Paul MBA ABESSOLE LE GABON : QUEL DEVELOPPEMENT DURABLE ? Le développement durable est en vogue actuellement. Il n’y a pas un discours sur l’économie où on ne parle de développement durable. A y voir de près, on s’aperçoit qu’il s’agit là d’un concept utilisé entre les experts de différents pays. Mais le peuple qui devrait être le bénéficiaire de cette réalité n’y comprend pas grand-chose, tant les explications qu’on en donne sont confuses. Je ne suis pas un spécialiste de l’économie, mais je voudrais dire, à partir de mon bon sens, ce que le développement durable doit être pour le Gabon aujourd’hui, indépendamment de ce qu’on pourrait aller copier chez les autres. Nous sommes des répétiteurs spécialisés des autres, alors que nous sommes nous-mêmes capables de concevoir après des analyses de nos réalités. Ma démarche est simple. Je ferai d’abord un état de la question, puis j’en présenterai un bref aperçu historique. En troisième lieu, je dirai ce qu’il faut, dans notre contexte entre par développement durable. En quatrième lieu, je répondrai à la question de savoir si le Gabon peut s’engager dans un processus véritable de développement durable et quelles sont les pesanteurs auxquelles nous devons faire face. En cinquième lieu, je mettrais en relief nos atouts évidents. En sixième lieu, je montrerai que le développement durable est tout à fait possible chez nous si nous savons partir de notre patrimoine ancestral. Enfin, j’indiquerai la voie inévitable, la recherche dont je donne quelques principes. Je conclurai en disant que ce que nous voulons faire est l’affaire de tous : les hommes politiques, les fonctionnaires, les élèves, les professeurs, les villageois, les associations etc. L’intelligence est présente en chacun de nous, elle peut produire dans n’importe quelle situation. 1. L’état de la question. Depuis des siècles, les pays occidentaux exploitent au maximum les richesses de leurs anciennes colonies et d’autres pays sous-développés. Depuis une trentaine d’années, ils se sont rendu compte qu’un déséquilibre était en train de se faire jour, déséquilibre qui atteint progressivement le monde entier. Ils ont pris conscience qu’ils n’étaient pas seuls et que les autres avaient besoin de vivre bien comme eux. Les richesses qu’ils exploitaient, disons-le sauvagement, participaient à l’équilibre du monde. Si ces richesses exploitées n’étaient pas remplacées, le monde allait en être déstabilisé et tout le monde y perdrait. Ils ont compris enfin que tous les êtres humains sont destinés à vivre bien. Ils ont voulu agir comme si les lois de la nature n’existaient pas. Mais ils ont été contraints de se soumettre à ces lois. Si bien qu’aujourd’hui tout le monde parle de l’écologie, de l’équilibre de la nature. 2. L’historique. Le développement durable, comme tout concept a une histoire qui lui donne un sens. Contrairement à ce qu’on croit, cette idée n’est pas seulement pour réduire les inégalités sociales, mais surtout de créer une harmonie entre l’homme et la nature et l’usage qu’il fait de celle-ci. L’on peut tracer quelque étape de ce concept. 1909. L’année 1909 est celle où est né le concept de Géonomie en Europe Centrale. Elle est la science des rapports entre les sociétés humaine et leur environnement naturel. Après la création du terme écologie qui par l’Allemand Ernest Haeckel en 1866, le terme d’écologie qui signifie connaissance de la maison - il entendait par maison, notre planète et sa biosphère- il devenait nécessaire de trouver un terme signifiant « gestion de la maison » dans le sens haeckelien de gestion de notre planète et de sa biosphère, de nos rapports avec elles. On ne pouvait pas utiliser économie (dont gestion de la maison est précisément le sens) car ce terme, dû à Xénophon et Aristote, était déjà pris dans un sens étroitement productiviste. Après la création en 1866, C’est ainsi qu’’un des étudiants d’Haeckel, le naturaliste et géographe Grigoire Antipa, eut alors l’idée d’utiliser, en 1909, le terme de géonomie qui signifie gestion de la terre , pour décrire le système de gestion rationnelle des ressources naturelles des bassins du Danube et de la Mer Noire, qu’il avait mis en 1898, avec l’appui du roi Charles I de Roumanie. Ce système devait faciliter la navigation, augmenter la production du poisson et de cannes, et diminuer la biomasse des moustiques, sans contrarier les équilibres écologiques ni le rôle de filtre et d’éponge à crues que jouent les zones humides. La géonomie est une branche de la géologie. Elle traite des lois physiques qui président aux transformations de la forme superficielle de la Terre, peut-on lire dans l’Encyclopédie roumaine, édition 1900, tome II, p. 528. Après la Première Guerre Mondiale, le terme géonomie fut introduit en français par le géographe Albert Demangeon qui en eut connaissance par son collègue Emmanuel De Martonne, qui avait travaillé en Roumanie. 1953. Dans le cadre de son cours d’Organisation de l’espace à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Maurice-François Rouge définit la géonomie comme un « ensemble de connaissances scientifiques pris dans les sciences et disciplines de base (géographie physique et humaine, géologie, pédologie, climatologie, écologie, démographie, sociologie, économie…) qui sont mises à contribution pour décrire la réalité des espaces et les lois et conditions de leurs modifications possibles ; ensuite une série de combinaisons de ces apports, aidées par différentes techniques (mathématiques, cartographiques, statistiques) qui constituent les moyens utilisés par le « géonome » dans son art de recherche des solutions les meilleures. » Pour un géonomiste, les problèmes de l’économie, du climat, de l’environnement sont reliés : les solutions doivent l’être aussi. Dans cette perspective, écologie et économie ne sauraient suivre des logiques antagonistes, mais précisément deux aspects d’une même réalité. Pour un géonomiste, histoire naturelle et histoire humaine ne sont qu’une seule histoire. La terre, l’eau, le climat, la vie, l’humanité forment un tout dépendant les uns des autres : apprendre à décrypter le passé, c’est mieux comprendre notre présent et mieux anticiper notre avenir. 1968. L’année 1968 est celle de la création du Club de Rome. Celui-ci regroupait quelques personnalités occupant des postes relativement importants dans leur pays respectifs et souhaitant que la recherche s’empare du problème de l’évolution du monde pris dans sa globalité pour tenter de cerner les limites de la croissance économique. 