Fiducialité de la conscience ou de l`essence de la foi

LA « FIDUCIALITE » DE LA CONSCIENCE
OU DE LESSENCE DE LA FOI
Recourir à un néologisme par fidélité
aux exigences dintelligibilité
La multiplicité des significations du verbe « croire » est un
fait linguistique, quelque chose qui « est parlé » et qui est
objectivement dans le vocabulaire de la langue. Voyez nimporte
quel bon dictionnaire ! Cette multiplicité de significations doit
attirer notre attention. Est-elle une aide ou un obstacle pour
comprendre ce que cest que « croire » ?
Toute langue, en tant que forme déterminée de langage, est à
la fois « fille » de la parole et « mère » de paroles, engendrée et
engendrante. Comme partie dune langue, cette multiplicité de
significations du terme « croire » est le fruit dattitudes
« parlantes » culturelles et religieuses, spirituelles et sensibles,
intellectuelles et affectives diverses, en harmonie ou en conflits
entre elles. Comme telle, en tant que fixée dans le langage, elle
incite à reproduire ces mêmes attitudes. Par elle-même cette
multiplicité tendrait donc à se maintenir telle quelle et à
perpétuer en létat toutes les attitudes mentales qui la
soutiennent.
Toutefois parce que les aspirations humaines qui se font jour
dans ces attitudes, et qui, par la parole, sextériorisent dans le
langage, sont animées dune double exigence intérieure : celle
dexpliciter dans sa cohérence la complexité intégrale du réel,
elles entraînent également cette multiplicité de significations des
termes de la foi dans un mouvement de création dintelligibilité.
Cela peut donner naissance à une compréhension et à une
réalisation meilleure de lexistence de foi, laquelle sexprime
déjà, bien quimparfaitement, en ces significations multiples.
Aussi cette multiplicité des significations des termes de la
foi tant dans ses démarches que dans ses contenus peut
être une aide pour progresser dans cette recherche
dintelligibilité, autant quun obstacle, si elle se coupe de ses
sources spirituelles vives qui animent lhomme de lintérieur.
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Au niveau du langage, cette multiplicité (des démarches et des
croyances) est un obstacle pour celui qui amalgame ces
significations ou glisse de lune à lautre en une suite de
sophismes inaperçus, que ce soit pour exalter ou pour combattre
ce quon se représente alors confusément par ces mots « foi »,
« croire », « croyant » et « croyance ». Elle est en revanche une
aide pour qui en tient compte et rapporte ces significations
multiples, les ajustant, les complétant et les approfondissant, à la
complexité humaine spirituelle et rationnelle, en laquelle
sinscrivent nos démarches de foi et nos conduites de croyant.
Au niveau des attitudes spirituelles, cette multiplicité de
significations peut devenir une aide pour lhomme qui, en
philosophe, sinterroge sur lessence de la « foi » en tant que
dimension constitutive de lexistence. En effet, en sinterrogeant
ainsi dans ce contexte, il se distingue de ceux qui, au nom dune
philosophie réductrice, écartent cette interrogation. Cette
multiplicité de significations est en revanche un obstacle pour
lhomme qui, en religion, nest ferme en ses « croyances » que
parce quil sy enferme ; qui saffronte aux autres « révélations »
parce quil sy voit objectivement confronté ; qui tremble devant
la pression de « lorthodoxie doctrinale » de sa communauté et
en même temps craint pour elle.
Cette multiplicité de significations est enfin un obstacle pour
lhomme qui sestime intérieurement menacé par le doute et
lincroyance et donc « coupable », sil cherchait à comprendre ce
que valent ses propres convictions religieuses au regard des
exigences intellectuelles et morales de la conscience humaine.
Aussi ne cherche-t-il pas ou fait-il semblant de chercher !
Pour permettre une clarification des différents sens des
termes touchant la « vie humaine de foi » et en garder les acquis
rationnels, nous proposons de recourir à un néologisme et de
nous servir des termes suivants : « fiducialité ; fiducial ;
fiducialement » et demployer à loccasion le verbe « se fiducier
à » sur le modèle du verbe « se fiancer à ».
Par ces néologismes nous entendons signifier la réalité de la
personne humaine en une activité authentique de « foi »,
lorsquelle « croit » conformément aux exigences de sa nature
spirituelle, cest-à-dire :
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a) en ayant une conscience de plus en plus lucide des
fondements ontologiques dun engagement de foi, de la
possibilité et de lactualisation dun tel engagement ;
b) en se donnant une intelligence critique de la révélation qui
sollicite son adhésion de foi ;
c) en épanouissant une dimension spécifique de sa liberté
personnelle suscitée par linitiative libre du révélateur envers
elle.
Pourquoi un néologisme ? Certes pas par goût de
lhermétisme ! Mais dans lespoir que lusage dun mot nouveau
et de ses dérivés nous permettra de reprendre lanalyse de cette
« activité de foi », constitutive de la nature humaine, sans nous
laisser enfermer dans les limites des problématiques classiques,
mais en en développant au contraire certaines implications qui se
trouvaient malheureusement « bloquées » pour de multiples
raisons philosophiques, sociales et religieuses, psychologiques et
affectives.
Nous parlerons donc de « fiducialité de la conscience
humaine », de « liberté fiduciale », de « croyant fiducial » et de
« croire fiducialement » ces deux expressions ne seraient que
des pléonasmes si les mots « croyant » et « croire » étaient saisis
dans leur pleine intelligibilité réflexive , de « se fiducier à
celui qui se révèle à nous », de « lien fiducial entre le révélateur
et le croyant », de « structure fiduciale de lexistence », etc.
