Fiducialité de la conscience ou de l`essence de la foi

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LA « FIDUCIALITE » DE LA CONSCIENCE
OU DE L’ESSENCE DE LA FOI
Recourir à un néologisme par fidélité
aux exigences d’intelligibilité
La multiplicité des significations du verbe « croire » est un
fait linguistique, quelque chose qui « est parlé » et qui est là
objectivement dans le vocabulaire de la langue. Voyez n’importe
quel bon dictionnaire ! Cette multiplicité de significations doit
attirer notre attention. Est-elle une aide ou un obstacle pour
comprendre ce que c’est que « croire » ?
Toute langue, en tant que forme déterminée de langage, est à
la fois « fille » de la parole et « mère » de paroles, engendrée et
engendrante. Comme partie d’une langue, cette multiplicité de
significations du terme « croire » est le fruit d’attitudes
« parlantes » culturelles et religieuses, spirituelles et sensibles,
intellectuelles et affectives diverses, en harmonie ou en conflits
entre elles. Comme telle, en tant que fixée dans le langage, elle
incite à reproduire ces mêmes attitudes. Par elle-même cette
multiplicité tendrait donc à se maintenir telle quelle et à
perpétuer en l’état toutes les attitudes mentales qui la
soutiennent.
Toutefois parce que les aspirations humaines qui se font jour
dans ces attitudes, et qui, par la parole, s’extériorisent dans le
langage, sont animées d’une double exigence intérieure : celle
d’expliciter dans sa cohérence la complexité intégrale du réel,
elles entraînent également cette multiplicité de significations des
termes de la foi dans un mouvement de création d’intelligibilité.
Cela peut donner naissance à une compréhension et à une
réalisation meilleure de l’existence de foi, laquelle s’exprime
déjà, bien qu’imparfaitement, en ces significations multiples.
Aussi cette multiplicité des significations des termes de la
foi — tant dans ses démarches que dans ses contenus — peut
être une aide pour progresser dans cette recherche
d’intelligibilité, autant qu’un obstacle, si elle se coupe de ses
sources spirituelles vives qui animent l’homme de l’intérieur.
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
Au niveau du langage, cette multiplicité (des démarches et des
est un obstacle pour celui qui amalgame ces
significations ou glisse de l’une à l’autre en une suite de
sophismes inaperçus, que ce soit pour exalter ou pour combattre
ce qu’on se représente alors confusément par ces mots « foi »,
« croire », « croyant » et « croyance ». Elle est en revanche une
aide pour qui en tient compte et rapporte ces significations
multiples, les ajustant, les complétant et les approfondissant, à la
complexité humaine spirituelle et rationnelle, en laquelle
s’inscrivent nos démarches de foi et nos conduites de croyant.
Au niveau des attitudes spirituelles, cette multiplicité de
significations peut devenir une aide pour l’homme qui, en
philosophe, s’interroge sur l’essence de la « foi » en tant que
dimension constitutive de l’existence. En effet, en s’interrogeant
ainsi dans ce contexte, il se distingue de ceux qui, au nom d’une
philosophie réductrice, écartent cette interrogation. Cette
multiplicité de significations est en revanche un obstacle pour
l’homme qui, en religion, n’est ferme en ses « croyances » que
parce qu’il s’y enferme ; qui s’affronte aux autres « révélations »
parce qu’il s’y voit objectivement confronté ; qui tremble devant
la pression de « l’orthodoxie doctrinale » de sa communauté et
en même temps craint pour elle.
Cette multiplicité de significations est enfin un obstacle pour
l’homme qui s’estime intérieurement menacé par le doute et
l’incroyance et donc « coupable », s’il cherchait à comprendre ce
que valent ses propres convictions religieuses au regard des
exigences intellectuelles et morales de la conscience humaine.
Aussi ne cherche-t-il pas ou fait-il semblant de chercher !
croyances)
Pour permettre une clarification des différents sens des
termes touchant la « vie humaine de foi » et en garder les acquis
rationnels, nous proposons de recourir à un néologisme et de
nous servir des termes suivants : « fiducialité ; fiducial ;
fiducialement » et d’employer à l’occasion le verbe « se fiducier
à » sur le modèle du verbe « se fiancer à ».
Par ces néologismes nous entendons signifier la réalité de la
personne humaine en une activité authentique de « foi »,
lorsqu’elle « croit » conformément aux exigences de sa nature
spirituelle, c’est-à-dire :
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
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a) en ayant une conscience de plus en plus lucide des
fondements ontologiques d’un engagement de foi, de la
possibilité et de l’actualisation d’un tel engagement ;
b) en se donnant une intelligence critique de la révélation qui
sollicite son adhésion de foi ;
c) en épanouissant une dimension spécifique de sa liberté
personnelle suscitée par l’initiative libre du révélateur envers
elle.
Pourquoi un néologisme ? Certes pas par goût de
l’hermétisme ! Mais dans l’espoir que l’usage d’un mot nouveau
et de ses dérivés nous permettra de reprendre l’analyse de cette
« activité de foi », constitutive de la nature humaine, sans nous
laisser enfermer dans les limites des problématiques classiques,
mais en en développant au contraire certaines implications qui se
trouvaient malheureusement « bloquées » pour de multiples
raisons philosophiques, sociales et religieuses, psychologiques et
affectives.
Nous parlerons donc de « fiducialité de la conscience
humaine », de « liberté fiduciale », de « croyant fiducial » et de
« croire fiducialement » — ces deux expressions ne seraient que
des pléonasmes si les mots « croyant » et « croire » étaient saisis
dans leur pleine intelligibilité réflexive —, de « se fiducier à
celui qui se révèle à nous », de « lien fiducial entre le révélateur
et le croyant », de « structure fiduciale de l’existence », etc.
Nous parlerons ainsi parce que nous sommes confrontés aux
problèmes que le fait humain de pouvoir croire et de croire
effectivement pose aux hommes ; même, ou peut-être surtout,
lorsque ce pouvoir s’actualise avec maladresse en balbutiant ou
se pervertit, malheureusement, en des doctrines et des conduites
indignes.
Mais si nous ne parlions ainsi que pour reprendre les
solutions traditionnelles, alors nous aurions abusé de la « bonne
foi » de qui nous écoute, car nous ne lui aurions pas permis de
mieux juger « en vérité rationnelle » de sa « foi », de ses qualités
et de ses insuffisances. À Dieu ne plaise !
Mais parce que nous présupposons d’emblée la bonne foi
chez autrui et l’aptitude qu’il a de la « réfléchir », nous lui
demandons de voir en ces termes et expressions, autre chose
qu’un nouvel habillage pour d’anciennes idées. Que l’effort de
compréhension mérite à chacun un approfondissement de sa
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
conscience de croyant et de son devoir moral de « croire
fiducialement ». Que s’il est incroyant, qu’il se dise d’abord que
son incroyance l’a protégé des formes perverties de la foi et qu’il
s’efforce ensuite de découvrir en lui une dimension cachée de
son existence et de son bonheur, si du moins il ne se tient pas
éloigné de la « foi » en raison des exigences éthiques inhérentes à
un tel engagement.
Les incohérences spéculatives qu’il y a à soustraire la foi à
la raison et à refuser à la raison le pouvoir naturel de croire.
Connaître et croire sont-ils incompatibles en un même acte
de conscience ? Croire est-ce renoncer à connaître pour aller
« au-delà » de la connaissance ? Connaître est-ce cesser de
croire, parce qu’on a dépassé la foi ? La foi disparaît-elle dans la
perfection de l’amour ou au contraire y est-elle alors parfaite ?
Les trois formes de connaissance usuellement reconnues
Lorsque l’on parle de « connaissance », les hommes
entendent spontanément et en premier lieu la connaissance du
monde des choses et des corps : la connaissance empirique
d’abord, qui s’efforce de décrire le plus précisément possible nos
perceptions de ce monde extérieur et la connaissance scientifique
ensuite, méthodologiquement élaborée, qui s’actualise dans
toutes les sciences modernes de la matière inanimée, de la
matière vivante, et dans les sciences de l’homme en ses
conduites observables.
Après cette forme de connaissance objective et expérimentale, dont les résultats s’affirment massivement devant nos yeux,
les hommes retiennent en second lieu la « connaissance
formelle », la logique et la mathématique, et en troisième lieu la
« connaissance philosophique », d’essence réflexive, en vertu de
laquelle nous cherchons obstinément à nous connaître nousmêmes comme « sujet de nos actes », sujet même et auteur de
nos savoirs objectif et formel.
Il est « classique » de reconnaître ces trois formes de
connaissance, et seulement ces trois formes, comme
« rationnelles ». Platon les expose dans l’étude des trois sections
« réalistes » de la ligne divisée : la doxa, la dianoia et la noèsis, à
la fin du livre VI de la République et dans l’allégorie de la
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
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caverne. Aristote les distingue d’après la « généralité discursive »
de leurs discours, selon trois degrés d’abstraction : 1) abstraction
empirique de la forme sensible des choses, 2) abstraction
mathématique et 3) l’abstraction du troisième degré, l’abstraction
philosophique, métaphysique dans l’étude de l’être en tant que
tel. Pendant près de 20 siècles ensuite, et aujourd’hui encore,
platoniciens et aristotéliciens s’y référeront et discuteront des
propriétés de ces trois formes de connaissances. Descartes les
passera en revue, les soumettant à l’épreuve de son doute, afin de
parvenir à une vérité première, « ferme et assurée » en l’intuition
que nous avons de notre être personnel conscient.
Kant reprendra aussi cette division tripartite à son compte,
mais dans son souci de montrer la différence de nature entre les
sciences, qui étudient les phénomènes qui nous adviennent par
notre sensibilité d’une part et la philosophie d’autre part,
préoccupée de l’être de l’homme et de ses implications, il
réservera, avec insistance, le terme de « connaissance » pour les
sciences expérimentales et les sciences formelles. Pour que la
philosophie ne soit pas placée dans le « prolongement » et en un
« au-delà extrapolé » de la connaissance expérimentale, en lequel
« au-delà » les caractères de celle-ci seraient simplement projetés
par généralisation — abusive et impuissante —, jusque sur le
plan transcendantal de l’être, il refusa de parler de
« connaissance philosophique ». La philosophie, en ce sens, n’est
pas « un savoir », si par « savoir » nous comprenons une
connaissance a posteriori du même type que celle que nous
avons des choses qui nous « apparaissent », mais qui serait
supposée aller prétendument au-delà de ces apparences. Cette
manière de connaître propre à notre « connaissance des
phénomènes » du monde ne peut en aucune façon nous conduire
jusqu’à la connaissance de leur « être » et donc de l’être en tant
que tel. Pour la « pensée philosophique » qui ne peut en aucun
cas fonctionner selon le modèle de la connaissance des
phénomènes, Kant parlera de « foi rationnelle ». Foi, parce que la
pensée philosophique ne se fonde pas sur une expérience des
sens ; rationnelle parce qu’elle ne dépend pas d’une adhésion à
une révélation, et donc foi rationnelle au sens d’une « certitude
de pensée et de conscience » envers les « conditions a priori » de
notre existence et de notre activité. On comprend fort bien cette
précaution de vocabulaire sous la plume de Kant, dans son effort
pour orienter définitivement la philosophie vers son objet propre,
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
non les choses « objectivement » extérieures au-delà desquelles il
n’y a pas d’accès à l’être, mais le « sujet » lui-même en sa réalité
intérieure en laquelle les propriétés de l’être se dévoilent sous la
forme de « conditions a priori de ses actions » formulées en des
jugements « synthétiques a priori ». Ne dépouillons pas la
philosophie transcendantale de ses visées ontologiques, du fait
qu’elle nous ait avec pertinence mis en garde de ne pas
« ontologiser » ce qui relevait des phénomènes ! Elle récuse
seulement, mais énergiquement, la possibilité d’une visée
ontologique par prolongement, au-delà des phénomènes du
monde, de notre façon de connaître ces phénomènes.