1972. L’année 1972 a été importante dans l’évolution du concept développement durable. Des documents marquants ont été publiés sur ce sujet. La croissance effrénée des Trente Glorieuses a beaucoup inquiété du fait qu’elle se faisait un peu à l’état sauvage. Il fallait mettre un frein à cette évolution des choses pour prendre de meilleures orientations. Mais pour bien comprendre le bien-fondé du rapport Meaddows, il faut expliquer ce que sont les Glorieuses. Cette expression a été créée par Jean Fourastié pour faire écho aux Trois Glorieuses, journées révolutionnaires des 27, 28 et 29 juillet 1830 qui avaient vu la chute de Charles X (1824 - 1830) et l’instauration de la Monarchie de Juillet de LouisPhilippe Ier (1830-1848). L’expression désigne la période de forte croissance économique qu’on connue entre 1947 et 1974 une grande majorité des pays développés, principalement les membres de l’OCDE. La période d’une trentaine d’années, entre la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945 et le choc pétrolier de 1973 se caractérise, après un début difficile, par la reconstruction économique des pays dévastés par la guerre, par un plein emploi dans la grande majorité des pays, une croissance forte de la production industrielle et à une expansion démographique importante dans certains pays et nord-américain, notamment en France, en Allemagne de l’Ouest, aux Etats-Unis et au Canada. Les Trente Glorieuses furent une « révolution silencieuse » parce que porteuses de changements économiques et sociaux majeurs ; elles ont marqué le passage en Europe vers la société de consommation. L’origine de cette forte croissance, basée sur un accès aisé aux énergies fossiles, est essentiellement celle d’un rattrapage technologique vis-àvis des Etats-Unis, pour les pays dont le capital humain restait important. S’agissant du rapport Meaddows, il est parti d’un constat général : la croissance démographique était en constante augmentation, tout comme celle industrielle. Au début des années 197O, la population mondiale avait atteint 3,6 milliards d’habitants. On pouvait, selon les prévisions, s’attendre à une population de plus de 12 milliards d’individus au milieu du XXIè siècle, ce qui, aux yeux des analystes, serait une catastrophe. La croissance économique mondiale était encore plus rapide que celle démographique. La production industrielle avait crû d’environ 7% par an, au cours des années 60, ce qui correspondait à un doublement tous les 10 ans. Elle était par ailleurs très inégalement répartie et se concentrait dans les pays développés, accroissant ainsi les disparités de développement : « les riches s’enrichissaient et les pauvres faisaient des enfants ». Cette croissance comportait des risques. Au plan démographique, les ressources alimentaires étaient limitées. Elles pouvaient rapidement s’épuiser. A un moment donné, on allait se trouver devant un manque d’aliments. Au plan économique, il fallait taxer l’industrie afin d’en stopper la croissance et de réorienter les ressources ainsi prélevées vers l’agriculture, les services et surtout vers la lutte contre la pollution. Des dispositions pour substituer l’équilibre à la croissance, des mesures pour la limitation des naissances s’avéraient nécessaires. A la même année, le Club de Rome avait publié le rapport « Les limites de la croissance. On y donnait les résultats des simulations informatiques sur l’évolution de la population humaine en fonction de l’exploitation des richesses naturelles, avec des projections jusqu’en 2100. Il en ressortait que la poursuite de la croissance économique entraînerait, au cours du XXIe siècle, une chute brutale de la population à cause de la pollution, de l’appauvrissement des sols cultivables et de la raréfaction des énergies fossiles. Cette analyse n’a pas toujours fait l’unanimité. Mais le problème était posé. Toujours en 1972, du 5 au 16 juin, s’est tenue une conférence des Nations-Unies sur l’environnement humain à Stockholm où on a exposé notamment l’éco-développement, les interactions entre écologie et économie, le développement des pays du Sud et du Nord. Une vérité en est sortie : l’environnement était apparu comme un patrimoine mondial essentiel à transmettre aux générations futures. 1980. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature, a été fondée, le 5 octobre 1948, sous le nom de International Union for the Protection of Nature (IUPN). Mais elle a été rebaptisée sous son nom actuel en 1956. Elle a publié un rapport intitulé « La stratégie mondiale pour la conservation où apparaît pour la première fois la notion de « développement durable », traduite de l’anglais « sustainable development ». 1987. Une définition du développement durable est proposée par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement dans le rapport Brundtland. Ce rapport définit la politique nécessaire pour parvenir à un « développement durable ». Ce concept est ainsi définit : « Le développement durable est un mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations future de répondre aux leurs ». Cette définition fait ressortir deux concepts : le concept de « besoins », et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité et l’idée de limitation que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir » Depuis cette date, l’expression « développement durable » s’est répandue dans le monde entier ». 1992. Du 3 au 14 juin, s’est tenu un Deuxième sommet de la Terre, à Rio de Janeiro. Le terme « développement durable » est consacré, il est largement médiatisé devant le grand public. On y adopte la convention de Rio et ce fut la naissance de l’Agenda 21. La définition Brundtland, axée prioritairement sur la préservation de l’environnement et la consommation prudente des ressources naturelles non renouvelables, sera modifiée par la définition des « trois piliers » qui doivent être conciliés dans une perspective de développement durable : le progrès économique, la justice sociale, et la préservation de l’environnement. 1994. La conférence européenne sur les villes durables s’est tenue dans la ville danoise d’Aalborg, le 27 mai 1994. La charte dite Charte d’Aalborg représente come une anti charte d’Athènes (1933) dont le thème était « la ville fonctionnelle ». La Charte d’Aalborg donne aux villes un rôle essentiel pour faire évoluer les habitudes de vie, de production et de consommation, et les structures environnementales. 1997. Du 1er au 12 décembre : 3e Conférence des Nations Unies sur le réchauffement climatique, à Kyoto, au cours duquel sera établit le protocole du même nom. Cet accord veut la réduction des émissions des gaz à effet de serre. L’effet de serre est dû à la présence dans l’atmosphère de certains gaz, comme le gaz carbonique et le méthane, qui absolument renvoient le rayonnement thermique issu de la terre et réchauffent celleci. L’effet de serre est nécessaire. Sans lui, la température moyenne à la surface du globe serait de – 20°. 2002. Du 26 août au 4 septembre 2002, le Sommet de Johannesburg, plus de cent chefs d’Etat, plusieurs dizaines de milliers de représentants gouvernementaux et d’ONG ratifient un traité prenant position sur la conservation des ressources naturelles et de la biodiversité. La finalité de ce sommet était d’adopter un plan d’action sur de nombreux sujets, notamment la pauvreté et la paupérisation, la consommation, les ressources naturelles et leur gestion, le respect des droits de l’homme. 2005. Ce fut l’entrée en vigueur du protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’Union Européenne. 