Un plan de sauvetage pour le
marché européen du carbone
LE MONDE | 25.01.2014 à 10h28 • Mis à jour le 25.01.2014 à 10h28 |Par Laurence
Caramel
Le marché européen des émissions de gaz à effet de serre, moribond
depuis plusieurs années, devrait rester un instrument central de la
politique de lutte contre le changement climatique des vingt-huit
pays de l’Union européenne : le président de la Commission
européenne, José Manuel Barroso a annoncé, mercredi 22 janvier,
un plan de sauvetage qui n’entrerait cependant en vigueur qu’en…
2021. En même temps que le futur Paquet énergie-climat qui
déterminera l’ambition de l’UE à l’horizon 2030 (la Commission
propose de réduire de 40% les émissions de CO2 à cette échéance).
En attendant, seul le gel temporaire d’une partie des quotas
d’émissions devant être mis aux enchères d’ici 2020, est prévu. La
mesure, qui a demandé deux ans de négociations pour parvenir à un
compromis entre les Etats-membres, a été adoptée en décembre
dernier.
VITRINE DE LA STRATEGIE COMMUNAUTAIRE
La réforme annoncée par M. Barroso consisterait pour l’essentiel à
introduire un mécanisme automatique de régulation du marché de
façon à prévenir un effondrement des cours.Vitrine de la stratégie
communautaire, le marché d’échange de quotas de CO2 lancé en
2005, devait en donnant un prix à la pollution, inciter les industriels
et les énergéticiens à s’équiper de technologies propres. Cet
investissement étant plus rentable que de devoir payer le coût
toujours plus cher des droits à polluer du fait du rationnement
progressif des quotas d’émissions mis en circulation.
Ce scénario ne s’est pas produit : mal calibré, ce marché qui
concerne près de 12 000 installations industrielles responsables de
la moitié des émissions polluantes de l’Union, s’est noyé dans la
surabondance des crédits. La crise économique et les scandales
provoqués par une fraudemassive à la TVA liée à ces quotas, ont fini
de ruiner sa réputation. Signe de cette disgrâce, le prix du quota a
dégringolé de 27 euros la tonne en 2008 à moins de 5 euros (comme
le montre le graphique ci-dessous) aujourd’hui, un prix trop faible
pour agir sur le comportement des industriels. L’excédent de crédits
en circulation est évalué à 2 milliards environ, l’équivalent d’une
année d’émissions de l’ensemble des installations soumises au
Système européen d’échange de quotas.
« Le prix du carbone a joué un rôle marginal dans la réduction des
émissions observée dans l’industrie entre 2005 et 2011 », confirme
Emilie Alberola, spécialiste des marchés du carbone à CDC-Climat.
Bien moins en tout cas, que les politiques de soutien aux énergies
renouvelables ou que la crise économique.
« CERVEAU HUMAIN »
La réforme annoncée par Bruxelles, peut-elle permettre au marché
ETS de sortir la tête de l’eau ? « L’annonce a au moins le mérite
d’envoyer un signal politique fort : le marché des quotas doit rester
une pièce importante du dispositif européen » remarque Raphaël
Trotignon, chercheur à la Chaire Economie du Climat de l’université
Paris Dauphine. Mais il doute que la principale mesure proposée
soit efficace : « Je ne pense pas qu’on puisse se reposer sur un
robot pour régler les dysfonctionnements d’un marché. Il faudrait
y ajouter un peu de cerveau humain. »
La Commission prévoit qu’à partir d’un certain seuil de quotas en
circulation jugé trop important pour envoyer le bon signal-prix
aux entreprises une certaine quantité soit automatiquement
retirée pour être placée dans un fonds de stabilité. A l’inverse, en cas
de trop fortes tensions sur le marché, des quotas seraient prélevés
dans le Fonds et remis en circulation.
CREDITS INTERNATIONAUX
Ce n’est pas tout. Bruxelles souhaite aussi que les entreprises ne
puissent plus utiliser les crédits étrangers dits crédits Kyoto -
pour remplir une partie de leurs obligations de réduction
d’émission. Or elles en ont largement usé jusqu’à présent. En totale
conformité avec les règles fixées par la Commission. « La moitié des
réductions affichée par les entreprises soumises à l’ETS depuis
2005 provient de crédits internationaux » explique Emilie Alberola.
Ainsi sur les 2 milliards de tonnes de CO2 « non émises » par les
industriels au cours de cette période, 1 milliard provient de projets
réalisés dans des pays tiers.
Pour l’essentiel, il s’agit de projets MDP mécanisme de
développement propre prévus par la Convention climat des
Nations unies pour aider les pays en développement dans le
financement de leur transition énergétique. Ces crédits qui
s’échangent à moins de 1 euro la tonne, ont permis aux industriels
de remplir leurs obligations à moindre coût. Quitte parfois à
subventionner leurs concurrents lorsqu’ils finançaient par exemple
le déploiement de champs d’éoliennes en Chine. Ces MDP, sur
lesquels s’est formée une véritable bulle qui a alimenté la chute des
cours du carbone sur le marché européen, ont dans leur immense
majorité profités aux pays émergents et non aux pays les plus
pauvres qui en auraient eu le plus besoin.
COOPERATION NORD-SUD
L’UE avait déjà fait un premier pas pour résorber ce déséquilibre en
limitant le recours aux crédits en provenance des pays les moins
avancés. Cette deuxième étape est plus radicale. Si elle peut
contribuer à soutenir le marché européen, elle risque aussi de tuer
l’un des rares outils de coopération Nord-Sud dans la lutte contre le
changement climatique. Le marché européen demeure jusqu’à
présent le principal débouché pour les MDP. L’Europe pourrait
toutefois ne pas aller au bout de ce projet. Tout dépendra de l’issue
des négociations internationales dont l’objectif est d’aboutir à un
accord mondial en décembre 2015 à Paris.
Lire aussi : La Chine rafle la mise des crédits carbone
Sans attendre, la Commission a transmis sa proposition au Conseil
et au Parlement européen. Parvenir à un consensus demandera
probablement des années de négociations. Pour plusieurs raisons.
La taxation du carbone n’a pas bonne cote alors qu’en raison
notamment de la « révolution » des hydrocarbures non
conventionnels, le prix de l’énergie est deux fois plus cher en Europe
qu’aux Etats-Unis. Plus fondamentalement, certains s’interrogent
sur cette volonté de sauver coûte que coûte un instrument qui
accumule les échecs depuis sa création. « Peut-on vraiment
accorder autant d’importance aux instruments de marché dans le
pilotage de la politique européenne », demandait un rapporteur de
la Cour des comptes, lors de la présentation mi-janvier du rapport
sur « la mise en œuvre par la France du Paquet énergie-climat » ?
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