Aujourd’hui, que le passage d’une philosophie de « l’Objet »
à une philosophie du « Sujet », commencé avec Descartes et
affermi par Kant, est un acquis définitif de la réflexion philosophique, il est permis de reprendre le terme de « connaissance »
en tant que terme générique pour signifier toute forme de
conscience de la réalité, sans que les spécificités de notre
conscience risquent de se voir homogénéisées au profit du seul
mode expérimental de « connaître ». La pensée réflexive,
philosophique, est bien une méthode propre de connaissance,
tout autant que la connaissance formelle ou la connaissance
expérimentale, mais d’une nature différente.
En ces trois formes fondamentales de connaissance,
philosophique, logico-mathématique et scientifique, la « raison
humaine » est à l’œuvre. C’est une évidence au-delà de tout
doute. N’est-elle à l’œuvre qu’en ces trois formes ? Ne serait-elle
pas aussi à l’œuvre en une quatrième forme de connaissance ?
Dans la « connaissance de foi » ? Pourquoi pas ? Entendons-nous
bien, non dans une connaissance des croyances auxquelles des
hommes croient — ce qui relèverait d’une connaissance
objective, de nature scientifique, comme dans la sociologie ou
l’histoire des religions — mais dans « l’activité de foi ellemême ». La conscience authentiquement croyante n’est-elle pas
aussi assurée de connaître, selon un mode propre, en un mot « de
connaître fiducialement » ? Et cette forme de connaissance, qui a
donc son objet propre, ne serait-elle pas aussi « rationnelle » ?
Il faut ici s’entendre sur l’usage du mot « raison ». Pour
certains, l’activité de la raison connaissante se limiterait aux
connaissances expérimentale et formelle ; autrement dit, à la
logico-mathématique et aux sciences objectives. C’est une
tendance « réductionniste ». Réductionnisme spéculatif et
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
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explicite chez plusieurs, réductionnisme pratique et implicite
chez un grand nombre : empirisme, positivisme, néopositivisme.
Beaucoup d’autres estiment que la raison s’épanouit tout
entière, et donc seulement, dans les trois branches du connaître
explorées par la pensée grecque, et dont la pensée moderne a
développé les multiples ramifications : les sciences, la logique et
la mathématique, mais aussi la « philosophie ». C’est ce qu’on
peut considérer comme la « conception classique ». Nous la
nommerons aussi « grecque » en fonction de son origine, ou
« unitaire » en fonction du primat conceptuel qu’y exerce l’idée
de l’unité indivise, conçue comme forme rationnelle unique
d’unité.
La foi tantôt en dessous tantôt au dessus de la raison ?
Dans le cadre de cette conception classique de la raison et de
la connaissance, quelle place y a-t-il pour la « foi » ? En rigueur
de terme : aucune. C’est clair, pour les croyants autant que pour
les incroyants. Et pourtant le fait qu’il y a « foi » est évident
aussi. Alors la foi se situera donc « en dehors » de la raison. Elle
est qualifiée d’irrationnelle ; d’infra-rationnelle par ceux qui ne
croient pas ou veulent y voir seulement une attitude sentimentale
existentielle, et de supra-rationnelle par ceux qui adhèrent à une
révélation d’origine divine qu’ils estiment leur avoir été faite.
Sur la base de ces présupposés (disons : classiques, grecs
et/ou unitaires) surgissent les problèmes traditionnels bien
connus des rapports entre la « foi » et la « raison », problèmes
modulés, bien entendu, selon chaque foyer culturel de croyances.
Il est en effet impossible que ces problèmes ne se posent pas,
car d’une part, « rationalistes » et « croyants » se rencontrent
forcément dans la vie sociale et ne peuvent s’ignorer totalement
et parce que d’autre part, au fond de chacun, réfléchir,
expérimenter et croire sont des pouvoirs et des activités de
conscience que nous mettons en œuvre avec plus ou moins de
succès, mais nécessairement. Il est impossible aussi de ne pas
leur chercher une solution. Le fait de l’unité de la personne avec
elle-même et le fait d’une certaine unité de la société imposent
aux hommes de trouver un accord entre la « raison » scientifique
et philosophique d’une part et la « foi » d’autre part.
Considérons donc maintenant la « foi » en tant que « foi
religieuse » — il y a d’autres espèces de « foi » — et esquissons
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
les principaux contextes problématiques entre « foi religieuse »
et « raison » ainsi que les questions qu’ils soulèvent 1.
Il est des croyants religieux qui refusent tout crédit à la
raison humaine à l’égard de « leur foi », tout comme il existe des
« rationalistes » qui refusent toute valeur rationnelle à « la foi »,
quelle que soit sa détermination religieuse particulière. Comment
ces croyants peuvent-ils alors apprécier la vérité de leurs
croyances ? Ils affirment avoir la vérité, mais ne peuvent, au
double sens du mot, en donner aucune justification. En effet ils
en sont incapables car ils n’en ont pas, et s’ils avaient des
arguments, ils ne seraient pas autorisés à les utiliser,
puisqu’alors ils recourraient à la raison, à laquelle ils refusent par
ailleurs tout crédit.
Ces croyants ont en fait une conception de la raison
« semblable » à celle des « réductionnistes » auxquels ils
s’opposent. Selon eux la raison ne peut que s’occuper de la seule
réalité matérielle du monde, à cette différence près qu’ils
refuseront de considérer avec les « réductionnistes » que tout, y
compris les « croyances », doit s’expliquer à partir de la matière.
Mais il arrive souvent que ce genre de croyants
« irrationalistes » font paradoxalement déborder le champ de
leurs croyances sur des questions scientifiques, où ils entrent
alors en conflit avec les données objectives de l’expérimentation.
Dans les situations de conflits entre « doctrines religieuses et
sciences » — que chacun appréciera en fonction de ses
connaissances historiques —, les croyances religieuses sur la
nature physique du monde matériel sont condamnées à la défaite,
et les croyants sont alors invités par le fait même, s’ils ne
s’enferment pas dans leur « fondamentalisme », à réviser leurs
croyances et même leurs conceptions de la foi et à se réformer.
Le font-ils tout en restant croyants, ou au contraire rejettentils leur foi en bloc avec leurs croyances erronées ? Le faire serait
une conduite insensée. Parce que l’on s’est un jour fourvoyé de
chemin, faut-il renoncer à marcher ? Parce que l’on s’est trompé
et que nous avons pris l’erreur pour vérité, faut-il ne plus se
servir de notre intelligence ? Parce que nous avons mal « cru »,
parce que notre conscience croyante, c’est-à-dire notre « raison
fiduciale », s’est mal développée, faut-il se l’amputer ?
Sans doute il faut reconnaître qu’entre la « raison
scientifique » et la « foi » — nous préférerions dire ici « entre la
raison scientifique et la raison fiduciale » —, il y a une différence
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
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spécifique, mais cette différence spécifique n’a de consistance
qu’en l’unité de la conscience, en la réalité « une », « organisée »
mais non pas « uniforme et homogène », de la raison humaine
personnelle. En l’unité de sa réalité personnelle, les diverses
aptitudes de la raison humaine sont complémentaires et ne
peuvent pas se rejeter l’une l’autre. Ne pas comprendre leur
accord, constitutif aussi de ce qu’elles sont, nuit à une
construction harmonieuse de soi-même. Cela peut même nous
faire courir le risque de nous « mutiler » nous-mêmes
intellectuellement et affectivement.
D’autres croyants, plus sensés, s’efforcent de montrer que la
foi en général et leur « foi » en particulier ne sont pas « contre »
la raison. Celle-ci est maître chez elle, en mathématique, en
sciences et en philosophie. Mais la « foi » est « supérieure » à la
raison, car ce que leurs croyances leur enseignent ne procède pas,
ne peut pas procéder de la raison humaine, qu’elle en soit par
nature incapable où qu’elle ait perdu par sa faute une capacité
originelle. Ce sont des vérités reçues de Dieu, dont l’intelligence
surpasse infiniment l’intelligence humaine. L’homme pourrait-il
se mesurer avec Dieu et contester la parole qu’il lui adresse ?
Ces croyants ont pourtant aujourd’hui, en général, la sagesse
de n’accepter en principe comme objet de leur foi aucune
croyance qui impliquerait des prises de positions proprement
scientifiques. Mais comme cela leur est cependant arrivé et que
la science a manifesté la fausseté d’une ou plusieurs de leurs
« croyances », ils se sont résignés à les « éliminer »
progressivement du champ de leur foi. C’est parfois dramatique,
mais l’habitude se prend au fur et à mesure des progrès de la
science expérimentale...
De plus ces croyants admettent en général que, lorsqu’il y a
accord entre leur foi et la science, les vérités, que la science
expérimentale établit, ne peuvent être revendiquées — en dehors
de situations polémiques ou apologétiques et comme arguments
ad hominem — comme une « justification » de telle ou telle de
leurs croyances en tant que croyances. Bien plus ce qui était
l’objet d’une telle « croyance » cesse au contraire immédiatement
de relever du corps des vérités auxquelles ils croient,
précisément parce que ce qu’elle affirmait est devenu une vérité
scientifique. Ils évitent tout « concordisme », simpliste ou subtil,
entre le texte sacré et les conclusions scientifiques.
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
Non que ce qui était d’abord leur « croyance » soit réputé
désormais faux, parce que c’est maintenant une vérité
expérimentale — ce qui serait absurde, car la vérité n’est pas
d’un côté et l’erreur nécessairement dans l’autre camp —mais
parce que le domaine des vérités de foi est a priori distinct et
différent des vérités scientifiques. L’accord entre la foi et la
science ne se fait pas par « superposition adéquate » de leurs
affirmations respectives, mais par complémentarité de leurs
autonomies méthodologiques propres et de leurs vérités
différentes.
Ces croyants peuvent même reconnaître leur dette envers les
scientifiques, non seulement lorsqu’apparaît une incompatibilité
entre telle conclusion scientifique définitive et telle croyance
désormais irrecevable, parce qu’elle énonce une « fausseté
scientifique », mais surtout lorsqu’au contraire il y a une
adéquation entre l’une et l’autre, enlevant par là le label
« révélation » à la croyance « vraie ». Ainsi les scientifiques
conduisent alors indirectement les croyants à une foi déjà plus
authentique, parce que plus « dépouillée » de vérités étrangères
qui la parasitent.
Un tel service indirect de la science envers la foi n’est
possible que parce que le même homme qui est croyant peut
aussi être un scientifique et que le scientifique est capable aussi
de croire, non en tant que scientifique, mais en tant qu’homme.
L’homme qui est doué de vision grâce à ses yeux, est aussi
capable d’entendre, sans pour cela que l’œil soit jamais l’oreille.
Le savant peut être croyant sans pour cela que jamais la science
ne soit la foi, ni réciproquement. Qui pour mieux entendre se
crèverait les yeux, ou pour mieux voir se rendrait sourd ?
Mais les problèmes traditionnels entre la raison et la foi
religieuse ne se limitent pas aux tensions entre les croyances et
les vérités scientifiques. Ils touchent surtout les rapports entre la
philosophie d’une part et la foi et ses croyances d’autre part. Et
ceux-ci sont autrement plus complexes et peut-être plus
dramatiques. Travailler à leurs solutions est aussi plus exaltant.