2009. La Conférence de Copenhague s’est tenue du 7 au 18 décembre 2009, au Danemark. Conformément à la feuille de route adoptée, en 2007, lors de la Conférence des Parties (COP), elle devait être l’occasion pour les 192 pays ayant ratifié la Convention, de renégocier un accord international sur le climat, de remplacer le protocole de Kyoto, lequel protocole visait la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le cadre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques dont les pays participants se rencontrent annuellement depuis 1995. Cette conférence, pour certains, a été un échec du fait que les Parties ne se sont pas mis d’accord sur la réduction, avant 2020, de 40% les émissions de gaz à effet de serre. Certains pays en développement ont cependant accepté de mettre en œuvre des mesures d’atténuation et de lutte contre la déforestation, au niveau national. Les pays riches ont, eux, accepté de consacrer annuellement, de 2020 à 2100, 100 milliards de dollars américains aux pays en développement. Qu’entend-on généralement par développement durable ? Nous avons déjà enregistré une définition de ce terme, donnée par le rapport de Brundtland (1987) et enrichi par le Deuxième Sommet de la terre, à Rio de Janeiro. Nous n’en sommes pas satisfaits, par rapport à notre contexte. L’on voit donc qu’une définition, surtout dans ce domaine mouvant de l’économie, n’est jamais définitive. Elle dépend toujours des contextes, des lieux et des époques, qui en déterminent les termes. Il est donc nécessaire que nous la contextualisions dans le cas du Gabon. Pour cela, il faut partir des faits, les analyser, percevoir leurs relations et les interactions entre les faits ; puis à partir de là, donner une définition adaptée au contexte et capable de propulser une dynamique. Prenons d’abord le terme de « développer ». Nous entendons par « développer », donner à quelque chose une croissance, lui donner une dimension plus grande, la faire passer d’un état d’évolution à un autre meilleur. Explicitons. Passer, c’est se mettre en mouvement, traverser un espace. Marcher, c’est se mettre en mouvement à partir d’un point pour un autre différent. Cela exige une rupture avec le point qu’on quitte. On laisse ce qui est hors du temps et ne correspond plus à ce que l’on veut et qu’on estime supérieur à ce que l’on a présentement. Nous sommes engagés dans un processus d’évolution positive. Le développement est donc l’acte par lequel on introduit une chose, un pays dans un processus de transformation positive. Ce développement doit s’inscrire dans la durée et avancer d’une manière continue. Ainsi peut- il englober les générations présentes et futures. Beaucoup de pays africains sont à la recherche des modèles de développement durable. On leur propose des définitions qui, la plupart du temps, sont des hypothèses à vérifier. L’on sait ce que valent les hypothèses et les définitions dont nous devons nous méfier. Nous, nous disons que personne ne peut se targuer, aujourd’hui, d’être en mesure de proposer un modèle tout fait aux autres. Pour nous, le modèle des modèles est la nature. Que voyons-nous dans la nature ? Observons-la et tout ce qu’elle contient. En Afrique, nous voyons derrière nos cases des bananiers, des ananas, d’autres arbres fruitiers. Nous avons des noms pour eux dans nos langues. Cela veut dire que nos ancêtres, il y a des centaines d’années, les connaissaient sous la même forme que nous leur connaissons aujourd’hui. Les bananes, les ananas ont gardé leur forme, leur couleur, leur goût d’il y a cent ans. Pourquoi ? C’est parce que nos ancêtres se sont toujours efforcés de respecter leurs conditions naturelles. De ce fait, ils en ont assuré la survie dans leur intégrité. Leur principe : « Si tu veux commander à la nature, apprends d’abord à lui obéir ». Cela vaut pour les plantes, les animaux, les hommes et pour tout ce qui existe. Nous sommes là devant le principe énoncé dans le livre de la Genèse dans la Bible où il est dit au moment où Dieu a créé les plantes, les animaux et l’homme et a mis en eux leur principe de survie, c’est-à-dire leur capacité à se reproduire. On peut lire ceci : « Dieu dit : Voici, je vous donne toute herbe qui porte sa semence sur toute la surface de la terre et tout arbre dont le fruit porte sa semence, ce sera votre nourriture » (Gn 1, 29). En réalité, tout être vivant porte, en lui, sa propre semence, sa capacité de se reproduire. C’est le principe de l’auto-poïèse (du grec « autos » = soi-même, et « poiein » = faire, engendrer) qui veut qu’une espèce se reproduise elle-même pour qu’elle dure dans le temps. Parlons de la nature. Elle est un tout diversifié. Ses différents éléments sont à la fois autonomes et interdépendants. Chacun, malgré les apparences, joue un rôle spécifique indispensable. Il y a donc un équilibre qu’il faut absolument préserver pour garder la santé de la nature, par conséquent la santé de l’homme et des animaux. Les écologistes ont vu juste et ils ont raison de se battre comme ils le font pour la préservation de l’équilibre du monde. Tous les efforts pour le développement doivent tenir compte de cette réalité. Oui, le concept de l’équilibre de la nature est pris en compte aujourd’hui par tout le monde, exprimé par le terme écologie, inventé en 1866 par le biologiste Allemand Ernst Haeckel. Ce terme vient, il faut le préciser, du grec « oikos = maison, domaine et, par extension, ce qui entoure et dont on fait partie » et de « logos = discours, science, savoir, connaissance ». Puis le concept s’est répandu progressivement, à commencer par la France. Et le terme « écologie » semble avoir été utilisé en français vers 1874. Ernst Haeckel définissait ainsi le terme d’écologie : « l’écologie est la science des relations des organismes avec le monde environnant, c’est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d’existence ». Voilà une définition qui nous est proposée, mais évitons de nous y laisser enfermer. Chaque définition est donnée en fonction de l’expérience d’un individu et de son milieu de vie. Nous devons nous aussi énoncer notre définition qui intègre nos milieux. Nous en proposerons une plus loin qui corresponde à notre situation spécifique. 1. Le développement durable au Gabon ? Des lacunes cependant. A côté de ces énormes atouts, nous avons malheureusement de graves lacunes dont il faut prendre conscience et contre lesquelles il faut lutter. Nous devons d’abord nous convaincre que pour réussir quelque chose, il faut des efforts. Le laxisme dans lequel nous vivons a fait perdre tout sens de l’effort. On veut tout avoir sans rien faire. On évite les efforts tant au niveau intellectuel que physique. On ne se soucie guère du lendemain, on vit au jour le jour. Tout le monde veut vivre en ville ; nos villages qui devraient être les points de départ de notre développement sont abandonnés. Il y a, à notre avis, un moyen très efficace pour enrayer le laxisme et pour donner le sens de l’effort. Il faudrait simplement rendre le service militaire obligatoire pour tous les jeunes garçons et filles. L’application de ce principe doit être mûrement réfléchie avant de prendre des décisions. Une décision prise à la va vite produire le contraire de ce qu’elle veut promouvoir. Il faut savoir à quel âge on doit faire ce service. Il faut en avoir les structures dans toutes les provinces. Il faut prévoir les activités et les études à faire. Penser aux activités agricoles prioritairement ; penser également à certains métiers pour des cadres moyens : électriciens, bâtiments, plomberies, mécaniciens, couture, éducation spécialisée, préparation de certains examens, la