P. FREMEAUX : “L`économie sociale et solidaire, un

1
Colloque Airmap 2014
Atelier 3
Que faut-il retenir du management des organisations
sociales et solidaires ?
Spécificités et enseignements possibles
pour d’autres formes d’organisation
Annie Bartoli, Professeur des Universités
Christelle Perrin, Maître de Conférences
Laboratoire de Recherche en Management LAREQUOI
ISM- Université de Versailles St-Quentin en Yvelines
47 Bd Vauban
78047 Guyancourt cedex
Tel : 01 39 25 55 34
Contact : christelle.perr[email protected]
Résumé :
Dans les organisations non marchandes, la recherche du profit est tantôt
considérée comme inappropriée, tantôt présentée comme un moyen pour
réaliser un projet, mais elle ne saurait être envisagée comme une fin en soi.
En nous appuyant sur le cas de deux organisations de l’économie sociale et
solidaire (ESS), nous présentons certaines spécificités managériales de
l’ESS et les interrogeons en tant que sources possibles de réflexion pour les
organisations publiques et privées, lesquelles sont confrontées aujourd’hui à
un contexte de plus en plus exigeant.
Mots clés : Economie Sociale et Solidaire, Management, Processus,
Valeurs, Fins, Moyens.
Abstract:
In non-profit organizations, the pursuit of financial profit is sometimes
considered undue, sometimes presented as an opportunity to implement a
project, but it cannot be considered as an objective in and of itself. Relying
on the case of two organizations of the Social and Solidarity Economy
(SSE), we analyze some managerial practices that could be a source of
thought for other public and private organizations, which today operate in an
increasingly demanding environment.
Key words: Social Economy, Solidarity, Management, Processes, Values,
Goals, Means.
2
Dans les organisations non marchandes, la recherche du profit est
tantôt considérée comme inappropriée, tantôt présentée comme un moyen
pour réaliser un projet, mais elle ne saurait être envisagée comme une fin en
soi. Pour autant, le besoin d’assurer la soutenabilité de l’activité nécessite
une clarté sur les priorités et une prise en compte du bon usage des
ressources et moyens. Dès lors, comme le souligne Gérard Andreck
1
, pour
être socialement efficace, il faudrait aussi être économiquement
performant La conciliation des dimensions économiques et sociales dans
les organisations ne constitue d’ailleurs pas une idée nouvelle (Savall 1975),
mais elle n’a été encore que relativement peu étudiée dans la sphère non
marchande.
Cependant, face aux dérives de certaines entreprises d’une part et
aux difficultés de bon nombre d’organismes publics d’autre part, certains
seraient tentés de rechercher une « troisième voie » (Rougeot, 2005) et de
s’inspirer du fonctionnement des organisations de cette sphère. Plus
particulièrement, l’attention croissante dont fait aujourd’hui l’objet
l’économie sociale et solidaire (ESS) révèle sans doute une quête plus ou
moins explicite de solutions nouvelles dans un contexte devenu de plus en
plus complexe.
Dans quelle mesure cette quête est-elle fondée ? Peut-on trouver
dans le fonctionnement des organisations sociales et solidaires des pistes
managériales utilisables dans d’autres milieux ? Quelques rares travaux se
sont penchés sur les réalités du fonctionnement et du pilotage de ces
organisations
2
, mais bien des questions restent à creuser pour connaître et
comprendre ce que sont vraiment les éventuelles spécificités des processus
de gestion en place dans ces organisations. se situent les particularismes
éventuels au regard du management marchand d’une part, et du management
public d’autre part ? Peut-on tirer profit des méthodes managériales et des
modes de fonctionnement de ces organisations de l’ESS ?
Sachant que la recherche de solutions alternatives peut parfois
relever d’une quête mythique, et que le management dans les organisations
de l’Economie sociale et solidaire ne saurait être considéré a priori comme
une forme « idéale » et transposable dans d’autres secteurs, nos travaux
visent tout d’abord à étayer ces réflexions par un approfondissement tant
empirique que théorique du management des organisations sociales et
solidaires. La question de l’opportunité des enseignements que l’on peut en
tirer pour les autres formes d’organisations mérite d’être abordée dans le
prolongement de ces analyses.