Si en face des sciences le croyant religieux peut affirmer
avec quelque vraisemblance que la foi est « supérieure » à la
raison scientifique — sur le domaine de laquelle elle se gardera
toutefois d’empiéter — c’est parce que la foi répond à des
questions que l’homme se pose sur sa propre existence,
questions plus intimes et plus profondes que celles sur
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l’organisation de la matière. En effet, la pratique de la
connaissance scientifique n’est-elle pas aussi motivée et guidée
par le souci de mieux vivre en maîtrisant ou en s’adaptant à une
nature physique que l’homme connaît de mieux en mieux ?
Comme la pratique de la connaissance scientifique s’inscrit dans
une conception de l’existence, le scientifique peut au fond
s’accommoder de cette prétention du croyant religieux, d’autant
plus facilement que les champs du réel sur lesquels chacun se
prononce sont reconnus comme distincts et différents.
Il n’en va plus de même face à la philosophie ! Pourquoi ?
Parce que le philosophe s’interroge aussi sur son existence et, à
travers elle, sur la totalité du réel et qu’il se donne aussi bel et
bien des réponses à ces questions. Philosophie et croyances
semblent donc vouloir occuper, au moins partiellement, un
même domaine et répondre à des questions semblables, par
exemple sur l’existence du monde et de l’homme, sur le bien et
le mal, sur la vie et la mort... De là les tensions et la contestation
par la raison de la prétention des croyances religieuses à lui être
supérieures, et à se situer au-delà de ses pouvoirs.
Les réponses apportées par les philosophes sont certes très
variées, parfois incompatibles entres elles, — ce qui implique
l’erreur de certaines — mais elles sont toutes considérées comme
fruit d’un effort de la raison humaine et les hommes peuvent
débattre entre eux de leur valeur et ainsi progresser vers plus de
vérité.
Le croyant — il s’agit ici, rappelons-le, du type de croyant
qui se place non contre la raison, mais au-dessus d’elle —,
lorsqu’il présente ses réponses à ces questions qu’il pose en
commun avec le philosophe, il prétend qu’elles viennent de Dieu
et qu’elles l’emportent donc en vérité sur les réponses
simplement humaines. Sa réponse de croyant se soustrait par làmême à tout débat critique. C’est à prendre ou à laisser : à croire
ou à refuser de croire. La valeur de vérité de ses affirmations de
foi n’est pas discutable. Le seul effort intellectuel à faire par le
croyant, c’est de s’efforcer de bien comprendre la « révélation »
d’origine divine, pour autant que sa raison le peut avec l’aide
d’une « lumière surnaturelle » 2. Sinon, si sa raison est incapable
de comprendre cette « révélation », soit par déficience
personnelle, soit par insuffisance de nature, son devoir de
croyant est de l’accepter comme telle. Dans le cas d’une
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LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
insuffisance de nature, cela implique que ce qui est « révélé » au
croyant est incompréhensible en soi pour l’homme.
Quel intérêt une telle révélation présente-t-elle alors pour
lui ? Et quelle idée faut-il avoir de Dieu, pour penser que Dieu se
livre à de telles révélations ?
Et parce que cette vérité de foi est déclarée incompréhensible
comme telle, cette incompréhensibilité de la croyance devient
elle-même un objet de foi et une croyance supplémentaire,
surajoutée. Croyance nouvelle, incompréhensible à son tour,
qu’il faut croire aussi sans comprendre. On voit poindre ici le
spectre d’un processus indéfini, signe d’une absurdité... C’est là
un comble pour une vérité qui nous viendrait de Dieu !
Comme pour le moment nous relevons les problèmes, voire
les incohérences qui naissent d’une rencontre entre la foi et la
raison, comprises toutes deux selon leur conception grecque, il
nous faut aller jusqu’au bout de notre enquête. Si donc la foi,
comme ensemble de croyances révélées, est « extérieure et
supérieure » à la raison humaine, non seulement scientifique,
mais philosophique aussi, comment pourrait-elle être, même
partiellement, reconnue comme « révélation » et comme prenant
sa source dans une « révélation » reconnue comme véritable
révélation ? Impossibilité totale ! Si, en revanche, la révélation
est jugée vraie par une telle raison, elle n’est plus supérieure à la
raison. Il n’y a même plus de foi. Si on la maintient comme foi,
elle ne peut être reconnue comme vraie. L’impasse est sans
issue ! Que faire ?
Tâtonnements pour sortir du conflit « foi-raison »
Il faudra faire marche arrière. Ce qui veut dire qu’il faudra
remonter jusqu’en amont des axiomes premiers de la philosophie
occidentale : ceux formulés par les premiers penseurs grecs,
parce que ces « axiomes » sont ceux de la conscience
psychologique spontanée de l’homme, pour autant que son
premier niveau de compréhension de ses propres activités se fait
par analogie avec sa compréhension des choses et en utilisant un
langage approprié en première instance à l’usage des choses et
aux rapports interhumains touchant ces choses.
Pour croire de façon dignement humaine, il est donc
indispensable de s’interroger adéquatement sur les conditions a
priori d’une révélation possible et ses critères de vérité. La foi
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
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n’est dignement humaine que si elle peut être « réfléchie »
philosophiquement. Mais une conception de la raison qui ne fait
pas de place à la « foi » comme activité rationnelle, c’est-à-dire
comme composante « fiduciale » d’elle-même, est-elle en mesure
d’assumer cette fonction « réflexive » d’intelligence du « croire »
humain ?
Alors que la philosophie traditionnelle a « réfléchi » sur la
connaissance expérimentale, sur la connaissance formelle,
logico-mathématique, et sur elle-même bien entendu, elle n’a
pas, que je sache, « réfléchi » sur la connaissance fiduciale. Les
philosophes grecs ont combattu et rejeté le caractère révélé de la
foi juive et de la foi chrétienne. Descartes met le problème sur le
côté. Dans la première partie du Discours, il nous confie : « Je
révérais notre théologie, et prétendais, autant qu’aucun autre, à
gagner le ciel ; mais ayant appris, comme chose très assurée,
que le chemin n’en est pas moins ouvert aux plus ignorants
qu’aux doctes, et que les vérités révélées, qui y conduisent, sont
au-dessus de notre intelligence, je n’eusse osé les soumettre à la
faiblesse de mes raisonnements, et je pensais que, pour
entreprendre de les examiner et y réussir, il était besoin d’avoir
quelque extraordinaire assistance du ciel, et d’être plus
qu’homme. »
Kant ose aborder le contenu doctrinal enseigné par les
théologiens, mais bien que croyant, il dégage, comme
philosophe, le sens des affirmations religieuses « dans les limites
de la simple raison » (raison : au sens grec et classique). Par là il ne
retient de la révélation chrétienne que les affirmations éthiques
qu’elle entraîne avec elle. Certes, si de cette analyse on peut
conclure que ces affirmations éthiques ne sont pas en leur
essence de l’ordre de la foi mais sont impératives en raison — ce
qui n’est pas sans intérêt, même pour le croyant, nous l’avons
vu —, on ne peut pas dire que Kant aborde la question de la
nature de la foi et de ses exigences éthiques propres, en tant que
conduite fiduciale.
Beaucoup d’autres philosophes ont parlé de la révélation
juive ou chrétienne et ont inséré, de façon instructive, dans leurs
analyses philosophiques des idées de traditions religieuses, tels
Hegel, Bergson, Blondel, Lavelle, Marcel, Jaspers, Buber,
Lévinas, etc. Ils ont certes créé un contexte de pensée et de
culture philosophiques en lequel la question des fondements
ontologiques de la foi et celle des conditions de possibilité et
14
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
d’intelligibilité d’une révélation divine peuvent enfin être posées.
Mais nous ne connaissons pas — mais notre connaissance n’est
pas exhaustive ; elle est même très limitée — d’exposés
systématiques sur la rationalité de la foi.
Par de telles analyses, les philosophes classiques ne
reconnaissent pas le caractère naturel spécifique de l’acte de foi,
de « l’acte fiducial ». Le peuvent-ils ? Étant donné la manière
dont ils conçoivent la « raison », cela leur est impossible. Mais
cette manière grecque de concevoir la raison est-elle pleinement
« rationnelle » ? La question est très grave. C’est dans la manière
de concevoir la « raison » qu’il faut chercher l’explication des
diverses convictions incohérentes de l’irrationalité de la foi, tant
chez les croyants que chez les philosophes.
Paradoxalement, ce sont les croyants, qui sont toujours les
fidèles d’une foi déterminée (de forme juive, chrétienne ou
islamique), qui bien qu’affirmant la supériorité de « leur » foi sur
la raison, et donc sur la foi des autres, ont eu recours à des
argumentations rationnelles, non pour justifier méthodologiquement leur foi, mais pour la faire accepter et/ou pour la défendre
contre d’autres formes de foi, ou contre des philosophes qui
récusaient la valeur de la révélation à laquelle ils croyaient. De là
sont nées les « théologies » qui se développèrent dans le contexte
des grands courants philosophiques de l’antiquité : stoïcisme,
platonisme, aristotélisme et de leurs traditions toujours actuelles.
De plus, la foi cherche aussi à se comprendre —fides quaerens
intellectum —et elle se sert de la philosophie comme d’un
instrument —philosophia ancilla theologiae.
La « foi », entendue ici comme « ensemble de croyances »,
gagne toujours à se « rationaliser », surtout si ses croyances ne
sont en fait que des ébauches archaïques de pensées philosophiques théoriques ou pratiques. Il s’agit là d’une évolution
normale, dans un grand mouvement de différenciation des
méthodes de connaissance. On peut même dire que la pensée
philosophique elle-même a pris naissance dans des croyances et
qu’elle s’est elle-même progressivement élaborée méthodologiquement. Ces croyances qui autrefois faisaient appel à la foi passive des hommes, cessent d’être des croyances, lorsque par suite
de leur évolution, elles sollicitent désormais son intelligence :
comme par exemple l’affirmation d’un Dieu, cause créatrice du
monde. (Walter Brugger, Summe einer philosophischen Gotteslehre,
München, 1979)
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
15
Non seulement les croyances dont la raison philosophique
classique manifeste l’erreur, mais celles dont elle établit la
vérité, cessent par le fait même, tout comme les vérités
scientifiques, de relever du domaine de la foi. Comme les
sciences, la philosophie peut, lorsqu’elle arrive méthodiquement
à des vérités fondées, rendre aussi ce service indirect à la foi :
celui de la libérer de vérités qui ne lui sont pas spécifiques,
même si elles lui sont liées, comme sur le plan éthique par
exemple, puisque les exigences éthiques et la démarche de foi
ont même fondement ontologique. La philosophie, comme les
sciences — et comme les sciences à l’égard de la philosophie
également — peut orienter la foi vers plus de vérité dans la
compréhension de ce qu’elle admet comme « révélé ».
Mais le croyant qui reconnaît ce service que lui rend la
philosophie touchant principalement « ce qui est objet de » sa
foi, sera sans doute insatisfait de voir que les philosophies
classiques ne l’éclairent pas— ou très peu — sur la nature de sa
« démarche de foi » et sur son acte de foi en tant qu’acte de vie
spirituelle personnelle. Si, comme homme, le croyant est aussi
philosophe, il ne peut manquer de se poser en toute liberté cette
question et d’être sensible au devoir qu’il a d’y répondre.
En quel sens la foi est un « don de Dieu ?
Toutefois il doit lever au préalable un obstacle. En général,
le croyant a été persuadé et se persuade lui-même que sa foi est
un « don de Dieu », une faveur que d’autres n’ont pas reçue. Si le
statut ontologique de sa foi est compris — et ce n’est pas sans
confusion — de la sorte, il n’est pas possible pour l’homme d’en
chercher, en philosophe, les conditions de possibilité et
d’achever son effort pour se rendre sa foi intelligible. Mais cette
affirmation que la « foi » est un don de Dieu, relève-t-elle de sa
foi ou lui est-elle extérieure ? Si cette affirmation fait aussi partie
de sa « foi », le fait de croire qu’elle est un don est-il aussi un
don, un don nouveau ? Si oui, alors nous sommes engagés dans
un processus indéfini. Et une absurdité s’attacherait à l’acte de
croire. Ce qui ne se peut, car l’homme est effectivement capable
d’adhésion de foi authentique. C’est donc le discours
philosophique habituel sur le statut de la foi qui est à revoir.
