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« Pendant des siècles, voire des millénaires, les fidèles des religions monothéistes
[…] ont cru que les textes de la Bible expliquaient comment avaient été construits le cosmos,
les animaux et les hommes. Toutefois nombre de penseurs comprirent très tôt que ces textes n’étaient
que des images destinées aux populations […] de l’époque où ils ont été composés. »
Michel Delsol L’évolution (Belin)
Depuis Darwin, notre connaissance sans cesse croissante des mécanismes qui régissent l’évolution a
considérablement fait progresser notre vision du monde. Ainsi, nous ne nous voyons plus comme extérieurs aux autres animaux mais
comme faisant partie intégrante de la Nature.
Problème : Quelle alternative a-t-on au finalisme ? Pourquoi la notion de « fossile vivant » est-elle fausse ? Qu’est-ce
qu’un groupe paraphylétique par rapport à un groupe monophylétique ? Qu’est-ce que la notion des équilibres ponctués par
rapport au gradualisme phylétique ?
I. Quelques précisions quant à l’évolution et la phylogénie
L’évolution n’a pas de but en soi : halte au finalisme !
L’évolution est un mécanisme, rien d’autre, régi par différents facteurs génétiques et environnementaux ainsi qu’un certain hasard.
Pour les Théologiens, l’œil a été manifestement créé pour voir ; donc il y a une finalité à la formation d’un œil, donc une conscience
divine à l’origine de tout.
D’après Lucrèce, déjà, « Aucun organe de notre corps n’a été créé pour notre usage, mais c’est l’organe qui crée l’usage. Ni la vision
n’existait avant la naissance des yeux, ni la parole avant la création de la langue : c’est bien plutôt la naissance de la langue qui a
précédé de loin celle de la parole. ».
Ce n’est que grâce à Darwin que l’on comprend que l’apparente « finalité » biologique n’est autre que la sélection naturelle. Les
changements se font « au hasard » et ne sont pas orientés vers un résultat défini, la direction n’est donnée qu’a posteriori par la sélec-
tion (au sens large). Cela dit, un organe préexistant adapté à une fonction peut toujours être optimisé par la suite au cours de
l’évolution mais toujours parce que cela aura procuré un avantage sélectif. Le seul « finalisme » accepest celui qui veut que la Vie
ne trouve son intérêt que dans la reproduction de l’information génétique donc dans la « survie » de cette information.
A. Groupes para- et monophylétiques.
Un groupe monophylétique est défini à partir d’un ancêtre hypothétique commun à tous les représentants du groupe et qui possède tous
les états dérivés qu’ils se partagent.
espèce a espèce b espèce d
famille famille
A B
espèce c espèce e
B. Le gradualisme phylétique face aux équilibres ponctués.
Comment expliquer l’absence de fossile d’ancêtre commun ? Pourquoi dit-on de lui qu’il est toujours « hypothétique » ?
Selon la thèse du « gradualisme phylétique », l’évolution s’effectue à l’échelle d’une espèce ou d’une population par une variation
lente, progressive et régulière des formes de vie. Différentes études tendent à montrer que l’évolution n’est pas linéaire ; les diver-
gences semblent apparaître par paliers plutôt qu’à une vitesse constante. C’est en 1972 que la notion « d’équilibres ponctués » appa-
raît pour expliquer la faible abondance de formes fossiles intermédiaires. D’après ce nouveau modèle, on considère qu’une population
très abondante d’une espèce donnée est un frein à une évolution rapide et massive mais qu’elle favorise la fossilisation (du fait des
effectifs et des aires de répartition). En revanche, un isolement géographique d’une petite quantité d’individus, entraîne une évolution
rapide par dérive génétique. Quand l’isolement cesse et que l’effectif augmente, la nouvelle espèce n’évolue plus mais n’est plus com-
patible avec la première : l’isolement devient un isolement reproducteur. Le modèle des équilibres ponctués implique un changement
dans la vitesse d’évolution : vitesse quasi-nulle pendant de longues périodes de stase (beaucoup de représentants donc beaucoup de
fossiles) et vitesse rapide pendant de courtes périodes de différenciation (peu de représentants, échelle de quelques milliers d’années,
répartition géographique réduite donc quasiment pas de fossilisation). Considérer un fossile comme ancêtre commun serait hasar-
deux ; le meilleur moyen de ne pas se tromper est d’estimer qu’on ne peut que tendre vers des formes aprochant celle de l’ancêtre
commun.
