Les stéréotypes
Les stéréotypes
sont passives, ignorantes, incapables de se débrouiller, désorganisées,
malpropres et difficiles à politiser.
Les insultes sont plus complexes qu’elles n’y paraissent
les mots et les femmes, 1
1 partie
samedi 5 janvier 2002
par Mathieu
DANS LA MEME RUBRIQUE :
LES ARTICLES
MÉDIAS & LANGAGE
Le cran de sureté du sexisme,
Le second degré
Le nu et le puritanisme
Les mots et les femmes 2
Les mots et les femmes 3
Dialogue entre Dieu et sa Fille
Revue de Presse du sexisme
Les droits de réponse auxquels vous avez échappé...
Le discours masculiniste dans les forums de discussion
Féministes contre, ou féministes dans le rap ?
par Mathieu
Il faut d’abord noter que peu de livres ont été écrit en français sur le sexisme dans le
langage. Il est donc crucial que le seul livre approfondi et bien diffusé[i] soit de qualité.
Assurément il l’est.
Marina Yaguello est une linguiste, professeure à l’université Paris 7. Excellente
connaisseuse des ressorts du langage, elle faire montre d’un savoir qui embrasse de
nombreuses langues étrangères. Cette dimension est particulièrement importante pour
nous aider à saisir ce qui tient à la culture française et ce qui est plus largement en
usage dans le monde.
A la fois accessible et précis, c’est à la fois un vrai livre de spécialiste, un vrai livre
militant, tout en restant à la portée de tou-te-s.
La présente fiche de lecture est écrite en 2001, soit 23 ans après la rédaction de
l’ouvrage. Pour bien des raisons on peut considérer qu’il n’a pas vieilli, et que ses
analyses restent d’actualité. Toutefois, le langage a continué d’évoluer durant ces 23
années, et certaines remarques parfaitement valables en 1978 mériteraient aujourd’hui
d’être légèrement relativisées. Sans entrer déjà dans le vif de l’ouvrage, on peut noter la
multiplication actuelle d’insultes centrées sur le sexe de l’homme, ce qui n’était pas le cas
en 1978[ii].
Outre cet ouvrage de synthèse, on doit à Mariuna Yaguello un petit opuscule moins
universitaire dans lequel elle souligne avec humour la connotation de certains mots
français, Le sexe des mots[iii].
Ce livre brosse un tableau complet des différentes formes de sexisme liées au langage.
Thème central dans la création même des Chiennes de garde, il nous a paru important de
ne pas opérer de coupe concernant les domaines abordés, et de conserver un niveau de
détail nécessaire à la bonne compréhension. En contrepartie cette fiche de lecture est
longue, mais riche d’enseignements aussi bien pour les féministes que pour les autres.
L’ouvrage se décompose en 2 parties (12 chapitres au total). La première est consacrée
aux structures du langage et ce qu’elles ont de sexiste, "Langue des hommes, langue des
femmes". La seconde, "L’image des femmes dans la langue", dénonce plutôt des types
d’expressions, des pratiques, des usages de la langue, indépendants des structures de
cette dernière. Plus théorique, la première partie est aussi de ce fait plus intemporelle.
L’ensemble des arguments reposent sur des exemples extrêmement nombreux, puisés
dans des langues très variées, et qui ne seront rapportés ici qu’occasionnellement.
Ce texte est un résumé, seules les notes de bas de page et les commentaires entre
crochets expriment les idées du rédacteur.
Introduction :
M. Yaguello affiche d’emblée sa filiation avec l’un des pères de la sociolinguistique,
William Labov[iv]. Ce dernier a été l’un des tout premiers à mettre en évidence que la
langue n’est pas un tout unifié, mais qu’elle a des variantes certes locales, mais aussi et
surtout sociales. Ces prémisses sont affinées dès les premières lignes :
"La langue est un système symbolique engagé dans des rapports sociaux ; aussi faut-il
rejeter l’idée d’une langue ’neutre’ et souligner les rapports conflictuels." (p.7.)