Si donc l’affirmation que la foi est un « don » est extérieure
à ce qui est proposé à la foi, alors le croyant peut en débattre
16
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
critiquement sans risque pour sa foi, si du moins elle est
authentique et fondée sur une révélation rationnellement
justifiée.
Comment comprendre correctement que la foi est un « don
de Dieu » ? Le don de Dieu, c’est à proprement parler sa
« révélation ». Ne confondons pas « révélation » qui est œuvre
divine et la foi qui est réponse humaine. La révélation s’offre
comme une initiative divine à la « foi » de l’homme. Certains
hommes acceptent ce don, d’autres le refusent et restent dans la
« non-croyance ». Cette façon de voir les choses ne pose pas de
problèmes. Même à l’égard d’une « pseudo-révélation », le
croyant qui lui accorde naïvement sa foi dira qu’elle est un « don
de Dieu », puisqu’il la considère comme « vraie révélation ».
Plus profondément, il y a « devoir moral de croire », lorsqu’il y a
reconnaissance rationnelle d’une révélation constitutive de notre
existence, selon son présent et selon son avenir.
Quant à cette possibilité de croire en ce qui se présente
comme « révélation divine », est-ce un don de Dieu ou pas ?
Nous répondrons par l’affirmative, mais de façon critique. La
capacité de croire et l’acte de foi est un « don de Dieu » au même
titre que la capacité de réfléchir philosophiquement, car elle est
constitutive de notre nature humaine. Elle est « don de Dieu »,
comme l’existence, la liberté et l’obligation morale. Mais il est
faux de dire que la foi est un don, un don surnaturel préciseront
certains théologiens, si nous entendons que c’est une capacité qui
viendrait s’ajouter de l’extérieur à notre nature et qui
accompagnerait la révélation, telle une clef pour lui ouvrir notre
intelligence.
S’il en était ainsi, il serait non seulement irrationnel de
croire, mais ce serait un acte contre nature et non pas
« perfectionnant notre nature ». Si notre nature humaine peut être
« ainsi perfectionnée », c’est une propriété de son être. Elle a
donc en son être l’aptitude naturelle de croire. C’est le problème
de la « capacitas fidei », de la « potentia obedientialis » qu’a
rencontré saint Thomas d’Aquin 3. Mais en ce domaine aussi, il
faut se souvenir de la règle du rasoir d’Occam. « Entia non sunt
multiplicanda sine necessitate ».
Il n’en est donc pas ainsi et ce serait ruiner la possibilité de
croire authentiquement que d’affirmer que la foi est un don que
Dieu fait à certains et que d’autres ne reçoivent pas, restant ainsi
dans leur « état naturel » naturellement incapables de foi.
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
17
Mais il est bien évident, d’une évidence même analytique,
que l’homme ne peut pas par lui seul actualiser son pouvoir de
croire, s’il n’y a pas l’initiative d’un révélateur. Comment
« croire », s’il n’y a pas de révélateur en qui croire et si rien en
conséquence ne m’est révélé ? Mais cela ne signifie pas, même
lorsque le révélateur est Dieu, que ce qu’il révèle à l’homme soit
incompréhensible par l’homme lui-même en vertu de ses propres
aptitudes naturelles, — en lesquelles d’ailleurs il est possible de
voir réflexivement une révélation de Dieu. D’où la question :
pour quelles raisons (philosophiques erronées) limiter la Raison aux
seules activités que l’homme pourrait accomplir « seul » ?
Si certains hommes ne croient pas — ce qui est un fait —
c’est parce qu’ils n’ont pas actualisé par rapport à une « foi ou
doctrine de foi » religieuse déterminée, témoignant d’une
révélation, un pouvoir naturel de croire, qu’ils aient ou non
compris l’exigence éthique de s’engager fiducialement envers
une révélation critiquement discernée comme constitutive de leur
existence. Peut-être ont-ils raison d’être encore non-croyants, —
ce qui ne veut pas dire incapables de croire — s’ils n’ont pas
rencontré de message révélé digne de leur foi humaine ou s’ils se
sont rendus compte que ce qu’on leur avait proposé comme
« révélation divine » n’était pas digne de l’homme, ni compatible
avec une noble idée de Dieu. Certes des hommes peuvent aussi
refuser de croire, par rejet du « devoir de croire » ou par crainte
des exigences spirituelles et morales qui découlent d’une telle
adhésion. Mais de tels motifs de refus de croire ne méritent pas
de retenir ici notre attention puisque notre but est de comprendre,
sur le plan ontologique, — et non sur un plan sociologique —
l’articulation de la foi et de la raison considérée l’une et l’autre
dans leur authenticité humaine, c’est-à-dire, en dépassant leur
conception « grecque ». D’un point de vue pastoral et médical en
quelque sorte, ces motifs psychologiques de refus de croire ne
sont certes pas négligeables.
Incompétence des philosophies qui ignorent la démarche de
foi
L’obstacle d’une mauvaise compréhension de la générosité
divine étant levé, reprenons notre question. Comment le croyant
qui veut se rendre intelligibles les affirmations de sa foi pourraitil avoir confiance en des philosophies qui ne font aucune place à
18
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
la compréhension de la démarche de foi elle-même, et à son
caractère impératif comparable à celui de la recherche de
vérités ?
(Entendons-nous bien. Quand nous parlons de « démarche de foi », nous
voulons parler d’une activité constitutive de la conscience — d’où le fondement de son obligation — et non des cheminements psychosociologiques
empiriques, « raisonnables » et affectifs, par lesquels un homme peut passer
avant d’adhérer à un groupe religieux donné en adoptant ses croyances).
Les vérités révélées ne seraient-elles que des réponses à des
questions philosophiques, réponses meilleures certes que celles
proposées par les philosophes, mais qu’il faudrait arriver cependant à comprendre philosophiquement ? Est-ce que l’avantage de
croire en ce cas ne se maintiendrait-il qu’aussi longtemps que
l’on ne serait pas parvenu à comprendre rationnellement ? Et
donc pour maintenir cet avantage, faut-il croire, pour rester dans
« l’orthodoxie », à l’impossibilité d’une compréhension
rationnelle achevée ? Comme si, dans le cas d’une intelligence
rationnelle pleine et entière de la vérité révélée, le caractère de
révélation cesserait et qu’il ne serait plus nécessaire de croire !
Les hérétiques gnostiques le laisseraient entendre, tout en se
méprenant sur la nature de la raison. La foi ne serait-elle donc
qu’une conduite transitoire, disparaissant dans le cas d’une
intelligence future achevée de la vérité présentement révélée ?
Ce sont là des impasses pour le croyant qui se comprend dans le
cadre des rapports « classiques » entre raison et foi.
Le croyant donc, sera-t-il pleinement responsable de son
adhésion de foi, s’il s’interroge seulement sur la compatibilité
entre telles ou telles affirmations de sa foi et telles ou telles
positions philosophiques classiques. ? Non, car un accord in
terminis entre les deux ne laisserait subsister qu’une affirmation
rationnelle et un vide de foi.
Le croyant responsable en raison cherchera le pourquoi et le
comment de la possibilité d’une adhésion de foi et de son
effectuation authentique conformément aux nécessités de son
être conscient et libre. Il s’efforcera en outre de comprendre
l’originalité spécifique d’une vérité de foi, qui ne peut se calquer
sur le type d’une vérité philosophique, mais qui n’en est pas
moins pleinement rationnelle, d’une « rationalité fiduciale »
s’harmonisant, sans identification ni empiétement aucun, avec
les trois autres formes de rationalité, en un parfait accord
ontologique.
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
19
Pour découvrir cette « rationalité fiduciale » l’homme,
comme croyant, par responsabilité propre, suscitera donc sa
réflexion philosophique sur son pouvoir naturel de croire,
remettant en cause une conception de la foi qui tend à la fermer
sur elle-même en la considérant comme un « univers de faveur ».
Et comme philosophe, en raison de sa propre démarche de foi,
ou devant le témoignage de foi de certains de ses semblables, le
même homme s’interrogera sur la conception traditionnelle de la
raison, qui elle aussi tend à fermer la raison sur elle-même en
l’emprisonnant en un « statut de solitude ». En effet les seules
trois formes de connaissance en lesquelles on estime
« classiquement » que la raison puisse se déployer, sont des
activités essentiellement « individuelles » de part en part.
Elles sont pensées comme l’apanage ontologique d’un être
humain qui pourrait exister « seul » au monde, même si en fait
elles sont pratiquées empiriquement « en équipe », « en
humanité ». Et il est vrai que les vérités selon ces formes-là de
connaissance : doxa-sciences, dianoia-mathématique et noèsisphilosophie, paraissent demeurer vraies même pour un homme
qui serait « seul au monde ». Les philosophes classiques estiment
aussi qu’il en va analogiquement de même pour Dieu, qui est
pensé, bien évidemment... seul en sa divinité : « Pensée de sa
pensée et volonté de sa volonté » selon l’expression célèbre
d’Aristote.
Le croyant et le philosophe, s’ils sont soucieux d’être fidèles
aux exigences de leurs démarches respectives, ne peuvent que
s’accorder pour remettre en cause :
a) la conception courante de la foi chez les croyants, considérée
comme supérieure à la raison et comme don privilégié de Dieu,
b) ainsi que la conception classique de la raison que la
philosophie traditionnelle cantonnerait en des activités d’essence
solitairement individuelle.
Une meilleure solution consisterait à considérer philosophiquement la démarche de foi comme pleinement rationnelle,
c’est-à-dire comme l’actualisation d’une « rationalité fiduciale »
tout comme il y a une rationalité expérimentale ou scientifique.
De même qu’il est possible sur l’affirmation d’une rationalité
scientifique de développer une méthodologie de la science et
d’apprécier la valeur expérimentale des recherches scientifiques
en fonction de cette rationalité constitutive de l’intelligence
humaine, ainsi il serait possible sur la base d’une rationalité
20
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
fiduciale, constitutive de la conscience de déterminer la valeur
d’une adhésion de foi et la « crédibilité fiduciale » d’une
révélation qui sollicite une telle adhésion fiduciale.
La foi comme forme rationnelle de connaissance
« L’homme par nature désire connaître » faisait déjà
remarquer Aristote. Or la foi est une forme spécifique de
connaissance. Elle est donc constitutive de la nature humaine.
L’homme par nature désire donc « croire ». Et comme cette
forme de connaissance est fondée en sa nature consciente, elle
est pleinement « rationnelle ». Développons le raisonnement.
Il est possible en un premier temps « d’induire » — imparfaitement — ou de « postuler », à partir de certaines
affirmations de la philosophie classique et de l’expérience
commune, l’existence d’une forme de connaissance qu’on
pourrait appeler « fiduciale ». Mais cette « inférence » n’est pas
une preuve rigoureuse, car tous ses enchaînements n’ont pas une
même valeur transcendantale. Elle peut cependant ouvrir
psychologiquement la voie à une véritable reconnaissance de la
fiducialité de la conscience. En voici les étapes.
