Génétique Humaine M1 Cours du 5/12/12 14h-16 H. Dollfus Dystrophies héréditaires de la rétine I. Introduction : ophtalmologie et génétique La génétique tient une place importante en ophtalmologie car plus de ¾ des malvoyances ont une origine génétique dans nos pays développés (en Afrique la première cause est infectieuse). Les causes génétiques peuvent toucher toutes les parties de l’œil : antérieure = chambre antérieure avec cornée, cristallin… postérieure = chambre postérieur avec la rétine (Objet du cours) Rétine : tissu neurosensoriel du fond de d’œil Partie centrale de la rétine : macula, pour la vision des détails, couleurs, pour la lecture. Partie périphérique de la rétine : correspond au champ visuel, permet la vision nocturne. La rétine est composée d’une dizaine de couches cellulaires dont les photorécepteurs : les cônes et les bâtonnets. La lumière traverse les couches de la rétine, et permet la transduction visuelle, qui entraine la conversion de la lumière en flux nerveux, transmis aux autres cellules jusqu’au nerf optique. Plus précisément, la macula (zone centrale) est surtout composée de cônes, et la zone périphérique de la rétine de bâtonnets. II. Dystrophies héréditaires de la rétine Elles touchent les enfants et les adultes. Il s’agit d’une dégénérescence progressive des cellules réceptrices : cônes et bâtonnets. Les cellules de soutien forment l’épithélium pigmentaire. Elles sont les premières touchées dans les rétinopathies pigmentaires et entrainent la dégénérescence des autres cellules et donc de l’ensemble de la rétine. 1. Etapes de la cascade de la transduction visuelle : Le photon arrive sur le photorécepteur, ce qui engendre une cascade de processus biochimiques : changement de conformation de la rhodopsine (récepteur à photon) activation de la transducine (protéine G) activation d’une enzyme cible : phosphodiestérase hydrolyse GMPc fermeture des canaux GMPc dépendants de la membrane externe du photorécepteur 1/7 La cascade aboutit à la fermeture des canaux, conduisant à une HYPERpolarisation de la membrane. Cette hyperpolarisation est responsable de l’activation des neurones bipolaires connectés (dépolarisation), jusqu’au cerveau. Toutes les protéines régulatrices sont composées de sous-unités : un grand nombre de gènes codent pour toutes ces molécules. De ce fait, une mutation d’un de ces gènes va entrainer des perturbations de la cascade, puis un stress cellulaire, et enfin l’apoptose des cellules photoréceptrices. Clinique : Les dystrophies héréditaires de la rétine peuvent être divisées en 2 groupes : - celles touchant la périphérie de la rétine = rétinopathies pigmentaires - celles touchant le centre de la rétine = maculopathies (non traitées dans le cours) Elles peuvent également être : - isolées = non syndromiques - associées à d’autres symptômes = syndromiques (ex : Syndrome d’Usher) NB : il ne faut pas connaître les noms des pathologies par cœur, mais comprendre les mécanismes et savoir faire le parallèle entre clinique et biologie. 2. Rétinopathies pigmentaires : 1/5000 soit 40 000 personnes atteintes en France, 1,5 millions dans le monde. C’est une dégénérescence progressive de la vision par atteinte de l’épithélium pigmentaire et des photorécepteurs. Elle conduit au final à la cécité (handicap sévère ++). Rappel clinique : trépied clinique : - hespéranopie = diminution de la vision nocturne, gène dans l’obscurité - réduction progressive du champ visuel, pouvant parfois se restreindre au « trou de serrure » ou « canon de fusil », très handicapant (patient marchant avec une canne blanche mais qui va sortir un livre dans le bus car vision 10/10è, incompréhension des autres passagers du bus…) - perte de l’acuité visuelle centrale => le handicap devient total Examens : - Electrorétinogramme : mesure l’activité électrique de la rétine, teste les photorécepteurs à la luminosité, pour classer les rétinopathies - Fond d’œil : diminution des vaisseaux, migration pigmentée à la surface de la rétine, aspect atrophique - Examen du champ visuel : réduit à une réponse centrale (normalement 60-70% extension) Hétérogénéité triple du phénotype clinique : 3 niveaux clinique, génétique, moléculaire 1/ Clinique : points noirs/points blancs sur la rétine formes peu pigmentées unilatéral/bilatéral atteinte d’abord centrale puis périphérique (peu fréquent) formes syndromiques : atteintes d’autres organes en plus 2/7 Exemples : - Syndrome d’Usher : enfant présentant une surdité congénitale et qui va développer une cécité par rétinopathie pigmentaire (double handicap, communication par le toucher…) - Syndrome de Bardet-Biedl : rétinopathie pigmentaire précoce, polydactylie, obésité, atteinte rénale… - Syndrome de Kearnes-Sayres : délétion de l’ADN mitochondrial avec ptosis (chute de la paupière), ophtalmoplégie (paralysie de l’ œil), rétinopathie pigmentaire, troubles cardiaques, cérébrales… 2/ Génétique : Exemple caricatural : tous les modes de transmission sont décrits : autosomique dominant autosomique récessif récessif lié à l’X dominant lié à l’X digénique triallélique mitochondrial Ces pathologies ont permis de faire des découvertes sur les modes de transmission. On a pu décrire l’hérédité digénique (2 gènes impliqués, un allèle muté dans chaque gène), triallélique (2 allèles mutés dans le même gène, 3è mutation dans un 2è gène), disomie uniparentale (héritage de 2 fois le chromosome du même parent). 