Dans le cas présenté ci-contre, les espèces « a » et « b », qui parta-
gent une innovation évolutive très marquée (flèche), appartiennent à
une même famille monophylétique (famille A). En revanche, l’espèce
« d », qui présente de fortes ressemblances avec les espèces fossiles
« c » et « e », ne peut pas être considérée comme fossile vivant, der-
nier représentant d’une famille monophylétique B regroupant les
espèces « c », « d » et « e ». En effet, une telle famille n’est pas mo-
nophylétique car l’ancêtre commun aux espèces c, d et e est aussi
l’ancêtre commun aux espèces « a » et « b ». La « famille » B est
donc ce qu’on appelle un groupe paraphylétique : un groupe artifi-
ciel. De plus l’espèce « d » actuelle a elle-même évolué depuis son
apparition donc la notion de « fossile vivant » est erronée.
espèce 3
espèce 2
espèce 1
espèce 1
espèce 2
espèce 3
Évolution lente
mais continue
gradualisme
équilibres ponctués
temps
époque
actuelle
2
II. Exercices
A. Des données pour préciser les parentés.
Tous les Vertébrés ont une origine commune. On cherche à préciser les relations de parenté entre quelques-uns
d’entre eux à partir de données anatomiques et moléculaires.
À partir de l’exploitation raisonnée des documents et de vos connaissances, montrez que tous les Vertébrés ont
un même ancêtre commun et que l’on peut préciser leurs relations de parenté. Vous illustrerez votre exposé par la
construction d’un arbre phylogénétique simple.
Document 1 : présence ou absence de différents caractères chez divers Vertébrés.
Document 2 : états primitifs et dérivés des caractères étudiés.
Document 3 : séquence alignée partielle du gène de l’alpha globine chez quatre Vertébrés.
Le gène entier possède 441 nucléotides. Les différences par rapport à la séquence de l’Homme, prise comme référence, sont notées en
gras.
Saumon
Xénope
(Amphibien)
Crocodile
Canard
Homme
Choanes
(narines secondaires)
-
+
+
+
+
Gésier
-
-
+
+
-
Plumes
-
-
-
+
-
Production de lait
-
-
-
-
+
Réserves d’ans l’œuf
(ou ovocyte)
+
+
+
+
-
Poils
-
-
-
-
+
Cavités cardiaques
2
3
4
4
4
+ : présence - : absence
État primitif
État dérivé
Choanes
(narines secondaires)
absence
présence
Gésier
absence
présence
Plumes
absence
présence
Production de lait
absence
présence
Réserves d’ans l’œuf
(ou ovocyte)
présence
(beaucoup de réserves)
absence
(peu de réserves)
Poils
absence
présence
Cavités cardiaques
2-3
4
Homme
CCT
GCG
GTG
CAC
GCT
TCC
GTG
Canard
CCA
CCA
GAG
CAC
GCT
TCC
GTG
Saumon
CCC
GAA
GTG
CAC
ATT
GGT
GGG
Xénope
CCT
GCA
ACC
CAT
AAG
GCC
GTG
3
B. La vitesse d’évolution est-elle constante ?
À partir de l’exploitation raisonnée des documents et de vos connaissances, expliquez en quoi la vitesse
d’évolution dépend de divers facteurs et discutez de la notion de « fossile vivant » qui concerne les derniers re-
présentants de genres qui existent depuis plusieurs centaines de millions d’années (Ginkgo biloba, Cœlacanthe,
Dipneustes, Limules…).