L’activité de connaissance est classiquement conçue comme
la propriété universelle de tout sujet individuel, de sorte que dans
l’hypothèse d’un seul sujet existant, cet unique sujet en aurait la
pleine jouissance. Même en un état — hypothétique, bien
entendu — de solitude ontologique, l’homme conscient disposerait de son entier pouvoir de connaître et pourrait pleinement
l’exercer. C’est sur la base de ce présupposé d’ailleurs qu’on
interprète souvent, mais « tendancieusement », la démarche du
doute cartésien et l’affirmation du « Cogito ».
La conception classique de la connaissance est élaborée donc
comme s’il s’agissait de l’activité d’un sujet seul qui n’aurait en
face de lui que des choses matérielles perçues sensiblement. Elle
est affirmée comme objectivement universelle, c’est-à-dire
comme mise en œuvre intégralement par chacun de tous ces
« sujets seuls ».
Or d’une part ce « sujet seul », ce « Cogito » solitaire se
connaît lui-même, d’une certitude philosophique ou
métaphysique, comme un être libre, et d’autre part l’expérience
commune lui fait reconnaître, d’une certitude empirique et
psychologique, l’existence d’autres sujets libres. Le philosophe
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
21
classique n’a pas en effet, à partir des présupposés de l’ontologie
grecque ou unitaire, la possibilité d’établir avec une certitude
métaphysique l’existence d’autrui. Elle est pour lui un fait
objectif avéré, mais elle n’est pas une nécessité transcendantale
de l’être.
C’est ici donc qu’apparaît l’insuffisance de rigueur de notre
tentative pour induire l’existence d’une connaissance fiduciale et
reconnaître la fiducialité de la conscience à partir des thèses
classiques. En effet le degré de certitude de la conclusion d’un
raisonnement ne pourra pas dépasser le degré de certitude le plus
faible de ses prémisses. De telle sorte que nous ne pouvons
conclure qu’à une certitude empirique de la possibilité de croire.
En quoi nous ne dépassons pas le témoignage de l’expérience
commune. Toutefois cette tentative a le mérite de situer le « lieu
existentiel » de la question de la fiducialité. Continuons pour
cela notre « induction ».
Instruit par son expérience commune, le philosophe
classique reconnaît à tous les hommes individuels les mêmes
aptitudes constitutives qu’il se reconnaît à lui-même. « Les
autres, à lui semblables, sont aussi des êtres libres ». C’est une
application universalisée d’une vérité qu’il découvre en son
individualité. Mais s’est-il jamais posé la question philosophique
et réflexive et pas seulement la question intentionnelle et
empirique de savoir comment il peut connaître ce « semblable
individuel » en tant que libre, qui agit librement envers lui et se
fait librement connaître de lui dans son action libre envers lui. Se
poser cette question, c’est s’engager dans la voie de la
reconnaissance de la fiducialité de la conscience envers un être
libre qui se révèle librement.
Il y a impossibilité à connaître autrui en tant que libre, par
une démarche expérimentale scientifique. Il n’est connu alors
que dans sa phénoménalité, non dans sa liberté. Or celle-ci est
postulée par l’universalisation des qualités que le sujet découvre
réflexivement en lui-même. Affirmé comme libre, ne pourrait-il
jamais être connu dans l’exercice de sa liberté envers moi ?
Pour cela il faut assurément que sa liberté s’exerce, non
seulement devant moi envers des choses, mais envers moi en me
permettant d’en prendre conscience, c’est-à-dire en se révélant
de telle manière que je puisse le connaître dans son action libre
envers moi. Alors seulement je pourrai « le croire », croire en lui,
me lier à lui en un « lien fiducial », lien de révélation de sa part,
22
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
lien de foi de la mienne. La révélation, c’est-à-dire la réalité
d’une personne libre qui se révèle à moi dans son engagement
pour moi, voilà « l’objet général » de ma foi, « l’objectum
formale intellectus fidei », « l’objet formel de la conscience
fiduciale », de même que l’être est l’objet formel de
« l’intellectus reflexionis » l’objet formel de la conscience
réflexive. La révélation par un autre en tant que libre de son
engagement à me faire exister en plus grande perfection est à la
« foi fiduciale » — excusez ce pléonasme —, ce que les actions
des choses selon leurs lois naturelles sont à l’expérimentation et
à la connaissance scientifique, et ce que les nécessités
constitutives de la conscience en son être, sont à la conscience
elle-même en tant que présente à elle-même, c’est-à-dire à la
connaissance réflexive philosophique.
Nature de l’ontologie impliquée par la fiducialité
Cette conception de la connaissance fiduciale suppose une
autre conception de l’être. Non plus seulement « substantielle »,
mais substantielle et relationnelle. Substantialité et relationnalité
de la personne consciente et libre y sont indivisiblement liées et
s’impliquent l’une l’autre en même valeur de perfection. La
substantialité du sujet qui se révèle ou du sujet qui croit ne
l’emporte pas en valeur ontologique sur leur relationnalité de
révélant ou de croyant, ni réciproquement. Une telle ontologie
pose donc comme signe de la perfection de l’être plusieurs
formes d’unité : une unité de structure pour la relation « révélantcroyant », une unité de nature pour l’un et l’autre et une unité
d’identité avec soi pour chacun. L’être, c’est-à-dire « ce qui
existe », est une unité relationnelle d’êtres, uns avec eux-mêmes
en l’unité d’une même nature pour chacun, intérieurement
structurée selon la relationnalité qu’ils ont entre eux.
Nous inférons ici l’existence d’une ontologie logiquement
contradictoire (tiers exclu) de l’ontologie classique qui ne
reconnaît, en la perfection de l’être qu’une seule forme d’unité :
l’unité substantielle d’identité avec soi en la nature du soi. Les
autres formes d’unités dans le réel sont des unités accidentelles,
qui viennent s’ajouter à l’unité substantielle du sujet, et lui sont
donc ontologiquement inférieures et subordonnées.
Si la reconnaissance de la fiducialité de la conscience
postule une ontologie relationnelle et interpersonnelle, la
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
23
réciproque est vraie également. Cela veut dire que la preuve
d’une telle ontologie ne repose pas sur le fait d’admettre la
fiducialité de la conscience, encore moins de l’accepter comme
une « révélation » ou une croyance. Une telle ontologie ne peut
être fondée que par la méthode philosophique, c’est-à-dire par
une « réflexion » en notre être propre, en une recherche
transcendantale des conditions a priori de l’activité consciente.
C’est dans le cadre d’une telle ontologie philosophique que le
pouvoir de croire et l’acte de croire, comme impératif de vie,
prennent toute leur signification pour l’homme. Nous avons
proposé les grandes lignes d’une telle ontologie transcendantale
dans notre livre « L’être de l’Alliance » (Paris, Cerf, 1992). « Exister,
c’est exister en alliance ». « Être, c’est communiquer l’être ».
Thomas d’Aquin y voyait même le propre de l’être en sa
perfection, de l’être en acte, de « l’acte d’être » 4.
L’analyse réflexive transcendantale de la conscience dévoile
des a priori constitutifs qui impliquent l’existence nécessaire
d’autrui. Non seulement son existence de fait, mais de droit ; non
en vertu d’une imperfection dans le sujet humain individuel,
mais en raison de sa perfection d’être, de par son « actus
essendi » humain. Dès lors lorsque l’homme parvient au terme
de sa réflexion et affirme un Absolu divin à la source de son être,
il affirme cet Absolu divin comme étant en lui-même une
« communication d’être », communication parfaite et en
plénitude, au-delà de toute imperfection, au-delà de tout
étirement dans le multiple et de toute indéfinitude en devenir.
Reconnaître Dieu comme créateur, comme capable de
communiquer l’être de telle sorte que sa Création existe,
implique que ce pouvoir de faire être soit parfait en Dieu. Ce
pouvoir de créer, qui est en Dieu, ne peut pas être une simple
possibilité, puisque Dieu est activité pure. De plus l’actuation de
ce pouvoir ne peut dépendre de la création, c’est-à-dire ne
s’actualiser, pour être, qu’envers des êtres finis. Il faut donc que
ce pouvoir que nous pensons, quand nous pensons Dieu comme
notre créateur, soit actualisé en perfection en Dieu même et que
« Dieu » soit la perfection et la plénitude en acte de ce pouvoir 5.
Dieu est « Ce qui existe en perfection absolue comme
Communication d’être interpersonnelle entre plusieurs ». Penser
qu’un être existant en une solitude stricte d’unicité en sa nature
puisse faire être d’autres êtres est une contradiction ontologique,
une impossibilité ontologique. Une telle pensée humaine n’est
24
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
que de l’anthropomorphisme psychologique, où la contradiction
n’est pas perceptible, et par lequel nous prêtons à Dieu, porté à
l’infini (imaginatif) le pouvoir qu’un humain individuel a de
fabriquer empiriquement un objet matériel.
Le premier moment de notre évolution humaine vers le
monothéisme fut d’affirmer l’existence d’un démiurge
organisateur de la matière chaotique. C’est la situation de
l’artisan humain magnifiée autant que faire se peut. Notre
deuxième moment est celui de considérer que Dieu n’a pas
besoin d’un substrat « objectif », face à Dieu, pour faire quelque
chose. Il est indépendant de toute chose extérieure pour « créer ».
Il crée « ex nihilo ». Mais notre « idée » du « sujet agissant
divin » n’a pas changé par rapport au démiurge. Il est un
« individu », un être pensé en son « unité indivise », l’unique
« sans égal », « sans associé », c’est-à-dire qu’il est pensé selon
un concept « objectif et empirique », en tant que le « premier
d’une série, mais sans suite ».
Quand nous parlons ainsi, nous parlons sans nous interroger
sur la compatibilité ontologique entre sa « situation » —
pensée — de sujet seul et le « pouvoir de faire exister quelque
chose sans rien utiliser », que nous lui reconnaissons. Le pouvoir
de créer est déjà certes rationnellement reconnu dans le « ex
nihilo ». Mais ce pouvoir qui est « sien » pour Dieu n’est pas
encore pensé comme « constitutif » de son être. Il n’est pas
intériorisé à notre pensée de l’être de Dieu. Il est simplement
constaté « en creux » dans l’absence de choses : « ex nihilo ». De
plus une telle idée d’unicité, propre à la pensée mathématique et
impliquant la négation d’un indéfini potentiel, sans acquérir pour
autant une « positivité transcendantale », ne peut être affirmée de
« l’essence divine ». Ce serait encore de l’anthropomorphisme.
Elle n’est applicable à Dieu que dans son rapport à la création.
Aussi le troisième moment de notre idée du Dieu-unique-parrapport-à-nous est de le considérer comme la Perfection en
plusieurs de ce pouvoir de faire exister.
Qu’on ne dise pas que de ce pouvoir Dieu peut user ou non ;
qu’il est libre de créer ou pas. Ce serait faire dépendre son
activité créatrice, par quoi nous reconnaissons qu’il est
transcendant, d’une forme de liberté uniquement propre à l’être
fini en raison de sa finitude : la liberté de choix. Il y a là une
nouvelle forme d’anthropomorphisme psychologique et
d’impossibilité ontologique.
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
25
C’est par l’idée rationnelle de l’unicité de Dieu dans
l’unicité d’une communication d’être entre plusieurs que se voit
affirmée sa transcendance absolue, non seulement par rapport à
« l’objet » d’une action : c’est le « ex nihilo » qui affirme déjà
cette transcendance par rapport à tout « objet primordial », mais
en soutenant qu’il est en lui-même indépendant d’un acte
créateur d’êtres finis pour être en lui-même pouvoir et acte de
faire être et donc être en perfection communication d’être.
En créant, Dieu manifeste qu’il est en lui-même
communication d’être. Il « se révèle tel » à celui qu’il crée, dans
l’acte où il le crée. Il ne se manifeste pas à des êtres préexistants.