3/ Moléculaire : Depuis les années 1980 : plus de 150 gènes impliqués dans la rétinopathie pigmentaire, avec des rôles dans la fonction, la structure et le développement de la rétine, et des gènes impliqués dans la cascade. Comme vu plus haut, les canaux sont composés de plusieurs sous-unités, et leur fermeture entraine une hyperpolarisation. L’arrestine est une protéine importante pour réactiver le niveau 0, récupérer l’état de repos. Lorsque le photon va changer la conformation de la rhodopsine, elle va passer d’un état 11 cis rétinol à all trans rétinal => jonction entre la rhodopsine et le métabolisme de la vitamine A. Différents types de protéines impliquées : - appartenant à la cascade de transduction (activation ou récupération), importance du métabolisme de la vitamine A - protéines de structure du photorécepteur - facteurs de transcription - protéines ubiquitaires Rétinopathie pigmentaire autosomique dominante (RPAD) : Premières familles étudiées, premier gène identifié : celui de la rhodopsine Pour illustrer l’hétérogénéité : plus de 15 gènes différents impliqués 3/7 Ex : une grande famille atteinte de rétinopathie pigmentaire autosomique dominante avec des patients moins atteints que d’autres, lié à un saut de pénétrance ou une variabilité d’expressivité. Quand il y a une mutation de la rhodopsine : changement de conformation qui ne permet plus au photon d’être actif. Pour certaines familles atteintes de rétinopathie autosomique récessive (RPAR), on a pu identifier deux mutation sur le gène de la rhodopsine => certaines mutations pour les formes AD, d’autres mutations sur les deux allèles dans les formes AR = variabilité allélique. Autre phénotype : Cécité nocturne congénitale stationnaire avec des difficultés en vision nocturne mais pas de dégénérescence pigmentaire de la rétine. D’autres gènes impliqués dans la RPAD : surtout dans les familles avec atteinte hétérogène, ce sont des gènes ubiquitaires d’épissage des ARNm. Trois gènes sont connus : PRPC8, HPRP3, PRPF3, exprimés partout, avec une corrélation génotype-phénotype intéressante. La situation est la même dans la RPAR : grande hétérogénéité génétique avec atteinte d’un grand nombre de gènes avec des fonctions différentes. Exemple : Amaurose congénitale de Leber : forme très précoce de rétinopathie pigmentaire, les enfants naissent avec une rétine quasiment non fonctionnelle, elle dégénère très rapidement. 17 gènes sont impliqués sur le mode récessif. Quelques gènes : - GUCY2D : enzyme guanylate cyclase, spécifique de la cascade de transduction - RPE65 ++ : importante pour le cycle du dérivé de la vitamine A, premier gène sur lequel on a fait des essais de thérapie génique, sert à la régénération des dérivés de la vitamine A au niveau de l’épithélium pigmentaire. - RPGRIP1 : impliqué dans le transport du photorécepteur, pour le transport des protéines du segment interne vers le segment externe du photorécepteur (cil connecteur), n’agit pas au niveau du cycle ni de la cascade. - CRX : facteur de transcription, gène impliqué dans le développement : il va allumer d’autres gènes importants pour le développement, à partir de précurseurs des photorécepteurs. => hétérogénéité des gènes impliqués avec des rôles très différents au niveau du photorécepteur. Les photorécepteurs sont composés de disques empilés les uns sur les autres, formés en majorité par la rhodopsine et protéines de stabilisation RDS-ROM1 pour que la structure soit maintenue. Modèle du chien Briard atteint de rétinopathie pigmentaire délétée dans RPE65 : on a pu testé les premières étapes de thérapie génique dans un œil et pas dans l’autre => le chien voyait avec l’œil traité. 