pêche, la menuiserie. Il faut évidemment prévoir un budget conséquent. Il s’agit là d’un investissement pour le pays. On pourrait facilement avoir des aides internationales, soit par des coopérants, soit par des subventions. Les pays développés n’attendent que cela. Comme lacune, nous avons aussi l’esprit fétichiste et certains cultes secrets. A notre avis, il n’y a rien de tel pour tuer l’intelligence d’un peuple. On s’illusionne des visions d’un au-delà sans consistance. On aliène son intelligence avec de prétendues révélations. Dès lors, on ne réfléchit plus. Si on a des problèmes, on va chez des charlatans qui donnent des directives auxquelles il faut se soumettre aveuglément. Certains mettent totalement leur vie entre les mains de ces devins commerçants. Le Gabon, depuis quelques années, est devenu une terre de prédilection pour ces vendeurs d’illusions. Tout cela empêche d’émerger. Une certaine conception de la nature est également un obstacle au développement. Il ne faut pas oublier que le développement est, à un certain niveau, une agression contre la nature. Mais il faut avoir une conception de la nature qui permette de l’agresser, nous voulons dire la transformer. Il est donc nécessaire de la séculariser. La nature a des lois dans son fonctionnement, certes, mais elle n’est pas une déesse que l’on vénère. Or nous en sommes encore au point où, dans certains cas, des gens voient des esprits partout et, de ce fait, n’entendent pas soumettre la nature qui ne demande qu’à être à notre service. La peur superstitieuse des éléments de la nature nous empêche de remuer la terre et de progresser. Certains arbres sont des habitats des esprits, certaines portions de terre sont intouchables parce que, soi-disant, les esprits y habitent. A ceux qui en sont encore là, nous conseillons de lire le premier chapitre de la Genèse qui commence par une sécularisation du monde. L’auteur du texte disqualifie les dieux auxquels croyaient les gens de son époque. Il s’agit des dieux : ciel (hachamayim = dieu païen), terre (haarets = dieu païen), lumière (‘ôr = dieu païen), luminaires- étoiles (m’erot = dieux païens), soleil (hamm’ôr haggadol = dieu païen) (Gn 1, 1-17). Dieu établit l’homme comme chef de toute la création, y compris de tous ces dieux païens. L’homme peut donc prendre des initiatives dans la nature, mais il est tenu évidemment de respecter les lois que Dieu y a mises. Cependant le poids de nos atouts est plus important que celui de nos lacunes que nous pouvons, avec une sensibilisation suivie, combler assez rapidement. Et nous avons des gens pour faire ce travail, à condition d’accepter que tout le monde participe à la mise en place d’un processus irréversible vers le développement durable. Les prêtres, les religieux, religieuses, les pasteurs et les imams seraient tout à fait disposés à apporter leur contribution à la construction du pays. Le Gabon est capable d’impulser un développement durable en passant par plusieurs étapes : a) L’acquisition d’une nouvelle mentalité. La première étape de notre développement commence par l’acquisition d’une nouvelle mentalité. Or celle qui sévit au Gabon est marquée par l’individualisme, à tel point que les Gabonais sont devenus incapables de faire quelque chose de durable ensemble. S’ils se mettent ensemble, chacun cherche à tromper l’autre. Ce n’est pas pour rien que certains se donnent le surnom de tortue. Par là, on dit en clair que l’on veut rouler les autres dans la farine. Personne ne veut le succès de l’autre. On s’imagine qu’on peut réussir tout seul. Le principe du chacun pour soi règne en maître. Mais le développement exige un minimum de solidarité. Chacun doit être convaincu qu’il ne peut véritablement réussir qu’avec les autres. Les pays développés sont ceux dont les citoyens savent travailler en équipe, qui ont compris que la solidarité est nécessaire pour avancer et vaincre vite. Dès lors, on peut dire que la mentalité générale des Gabonais est anti-développement. Au Gabon, lorsque quelqu’un commence quelque chose, les autres se disent tout de suite, il faut l’empêcher de réussir, il se prend pour qui ? Il faut qu’il échoue. Posons-lui des obstacles, d’autant plus d’ailleurs qu’il n’est pas de chez nous. Et s’il est de chez nous, il va se croire supérieur à nous s’il réussit. b) Un système éducatif et sanitaire moderne. La deuxième étape est la mise en place d’un système éducatif et sanitaire moderne. On ne dira jamais assez l’importance de la formation des intelligences et de la santé des citoyens. Ces deux points doivent constituer une obsession pour l’Exécutif de notre pays. Il faut que l’Etat y mette beaucoup de moyens. C’est le meilleur investissement que nous puissions faire aujourd’hui ; il est plus important que ceux que nous faisons dans le pétrole et dans tous les autres secteurs. Nous avons besoin des hommes et des femmes bien formés dans les différents domaines d’activité humaine : sciences, économie, communication, technologies nouvelles, à toutes les connaissances modernes. Il faut connaître pour agir. Nous devons mener un combat sans merci à l’ignorance qui est en train de gagner du terrain dans notre pays. Il suffit de discuter avec les gens pour se rendre compte de leur manque de formation. Pour concevoir des projets solides, il faut une bonne formation intellectuelle, basée sur une véritable initiation à la recherche. Nous devons dépasser le stade de la répétition des inventions des autres pour développer les nôtres, adaptées à notre situation et à notre pays. Pour réussir, nous avons besoin des jeunes, hommes et femmes, en bonne santé, en grand nombre. Le travail est plus facile et avance vite quand on est ensemble. C’est dans cette optique qu’il faut mettre en place une politique de la natalité. Il nous faut beaucoup de jeunes qui travaillent. Nous constatons, malheureusement, aujourd’hui, que beaucoup d’entre eux sont malades et vont mourir dans des délais assez courts. Regardons la page nécrologique du journal « L’Union » pour nous en convaincre. Nous ne voulons pas que les plus âgés meurent, mais nous faisons un simple constat : les jeunes meurent le plus actuellement ; ils laissent derrière eux des veuves et des enfants qui sont souvent soumis à de mauvais traitements. Ces derniers en sont traumatisés et déstabilisés. Au point que leur avenir en est compromis. Beaucoup d’entre eux se découragent et perdent le goût de la vie. c) Connaissance de l’écosystème. La troisième étape est une connaissance approfondie de notre environnement. Pendant longtemps, les hommes, ne se sont pas préoccupés de l’impact de leur activité sur la planète. Dans les pays développés, ils ont construit leur prospérité économique sur une utilisation intensive des ressources naturelles, sur une pollution accrue et sur la disparition de nombreuses espèces animales et végétales. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de la nécessité de tenir compte de l’environnement, c’est-à-dire de l’équilibre de notre maison « terre » et de tout notre cosmos. Si bien que l’écologie est, aujourd’hui, une préoccupation de tous. Nous nous arrêtons sur l’écosystème qui est une unité fondamentale d’étude de l’écologie, formée par l’association d’une communauté d’espèces vivantes, la biocénose et d’un environnement physique, le biotope, en constante interaction. Il s’agit là donc d’un ensemble équilibré, autonome stable et complexe. Expliquons : un ensemble est un tout identifié ; autonome, ayant une existence et des lois propres ; stable : reste toujours le même ; complexe : est composé de plusieurs éléments associés, jouant chacun un rôle spécifique. Dans cet ensemble, tous les éléments sont interactifs, si on introduit un changement dans l’un, les autres en sont nécessairement affectés. La connaissance de la nature et de son fonctionnement est nécessaire pour mettre en place un système de développement durable. La nature est organisée. Elle a le devoir de nous nourrir et elle le sait, mais à condition que nous nous soumettions à ses lois qui admettent rarement des exceptions. Nous ne pouvons pas impunément passer outre ses lois aussi bien en milieu biotique (vivant) qu’en milieu abiotique (non vivant). Pour illustrer cela, nous proposons un schéma. ECOSYSTEME 1 BIOTOPE 2 Biotique Abiotique Le domaine des Le domaine des vivants non vivants : - L’eau BIOCENOSE - L’air - Le sol Communauté de vie des Espèces vivantes - La température - La lumière Animales Végétales Interactions Faune Bactéries Interactions permanentes Flore Microbes Rappelons qu’un écosystème est un ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement géologique, édaphique (du grec edaphos = sol), hydraulique, climatique. C’est un système naturel qui naît, se développe et meurt. Il est caractérisé par un équilibre et par une évolution au cours de laquelle il s’adapte. Il a une capacité d’autorégulation et d’épuration. Notre schéma comporte deux cercles ovales numérotés. Le numéro 1 marque l’ensemble d’un écosystème, à l’intérieur duquel on trouve la faune, la flore, les bactéries et les microbes. Le cercle à l’intérieur du 1, portant le numéro 2, est celui qui délimite le Biotope, milieu de vie, divisé en deux parties, l’une, le domaine des vivants, la biotique où on trouve l’espace des Biocénoses communauté de vie des espèces vivantes, dans lesquelles les espèces vivantes forment des communautés ; elles sont animales ou végétales. Il faut rappeler que, dans le monde des vivants, on trouve plusieurs biocénoses. Le Biotope a une autre partie dite abiotique, le domaine des non vivants ; il s’agit surtout des cinq éléments indispensables à la vie que l’on trouve à des niveaux variables dans tous les biotopes. Ce sont : L’eau. Nous prenons l’eau au sens strict comme un élément indispensable à la vie. La vie ne peut se développer sans eau. L’élément pour le biotope sera la mesure de la pluviométrie. La quantité d’eau et la régularité des précipitations seront les éléments clés. L’eau va permettre de classer les biotopes des plus désertiques aux pus humides. Les conditions de vie ne seront pas les mêmes dans un biotope désertique que dans un biotope saturé à 90% d’humidité. On ne trouve pas la même végétation dans un biotope désertique que dans un biotope humide. Le sol. Le sol est le support sur lequel poussent les plantes et la matière organique à partir de laquelle elles fabriquent de la matière vivante. Il existe différentes sortes de surface de sols : elles sont rocheuses, herbeuses, broussailleuses et d’autres sont desséchées. Le type de sol en surface joue un rôle important dans l’enracinement des plantes et donc sur le type de plantes qui pourront s’y adapter. L’air. L’air est la ressource en oxygène et en gaz carbonique des espèces vivantes. La qualité de l’air varie d’un endroit à un autre. Les zones élevées comme les montagnes sont pauvres en oxygène et on y trouve des plantes et des animaux bien spécifiques. Le gaz carbonique est important aussi pour la photosynthèse des plantes. La lumière et la température . La lumière permet la photosynthèse dont les pantes ont besoin pour produire la matière vivante nécessaire à son développement. L’exposition de la terre à la lumière varie selon les zones géographiques. L’on sait également que la température joue un rôle considérable dans le développement des plantes. A l’intérieur de chaque écosystème, il y a, à tous les niveaux, des interactions permanentes omnidirectionnelles entre les zones biotiques et les zones es abiotiques. Nous l’avons représenté cela par une flèche indiquant les interactions et par une ligne en pointillé pour marquer les secteurs biotique et abiotique. Il en est ainsi pour tous les écosystèmes. De sorte que tout est en équilibre stable. C’est dans celui-ci que vivent et se perpétuent tous les êtres dans les domaines biotique et abiotique. Comme, on peut le constater, la première loi de la nature est celle de l’équilibre. Si celui-ci est rompu en un point, tout le système en est nécessairement affecté. Intervient, ici, la notion de prédateur. Un prédateur est un organisme vivant qui met à mort des proies pour s’en nourrir ou pour alimenter sa progéniture. La prédation est très courante dans la nature. Les prédateurs y jouent un rôle essentiel dans le maintien des équilibres écologiques. La prédation est différente de la nécrophagie qui consiste à se nourrir d’un animal déjà mort, ou du parasitisme qui, en général, ne requiert pas la mort de l’animal consommé. Voilà le fondement du développement durable. L’on comprend pourquoi il est important de connaître l’écosystème dans lequel on se trouve au moins de manière empirique et l’on peut, par la suite, s’efforcer de le connaître scientifiquement. A partir de là, nous pouvons donner non pas une définition du développement durable, mais la condition pour qu’un développement soit durable. Nous disons qu’il est une transformation d’une réalité, quelle qu’elle soit, d’un état d’existence à un autre meilleur, dans le respect de tous les équilibres de la nature. Combien d’écosystèmes y a-t-il ? On en distingue habituellement quatre : trois, au niveau terrestre, et un aquatique : - L’ensemble de la forêt : 1/3 de la surface émergée, représente une forte biomasse et une forte productivité. La production totale des forêts correspond à la moitié de la production primaire. - Les savanes, prairies et marais, 1/3 de la surface émergée, représente une faible biomasse, mais une bonne productivité. Ces écosystèmes représentent la majeure partie de ce qui nourrit l’espèce humaine. - Les écosystèmes terrestres extrêmes, les déserts, les, prairies alpines, steppes, 1/3 de la surface émergée, ont une biomasse et une productivité très faibles. - Enfin, les écosystèmes marins et d’eau douce, 3/4 de la surface totale, représentent une très faible biomasse, en dehors des zones côtières. Il nous paraît nécessaire de donner quelques précisions sur la biomasse. En écologie, la biomasse est la quantité totale de matière (masse) de toutes les espèces vivantes présentes dans un milieu naturel donné. En énergie, la biomasse regroupe l’ensemble des matières organiques pouvant générer des sources d’énergie. Les deux acceptions nous intéressent bien évidemment. 