Sa manifestation en serait dépendante. Il n’est pas un démiurge
révélateur. Comme il crée « ex nihilo », il se manifeste « ad
nihilum ». Il ne se manifeste qu’à son œuvre et à « rien d’autre »,
tout comme il n’a besoin de « rien d’autre » pour son œuvre.
Il s’agit donc d’une révélation immanente en l’être créé, qui
constitue celui-ci, selon sa « mesure de conscience », en « être
fiducial ». C’est donc une œuvre de Transcendance absolue. La
« fiducialité » naturelle de la conscience humaine est
l’affirmation en acte de la Transcendance absolue de Dieu, dans
son absolue proximité avec l’homme.
On pourra en outre parler d’une « révélation transcendante »,
qui s’accomplit par communication d’être, toujours par
« immanence d’une œuvre divine », — au sens actif du terme,
bien entendu, comme pour la création —, mais par
communication d’être en mesure divine personnelle, à un
homme conscient, pleinement constitué en fiducialité humaine
créée. Il s’agit alors, pour les croyants chrétiens, de la révélation
de Dieu en l’incarnation du « Verbe divin » en Jésus, lorsqu’il y
a « révélation » par Dieu du terme ultime, à-venir pour toute
l’humanité, de l’acte initial et permanent de création.
La création en tant que telle est donc un acte de
« révélation » de Dieu, non en tant que Dieu crée des choses
matérielles non connaissantes et non conscientes, qui seraient
seulement comme son « miroir » pour l’homme, mais en tant
qu’il crée des êtres « à son image », conscients de leur être et
capables de comprendre leur être comme « être reçu », comme
« être créé », comme « être communiqué ». En l’être de tels êtres,
donc, Dieu « se manifeste et se rend visible » dans la conscience
que l’homme prend de son être en tant que « créé ».
26
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
L’acte divin de « révélation-création » pose l’homme en
l’existence d’une manière toute différent de la création de
l’univers matériel. Celui-ci est là, comme une « chose » qui est
simplement « là », ignorant tout de son Auteur, ignorant qu’il.
porte la trace (les vestigia Dei) de son Auteur. Dieu crée
l’homme comme « conscient de la réalité de son humanité »,
comme sujet capable de se reconnaître comme « créé ».
L’homme se reconnaît en tant que terme d’un engagement absolu
et absolument libre d’un Autre pour son existence, engagement
qui n’est pas aléatoire ou arbitraire. L’homme se reconnaît en
son existence en tant qu’il est la réalité même de l’engagement
de Dieu, non pour autre chose que l’homme, mais pour son
existence. L’homme peut dire : J’existe, donc Dieu s’est engagé
pour moi en moi. L’homme est ainsi la vérité que Dieu fait
exister pour lui, l’homme. L’homme est ainsi capable de
reconnaître « réflexivement » la dimension fiduciale de son être
et d’y adhérer — en exigence éthique de consentement à notre
être — en tant que croyant, comme « créé-croyant ».L’homme
est ainsi le récepteur conscient de cette communication d’être
révélatrice du « Révélant » absolu.
« Que l’homme soit créé », cela n’est pas l’objet d’une
révélation divine, révélation qui serait ici entendue
psychologiquement, comme une information donnée aux
hommes sur l’état des choses du monde et sur lui-même, ni
comme une inspiration où le poète, justement admiratif devant
les beautés de la nature, affirme que les cieux chantent la gloire
de Dieu, ni même comme la divulgation d’un secret céleste, mais
elle est « révélation » en son être, pour l’être conscient. La
possibilité, pour l’être conscient qu’est l’homme, après avoir
reconnu réflexivement et de façon pleinement rationnelle son être
comme « création-révélation », d’adhérer, en impératif éthique
de liberté, à son être selon sa relationnalité propre avec le
Créateur-révélateur, c’est la « fiducialité » de la conscience
comme dimension constitutive de son être. L’homme est créé, en
tant que conscient de lui en son être, comme capable de croire »
et en fidélité éthique à son être il s’engage alors en des conduites
de foi effectives, progressivement ajustées à travers l’histoire à
leur idéal intelligible.
Cette disposition constitutive est ouverte à un « surcroît de
révélation ou de création », car l’homme saisit aussi sa finitude
ontologique la plus profonde, à la racine de sa liberté, dans la
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
27
possibilité de la faute et dans son péché effectif inévitable, tandis
qu’il se comprend comme « obligé et destiné par l’acte créateur »
à exister en une générosité parfaite envers autrui, en réception
fiduciale d’une parfaite générosité du Créateur. Ce « surcroît de
révélation » en « révélation transcendante » implique donc, à la
mesure de Dieu et par-delà la mort, une libération de tout mal et
l’élévation de l’humanité en de parfaites relations interpersonnelles d’amour, comme achèvement de son acte créateur.
L’acte de révélation est donc toujours un acte de
« communication d’être » et l’acte de foi une « réception d’être ».
Voilà pourquoi dans l’acte de révélation, le révélateur révèle son
engagement envers le croyant afin de donner existence ou « un
plus être en l’existence » au croyant. Le révélateur divin s’engage
toujours pour l’épanouissement de celui, ou plutôt de ceux dont
il sollicite la foi, les ayant créés nécessairement comme « êtres
en fiducialité ». Aussi la conscience fiduciale ne peut concevoir
authentiquement de révélation qu’orientée à son épanouissement
personnel et relationnel, ainsi qu’à celui de tous les hommes,
sans exclusive aucune. Le « salut » de Dieu, c’est-à-dire le « don
de la vie parfaite d’amour » se doit d’atteindre et atteindra tous
les hommes et aucun ne pourra s’en exclure.
Le langage psychologique s’accorde ici avec cette analyse
philosophique. On se « fie » à celui qui nous veut du bien ; on se
« méfie » de qui nous menace. La menace prend la conscience
fiduciale « à revers », car elle est la négation d’une communication d’être. Il y a conduites de révélation entre conjoints et
de la part des parents envers leurs enfants, et conduites de foi et
de confiance entre conjoints et de la part des enfants envers leurs
parents.
Les formes de la fiducialité.
Symétriquement au fait que l’acte créateur est fondé en une
communication d’être entre plusieurs en Dieu même, il
s’accomplit en son terme en des êtres, qui « en image » de Dieu
sont, selon leur aspect de perfection, également en
communication d’être. Ce sont les êtres humains en structure de
vie familiale : époux-père ; épouse-mère ; fils et filles. Cette
structure familiale « s’universalise » en l’humanité toute entière.
C’est la structure familiale et ses relations internes qui sont
l’aspect de perfection des rapports humains entre tous les
28
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
hommes et la base d’une fraternité universelle. Ce qui revient à
dire que les « valeurs universelles » de l’homme sont en leur
essence des relations intersingulières et non des qualités
« uniformisées » en commun dénominateur. « Les valeurs
universelles », ce sont les aspects de perfection interpersonnels
qui sont « universalisés » et non des « généralisations » abstraites
des bonnes qualités de nos actions.
En conséquence, comme la fiducialité est cette forme de
conscience et de connaissance corrélative d’une structure
ontologique de communication d’être, on peut considérer
l’existence d’une fiducialité spécifiquement humaine, c’est-àdire entre les personnes humaines. Elle se différencie selon
différents niveaux de profondeur : fiducialité sociale, fiducialité
amicale, et les plus profondes : la fiducialité conjugale et la
fiducialité filiale. On pourrait en développer toute une phénoménologie, dans leurs réalisations authentiques ainsi que dans leurs
contrefaçons et leurs perversions. Les phénoménologues et les
romanciers s’y emploient, mais ils en ignorent le statut
ontologique.
Les formes concrètes de la fiducialité humaine servent de
base analogique pour « exprimer » et extérioriser notre conscience fiduciale envers Dieu. Il s’agit alors de « foi théologale »
en analogie avec la foi conjugale et la foi filiale. Le langage
religieux, particulièrement celui de la Bible, de la Torah et des
Évangiles, recourt à ce fond d’analogies.
Pour la fiducialité théologale, il nous faut reconnaître une
double composante, en raison de l’historicité de l’homme propre
à sa finitude. Il en est de même d’ailleurs pour les formes de la
fiducialité humaine qui impliquent la durée comme la conjugalité
et la filiation. Un mouvement de communication de l’être qui
s’accomplit dans le temps peut être considéré doublement, à
partir de son présent vers sa source, vers son origine toujours
présente d’ailleurs d’une part, et vers son terme d’autre part
considérant son présent comme une ouverture nécessaire à son
avenir, comme une présence qui n’est pleinement ce qu’elle est
que par sa destination à venir. Ces deux moments sont
indissociables, mais l’accent de conscience peut être mis tantôt
plutôt sur l’un que sur l’autre.
Dans la religion juive nous observons une conscience
fiduciale de l’origine, de la création, une foi en Dieu, non
seulement pour son action à l’origine des temps, mais à l’origine
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
29
du présent du temps, c’est-à-dire comme « auteur de l’histoire »,
« qui se révèle dans l’être des hommes historiques », non dans
les « péripéties » historiques. Les événements ne prennent de
sens pour le croyant qu’en fonction de notre compréhension de la
création de Dieu en l’histoire. Sens naïfs d’abord et très
empiriques et ensuite progressivement élaborés critiquement. Les
hébreux et ensuite les juifs comprennent leur existence
personnelle et celle du peuple tout entier parmi les Nations en
dépendance d’une initiative divine. Dieu passe alliance avec eux.
Ils expriment dans les catégories de la conscience fiduciale,
essentiellement dialogale, leur condition de créatures conscientes
et historiques.
La parole de Dieu qui leur est adressée, n’est pas un
assemblage de mots, mais leur propre réalité humaine. Et cette
réalité humaine, ils l’expriment, eux, en des « mots » de
conscience fiduciale. De là l’origine du caractère, non pas
« sacré », mais « saint » du texte de la Torah, parce que ce texte
essaie de dire la sainteté de Dieu qui se révèle, positivement,
dans ce qui est saint en l’homme, et par contraste en ce qui est
péché en l’homme. Dieu « dit » de la sorte la sainteté de
l’homme et le péché de l’homme en référence à sa propre
sainteté divine (Lv. 19, 2 et sq.)
Mais il est bien évident que Dieu ne parle pas au sens
psychologique du terme. Le penser ne serait que de l’empirisme
religieux, une forme d’anthropomorphisme encore. Car il est
bien évident que parler, comme l’homme parle en ses langues
multiples, est le propre d’un être spirituel certes, mais corporel
aussi. Or Dieu est totalement incorporel. Il ne parle donc pas ; il
ne tient pas de discours, ne nous dicte, ne nous inspire, ne nous
fait réciter aucun texte, ni directement, ni par quelque
intermédiaire « objectif » que ce soit. Ou plutôt il « parle » en
perfection. Car qu’est-ce pour nous la parole adressée à autrui ?
C’est une action par laquelle nous tentons de faire exister
quelque chose pour autrui. Nous lui disons par exemple que nous
l’aimons. Parole réalisatrice, mais humainement si peu
réalisatrice que les actes doivent suivre et l’accomplir ! Dieu
« parle en perfection », d’une façon pleinement réalisatrice. Sa
parole est « créatrice ». La « parole de Dieu » est donc à
proprement parler « une réalité ». Elle est de l’être, non
seulement en tant que parole réelle, mais en tant qu’elle est « un
être et des êtres ». La parole qu’il adresse à l’homme n’est donc
30
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
autre chose que la réalité même de l’homme donnée à l’homme,
pour l’homme lui-même qui en prend conscience. L’homme est
en sa réalité même, la « parole » que Dieu lui adresse. Lorsque
donc l’homme se dit en paroles humaines ce qu’il est en vérité, il
entend la « parole de Dieu ». Lorsqu’il se trompe sur la vérité de
son existence, il « brouille » la parole de Dieu. Et manquer
d’intelligence, c’est être sourd à cette parole. Comprenons cela
sans psychologisme ni fantasmes psychiques ! Aussi la « parole
de Dieu », qui est toujours modulée par la manière humaine dont
nous la comprenons et l’exprimons, nous n’avons pas à
l’imposer par la force, la malédiction, le chantage au bonheur, la
ruse ou la séduction, mais seulement la proposer par l’intelligence pour l’intelligence et par le cœur pour le cœur.