4/7 Problème du conseil génétique : Mariage entre deux personnes atteintes d’amaurose congénitale de Leber : quel risque pour la descendance ? C’est une maladie autosomique récessive, il faut savoir si les patients sont mutés dans lequel des 17 gènes. Si les deux personnes sont homozygotes pour un même gène => 100% de leurs enfants atteints Si elles sont homozygotes pour les gènes différents => risque de 0% car l’enfant reçoit un seul allèle de chaque gène. NB : Mucoviscidose : un seul gène, plus de 1000 mutations. Il faut tester le patient pour rechercher la mutation, et ensuite on fait le conseil génétique. Quand un couple de parents a un enfant atteint d’amaurose congénitale de Leber => 25% de risque d’avoir un 2è enfant atteint. On recherche la mutation dans le gène pour avoir accès au DPN ou DPI. Variabilité allélique : Exemple : gène ABCR = ABC A4 Sur le mode récessif, les mutations du gène conduisent à la rétinopathie pigmentaire. D’autres mutations dans ce gène peuvent conduire à une maculopathie : Maladie de Stargardt. => mutation différente dans un même gène conduisant à un phénotype différent, pourquoi ? ABC A4 a un rôle spécifique dans la cascade de la transduction visuelle, il agit sur un dérivé de la vitamine A : rôle de « flippase » sur le dérivé activé de la rhodopsine (all-trans-retinal). Quand 1 mutation faux sens : facteur de risque de DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) Quand 2 mutations faux sens : maladie de Stargardt (niveau intermédiaire) Quand 2 mutations tronquantes (pas de protéine produite) : rétinopathie pigmentaire Les « fausses récessives » : Digénisme : mutation hétérozygote dans RDS et mutation hétérozygote dans ROM1, agit sur l’interaction entre ces 2 protéines in vivo. Risque vertical de 25% : le parent atteint transmet les 2 mutations à l’enfant => piège en génétique. On va découvrir des situations identiques avec le séquençage haut débit. Phénomène décrit aussi pour la surdité. Rétinopathie pigmentaire liée à l’X : Une des formes les plus sévères, 13-15% des patients. Les femmes conductrices présentent des signes cliniques. Deux gènes identifiés, localisés au niveau du cil connecteur. Rétinopathie pigmentaire syndromique : 2 types : 1/ Syndromes sensoriels => ciliopathies (voir cours correspondant) 2/ Syndromes « House-keeping » ou maladies générales de la maintenance cellulaire : Toutes ces pathologies portent le nom de ceux qui les ont décrites (d’un point de vue clinique), mais en fait il y a des syndromes qui se chevauchent, d’où la nécessité d’essayer de faire une classification plus biologiques de ces syndromes. Si on comprend les mécanismes biologiques, on peut mieux trouver un traitement. 5/7 1/ Maladies de la maintenance cellulaire : Ensemble de voies importantes qui peuvent impacter différents organes. - Systèmes de réparation de l’ADN : Maladie de Cokayne : gènes CSA-CSB, atteinte très générale avec nanisme cachectique, dégénérescence des photorécepteurs qui sont très sensibles à l’altération de ces 2 gènes. - Mitochondries : Hétérogénéité clinique, atteint des organes très demandeurs en énergie dont une des cibles est la rétine. Très variable d’une personne à l’autre. Syndrome NARP (neuropathie, ataxie, rétinite pigmentaire) : mutation dans un gène autosomique codant pour une protéine importante pour le métabolisme mitochondrial. Deux types de maladies : touchant l’ADN mitochondrial lui-même ou touchant des gènes nucléaires codant pour des protéines importantes du métabolisme mitochondrial. - Peroxysomes : Impliqués dans la détoxification cellulaire. Si absents dans la cellule : augmentation des dérivés acides gras, débris peroxydés… Syndrome de Zellweger : enfant avec un comportement d’enfant malvoyant, perturbation des fonctions rénales et hépatiques, létal en quelques mois. - Lysosomes : Pour la destruction des déchets, certaines maladies provoquent une atteinte de la rétine. Maladie de Batten = céroïdes-lipofuscinoses : comportement visuel anormal, atteinte rétinienne suivi d’une atteinte neurologique, aboutissant au décès. Mutation du gène CLN3, accumulation d’hypopigments dans la cellule qui entraine l’apoptose. - Glycosylation : Phénomène qui conduit les protéines à la maturation. Environs 100 enzymes donc 100 gènes impliqués dans ce mécanisme. Un groupe de maladies héréditaires avec dégénérescence rétinienne, hypotonie, épilepsie, anomalies cérébrales… - Autres : Syndrome de Cohen : problème de développement avec retard, anomalies dentaires, rétinopathies, leucopénies… gènes impliqués dans le transport vésiculaire. 2/ Syndromes sensoriels : Syndrome d’Usher : enfant sourd qui développe ensuite une cécité. Atteinte des photorécepteurs et des cellules cochléaires (oreille interne). Il en existe différentes formes. L’enfant est atteint d’une surdité très profonde, de problèmes d’équilibres, d’une rétinopathie pigmentaire, jusqu’à la cécité vers l’âge de 20 ans. Marche tardive à cause des troubles vestibulaires. Quand perte de la vision, le langage des signes n’est plus possible. Il faut pratiquer un ERG, indication impérative d’implants cochléaires +++. 6/7 Au niveau de la cochlée : stéréocils, importants pour le mécanisme de l’audition. La vibration des stéréocils provoque une dépolarisation des cellules ciliées => impulsions nerveuses au niveau du nerf auditif. Atteintes des photorécepteurs liée à l’environnement du cil connecteur et atteinte de l’organisation des stéréocils (maintien de la vibration en harmonie). Les protéines impliquées sont exprimées au niveau des photorécepteurs et des stéréocils. Concerne environ 12 gènes. 7/7