Nous parlerons ainsi parce que nous sommes confrontés aux
problèmes que le fait humain de pouvoir croire et de croire
effectivement pose aux hommes ; même, ou peut-être surtout,
lorsque ce pouvoir sactualise avec maladresse en balbutiant ou
se pervertit, malheureusement, en des doctrines et des conduites
indignes.
Mais si nous ne parlions ainsi que pour reprendre les
solutions traditionnelles, alors nous aurions abusé de la « bonne
foi » de qui nous écoute, car nous ne lui aurions pas permis de
mieux juger « en vérité rationnelle » de sa « foi », de ses qualités
et de ses insuffisances. À Dieu ne plaise !
Mais parce que nous présupposons demblée la bonne foi
chez autrui et laptitude quil a de la « réfléchir », nous lui
demandons de voir en ces termes et expressions, autre chose
quun nouvel habillage pour danciennes idées. Que leffort de
compréhension mérite à chacun un approfondissement de sa
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conscience de croyant et de son devoir moral de « croire
fiducialement ». Que sil est incroyant, quil se dise dabord que
son incroyance la protégé des formes perverties de la foi et quil
sefforce ensuite de découvrir en lui une dimension cachée de
son existence et de son bonheur, si du moins il ne se tient pas
éloigné de la « foi » en raison des exigences éthiques inhérentes à
un tel engagement.
Les incohérences spéculatives quil y a à soustraire la foi à
la raison et à refuser à la raison le pouvoir naturel de croire.
Connaître et croire sont-ils incompatibles en un même acte
de conscience ? Croire est-ce renoncer à connaître pour aller
« au-delà » de la connaissance ? Connaître est-ce cesser de
croire, parce quon a dépassé la foi ? La foi disparaît-elle dans la
perfection de lamour ou au contraire y est-elle alors parfaite ?
Les trois formes de connaissance usuellement reconnues
Lorsque lon parle de « connaissance », les hommes
entendent spontanément et en premier lieu la connaissance du
monde des choses et des corps : la connaissance empirique
dabord, qui sefforce de décrire le plus précisément possible nos
perceptions de ce monde extérieur et la connaissance scientifique
ensuite, méthodologiquement élaborée, qui sactualise dans
toutes les sciences modernes de la matière inanimée, de la
matière vivante, et dans les sciences de lhomme en ses
conduites observables.
Après cette forme de connaissance objective et expérimen-
tale, dont les résultats saffirment massivement devant nos yeux,
les hommes retiennent en second lieu la « connaissance
formelle », la logique et la mathématique, et en troisième lieu la
« connaissance philosophique », dessence réflexive, en vertu de
laquelle nous cherchons obstinément à nous connaître nous-
mêmes comme « sujet de nos actes », sujet même et auteur de
nos savoirs objectif et formel.
Il est « classique » de reconnaître ces trois formes de
connaissance, et seulement ces trois formes, comme
« rationnelles ». Platon les expose dans létude des trois sections
« réalistes » de la ligne divisée : la doxa, la dianoia et la noèsis, à
la fin du livre VI de la République et dans lallégorie de la
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caverne. Aristote les distingue daprès la « généralité discursive »
de leurs discours, selon trois degrés dabstraction : 1) abstraction
empirique de la forme sensible des choses, 2) abstraction
mathématique et 3) labstraction du troisième degré, labstraction
philosophique, métaphysique dans létude de lêtre en tant que
tel. Pendant près de 20 siècles ensuite, et aujourdhui encore,
platoniciens et aristotéliciens syféreront et discuteront des
propriétés de ces trois formes de connaissances. Descartes les
passera en revue, les soumettant à lépreuve de son doute, afin de
parvenir à une vérité première, « ferme et assurée » en lintuition
que nous avons de notre être personnel conscient.
Kant reprendra aussi cette division tripartite à son compte,
mais dans son souci de montrer la différence de nature entre les
sciences, qui étudient les phénomènes qui nous adviennent par
notre sensibilité dune part et la philosophie dautre part,
préoccupée de lêtre de lhomme et de ses implications, il
réservera, avec insistance, le terme de « connaissance » pour les
sciences expérimentales et les sciences formelles. Pour que la
philosophie ne soit pas placée dans le « prolongement » et en un
« au-delà extrapolé » de la connaissance expérimentale, en lequel
« au-delà » les caractères de celle-ci seraient simplement projetés
par généralisation abusive et impuissante , jusque sur le
plan transcendantal de lêtre, il refusa de parler de
« connaissance philosophique ». La philosophie, en ce sens, nest
pas « un savoir », si par « savoir » nous comprenons une
connaissance a posteriori du même type que celle que nous
avons des choses qui nous « apparaissent », mais qui serait
supposée aller prétendument au-delà de ces apparences. Cette
manière de connaître propre à notre « connaissance des
phénomènes » du monde ne peut en aucune façon nous conduire
jusquà la connaissance de leur « être » et donc de lêtre en tant
que tel. Pour la « pensée philosophique » qui ne peut en aucun
cas fonctionner selon le modèle de la connaissance des
phénomènes, Kant parlera de « foi rationnelle ». Foi, parce que la
pensée philosophique ne se fonde pas sur une expérience des
sens ; rationnelle parce quelle ne dépend pas dune adhésion à
une révélation, et donc foi rationnelle au sens dune « certitude
de pensée et de conscience » envers les « conditions a priori » de
notre existence et de notre activité. On comprend fort bien cette
précaution de vocabulaire sous la plume de Kant, dans son effort
pour orienter définitivement la philosophie vers son objet propre,
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