Selon certaines sources, le traditionniste médinois Al-Wâqidi (m. 822) est censé avoir recueilli un ensemble de
traditions relatives à la mort du Prophète (‘‘Kitâb wafât al-nabî''), mais le livre a disparu et il ne subsiste que
dans les œuvres de son élève Ibn Sa'd (mort en 845). Il existe certes le récit d'Ibn Ishâq (m. 767) et ceux
attribués à Al-Zuhrî (m. 742), sur la mort et l'enterrement de Muhammad mais, pour certains historiens, ces
sources poseraient problème. C'est à cette difficulté relative à l'authenticité des sources et à leur fiabilité que
l'auteure comme tout chercheur, a dû être confrontée.
Substituer à l'épopée la tragédie
Livre inédit alors? Sans doute, toutefois en dehors du livre de Stephen J. Shoemaker, ‘‘The Death of a Prophet.
The End of Muhammad's life and the Beginning of Islam'' (Philadephia, Université of Pennsylvania Press,
2012, 408 p.), car Héla Ouardi fait œuvre dans son livre de relecture-réécriture. Elle nous propose, en fait, une
lecture nouvelle de ce corpus ancien dont dit-elle, elle réorganise chronologiquement les données suivant les
règles de l'écriture historienne moderne. Et de s'interroger : «Comment l'Occident a-t-il fait sa ‘‘Renaissance''?
En relisant le corpus de l'Antiquité. Sans prétention aucune, je m'inscris, toutes proportions gardées bien sûr,
dans cette démarche ‘‘humaniste'' de relecture-réécriture.»
Une autre question que l'ouvrage a le mérite de susciter réside dans cette difficulté pour un historien ou un
chercheur d'établir la biographie de Muhammad. Certains historiens considèrent que la surabondance des
sources délivrant une foule de faits et de détails sur la vie de Muhammed est «trompeuse» (2), écrire la
biographie de Muhammad relèverait de l'impossible (3) compte tenu des faits suivants. D'une part, les plus
anciens textes sur la vie de Muhammad remontent à cent vingt-cinq ans après sa mort environ, et d'autre part,
les sources ne sont pas toujours fiables mais plutôt largement apocryphes. Ce qui a fait écrire à Maxime
Rodinson: «Une biographie de Mohammad, qui ne mentionnerait que des faits indubitables, d'une certitude
mathématique, serait réduite à quelques pages et d'une affreuse sécheresse. Il est pourtant possible de donner
de cette vie une image vraisemblable. Mais il faut, pour cela, utiliser des données tirées de sources sur
lesquelles nous n'avons que peu de garanties de véracités.» (5) D'autant que «de Muhammad, Prophète de
l'islam, n'existe pas le moindre document d'époque» et qu'«il est très peu présent sous son nom dans le texte du
Coran (3, 144; 33, 40; 47,2; 48, 29; 61, 6», note Jacqueline Chabbi (4).
Il y a certes la Sîra et les Hadiths (2e, 3e et 4e siècle de l'ère musulmane, correspondant aux IXe, Xe et XIe
siècles de l'ère commune). Mais l'islam ne possède aucune trace écrite contemporaine à son avènement.
Ce que nous propose l'auteure, dans son ouvrage, c'est cette rupture avec certains écrits dogmatiques et
idéologiques sur Muhammad. Il s'agit de rendre à Muhammad sa dimension humaine et historique : une
manière de réécrire l'un des moments les plus importants de la mémoire de l'islam en libérant cette dernière des
dogmes et de l'apologie. «Je me situe ainsi à l'extrême opposé de l'esprit dogmatique qui utilise une image
figée et idéologisée du Prophète pour manipuler les musulmans et les pousser à commettre des meurtres.
L'image humanisée de Muhammad proposée dans mon livre ne le sacralise pas mais ne l'amoindrit pas non
plus; au contraire, elle essaye de créer avec lui une relation d'empathie et de proximité, en parfaite conformité
avec le Coran», écrit Héla Ouardi.
Dieu ne dit-il pas à son Prophète : «Dis : je ne suis qu'un mortel semblable à vous?» (sourate 18 ‘‘La
Caverne'', verset 110). Verset que Héla Ouardi prend soin de mettre en exergue au début de son ouvrage. En
fait, il s'agit, pour l'auteure, de substituer à l'épopée la tragédie. «Par la reconstitution des derniers jours de la
vie de Muhammad, nous souhaitons extirper l'homme enseveli sous la légende héroïco-religieuse et le restituer
à l'histoire. Cette démarche s'est imposée à nous comme une évidence», écrit-elle à la page 18.
Muhammad apparaît, avant sa mort, comme un être fragilisé, trahi par les siens et accablé de malheurs tel la
perte de son fils Ibrahim. Le Marocain Abedesselm Cheddadi déjà cité écrit à ce propos : «Contrairement à ce
qui se passe dans le christianisme avec Jésus, la vie de Muhammad n'est pas sacralisée. Son nom est
mentionné dans la profession de foi (Shahâda), mais ni sa naissance ni les grands moments de sa mission ni