l’autorité et les considérations doctrinales y furent progressivement
subordonnées aux sentiments (les «passions du coeur») et à l’engagement, qui
permettaient à l’individu de s’affirmer et se mettre en valeur. Le réveil
méthodiste du 18e siècle, qui prêchait une grâce accessible à tous, avait déjà
permis au croyant, même le plus humble, de prendre conscience de sa valeur aux
yeux de Dieu, et de son devoir de faire bon usage des dons reçus en partage – de
faire, comme les serviteurs dans la parabole biblique, fructifier ses talents.
Par le truchement de certaines pratiques dans les communautés de croyants, le
méthodisme du 19e siècle permit, voire encouragea, un glissement du centre
d’intérêt vers l’individu lui-même: l’examen de conscience, la confession
publique, les échanges au cours des études bibliques, les prières spontanées et
les activités sociales constituaient autant d’occasions où chacun, grand ou
petit, riche ou pauvre, homme ou femme, pouvait acquérir le sens de sa propre
importance et du potentiel – spirituel mais aussi psychique et social – qui lui
était donné à développer. C’est dans cette perspective que les maîtres à penser
cherchèrent à canaliser la passion évangélique dans des voies qui permettraient
aux jeunes convertis d’opérer leur «self-management», c’est-à-dire de construire
leur identité et de gérer leur propre avenir dans le monde. L’idée, relativement
nouvelle, de l’accès gratuit pour tous à l’alphabétisation et la lecture, permit
à ces auteurs anonymes mais ambitieux de se servir des écoles du dimanche et de
leurs bibliothèques comme vecteurs d’une éthique évangélique et sociale.
En effet, les écrivains moralisateurs trouvaient dans la fiction édifiante
un champ d’action et un public à la taille de leurs ambitions, car les petits
lecteurs avides des villes en pleine expansion et des communautés pionnières à
la «frontier» firent une consommation massive de cette littérature, s’il faut en
juger par les rapports des prédicateurs méthodistes itinérants et des journaux
tenus par les mères de famille. Vers le milieu du 19e siècle, la popularité de
ces histoires, souvent la seule forme de culture à la portée des familles, avait
permis la création d’un nouveau créneau sur le marché de l’édition. Les auteurs
évangéliques saisirent les possibilités offertes par les nouveaux développements
technologiques (la presse à vapeur et la reliure peu couteuse) pour répandre le
message du salut à travers une littérature à bon marché, et espérèrent ainsi
remplacer (tant par la quantité que par la qualité) les hornbooks et récits
vulgaires sur feuilles volantes qui constituaient la littérature enfantine de
l’époque. Les situations, les illustrations et l’imagerie furent choisis
(consciemment ou non) pour promouvoir ce que les auteurs estimaient être un mode
de vie évangélique réalisable par leur public.
Ces livres didactico-anecdotiques semblent relever davantage d’une écriture
populaire bien intentionnée que d’une sérieuse intention pastorale. Mais pour
cette raison justement, ils nous donnent un reflet, sinon une idée
représentative, de la façon dont le message religieux du méthodisme et les idées
morales et sociales qu’il prêchait, furent adoptés, relayés et enfin intégrés
dans la culture de l’époque. L’impact de ce type de littérature sur la culture
populaire fut d’autant plus significatif que de nombreux enfants entre 5 et 15
ans fréquentaient les écoles du dimanche, qui dans de nombreux villages
possédaient les seules bibliothèques publiques gratuites et donc accessibles à
toute la population. Les méthodistes, qui dès le début avaient encouragé la
lecture et cherché à rendre la littérature religeuse très largement accessible,
reconnurent que «la parole du prédicateur s’envole comme le souffle qui la
porte, mais les mots du livre imprimé subsistent, pour s’adresser aux