"Le rapport de l’individu à la langue passe par son rapport à la société." (ibid.)
En premier lieu "la langue est aussi, dans une large mesure (par sa structure ou par le
jeu des connotations ou de la métaphore), un miroir culturel, qui fixe les représentations
symboliques, et se fait l’écho des préjugés et des stéréotypes" (p. 8).
Mais la réflexion doit aller au-delà, et c’est aux Etats-unis, nous dit Yaguello, qu’elle a
commencé avant de trouver écho en France. "Le mérite fondamental des féministes est
d’avoir placé la question des différences entre langue des hommes et langue des femmes
sur le terrain idéologique". "Il apparaît essentiel de mettre l’accent sur la condition
féminine plutôt que sur le sexe, c’est à dire adopter un point de vue social plutôt que
psycho-biologique" (p. 9).
Il y a 2 langues, qui n’ont pas le même statut. "Il faut bien admettre que la langue
commune, la langue dominante, est avant tout celle des hommes, ce qui explique que la
langue des femmes soit perçue comme déviante par rapport à la langue" (p. 10).
Le livre essaie de montrer quelles sont ces langues, celle des femmes et celle des
hommes, et ce qui les différencie.
Mais il va plus loin, puisque Marina Yaguello se reconnaît ouvertement féministe, elle
cherche des solutions. Les enjeux sont à plusieurs niveaux. "Si la langue est sexiste,
peut-on y porter remède ?". Mais encore ? "Suffit-il de supprimer les termes racistes ou
sexistes pour supprime les mentalités sexistes ou racistes ?" (p.11)
Ière partie. Langue des hommes, langue des femmes
Chapitre 1. L’héritage des anthropologues
En 1944, l’anthropologue Paul Furfey "conclut que la langue des hommes peut être un
instrument de domination sur les femmes" (p.15). Il exclue l’Occident de cette
conclusion.
L’anthropologie a relevé que "l’usage de la langue, dans une société archaïque, est
strictement codifié en tant qu’élément de la règle du jeu social. La parole est une forme
d’action, équivaut à l’action." (p.16) C’est notamment ce que traduisent des tabous
linguistiques, qui interdisent tantôt des pans entiers du langage, tantôt certains noms ou
formules. Les anthropologues nous fournissent donc ce constat d’une relation étroite
entre la structuration sociale et le fonctionnement du langage.
Que se passe-t-il en situation d’exogamie ? On apprend la langue maternelle. Mais
ensuite, dans la plupart des sociétés on prend la langue du père, celle de l’espace public.
En tout cas c’est souvent le cas des garçons. [Rappelons que la circulation des femmes
entre tribus et ethnies est un constat fondamental de l’anthropologie. Cf. L’Homme,
2000]
Cette spécialisation linguistique peut atteindre un tel degré que femmes et hommes ne
parlent pas la même langue, au sens propre. Parfois les différences sont "seulement"
phonétiques. Mais les différences les plus nombreuses, car elles concernent un plus
grand nombre de langues, sont les différences lexicales liées au sexe.
Yaguello donne différents exemples de types de différenciation, phonétique, morpho-
syntaxique, etc., qui appuient sa démonstration mais que nous tairons ici. Reste que s’il
existe 2 langues, les situations d’échange existent. "Donc, s’il y a langue réservée, d’un
côté comme de l’autre, ou des deux, il faut qu’il y ait aussi langue commune." (p.29) On
verra plus loin l’enjeu que représente cette langue commune.
Chapitre 2. Du descriptivisme ethno-folklorique à la socio-linguistique
L’observation des sociétés "primitives"[v] révèle des différences très marquées et
clairement délimitées en matière de langage, qui inciteraient à première vue à se dire
qu’il n’existe rien de tel dans nos sociétés occidentales. L’absence de recul par rapport à
notre propre culture est une cause de cette idée fausse. Mais il est vrai toutefois que nos
sociétés sont "historiques", le changement y tient une place importante, et les
différences sont donc moins binaires et moins strictes que dans ces sociétés "exotiques".