2. Nos atouts. Toutes les précisions que nous venons de donner étaient nécessaires pour envisager valablement un projet de développement durable. Nous pouvons nous engager sur cette voie, nous pouvons y réussir, car nous avions de nombreux atouts pour cela. a) Nos traditions. Nos atouts sont d’abord nos cultures qui contiennent les savoirs dont nous avons besoin pour un décollage économique endogène. Elles ont des techniques, des sagesses, des langues, véhicules de nombreuses connaissances. Grâce à ce potentiel, elles ont survécu aux nombreuses difficultés intérieures et extérieures qu’elles ont rencontrées à travers le temps et l’espace. Le domaine agricole peut être un excellent point de départ. Nos ancêtres avaient des pratiques agricoles solides, adaptées à leur milieu de vie. Ils ont su conserver les semences à travers des siècles. Les semences étaient gardées dans des greniers faits des cœurs de bambou de palmier raphia (angoun), dans des claies (mekang) ou dans des boîtes faites d’écorces d’arbre (andôm). Tout était conservé à la température des cuisines, environ 25°. Ils avaient une philosophie qui voulait qu’on ne consomme rien jusqu’à épuisement. Contrairement à ce qu’on croit, les pratiques de nos ancêtres étaient basées sur des analyses scientifiques qui n’étaient malheureusement pas écrites. Nous avons à découvrir leur scientificité. b) Notre organisation traditionnelle. Notre organisation traditionnelle est à revisiter. Nous avions le principe de la solidarité. Personne ne se considérait seul comme un électron libre. Chacun était intégré dans une famille, dans un clan où il avait un rôle à jouer. Il partageait avec les autres ce qu’il avait et les autres en faisaient autant. Les travaux les plus pénibles se faisaient toujours en équipe. Les fang appelaient cela « ékama ». S’il s’agissait des plantations, on allait à l’une, ensemble, pour aller ensuite à une autre. Ainsi le travail se faisait-il bien. Pourquoi équipe ? Parce que chacun avait une expérience du travail des champs. On mettait toutes es expériences ensemble. C’est dire que le travail d’équipe recherchait l’efficacité. c) Nos moyens financiers. Le Gabon a des moyens financiers énormes, tout le monde en convient. En ce qui concerne l’agriculture, on peut faire beaucoup de choses avec des méthodes nouvelles. Nous pourrions attribuer à l’agriculture un fort pourcentage du budget, pendant quelques années, qui seraient utilisé pour la formation et pour le lancement des plantations pilotes, pour dégager les espaces qui doivent servir pour les activités agricoles. Il suffit que le Gouvernement en décide. A ce niveau, nous croyons que tout est possible. d) Nos Ingénieurs. Nos ingénieurs agronomes sont à peu près actuellement une centaine. Ils sont très compétents. Nous avons pu nous en rendre compte, lors de notre passage à la tête du ministère de l’agriculture. Ils connaissent bien nos plantes traditionnelles pour les avoir étudiées. Ils sont capables de faire de la recherche, à condition qu’on leur en donne les moyens. Ils savent comment nos plantes traditionnelles se sont adaptées à notre environnement pour être cultivées tous les ans. Leurs connaissances ne sont pas que livresques. Ils ont été sur le terrain. Ils ont étudié notre sol et savent ses capacités de production. Nous avons entendu, à maintes reprises, des critiques contre eux. Nous pensons que c’est injuste. Nos ingénieurs ne demandent qu’à travailler sur le terrain. Malheureusement, on les enferme dans les bureaux où ils se tournent les pouces. Un ingénieur agronome, aiment-ils dire, doit être sur le terrain. C’est là qu’il est heureux. Quand nous étions à la tête du ministère de l’agriculture, nous nous sommes efforcés de lancer tous les ingénieurs sur le terrain. Ils en étaient heureux. Nous sommes convaincus qu’ils sont capables d’engager une vraie révolution agricole dans notre pays. e) Notre sol. Notre sol est fertile. Il n’attend qu’à être mis en valeur. J’ai fait le tour du Gabon et j’ai pu repérer la richesse de notre pays en matière de sol. Dans toutes les neuf provinces, il y a des sols extraordinaires. L’on peut citer les sites les plus remarquables : Ntoum (G1), Léconi (G2), Makouké (G3), Mbigou (G4), Moabi (G5), Mékambo (G6), Pana (G7), Ndougou (G8), Medouneu (G9). Il y a beaucoup d’autres endroits où on trouve des sols exceptionnels sur lesquels on peut engager une agriculture durable. Ce secteur est, à notre avis, le plus urgent, car il s’agit de l’alimentation des Gabonais. 3. Un développement durable est possible au Gabon. Au vu de tous ces atouts, nous disons que le développement durable est possible au Gabon. Comment ? Partons de nos techniques traditionnelles, même si elles nous paraissent obsolètes. Il faut que tout le monde soit convaincu que nous ne pouvons progresser qu’à partir de notre patrimoine. Nous ne le pouvons pas à partir d’un patrimoine étranger. Personne ne voit la Chine se développer au niveau agricole avec une céréale autre que le riz. Cela ne vient pas à l’idée de qui que ce soit. Ce que font les autres, ils le réalisent à partir de leur patrimoine. Nous devons déceler la philosophie de nos ancêtres. Ce que nous y trouvons est le résultat d’une évolution. Il nous faut voir comment et dans quel esprit cette évolution s’est faite. Nous devons en percevoir les intuitions fondamentales. Nous sommes comme cette femme qui va à la pêche. Elle a besoin d’un panier dans lequel elle va mettre le poisson. L’efficacité de son panier va reposer sur le fait qu’il a un fond sans lequel tout le poisson péché va retomber dans l’eau. On peut se demander si nous ne sommes pas dans le cas d’un panier qui n’a pas de fond. Regardons les faits. Nos parents avaient une production pour leur famille, leur clan ou parfois pour la région où ils habitaient. Ils produisaient dans tous les domaines. Ces productions avaient différentes valeurs : - Affectives : bijoux, perles, coquillages. - Religieuses : masques, statuettes biere, amulettes. - Commerciales : ékpela, alo kama. - guerrières : fusils, - artistiques : coiffures, tatouages. - techniques : houes, haches, machettes, lances, pièges (ékoure, vian, atu luè, élong, mbong, tsoghe). - alimentaires : folong, menyene, lome, file, mekola, ékurban, mekagha, bingos, nzôm, mvume, nzong, akelenges. : manioc, bananes, tarots, patates douces, épinards domestiques et sauvages, arachides, maïs, ignames, feuilles de manioc. - Vestimentaires : nkpam (culotte à l’égyptienne). - ludiques : tam-tam, tambours, bibam, ngue, ékoh. - musicales : tam-tam, tambour, arc, mvet, odzamgana, kpopko, ngoma, mendzang, élong, mbè, ntsam’ateba, ten (haut-parleur), nlakh, obem (musique aquatique), obaka. Dans tous les domaines, le principe de l’équilibre était de rigueur. On voulait satisfaire tous les besoins de la communauté. On en respectait l’équilibre. Pas de manque, pas de surplus non plus. On produisait toujours en quantité suffisante, selon les besoins de la communauté. On avait prévu le principe du partage dans ce sens pour éviter les inconvénients d’une surproduction. On tenait à la conservation des espèces. Il fallait éviter que celles-ci ne se transforment en d’autres espèces dont on ne serait pas sûr de la valeur nutritive. Les règles de conservation et de santé des espèces étaient strictes. La preuve en est que les espèces ont été conservées intactes à travers les siècles : mêmes aspects physiques, mêmes goûts, mêmes conditions de production. Quelles graines étaient choisies pour la