1
Président de la MACIF et de la GEMA (Groupement des Entreprises
Mutuelles et d’Assurances).
2
Notamment E. Bayle et J.C. Dupuis « Management des entreprises de
l'économie sociale et solidaire. Identités plurielles et spécificités », Editions
De Boeck, 2012
3
Cet article s’efforce donc de faire dans un premier temps le point sur les
contours de cette sphère particulière d’activiqu’est l’économie sociale et
solidaire, à partir de données factuelles et théoriques, et en s’appuyant sur
deux cas pratiques étudiés selon une approche qualitative. Ensuite, il
dégagera un ensemble d’enseignements concernant les conceptions et
pratiques managériales de ce secteur, et posera des pistes de réflexion pour
gérer la délicate combinaison entre fins, processus et moyens
1. LE MONDE DES ORGANISATIONS SOCIALES ET
SOLIDAIRES
L’économie sociale et solidaire ? Tout le monde semble désormais
connaître l’expression, mais il n’est pas certain que beaucoup sauraient la
définir précisément
Il s’agit en effet d’un milieu dont les spécialistes eux-mêmes
décrivent l’ancienneté et l’hétérogénéité en des termes particulièrement
ouverts : « L'économie sociale et solidaire (ESS), aux racines historiques
profondes et à la modernité ardente, rassemble une grande diversité
d'initiatives économiques, sociales, culturelles qui ne s'identifient ni au
secteur public ni au champ capitaliste. » (Alphandery 2010).
Quelques précisions sur ses possibles contours et sur son ampleur
semblent donc indispensables avant d’en analyser son fonctionnement.
11. Définition(s) et contours :
Au plan international, l’économie sociale et solidaire (ESS) serait
« un ensemble d'initiatives économiques à finalité sociale qui participent à la
construction d'une nouvelle façon de vivre et de penser l'économie »
3
. Cette
définition s’inspire des travaux de 200 représentants internationaux
d'organisations, groupes et réseaux qui, en juillet 1997, se sont réunis à Lima
(Pérou) puis en octobre 2001 à Québec (Canada). Leur déclaration
commune, visant à promouvoir la solidarité dans l’économie, énonce que
« L'économie solidaire s'appuie sur la coopération, le partage et l'action
collective. Elle place la personne humaine au centre du développement
économique et social. »
4
En France, le ministère de l’Economie et des Finances donne quant
à lui la définition suivante : « Le concept d’économie sociale et solidaire
(ESS) désigne un ensemble d'entreprises organisées sous forme de
3
Définition proposée par le Portail de la Solidarité, Institut Bioforce
(http://www.portail-solidarite.org/domaines/economie-sociale-et-solidaire).
4
Symposium International “Globalisation de la solidarité”. Déclaration
Finale. Lima, le 4 Juillet 1997
4
coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement
interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité
sociale »
5
. S’ajoute à cette première approche du concept le principe de
modes de gestion mocratiques et participatifs, ainsi que l’impossibilité de
profit individuel et la nécessité de réinvestissement des résultats. Par
ailleurs, il est également signalé que les ressources financières de ces
organisations sont généralement en partie publiques.
12. Histoire et valeurs :
Ces définitions sont orientées autant vers les finalités et valeurs,
que vers les structures et acteurs. La dimension culturelle, voire idéologique,
des approches souvent utilisées pour qualifier cette sphère semble d’ailleurs
liée à une histoire qui fut symboliquement marquée par le mouvement
ouvrier pendant la révolution industrielle au 19ème siècle en Europe : « La
notion d'économie sociale est née à la fin du XIXe siècle et s'est
progressivement structurée sous l'impulsion du socialisme utopique, du
mouvement ouvrier et du catholicisme social. Le deuxième terme, la notion
d'économie solidaire, se rapporte à des activités visant à expérimenter de
nouveaux "modèles" de fonctionnement de l'économie, tels le commerce
équitable ou l'insertion par l'activité économique.» (Draperi, 2007). Le
comité économique et social européen (CIRIEC, 2005) rappelle d’ailleurs
que dès la dernière décennie du 18ème siècle, l’Angleterre avait connu une
multiplication des "friendly societies » (sociétés amicales), tandis que des
mutuelles et sociétés d'entraide s’étaient développées parallèlement à travers
toute l'Europe (Gueslin, 1987).