De ce fait, "les variantes linguistiques dans nos sociétés seront préférentielles plutôt
qu’exclusives" (p. 31). Car "la variable sexe est inséparable, qu’on le veuille ou non,
d’autres variables telles que classe sociale, niveau d’instruction, âge, catégorie d’activité"
(ibid.). L’affaire est donc compliquée, et ce sont des "tendances" qui seront dégagées ici.
"De l’interaction de ces variables émergeront des registres masculins et féminins qu’il ne
faudra pas confondre avec les stéréotypes sociaux qui n’ont que trop tendance à occulter
la réalité" (ibid.).
Le détour par l’ethnologie nous amène à considérer des catégories d’analyse utiles, mais
pas transposables trait pour trait. Le tabou est une spécificité des sociétés dites
primitives, il fait l’objet d’une codification très stricte qu’on chercherait en vain dans nos
sociétés. C’est donc au sens large, figuré, qu’on pourra parler de tabous linguistiques (p.
32). Dans cette acception, nous avons effectivement des tabous, "dans la mesure où la
société stigmatise certains mots qui font honte ou qui font peur, vaste domaine de
l’innommable, [...] tout ce qui est connoté péjorativement et que la société polie ne veut
pas entendre, et contre quoi elle se prémunit grâce à l’emploi de l’euphémisme" (ibid.).
Les organes sexuels ("parties honteuses") et la sexualité sont largement concernés, de
même que la mort. " ’Etes-vous mariée ?’, demande le gynécologue pour ne pas dire :
’avez-vous eu des relations sexuelles ?’ " (ibid.)[vi]. Planning familial est "un magnifique
euphémisme bourgeois", centré sur la notion bourgeoise traditionnelle de famille et qui
insite sur le fait d’avoir des enfants. "Le journal Le Monde a contraint Halimi et Beauvoir,
racontant le viol de Djamila Boupacha, à remplacer le mot vagin par ventre" (ibid.).
L’euphémisme est une forme d’hypocrisie, mais pas seulement. "Ainsi, le tabou procède-
t-il essentiellement de la peur ancestrale et profonde enfouie dans l’inconscient des
hommes" (p.33), depuis l’antiquité. L’euphémisme permet de parler de ce qui est
socialement inacceptable, "de façon détournée". Les femmes euphémisent beaucoup "ce
qui touche à la sexualité et aux fonctions corporelles" (ibid.)[vii]. C’est moins vrai pour
les hommes d’une manière générale, mais ils emploient suffisamment de nombreux mots
pour désigner les femmes et les prostituées "pour se dire que se cache quelque part une
profonde peur de la femme" (ibid.).
Se dégagent ici deux manières, sexo-différenciées, de parler de la sexualité. "Toute
situation où les hommes sont entre eux provoque l’adoption d’un registre mâle, d’un
parler mec qui n’est pas pour nos oreilles et encore moins pour nos bouches" (p. 34) en
effet, depuis Freud l’idée communément admise veut que les femmes répugnent à la
grossièreté et à l’injure. Pourquoi ? "Il est indéniable que l’argot et la langue verte sont
de création essentiellement masculine. L’argot définit les intérêts propres aux hommes et
reflète leur vision du monde" (ibid.).
Or cette vision du monde n’est pas neutre. "L’argot sexuel est fortement sexiste. [...]
L’humour obscène est une forme d’agressivité. [...] la femme en est le plus souvent la
cible et la victime." (ibid.). Cela va même au-delà d’une simple agressivité. "Pour Freud,
la plaisanterie de l’homme orientée vers la femme est une sorte de viol : viol verbal
destiné à préparer l’assaut physique, sexuel" (p. 35)[viii].
