la différence, parmi les villageois qui lui feront des requêtes, entre les authentiques
demandes et les faits divers inventés par la troupe de Campese. Tout ceci dans le but de
faire réagir cette figure de l’autorité et de lui montrer la nécessité (et l’efficacité) de la
culture dans une petite ville de province.
L’optique de mise en scène se fondait sur deux postulats fermes: d’une part le refus
des surtitres et d’autre part la conviction que le public pouvait ne pas tout comprendre
du texte tout en en appréciant la sonorité, aussi expressive que les mots. Il s’agissait de
chercher d’autres solutions possibles à la traduction instantanée pour convoyer le sens
vers le public. Le plurilinguisme sur scène s’est rapidement présenté comme la solution
principale, surtout dans l’optique d’une tournée italo-française (Saint-Denis, Paris,
Avignon Off, Lyon et Bologne à l’été et à l’automne 2007).
Des acteurs en quête de public
La transmission linguistique lors de l’atelier se faisait tant par l’écoute et le dialogue
que par l’assimilation de phonèmes, d’abord dénués de sens, comme le sont les
exercices d’articulations théâtraux, puis cédant la place à des répliques entières. Les
échauffements étaient suivis d’un travail d’improvisation. D’abord il s’agissait
d’improvisations en groupes, fondées sur une simple rencontre. Pour cela, le cours en
appelait, paradoxalement, à la forte structure de l’apprentissage grammatical. La
conjugaison d’un verbe (« avere paura », avoir peur, par exemple, qui préannonce, on le
verra, la scène de l’institutrice Lucia Petrella chez De Filippo), dans l’ordre de ses
formes devient la règle de l’improvisation : les comédiens face à leurs camarades
doivent créer une rencontre en utilisant, dans l’ordre, les formes verbales du présent.
Après quelques tâtonnements, de véritables duos comiques se créent, où la rencontre des
deux premiers personnages (« -Ho paura » « -Hai paura ? ») cède la place à l’ouverture
du jeu vers le public (« Ha paura » dit l’acteur à l’assistance), faisant naître un comique
distancié, qui, tout à coup s’effraie de la présence du public (« Abbiamo paura » disent
les personnages fixant le public) et culminant dans la satisfaction finale d’une
universalité (« Avete paura ? » demande alors un comédien hésitant à au public, et les
personnages en scène d’être soulagés dans un « Hanno paura » final). La règle étant
l’absence du français durant les exercices, les sons, les gestes, les pauses discursives,
permettaient de se faire comprendre des autres acteurs donnant la réplique. Ces pauses
s’allongent pour laisser aux comédiens le soin de créer le comique ou toute autre
situation, en appelant, avec le mime, à la bienveillance et à la patience du public. Il
s’agit là de ce qu’on pourrait appeler une dramaturgie du silence et du geste, qui se
pose, paradoxalement, au cœur de la transmission plurilingue. Le silence de
l’appropriation de la réplique et le geste de la création de la situation sont au service de
la communication, tout autant que de la création théâtrale. En somme, lorsque le geste
prend le relai, le plurilinguisme inclut également le silence complice entre acteur et
public. Locuteur et interlocuteur sur scène tentent de se comprendre et de jouer
ensemble, mais c’est un troisième regard, celui du spectateur, qui permet d’enrichir la
création finale des scènes, et à plus large échelle, de la pièce. En effet, lors de ces
improvisations, les autres comédiens doivent observer attentivement le jeu sur scène
pour en comprendre et en réutiliser les attitudes, spontanées ou non, traduisant tour à
tour l’incompréhension, le doute, puis la découverte du sens de la réplique de son
interlocuteur, son acceptation et le jeu à partir d’une telle réplique en langue étrangère.