La base historique du développement de ce secteur porte donc en elle-
même un certain nombre de valeurs. Celles-ci seraient d’ailleurs le ciment
qui permet de relier des initiatives très diverses, sachant qu’elles
partageraient le plus important : « une finalité d'utilité sociale s'inscrivant
dans un projet économique ; une mise en œuvre du projet fondée sur une
gestion éthique et une gouvernance démocratique ; une dynamique de
développement s'appuyant sur un ancrage territorial et une mobilisation
citoyenne. » (Alphandery, 2010).
Concernant les valeurs, il faut noter par ailleurs que certains
s’attachent à distinguer clairement les deux termes de « social » et
« solidaire ». Ainsi, selon Draperi (2011), les deux mondes n’ont pas
toujours les mêmes conceptions ou pratiques de l’activité, notamment en ce
qui concerne les ressources et les relations avec le marché. L’économie dite
sociale revendiquerait en particulier une indépendance politique au regard
des budgets de l’Etat et s’insèrerait plus aisément dans le marché, tandis que
5
Définition du CEDEF (Centre de Documentation Economie-Finances),
http://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire
5
l’économie solidaire mixerait les fonds publics et privés et se refuserait à un
fonctionnement essentiellement marchand.
Le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire se caractérise donc par
son ancienneté, sa présence internationale, et ses valeurs. Il est également
porteur d’une extrême variété, notamment du fait de son ampleur.
13. Importance et variété du milieu social et solidaire :
L’une des manières de définir ou reconnaître le périmètre de ce
milieu relève d’une logique structurelle ou organisationnelle. Ainsi, selon
Philippe Frémeaux (2012), l'économie sociale et solidaire est avant tout une
alternative au capitalisme actionnarial. Les structures qui la composent sont
alors des groupements de personnes, et non de capitaux. Les organisations
auxquelles l’auteur fait référence revoient ainsi essentiellement aux
associations, coopératives, ou mutuelles. Certains y ajoutent ce qu’on
appelle parfois les « marges », c’est-à-dire les fondations, les comités
d’entreprises et les congrégations
6
. Les associations Loi 1901 sont largement
dominantes au sein de l’ESS, puisqu’elles en représentent 84%, en
proportion du nombre de structures (CNCRES, 2012)
Selon le Portail de la Solidarité, les critères permettant de repérer
les organisations du monde social et solidaire sont généralement les
suivants : « la libre adhésion, la non lucrativité individuelle, la gestion
démocratique et participative, l’utilité collective ou sociale du projet,
l’impartageabilité des réserves ». Cependant, la question des frontières et du
respect strict de ces différents critères reste entière, dans la mesure où
aucune définition universelle et formelle ne saurait s’appliquer à un milieu
aussi large que varié.
En France, environ 2, 35 millions de salariés sont employés dans le
secteur de l’économie sociale et solidaire aujourd’hui, soit 1 emploi privé
sur 8 en France
7
. Ces chiffres représentent 10,3% de l’emploi, et 14% de
l’emploi privé en France. En 2012, ils sont répartis dans plus de 222 900
établissements, sous forme d’associations (78,6%), de coopératives (13,1%),
de mutuelles (5,4%) et de fondations (2,9%)
8
.
6
Voir par exemple l’article de Ressources Solidaires www.ressources-
solidaires.org/Du-social-et-du-solidaire
7
Source : Journal Libération du 24 juillet 2013
8
Source : CNCRES (Conseil National des Chambres Régionales de
l’Economie Sociale) : « Panorama de l’Economie Sociale et Solidaire en
France et dans les Régions » - Edition 2012
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