conservation ? Les prémices. La seule méthode de conservation, semble-t-il, était celle par la chaleur ; On conservait ainsi les céréales : maïs, arachides, les graines de concombre, etc. On prenait les prémices que l’on conservait comme la semence pour l’année suivante ; on la mettait dans les greniers des cuisines à une température constante, 25° environ. Il fallait les protéger contre l’humidité pour éviter qu’elles ne germent. Pourquoi les prémices ? On considérait cellesci comme plus résistantes, car elles étaient les premiers jets de la force du grain qui a germé. Le développement durable est possible au Gabon, disons-nous. Mais il ne de fera pas seul ni avec d’autres que nous-mêmes. Nous devons en être les premiers artisans. Il prendra forme à partir de nos méthodes traditionnelles. Il est nécessaire que nous menions des recherches approfondies. Il faut connaître toutes les techniques ancestrales, même archaïques. En approfondissant, nous finirons par découvrir des signes qui nous ouvrent les portes de l’avenir. La pensée est au-dessus du temps et de l’espace. Elle demeure toujours avec sa force, même si les contextes dans lesquels elle s’est manifestée la relativisent. Pourquoi donnons-nous plus de valeur à la pensée d’Aristote et à celles des autres philosophes grecs qui, en bien des points, sont désuètes et pas à celles de nos ancêtres ? Dans chaque pensée, il faut percevoir l’intuition originelle pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur. Cette recherche doit être systématique dans tous les domaines de la vie : agriculture, travail du fer, techniques de chasses et de pêche, division du travail, mathématiques, philosophie, techniques de construction, médecine, orientation dans la forêt, religion, éducation, les moyens de chasse, les ustensiles domestiques, les techniques de guerre etc. etc. Nos ancêtres avaient pour but de résoudre leurs problèmes en leur temps, nous avons à résoudre les nôtres. Il est nécessaire de nous approprier tout cela, comme d’ailleurs nous devons nous approprier les techniques modernes et mener des recherches sur elles dans le but de les contextualiser. C’est la recherche qui nous mènera à une compréhension scientifique des choses de notre vie. Cette compréhension nous fait dépasser les phénomènes que nous connaissons aujourd’hui, et nous faire parvenir à des innovations. Un développement sans innovations intégrées n’en est pas un. Méthode de travail. La recherche sur notre patrimoine ne peut se faire efficacement qu’en équipe avec des hommes et des femmes déterminés à arriver à des résultats probants avec des méthodes adaptées à notre environnement culturel. Notre patrimoine comporte bien des pratiques, dans tous les domaines, pratiques qui n’ont pu durer que dans la mesure où leur efficacité a été reconnue par tous. Pour arriver à des découvertes intéressantes, nous préconisons le plan suivant : - Faire un inventaire aussi exhaustif que possible de nos pratiques dans tous les domaines au cours de notre histoire. Nous savons qu’elles n’ont résisté au temps que dans la mesure où leur efficacité a été dûment constatée. - Déceler les besoins que l’on a voulu satisfaire afin d’en comprendre les bienfondés. Ce faisant, nous devons éviter de comparer avec des pratiques extérieures nées dans un contexte historique et culturel différent. - Voir si les besoins visés ont été effectivement satisfaits. Nos ancêtres étaient pragmatiques, ils ne gardaient pas quelque chose qui leur était inutile. - Chercher si nous n’avons pas aussi ces besoins et étudier comment les satisfaire à notre manière, à notre époque. Il est fort possible que certaines pratiques puissent être contextualisées et contribuées à des innovations. Ce plan permet de découvrir à la fois nos pratiques ancestrales et de les intégrer dans notre histoire. Cet effort est une nécessité pour nous. Les trois priorités pour démarrer notre processus de développement durable sont : les routes, l’eau et l’électricité. 1. Les routes. La nécessité des routes pour un développement durable n’est pas à démontrer. Nous constatons que beaucoup de régions de notre pays sont encore enclavées ; il est impossible d’établir entre leurs habitants des liens de solidarité agissante. Il est nécessaire que les idées circulent dans tout le pays, que tout le monde en soit informé en temps réel. Ainsi peuvent-elles mûrir, se développer et devenir productives. La communication dans un pays est un facteur important pour son développement. Les cinq grands axes prioritaires sont : - Libreville-Franceville par Lastourville et Koulamoutou. - Libreville-Bitam par Medouneu. - Libreville-Mayoumba par Tchibanga. - Libreville-Malinga par Mouila. - Libreville-Okondja par Makokou. Nous avons parcouru ces cinq grands axes plus de quatre fois. Nous nous sommes rendu compte de leur importance. Chacun d’eux recèle des richesses minières, culturelles, agricoles remarquables. L’effort à faire est de les rendre carrossable 12/12, même s’ils ne sont pas encore bitumés. A cet égard, pour être efficace, il faut se fixer un nombre de kilomètres à construire par an. 2. L’eau. L’eau est le deuxième élément dont nous avons besoin pour en asseoir un développement durable. Comme chacun sait, l’eau est indispensable à toute vie qu’elle soit animale ou végétale, tout être vivant est composé en moyenne de 80% d’eau, certains beaucoup plus comme les méduses qui contiennent 95 à 98 % d’eau et d’autres, au contraire, moins telles les graines qui n’ont que 5 à 15% d’eau. Notre corps contient 2/3 d’eau, notre sang est composé de 90% d’eau. Chaque jour nous perdons environ 2 litres d’eau qu’il faut reconstituer. En mangeant, nous absorbons aussi de l’eau sans le savoir, car beaucoup d’aliments contiennent de l’eau. Exemples : un épi de maïs contient 70% d’eau, une tomate mûre, 95 à 98 %, du poisson, 70%. Cela ne nous empêche pas de boire encore de l’eau tout au long de la journée. L’eau est très importante pour notre vie. Mais elle peut aussi véhiculer notre mort, car elle peut contenir divers « habitants » qui peuvent infecter l’organisme. Il s’agit notamment : - des matières solides, d’origine organique, qui altèrent la transparence et la couleur de l’eau. - Des matières dissoutes, d’origine organique et minérale, qui changent le goût de l’eau. - Des matières organiques biodégradables (protides, lipides, glucides) qui obligent l’eau à produire plus d’oxygène pour les éliminer. - Des matières résultant de la pollution agricole ou industrielle telles les nitrates, l’ammoniac, de pesticides et des hydrocarbures. - Des bactéries, des virus et des parasites qui font des ravages sous les tropiques. Il est indispensable que l’Etat s’organise assez rapidement pour que les citoyens aient de l’eau potable partout. Pour cela, il faudrait, à notre avis, décider d’une nouvelle organisation administrative du pays. Nous en proposons une. Ce n’est qu’ainsi qu’on peut organiser une économie durable dont la base serait les productions villageoises. LE GABON DES CINQ REGIONS MOYEN OGOOUE G3 HAUT OGOOUE G 2 OGOOUE MARITIME G 8 OGOOUE LOLO G 7 ESTUAIRE G1 NGOUNIE G4 WOLEU-NTEM G 9 NYANGA G5 OGOOUE IVINDO G 6 VILLAGES REGROUPES ET DEVELOPPEMENT DURABLE Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Routes