Dans les religions chrétiennes, nous observons une
conscience fiduciale du présent compris dans la révélation de son
avenir en un homme nommé Jésus, dit le Nazaréen. Il ne s’agit
pas en effet d’une compréhension du présent en fonction d’un
avenir issu de projets humains, en fonction de ce que sera
demain par rapport à aujourd’hui, mais d’un avenir de l’homme,
de toute l’humanité passée, présente et future, c’est-à-dire d’un
avenir de toute l’histoire humaine, au-delà de l’histoire ellemême, avenir transcendant donc, révélé par Dieu lui-même
comme l’aboutissement de son engagement présent et originel de
Créateur. Cette révélation transcendante se fait sur la base des
principes de révélation ontologiques, qui fondent la Torah. En
celle-ci hébreux et juifs se sont dit et dit au monde leur « être
humain » créé en alliance comme réalité révélatrice de Dieu. Une
révélation transcendante de Dieu ne peut donc être qu’une réalité
vivante, non un « texte » mais un homme qui est effectivement et
en plénitude « Parole de Dieu », c’est-à-dire une personne divine
humainement présente, selon les conditions humaines, en notre
histoire et qui nous « dit » de façon réflexivement humaine son
« être divin ».
En effet, comment Dieu « parle-t-il » ? Non pas en mots,
mais par des « réalités ». Dieu se doit de manifester
« humainement » la réalité de l’homme au-delà de son histoire
présente. Le croyant chrétien reconnaît que Dieu a manifesté en
l’homme Jésus cet au-delà de toute l’histoire. C’est « la
résurrection qui suit la passion » ou « la passion suivie de la
résurrection ». « Passion » qui révèle la présence de Dieu engagé
pour l’humanité jusqu’en l’inévitabilité de sa méchanceté. La
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
31
résurrection pour révéler qu’engagé totalement pour l’humanité,
Dieu est aussi engagé pour la libération de cette méchanceté
jusqu’à la racine même de sa possibilité. C’est là l’essentiel de la
révélation de Dieu en Jésus. Ce n’est pas le « christianisme » qui
est révélé. Il est le témoin de cette révélation et il l’est sur la base
de la révélation de Dieu en sa création, telle que les hébreux et
ensuite les juifs en ont pris conscience et l’ont explicitée et
comme il appartient à tous les hommes de l’approfondir.
Dieu manifeste ainsi en un homme la plénitude de son
engagement pour l’homme. Plénitude conçue par Dieu, parce
qu’il est Dieu, non seulement parce qu’il en forme le projet ou le
dessein, qu’on pourrait alors imaginer différent, mais en raison
de son « être divin trinitaire », et donc nécessaire, dès l’instant
de son acte de création selon la spécificité de chacune des
personnes divines. Il s’agit de la plénitude de communication de
son être divin, à l’image de la plénitude de la communication
d’être trinitaire en lui. Or, ce n’est qu’en étant « personnellement », c’est-à-dire par une de ses Personnes, présent en un
homme qu’il peut le faire. C’est « l’incarnation ». En d’autres
termes : la perfection de la communication de l’être entre
plusieurs, qui est Dieu même, est manifestée « personnellement »
en un homme selon la manière dont Dieu, en ses relations
interpersonnelles propres, peut les faire participer à cette
communication d’essence trinitaire.
En faisant exister l’homme conscient, conscient en son être,
et donc capable de devenir conscient de son initiative divine et
d’exprimer fiducialement cette conscience, Dieu, ayant ainsi, par
son acte créateur, passé « alliance » avec l’homme qu’il crée,
s’est engagé devant Lui-même à mener jusqu’en sa perfection la
communication d’être commencée en sa création. Dès l’origine
de la création — et même dans son projet divin — il y a
engagement total de Dieu, donc engagement d’une communication parfaite d’être, engagement d’une communication d’être à
la mesure de Dieu même, pour des êtres créés finis mais
conscients, c’est-à-dire engagement pour une « divinisation » de
l’homme, de toute l’humanité, par Dieu même, accomplie selon
la structure trinitaire de ses relations interpersonnelles de
communication.
Or comme la communication de l’être est le fondement de
l’éthique et de son exigence d’amour, une communication
parfaite d’être de la part de Dieu établit l’homme en une totale
32
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
perfection éthique, par-delà les imperfections de ce monde et
donc par-delà cette existence historique, le libérant ainsi de tout
mal à subir et de la possibilité même de pouvoir lui-même
encore commettre le mal.
L’actualisation de la fiducialité théologale en sa forme juive
et son actualisation en sa forme chrétienne, sont indispensables
l’une à l’autre pour témoigner de la totalité de l’œuvre de Dieu
pour l’homme. L’une ne peut remplacer l’autre, ni s’y substituer,
ni l’absorber, ni l’exclure. Dans l’histoire, la foi juive est
« ouverte » à la révélation évangélique, mais elle n’y conduit pas
par nécessité interne. Ex parte Dei il y a implication nécessaire
de la divinisation, et donc de sa révélation, dans la création, dès
son origine dans le « projet même » de Dieu. Mais il n’y a pas
implication nécessaire de la conscience fiduciale humaine juive
en la création envers la révélation évangélique. S’il y avait une
quelconque nécessité interne de passer de l’une à l’autre, il n’y
aurait pas de « révélation transcendante » spécifique de Dieu en
Jésus. Nous serions simplement dans l’ordre d’une révélation
immanente en la création.
Mais tandis que le judaïsme n’a pas besoin dans l’histoire du
christianisme pour être ce qu’il est, le christianisme au contraire
a besoin du judaïsme comme condition d’intelligibilité de la
révélation de Dieu en Jésus, du fait que l’incarnation révélatrice
présuppose la création, non seulement en tant que « donnée
première dans la réalité », mais pour autant et telle qu’elle est
fiducialement comprise par les hébreux et les juifs. La vie juive
selon la Torah est la condition historique de possibilité
d’existence de la révélation transcendante de Dieu en Jésus.
Asymétrie d’un côté, symétrie de l’autre, car « l’ouverture de la
Torah à l’Évangile de Jésus » est constitutive du Judaïsme en
tant que sa conscience de la création à l’origine peut aussi le
tourner vers l’accomplissement transhistorique de l’œuvre de
Dieu.
L’acte divin de création en lequel Dieu se révèle
universellement implique la divinisation universelle par Dieu de
toute l’humanité et sa révélation historique en un homme,
révélation donc nécessairement limitée dans le temps mais à
faire connaître sans limitation. Le chrétien reconnaît que cet
homme fut Jésus et il lui accorde sa foi, parce qu’en lui la
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
33
possibilité de cette « divinisation universelle » s’est déjà
personnellement manifestée.
Sur cette base, il est possible de concevoir des rapports entre
le judaïsme et le christianisme qui témoigneront, dans leur
nécessaire distinction, de l’unité de l’œuvre de Dieu, en ses
composantes de création et de divinisation.
Conclusion
En résumé, nous pourrions définir, en général, la « fiducialité
comme la propriété ontologique, constitutive de la conscience,
en vertu de laquelle une personne humaine est apte à reconnaître,
selon des exigences de vérité spécifiques, qu’une autre personne,
humaine ou divine, est capable, par initiative libre et selon sa
mesure propre, de s’engager à son égard, en vue de son bonheur.
La disposition fiduciale, constitutive de la conscience selon
ce qu’il y a en elle de perfection d’être, est la condition a priori
de possibilité de l’acte de foi envers celui qui s’engage et qui
révèle son engagement pour le bonheur de celui dont il sollicite
l’adhésion de foi. Cette disposition est pleinement « rationnelle »
en tant qu’elle s’impose comme une nécessité en une prise de
conscience réflexive et transcendantale de l’être comme
« communication d’être ». Sa rationalité n’est pas perçue dans le
cadre d’une ontologie de « l’être-là » substantiellement clos sur
lui-même, accidentellement seulement en relation avec autrui.
Par rapport à une rationalité étroite, comme l’est la rationalité
occidentale prise dans sa seule dimension « grecque », il faut
alors dire que la foi « dépasse » la raison ou est un don en
« surplus de la raison ». Par rapport à une rationalité intégrale, à
laquelle la rationalité occidentale est fondamentalement ouverte
et de plus en plus consciente explicitement de cette ouverture, la
foi comme actualisation d’une fiducialité constitutive est
pleinement rationnelle.
Seules les vérités qui, par nature, prennent leur origine et
leur réalité dans la liberté d’une personne qui s’engage pour
notre accomplissement et qui nous révèle son engagement,
s’adressent à notre conscience « fiduciale ». Je ne peux par
initiative strictement individuelle connaître la moindre des
vérités de « révélation », non parce qu’elles excéderaient mon
aptitude à en saisir leur sens, bien au contraire, mais parce que la
34
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
réalité de ces vérités me vient de la liberté d’une autre personne,
personne humaine ou personne divine.
L’homme est par nature capable de « croire », et même « de
croire rationnellement ». Mais il ne peut croire authentiquement
que ce qu’un autre, parce que libre et en tant que libre fait exister
librement pour lui et son bonheur. Cette foi est rationnelle car la
nécessité d’existence de cet autre s’impose à moi réflexivement
en la structure même de mon être individuel conscient. Croire est
une possibilité qui excède ma nature individuellement considérée, en une action « solitairement accomplie ». Thomas
d’Aquin appelle en fait « surnaturelle » l’action qui me vient
d’un autre. Or c’est le cas d’une « révélation ». Si on a de la
nature humaine une « conception individualiste », alors il faut
dire que croire est un acte surnaturel. Mais le terme de surnaturel
devient superflu et ambigu, si on conçoit notre nature humaine
comme relationnelle en elle-même, et donc capable de se
reconnaître comme un « don permanent et universel » en lequel
le Créateur « se révèle » lui-même.
Les vérités de foi se distinguent par là des vérités
philosophiques, scientifiques ou encore mathématiques. Ces trois
dernières formes de vérité requièrent, au contraire, de ne pas
prendre leur réalité dans l’initiative libre d’autres personnes,
même si elles peuvent nous être enseignées par elles. Il va de soi
que c’est réflexivement et donc philosophiquement que je prends
conscience de l’essence de la fiducialité. Et cette conscience de
mon être « fiducial » me permet de vivre aussi « fiducialement »,
comme un engagement de Dieu pour moi, ma propre recherche
en exercice de vérités philosophiques et scientifiques, ainsi que
tous les autres événements de ma vie. Cette conscience fiduciale
du Dieu universellement créateur ne doit toutefois pas se
pervertir en l’idée d’un Dieu interventionniste, « bricolant » les
lois de la nature et les volontés humaines.
D’une part cette prise de conscience philosophique de mon
être fiducial humain n’est pas encore une actualisation de sa
fiducialité. D’autre part la fiducialité peut être vécue sans qu’on
en ait explicitement une conscience réflexive adéquate. Ainsi
dans le cas de l’amour humain. Une analyse réflexive de l’amour
humain entre époux ne signifie pas que le philosophe en vive. La
réflexion philosophique n’est pas formellement un engagement
conjugal. Mais si le philosophe ne vit pas un tel engagement —
dans le choix du célibat par exemple —, son analyse d’une telle
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
35
fiducialité conjugale sera-t-elle adéquate ? Il pourra en revanche
mieux analyser sa fiducialité « filiale », laquelle s’impose à tout
être humain. Par ailleurs vivre une situation fiduciale : filiale
et/ou conjugale, ou encore théologale, sans la « réfléchir »
transcendantalement, ce serait retarder, pour un temps, le
bonheur d’être toujours plus conscient de notre existence
humaine et de sa valeur « en image » de l’Absolu divin.
