C’est, à travers l’analyse, valoriser ce phénomène particulier, le hisser à un niveau où il puisse
être reconnu en le reconnaissant soi-même digne d’intérêt. C’est lui donner un sens, une
orientation, un objectif voire un idéal pour toute la société.
A l’inverse, lui dénier toute valeur explicative fondamentale c’est le renvoyer à la dimension
personnelle, accidentelle, arbitraire, de choix individuels non représentatifs ou au contraire de
phénomènes économiques que les groupes sociaux ne peuvent que subir. Tout en
reconnaissant la réalité des transformations de la structure sociale au sein de laquelle évoluent
les acteurs sociaux, c’est lui conférer un caractère inévitable, presque accidentel, une « rançon
du progrès », mais en aucun cas un idéal qui serve de guide légitime aux stratégies des
acteurs.
Nous examinerons ici successivement les conditions culturelles qui ont fait qu’en France en
particulier la sociologie de la mobilité sociale a longtemps été un objet sociologique non
pertinent (Cuin, 1993) (1.1.) puis à l’inverse les conditions historiques particulières qui ont
fait de celle-ci aux Etats-Unis un trait de civilisation distinctif. (1.2.).
3.1.1.1 La mobilité sociale comme objet sociologiquement non pertinent.
La France, longtemps considéré comme un pays de « classes immobiles » ou faiblement
mobiles, fut à la fois la terre d’élection d’un républicanisme conservateur et d’un marxisme
figé.
3.1.1.1.1 La France, pays de « la barrière et du niveau ».
De l’ancien Régime à la Révolution.
Le passage de la Monarchie à la République est couramment présenté comme un changement
de régime de la mobilité sociale, la stratification sociale passant d’un principe d’états à celui
de classes. Dans un système d’états tel qu’il existait avant 1789, les frontières entre strates,
sans être totalement imperméables, étaient difficilement poreuses. Soulignons que
l’Aristocratie n’était pas seule à constituer un état: la bourgeoisie marchande et pré-
industrielle constituait également un groupe social fermé aux individus originaires d’autres
groupes de ce qui constituait le « Tiers Etat », ou partie non noble de la société. Les
monopoles familiaux sur une profession étaient autant de rentes de situation qui constituaient
un obstacle au développement économique du Royaume. Turgot, ministre du Roi, tenta par
l’Edit de février 1776, soit 13 ans AVANT la révolution, d’abolir les corporations. Ce texte
prépare explicitement les conditions juridiques d’une mobilité professionnelle : « Il sera libre
à toutes les personnes de quelque qualité et condition qu’elles soient(…) d’embrasser et
d’exercer (…) tout commerce et telle profession (….) que bon leur semblera… » (soubiran-
Paillet 1998).
Preuve de l’enracinement de la bourgeoisie dans le système politique d’alors, de
l’entremêlement des intérêts d’une partie de la noblesse et de la bourgeoisie, cette tentative de
réforme, pourtant appelée de leurs vœux par Diderot, Rousseau et les physiocrates, échoua. Il
fallut attendre les Décrets d’Allarde et la Loi Le Chapelier, pris sur fond de revendications
salariales des ouvriers charpentiers et imprimeurs, pour que l’interdiction des corporations fut
effective. Avec la fin des monopoles traditionnels put apparaître une bourgeoisie nouvelle à
l’origine de la Révolution industrielle, en même temps qu’étaient interdites jusqu’en 1884 les
coalitions ouvrières.
Les frontières culturelles entre classes.
Quelles traces demeurent dans la culture française de ce quasi-système de castes ? Une
nouvelle bourgeoisie à peine formée, Edmont Goblot (1925) date très précisément de 1835
l’établissement entre celle-ci et les autres classes d’une « barrière » et d’un « niveau ». La