Eau Electricité RTV Possibilité de jumelage entre villages REGION ET DEVELOPPEMENT DURABLE REGION 1 Commune Commune Rurale 2 Commune Rurale Rurale DEUX POLES DE DEVELOPPEMENT PAR REGION A chacun de ces grands villages rénovés, il faudrait naturellement fournir de l’eau potable en grande quantité. On pense tout de suite à des forages et à l’énergie solaire. Nous pensons qu’à ce stade de notre évolution, l’hydraulique villageoise ne peut être la solution, si l’on pense à installer quelques petites industries. Il faut envisager des solutions durables. Nous sommes pour les petits barrages. Nous pourrions trouver des solutions dans ce domaine au Canada. Il faut arriver au système des robinets dans les maisons, quitte à ce que le Gouvernement consente un effort pour la reconstruction des villages, même en planche. Nous sommes un pays de bois. Nous ne pouvons laisser les gens habiter des huttes à longueur de vie. 3. L’électricité. L’électricité est actuellement le moteur de tout développement. On peut dire qu’elle est une énergie miracle. Elle est présente partout, autrement dit, elle au centre de tout développement. Parler de développement à quelqu’un qui n’a pas d’électricité chez lui n’a pas beaucoup de sens. Avec l’électricité, on assure sa sécurité physique, alimentaire, développement. Grâce à l’électricité, on gère sa maison (instruments ménagers), grâce à l’électricité, on peut être en communication avec le monde entier par la radio, la télévision, l’Internet, grâce à l’électricité, on peut organiser ses loisirs (cinéma, spectacles culturels) etc., etc. Nous sommes sous l’Equateur, nous pouvons utiliser la lumière du soleil qui est la première source d’énergie des écosystèmes terrestres. Elle contrôle les cycles écogéobiologiques et le stockage du carbone. Elle joue aussi un rôle important en entretenant la couche d’ozone et en limitant la pollution des microbes sensibles aux ultra-violets ou à l’infrarouge. L’électrification des zones rurales est très urgente pour le développement de notre pays. Cela n’est pas encore bien compris. Parler d’un développement durable sans électrification des villages, c’est comme parler d’un cycliste qui n’a pas de jambes. Personne ne peut croire à notre volonté de développement au regard de l’état de nos villages mal construits, sans lumière et dépeuplés. Avoir l’électricité dans les villages est une libération pour les villageois. Gens. Avec elle, ils ont la possibilité d’organiser de petites industries qui peuvent leur permettre de vivre normalement. Apparemment, au Gabon, on stagne en ville comme en zones rurales. Aucune statistique fiable n’est donnée. On navigue à vue. On est dans du à peu près. Libreville ne fait que s’étendre, et il ne semble pas qu’il y ait un plan d’électrification précis. On n’a pas encore compris que l’électrification des villages est un investissement à long terme qu’il faut faire le plus rapidement possible. Je sais, moi, que les plus imaginatifs parmi les habitants des villages, surtout les enfants, sont capables d’inventer des choses au niveau de l’éclairage, de la communication et des instruments agricoles. En tout cas, depuis plusieurs années, des gens du Woleu-Ntem me disent toujours : « Mba-Abessole, si vous nous donnez l’eau et l’électricité, nous vous promettons des miracles (biyegyegha bi mam) ». On peut en dire autant dans les autres provinces. Qu’attendons-nous pour démarrer ? Il faut agir. AGIR. Nous passons notre temps à attendre, on ne sait qui. Personne d’extérieur ne viendra faire à notre place ce que nous devons réaliser pour notre pays. Démarrons donc ! Démarrer veut dire se libérer des liens avec lesquels on est attaché. Ces liens peuvent être de toute nature. Citons : - des idées, de l’argent, des secrets, des ambitions, des maladies, des hommes, des préjugés. Rien de tout cela n’est au-dessus du Gabon. Notre pays doit être organisé en réseaux sociaux où entrent les éléments les plus dynamiques des personnalités homme ou femmes, enfants ou adultes. Nous devons créer un cadre pour asseoir notre développement. Il faut organiser tout l’espace de notre pays, pour qu’il n’y ait pas de point mort. Nous proposons une organisation qui intègre chacun de nous, quelle que soit son origine culturelle, son âge, sa religion. Le Développement exige une organisation matérielle de l’espace d’action pour arriver à des résultats. = Notre objectif est que les Gabonais vivent aussi bien en ville que dans les zones rurales, avec toutes les commodités modernes. Dans cette optique, nous rejetons l’opposition habituelle entre ville et campagne dont l’Occident a hérité des Grecs. Ces derniers n’ont jamais réfléchi sur ce qui n’était pas urbain. Pour eux, il n’y avait que la ville. Tout était concentré à Athènes où on étudiait, aux côtés de Socrate, de Platon, fondateur de l’Académie en 387 et aux côtés d’Aristote, fondateur du Lycée en 335 Av JC. Ceux qui n’étaient pas de la ville (polis), pour les Grecs, étaient des « barbaroy = des sauvages, des mal dégrossis » et pour les latins, des « pagani = villageois, paysans ; » rusticani = incultes, mal dégrossis, sans éducation ». Nous écartons également le préjugé contre la ville que véhicule la Bible. Nous y voyons la ville naître sous de mauvais auspices : Caïen « Qayin = forgeron », meurtrier de son frère Abel, fut le premier à construire une ville (Gn 4, 17). Le récit sur l’édification de Babel montre la volonté des hommes de prendre la place de Dieu (Gn 11). Les villes de Sodome et Gomorrhe, symboles du péché, sont détruites (Gn 19), etc. Nous refusons enfin le préjugé des fang selon lequel la ville est le lieu de la mort, de la faim, on n’y produit rien, on y fait n’importe quoi, on tue les autres, on se livre au fétichisme, on viole en permanence les interdits familiaux, les valeurs sont renversées : ce qui est mauvais est devenu bon et vice versa. Zwè Nguema traduit bien cela dans son récit de Zong Mindzi mi’Obame, lorsqu’il décrit le village Ewanam. Dans ce village-ville, en effet, les vieux se comportent comme des jeunes, les valeurs de référence sont bafouées. * Libérés de ces préjugés, il faut organiser le Gabon. Si nous voulons installer l’eau et l’électricité dans nos villages, il faut nécessairement poser le problème du logement. L’homme doit être bien logé, car il est le premier élément de l’équilibre écologique. Il lui faut un minimum matériel pour vivre normalement. Un passage biblique nous donne une indication précieuse à ce sujet : « Les premiers besoins de la vie sont l’eau, le pain (artos), le vêtement et une maison (oikos) pour protéger son intimité. Mieux vaut une existence de pauvre à l’abri de son toit, qu’une brillante chère dans la maison d’autrui ». (Si 29, 21-22). Le logement est un problème général au Gabon. La majorité des gens, même ceux qui ont un salaire, sont mal logés et souvent dans des zones insalubres. On ne peut pas se contenter de dire « Laissons le temps au temps ! ». Le temps ne résout aucun problème tant que les hommes ne bougent pas. Si seulement, aujourd’hui, chaque gabonais pouvait bénéficier d’un logement comme ceux que les racistes avaient préparés pour les Noirs à Soweto en Afrique du Sud, au temps de l’apartheid, ce serait déjà un grand pas.