1
Roger Aubert, Le problème de l’acte de foi. Données traditionnelles et résultats
des controverses récentes, Louvain, 1950, principalement ch. III, art. II, La
justification rationnelle de l’acte de foi. « La difficulté de concilier l’aspect
raisonnable et l’aspect surnaturel de la foi n’est pas la seule question obscure sur
laquelle les théologiens contemporains ont cherché à jeter un peu de lumière. » p.786.
L’auteur traite de la rationalité des « préambules » de la foi — les raisons que
nous avons pour nous décider à « croire », lesquelles sont principalement d’ordre
psychologique —, plutôt que de la « rationalité » ontologique de l’adhésion de foi
proprement dite. L’auteur utilise d’ailleurs le terme « raisonnable » et non le terme
« rationnel ».
2
De virtutibus, q. un., a.10, 13m. « Dicendum, quod quando aliquod passivum
natum est consequi diversas perfectiones a diversis agentibus ordinatis, secundum
differentiam et ordinem potentiarum activarum in agentibus, est differentia et ordo
potentiarum passivarum in passivo ; quia potentiae passivae respondet potentia activa ;
sicut patet quod aqua vel terra habet aliquam potentiam secundum quam nata est
moveri ab igne ; et aliam secundum quam nata est moveri a corpore caelesti ; et
ulterius aliam secundum quam nata est moveri a Deo. Sicut enim ex aqua vel terra
potest aliquid fieri virtute corporis caelestis, quod non potest fieri virtute ignis ; ita ex
eis potest aliquid fieri virtute supernaturalis agentis quod non potest fieri virtute
alicuius naturalis agentis ; et secundum hoc dicimus, quod in tota creatura est
quaedam obedientialis potentia, prout tota creatura obedit Deo ad suscipiendum in se
quidquid Deus voluerit. »
La notion de « surnaturel » chez Thomas est, on le voit, pensée sans
contradiction. Elle est même en quelque sorte « naturelle », puisque l’être est
« natus », « né », et a une « nature » apte à recevoir une action que par lui-même, —
entendons par lui « seul » — il ne peut produire, mais qu’il est dans sa nature de
recevoir d’un « autre », lequel peut lui être supérieur ou d’une nature de même ordre.
(Voir note suivante)
3
De potentia, q.1, a.3, 1m. « Sic enim in rebus naturalibus videtur, quod quando
aliquod corpus inferius a superiori movetur, est ei ille motus naturalis, quamvis non
videatur conveniens motui quem naturaliter habet ex seipso ; sicut mare movetur
secundum fluxum et refluxum a luna ; et hic motus est ei naturalis, ut Commentator
dicit, licet aquae secundum se ipsum motus naturalis sit ferri deorsum : et hoc modo
omnes creaturae quasi pro naturali habent quod a Deo in eis fit. Et propter hoc in eis
distinguitur potentia duplex : una naturalis ad proprias operationes vel motus ; alia
quae obedientiae, ad ea quae a Deo recipiunt. »
Nous soulignons dans le texte le double emploi du mot « natura, naturalis », l’un
« individualiste », l’autre en quelque sorte « relationnel ». Il en ressort que la
« potentia obedientiae » est « quasi naturalis ». L’exemple des marées est lui aussi
significatif. La théorie physique newtonienne sur la « relation » d’attraction des
36
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
masses unifiera les deux aspects que la physique aristotélicienne distinguait parce
qu’elle était uniquement « substantialiste ». De même que la structure des lois de la
physique moderne est essentiellement de type « relationnel », ainsi devrait-il en être de
notre ontologie, car l’intelligibilité de l’être est essentiellement relationnelle.
4
De potentia, q.2, a.1, c. « Dicendum, quod natura cuiuslibet actus est, quod
seipsum communicet quantum possibile est. Unde unumquodque agens agit secundum
quod in actu est. Agere vero nihil aliud est quam communicare illud per quod agens
est actu, secundum quod est possibile. Natura autem divina maxime et purissime actus
est. Unde et ipsa seipsam communicat quantum possibile est. Communicat autem se
ipsam per solam simililitudinem creaturis, quod omnibus patet ; nam quaelibet
creatura est ens secundum similitudinem ad ipsam. Sed fides catholica etiam alium
modum communicationis ipsius ponit, prout ipsamet communicatur communicatione
quasi naturali : ut sicut ille cui communicatur humanitas est homo, ita ille cui
communicatur deitas, non solum sit Deo similis, sed vere sit Deus. »
Les deux formes de communciation d’être, celle de l’acte créateur et celle de
l’essence divine elle-même, sont juxtaposées par Thomas d’Aquin. Il ne se pose pas la
question des conditions en Dieu de la possibilité d’un acte créateur. La « reflexion
transcendantale » sur l’être doit pourtant se la poser. Si Thomas parle de
« communicatio quasi naturalis » et pas seulement de « communicatio naturalis » en
Dieu, c’est parce qu’il n’y a pas en Dieu et ne peut pas y avoir, compte tenu des
présupposés aristotéliciens sur la nature humaine, de « multiplication » de la « natura
seu substantia divina ». Une telle multiplication de la nature impliquerait à partir des
termes aristotéliciens l’existence en Dieu d’une « materia receptiva ». Ce qui est
impossible en raison de sa perfection infinie. La raison spéculative de cette
conception, c’est que toute pluralité d’êtres de même nature en raison de la perfection
de cette nature est en effet impensable pour la philosophie classique qui voit dans
l’unité indivise, excluant toute forme de pluralité personnelle substantielle, le signe de
la perfection de l’être. Et pourtant Thomas d’Aquin parle d’une « quasi naturalis
communicatio ». « Quasi » ! et il donne comme exemple précisément la
« communication de la nature humaine ». N’est-ce pas significatif ?
Si l’on estime qu’il est, en revanche, de la perfection de la nature humaine
d’exister en plusieurs personnes, et que c’est seulement la répétition à l’indéfini d’une
multitude qui relève de son imperfection (ou d’une puissance receptive matérielle),
alors il est rationnellement possible de parler d’une « communication en la nature
divine » et pas seulement de « communicatio quasi naturalis ». Mais la philosophie
classique ne reconnaît pas l’existence d’autrui comme une nécessité constitutive de la
perfection de l’essence humaine. Une telle reconnaissance change toutes les données
de la réflexion théologique. Or être soi, c’est vouloir qu’un autre soit et soit en luimême vouloir d’un autre, c’est-à-dire d’un tiers. Dans l’identité de perfection du sujet
conscient avec lui-même est impliquée l’existence de l’Autre et du Tiers, qui est
l’Autre de l’Autre en égale perfection de nature avec lui. Le Tiers est conjointement
voulu en existence par le Premier et l’Autre. Il en est ainsi avant toute considération
d’une imperfection dans le sujet conscient. La présence d’une imperfection
ontologique introduira la multiplicité de cette structure relationnelle ternaire. La
relation distinctive d’un sujet conscient par rapport à une autre personne relève en tant
que telle de la perfection de son être autant que son identité avec lui-même. Une telle
« distinction » ontologique dans l’unité de l’être est d’ailleurs le fondement
ontologique de notre « négation » logique. La négation logique, le « ne pas » entre au
moins deux êtres de même nature est constitutive de notre intelligibilité du Réel. Elle
est aussi à la base de toute pensée universelle, de notre conscience « universalisante »
en laquelle se manifeste aussi, bien évidemment, l’imperfection de notre nature
humaine dans son « indéfinitude ».
LA FIDUCIALITE DE LA CONSCIENCE
37
5
De potentia, q.2, a.6, c. « Omne enim esse in divinis essentiale est, nec persona
est nisi per esse essentiae. In potentia vero, praeter id quod est ipsa potentia,
consideratur respectus quidem vel ordo ad id quod potentiae subiacet. Si ergo potentia
quae est respectu actus essentialis, sicut potentia intelligendi vel creandi, comparetur
ad potentiam quae est respectu actus notionalis (cuiusmodi est potentia generandi)
secundum id quod est ipsa potentia, invenitur una et eadem potentia, sicut est unum et
idem esse naturae et personae. Sed tamen utrique potentiae cointelligitur alius et alius
respectus, secundum diversos actus ad quos potentiae dicuntur. Sic ergo potentia
generandi et creandi est una et eadem potentia, si consideratur id quod est potentia :
differunt tamen secundum diversos respectus ad actus diversos. »
Bien entendu Thomas raisonne dans le cadre des concepts aristotéliciens. Cela
n’empêche pas que son affirmation soit forte et perspicace. Si « la personne n’est que
par l’être de l’essence » et qu’elles sont plusieurs, il faut bien admettre qu’il est de
l’être de l’essence qu’il y ait « des » personnes. Notons en outre que l’acte de
l’essence divine, à laquelle précisément nous appliquons l’« unicité » de l’être divin,
est considéré par Thomas en rapport à l’exercice d’une puissance de comprendre et de
créer. La puissance de créer est ensuite affirmée une « essentiellement » avec la
puissance de communiquer l’être d’une personne divine à une autre. Dire que le
pouvoir de créer, comme communication de l’être à la créature est fondé sur une
communication de l’être en Dieu même est donc en affinité avec la pensée de Thomas,
lorsque nous nous plaçons dans le cadre d’une réflexion transcendantale sur
l’interpersonnalité de l’être.
Cela apparaît encore en lisant le « ad primum » de cet article, en remarquant la
symétrie de la comparaison faite par Thomas, indépendamment de savoir ce que valent
les distinctions entre « intelligence et volonté » d’une part et entre « nature et
facultés » d’autre part, lesquelles peuvent être raisonnablement mises en doute sur le
plan ontologique. L’aspect relationnel de l’agir est ici, pour l’être fini, du côté de la
« faculté », tandis que l’aspect d’identité avec soi est du côté de la « nature ».
« Dicendum, quod licet in creaturis differant natura et propositum, in divinis
tamen sunt idem secundum rem. Vel potest dici, quod potentia creandi non nominat
propositum sive voluntatem, sed potentiam prout a voluntate imperatur. Potentia
autem generandi, secundum quod natura inclinat, agit. Hoc autem non facit diversitatem potentiae, nam nihil prohibet aliquam potentiam ad aliquem actum imperari a
voluntate et ad alium inclinari a natura. Sicut intellectus noster ad credendum
inclinatur a voluntate, ad intelligendum prima principia ducitur ex natura. »
Dépendent donc de la volonté, en Dieu la puissance de créer, en l’homme la
puissance de croire — rappelons le rapprochement « création-révélation » que nous
faisons par ailleurs —; dépendent de la nature, en Dieu la communication de l’être par
engendrement, en l’homme la puissance d’intelliger les premiers principes. Et si parmi
ces premiers principes, il y avait la relationnalité interpersonnelle ? Thomas n’y pense
pas. Il n’y verra que « l’engendrement » du « concept » par l’intelligence. C’est une
communication de l’être assez pauvre... Mais il est difficile de trouver mieux dans le
cadre d’une philosophie de l’unité indivise, où la perfection d’un sujet conscient ou
d’une « noèsis » est toujours celle d’un être clos sur lui-même, selon la perfection de
sa nature.
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Joseph Duponcheele : docteur en philosophie
Contact email : <mailto:[email protected]>
Écrit pour débat à « Réflexions Chrétiennes »
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