassemble des Etats aux structures économiques et aux niveaux
de compétitivité radicalement différents. Ces inégalités de performance étaient connues depuis
longtemps. On les a ignorées en pensant que la création d'une monnaie unique et la définition de critères
de stabilité suffiraient pour aplanir ces différences.
La « crise » actuelle de la dette et de l’euro a remis en question la solidarité nécessaire entre les
Etats membres de l'Union monétaire : certains, peu nombreux, se présentent comme plus vertueux,
rigoureux ou compétitifs que les autres, présumés trop laxistes. Un climat de suspicion généralisée s’est
installé
Cette rupture de solidarité est encouragée par le jugement d'agences de notation d'Outre Atlantique
qui, bien que dépourvues de toute légitimité, ne cessent de porter atteinte à la souveraineté des membres
de l'Union et par voie de conséquence à celle de l'Union tout entière.
Même si les appréciations de ces agences comportent une part de rationalité financière, ces
atteintes répétées à la souveraineté des membres de l'Union seront à la longue de plus en plus difficiles à
supporter par une opinion publique « fatiguée » par un discours exclusivement financier néolibéral et
mondialisateur.
Les pays les plus « vertueux » exigent des autres un retour à une orthodoxie financière rigoureuse
et sans concession. Mais tant que l'homogénéité de la zone n'est pas assurée, l'alignement forcé sur le pays
le plus performant, l'Allemagne, est, de l’avis d’un certain nombre d’économistes, un piège que le très
récent rapport (daté du mardi 25 janvier 2012) de l’Organisation Internationale du Travail (OIT)
dénonce :
Il faut remarquer que dès lors que la monnaie devient réserve de valeur – qu’elle est thésaurisée – ou objet de
spéculation, et qu’elle n’est donc plus réinjectée dans le circuit de l’économie réelle (consommation, investissement,
production, échanges), elle cesse d’être un moyen de faciliter les échanges pour devenir une fin en soi : dans une
société où l’importance d’un individu est mesurée par sa richesse matérielle, la monnaie est recherchée pour le
pouvoir qu’elle donne à celui qui la détient.