d’autres variables telles que classe sociale, niveau d’instruction, âge, catégorie d’activité"
(ibid.). L’affaire est donc compliquée, et ce sont des "tendances" qui seront dégagées ici.
"De l’interaction de ces variables émergeront des registres masculins et féminins qu’il ne
faudra pas confondre avec les stéréotypes sociaux qui n’ont que trop tendance à occulter
la réalité" (ibid.).
Le détour par l’ethnologie nous amène à considérer des catégories d’analyse utiles, mais
pas transposables trait pour trait. Le tabou est une spécificité des sociétés dites
primitives, il fait l’objet d’une codification très stricte qu’on chercherait en vain dans nos
sociétés. C’est donc au sens large, figuré, qu’on pourra parler de tabous linguistiques (p.
32). Dans cette acception, nous avons effectivement des tabous, "dans la mesure où la
société stigmatise certains mots qui font honte ou qui font peur, vaste domaine de
l’innommable, [...] tout ce qui est connoté péjorativement et que la société polie ne veut
pas entendre, et contre quoi elle se prémunit grâce à l’emploi de l’euphémisme" (ibid.).
Les organes sexuels ("parties honteuses") et la sexualité sont largement concernés, de
même que la mort. " ’Etes-vous mariée ?’, demande le gynécologue pour ne pas dire :
’avez-vous eu des relations sexuelles ?’ " (ibid.)[vi]. Planning familial est "un magnifique
euphémisme bourgeois", centré sur la notion bourgeoise traditionnelle de famille et qui
insite sur le fait d’avoir des enfants. "Le journal Le Monde a contraint Halimi et Beauvoir,
racontant le viol de Djamila Boupacha, à remplacer le mot vagin par ventre" (ibid.).
L’euphémisme est une forme d’hypocrisie, mais pas seulement. "Ainsi, le tabou procède-
t-il essentiellement de la peur ancestrale et profonde enfouie dans l’inconscient des
hommes" (p.33), depuis l’antiquité. L’euphémisme permet de parler de ce qui est
socialement inacceptable, "de façon détournée". Les femmes euphémisent beaucoup "ce
qui touche à la sexualité et aux fonctions corporelles" (ibid.)[vii]. C’est moins vrai pour
les hommes d’une manière générale, mais ils emploient suffisamment de nombreux mots
pour désigner les femmes et les prostituées "pour se dire que se cache quelque part une
profonde peur de la femme" (ibid.).
Se dégagent ici deux manières, sexo-différenciées, de parler de la sexualité. "Toute
situation où les hommes sont entre eux provoque l’adoption d’un registre mâle, d’un
parler mec qui n’est pas pour nos oreilles et encore moins pour nos bouches" (p. 34) en
effet, depuis Freud l’idée communément admise veut que les femmes répugnent à la
grossièreté et à l’injure. Pourquoi ? "Il est indéniable que l’argot et la langue verte sont
de création essentiellement masculine. L’argot définit les intérêts propres aux hommes et
reflète leur vision du monde" (ibid.).
Or cette vision du monde n’est pas neutre. "L’argot sexuel est fortement sexiste. [...]
L’humour obscène est une forme d’agressivité. [...] la femme en est le plus souvent la
cible et la victime." (ibid.). Cela va même au-delà d’une simple agressivité. "Pour Freud,
la plaisanterie de l’homme orientée vers la femme est une sorte de viol : viol verbal
destiné à préparer l’assaut physique, sexuel" (p. 35)[viii].
Les blagues sexistes, en revanche, sont acceptées dans la bouche des femmes, tant que
ce sont celles des hommes. "Il faut noter, par aileurs, que les blagues sexistes sont
tolérées et même encouragées par la société, alors que les anecdotes à caractère raciste
ne le sont pas." (ibid.).
Une étude sur les graffiti a démontré qu’ils sont moins sexistes et moins violents chez les
femmes. On peut en attribuer la cause à un conditionnement depuis l’enfance, une
tolérance zéro envers les filles dans ce domaine.