Document 1 : courbes de survie des taxons de Mol-
lusques bivalves et de Mammifères carnivores.
Ces courbes sont obtenues en évaluant sur 100 genres, le
nombre de genres qui survivent un certain nombre de
millions d’années. Elles expriment donc le pourcentage de
genres en fonction de leur durée de vie.
Document 2 : vitesse d’évolution de trois protéines différentes.
Chaque droite a été déterminée en dénombrant le nombre d’acides
aminés différents, sur une séquence de 100 acides aminés, depuis la
date de séparation de différentes lignées. Le cytochrome C est une
protéine intervenant dans le processus cellulaire de respiration.
Document 3 : degré de « modernisation » d’un caractère anatomique chez les Dipneustes.
Les Dipneustes constituent un groupe de
« Poissons » dont les premiers représentants datent
de plus de 300 millions d’années. Pour chaque
espèce fossile l’état d’un certain nombre de
caractères anatomiques a permis de lui attribuer
une note représentant le degré plus ou moins
« évolué » du complexe squelettique pris dans son
ensemble (0 pour la forme la plus « évoluée », 100
pour la plus « primitive »). Les Dipneustes sont
considérés comme des « fossiles vivants ».
Document 4 : arbre phylogénétique de quelques groupes de Vertébrés.
Pourcentages Pourcentages
100 100
80 80
60 60
40 40
20 20
0 0
0 50 100 150 200 250 0 5 10 15 20 25 30 40
Temps (Ma) Temps (Ma)
Mollusques bivalves Mammifères carnivores
Remplacements d’acides aminés pour une séquence de 100 acides aminés
180
160 Fibrinopeptides
140
120 Hémoglobine
100
80
60 Cytochrome C
40
20
Millions d’années
0
200 400 600 800 1000
Cœlacanthe
Latimeria
Mammifères
(Homme)
Amphibiens
(Grenouille)
Dipterus
Neoceratodus
Forme
« intermédiaire »
Cœlacanthe
Euporosteus
Forme
« intermédiaire »
Temps
4
C. Compléter un arbre phylogénétique à partir de données anatomiques et moléculaires.
À partir de l’exploitation raisonnée des documents et de vos connaissances, retrouvez les arguments en faveur de
l’évolution des espèces, établissez les liens de parenté .entre les différents groupes de Vertébrés cités et complé-
tez, en le justifiant, l’arbre phylogénétique correspondant.
Document 1 : Squelettes de membres antérieurs de Vertébrés présentés à différentes échelles.
Document 2 : Comparaison de la séquence peptidique des hormones hypophysaires de Vertébrés.
L’hypophyse libère diverses hormones dont certaines sont constituées de 9 acides aminés. Les séquences en acides aminés de
trois de ces hormones sont données ci-dessous :
Document 3 : Comparaison de l’équipement en hormones hypophysaires chez les Vertébrés.
Ces trois hormones sont codées par 3 gènes différents qui (chez l’Homme) sont sur 3 chromosomes différents. Cette observation
montre que l’évolution s’est faite par copies successives du gène ancestral, copies qui ont ensuite évolué vers des fonctions diffé-
rentes. L’Eusthénoptéron est un « Poisson » fossile qui possédait des poumons mais la présence d’opercules montre l’existence
simultanée de branchies. Le tableau ci-dessous indique la présence de ces hormones et l’âge des plus anciens représentants fos-
siles des groupes étudiés.
5
« Poissons » actuels Amphibiens « Reptiles » actuels Oiseaux Mammifères
190
0
420
400
200
300
fossile
fossile
fossile
Archaeopteryx
Eusthénoptéron
Poumons, OT
AVT
Membres articulés en trois segments
Régression doigts
ADH
fossile
360
1 / 7 100%