Les blagues sexistes, en revanche, sont acceptées dans la bouche des femmes, tant que
ce sont celles des hommes. "Il faut noter, par aileurs, que les blagues sexistes sont
tolérées et même encouragées par la société, alors que les anecdotes à caractère raciste
ne le sont pas." (ibid.).
Une étude sur les graffiti a démontré qu’ils sont moins sexistes et moins violents chez les
femmes. On peut en attribuer la cause à un conditionnement depuis l’enfance, une
tolérance zéro envers les filles dans ce domaine.
L’euphémisation va plus loin et prend des aspects plus sournois. La politesse imposée
aux femmes les empêche de réclamer ou exprimer ouvertement leur mécontentement.
Elles sont réduites au silence.
Plus polies, moins directes dans leurs expressions, les femmes font aussi généralement
un usage plus correct de la langue. L’hypercorrection grammaticale ou
l’hyperprononciation est nettement plus fréquente chez les femmes. Et cela va de pair
avec des attitudes significatives : "les femmes s’auto-corrigent, s’auto-dénigrent ou
s’idéalisent" (p.36). Toutefois on ne peut pas seulement faire de l’hypercorrection un
inconvénient pour les femmes. Car "depuis les précieuses, cette hypercorrection
correspond à une tentative de prendre la parole" (ibid.).
Le recours à l’euphémisme est donc lié à la politesse, tandis que cette dernière est liée à
une fonction sociale attribuée aux femmes. "Les femmes, en effet, sont dressées à être
des dames. [...] La fonction de cette politesse est de réduire les frictions et les conflits,
de masquer les antagonismes, la désapprobation ou le désaccord. En d’autres termes, la
politesse est liée à l’incapacité de s’affirmer, de dire ouvertement ce que l’on pense, de
réclamer son dû, de donner des ordres." (ibid.)
Enfin, si les femmes sont plus souvent puristes que les hommes, c’est parce que "le
statut social des hommes repose essentiellement sur ce qu’ils font, celui des femmes, sur
leurs apparences."
Chapitre 3. Les éléments de l’interaction verbale.
Le langage n’est pas seulement fait de mots. "L’interaction verbale s’insère dans le cadre
plus large de la communication, à la fois verbale et non verbale. Le code linguistique
fonctionne donc en conjonction avec d’autres codes tels que mimique, code gestuel,
comportement, etc." (p. 47)
Ainsi on ne peut se limiter à l’observation de registres linguistiques, mais ce sont
également des comportements langagiers qu’il faut dégager.
Le fonctionnement de la conversation est très nettement différencié. L’initiative de la
parole dans un groupe mixte échoit aux hommes, de même que dans une conversation
entre deux personnes de sexe opposé. On constate également que les hommes coupent
plus la parole de leur interlocuteur. Ce comportement dominant dans l’échange verbal est
constaté même lorsque les hommes sont minoritaires dans le groupe considéré. Leur
temps de parole est également plus long en moyenne. Ces constats sont d’autant plsu
frappants qu’ils contredisent le stéréotype. (p.48.)
La stigmatisation du prétendu bavardage féminin, irrépressible et insignifiant, est un
stéréotype universel (à l’exception de quelques cultures). Ce qui se résume dans
l’injonction suivante "sois belle et tais-toi".
Pourtant, "la question n’est pas : les femmes sont-elles vraiment bavardes ? Mais plutôt :
pourquoi les hommes trouvent-ils les femmes bavardes ?" (p. 51). En effet les
représentations sont que les femmes "bavardent" (= contenu insignifiant), tandis que les
hommes "discutent" (= contenu sérieux). L’auteure avance que le bavardage serait un
substitut au pouvoir que l’on n’a pas. Mais cela ne suffit pas à expliquer pas le
stéréotype.
D’ailleurs, "fait curieux et significatif, ce qu’on dit des femmes, c’est exactement ce qu’on
dit des Noirs aux USA.... ils parlent, parlent, parlent." (p.52).
1 / 31 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !