LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
caverne. Aristote les distingue d’après la « généralité discursive »
de leurs discours, selon trois degrés d’abstraction : 1) abstraction
empirique de la forme sensible des choses, 2) abstraction
mathématique et 3) l’abstraction du troisième degré, l’abstraction
philosophique, métaphysique dans l’étude de l’être en tant que
tel. Pendant près de 20 siècles ensuite, et aujourd’hui encore,
platoniciens et aristotéliciens s’y référeront et discuteront des
propriétés de ces trois formes de connaissances. Descartes les
passera en revue, les soumettant à l’épreuve de son doute, afin de
parvenir à une vérité première, « ferme et assurée » en l’intuition
que nous avons de notre être personnel conscient.
Kant reprendra aussi cette division tripartite à son compte,
mais dans son souci de montrer la différence de nature entre les
sciences, qui étudient les phénomènes qui nous adviennent par
notre sensibilité d’une part et la philosophie d’autre part,
préoccupée de l’être de l’homme et de ses implications, il
réservera, avec insistance, le terme de « connaissance » pour les
sciences expérimentales et les sciences formelles. Pour que la
philosophie ne soit pas placée dans le « prolongement » et en un
« au-delà extrapolé » de la connaissance expérimentale, en lequel
« au-delà » les caractères de celle-ci seraient simplement projetés
par généralisation — abusive et impuissante —, jusque sur le
plan transcendantal de l’être, il refusa de parler de
« connaissance philosophique ». La philosophie, en ce sens, n’est
pas « un savoir », si par « savoir » nous comprenons une
connaissance a posteriori du même type que celle que nous
avons des choses qui nous « apparaissent », mais qui serait
supposée aller prétendument au-delà de ces apparences. Cette
manière de connaître propre à notre « connaissance des
phénomènes » du monde ne peut en aucune façon nous conduire
jusqu’à la connaissance de leur « être » et donc de l’être en tant
que tel. Pour la « pensée philosophique » qui ne peut en aucun
cas fonctionner selon le modèle de la connaissance des
phénomènes, Kant parlera de « foi rationnelle ». Foi, parce que la
pensée philosophique ne se fonde pas sur une expérience des
sens ; rationnelle parce qu’elle ne dépend pas d’une adhésion à
une révélation, et donc foi rationnelle au sens d’une « certitude
de pensée et de conscience » envers les « conditions a priori » de
notre existence et de notre activité. On comprend fort bien cette
précaution de vocabulaire sous la plume de Kant, dans son effort
pour orienter définitivement la philosophie vers son objet propre,