Colloque Airmap 2014 Atelier 3 Que faut-il retenir du management des organisations sociales et solidaires ? Spécificités et enseignements possibles pour d’autres formes d’organisation Annie Bartoli, Professeur des Universités Christelle Perrin, Maître de Conférences Laboratoire de Recherche en Management LAREQUOI ISM- Université de Versailles St-Quentin en Yvelines 47 Bd Vauban 78047 Guyancourt cedex Tel : 01 39 25 55 34 Contact : [email protected] Résumé : Dans les organisations non marchandes, la recherche du profit est tantôt considérée comme inappropriée, tantôt présentée comme un moyen pour réaliser un projet, mais elle ne saurait être envisagée comme une fin en soi. En nous appuyant sur le cas de deux organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS), nous présentons certaines spécificités managériales de l’ESS et les interrogeons en tant que sources possibles de réflexion pour les organisations publiques et privées, lesquelles sont confrontées aujourd’hui à un contexte de plus en plus exigeant. Mots clés : Economie Sociale et Solidaire, Management, Processus, Valeurs, Fins, Moyens. Abstract: In non-profit organizations, the pursuit of financial profit is sometimes considered undue, sometimes presented as an opportunity to implement a project, but it cannot be considered as an objective in and of itself. Relying on the case of two organizations of the Social and Solidarity Economy (SSE), we analyze some managerial practices that could be a source of thought for other public and private organizations, which today operate in an increasingly demanding environment. Key words: Social Economy, Solidarity, Management, Processes, Values, Goals, Means. 1 Dans les organisations non marchandes, la recherche du profit est tantôt considérée comme inappropriée, tantôt présentée comme un moyen pour réaliser un projet, mais elle ne saurait être envisagée comme une fin en soi. Pour autant, le besoin d’assurer la soutenabilité de l’activité nécessite une clarté sur les priorités et une prise en compte du bon usage des ressources et moyens. Dès lors, comme le souligne Gérard Andreck1, pour être socialement efficace, il faudrait aussi être économiquement performant… La conciliation des dimensions économiques et sociales dans les organisations ne constitue d’ailleurs pas une idée nouvelle (Savall 1975), mais elle n’a été encore que relativement peu étudiée dans la sphère non marchande. Cependant, face aux dérives de certaines entreprises d’une part et aux difficultés de bon nombre d’organismes publics d’autre part, certains seraient tentés de rechercher une « troisième voie » (Rougeot, 2005) et de s’inspirer du fonctionnement des organisations de cette sphère. Plus particulièrement, l’attention croissante dont fait aujourd’hui l’objet l’économie sociale et solidaire (ESS) révèle sans doute une quête plus ou moins explicite de solutions nouvelles dans un contexte devenu de plus en plus complexe. Dans quelle mesure cette quête est-elle fondée ? Peut-on trouver dans le fonctionnement des organisations sociales et solidaires des pistes managériales utilisables dans d’autres milieux ? Quelques rares travaux se sont penchés sur les réalités du fonctionnement et du pilotage de ces organisations2, mais bien des questions restent à creuser pour connaître et comprendre ce que sont vraiment les éventuelles spécificités des processus de gestion en place dans ces organisations. Où se situent les particularismes éventuels au regard du management marchand d’une part, et du management public d’autre part ? Peut-on tirer profit des méthodes managériales et des modes de fonctionnement de ces organisations de l’ESS ? Sachant que la recherche de solutions alternatives peut parfois relever d’une quête mythique, et que le management dans les organisations de l’Economie sociale et solidaire ne saurait être considéré a priori comme une forme « idéale » et transposable dans d’autres secteurs, nos travaux visent tout d’abord à étayer ces réflexions par un approfondissement tant empirique que théorique du management des organisations sociales et solidaires. La question de l’opportunité des enseignements que l’on peut en tirer pour les autres formes d’organisations mérite d’être abordée dans le prolongement de ces analyses. 1 Président de la MACIF et de la GEMA (Groupement des Entreprises Mutuelles et d’Assurances). 2 Notamment E. Bayle et J.C. Dupuis « Management des entreprises de l'économie sociale et solidaire. Identités plurielles et spécificités », Editions De Boeck, 2012 2 Cet article s’efforce donc de faire dans un premier temps le point sur les contours de cette sphère particulière d’activité qu’est l’économie sociale et solidaire, à partir de données factuelles et théoriques, et en s’appuyant sur deux cas pratiques étudiés selon une approche qualitative. Ensuite, il dégagera un ensemble d’enseignements concernant les conceptions et pratiques managériales de ce secteur, et posera des pistes de réflexion pour gérer la délicate combinaison entre fins, processus et moyens… 1. LE MONDE SOLIDAIRES DES ORGANISATIONS SOCIALES ET L’économie sociale et solidaire ? Tout le monde semble désormais connaître l’expression, mais il n’est pas certain que beaucoup sauraient la définir précisément… Il s’agit en effet d’un milieu dont les spécialistes eux-mêmes décrivent l’ancienneté et l’hétérogénéité en des termes particulièrement ouverts : « L'économie sociale et solidaire (ESS), aux racines historiques profondes et à la modernité ardente, rassemble une grande diversité d'initiatives économiques, sociales, culturelles qui ne s'identifient ni au secteur public ni au champ capitaliste. » (Alphandery 2010). Quelques précisions sur ses possibles contours et sur son ampleur semblent donc indispensables avant d’en analyser son fonctionnement. 11. Définition(s) et contours : Au plan international, l’économie sociale et solidaire (ESS) serait « un ensemble d'initiatives économiques à finalité sociale qui participent à la construction d'une nouvelle façon de vivre et de penser l'économie »3. Cette définition s’inspire des travaux de 200 représentants internationaux d'organisations, groupes et réseaux qui, en juillet 1997, se sont réunis à Lima (Pérou) puis en octobre 2001 à Québec (Canada). Leur déclaration commune, visant à promouvoir la solidarité dans l’économie, énonce que « L'économie solidaire s'appuie sur la coopération, le partage et l'action collective. Elle place la personne humaine au centre du développement économique et social. »4 En France, le ministère de l’Economie et des Finances donne quant à lui la définition suivante : « Le concept d’économie sociale et solidaire (ESS) désigne un ensemble d'entreprises organisées sous forme de 3 Définition proposée par le Portail de la Solidarité, Institut Bioforce (http://www.portail-solidarite.org/domaines/economie-sociale-et-solidaire). 4 Symposium International “Globalisation de la solidarité”. Déclaration Finale. Lima, le 4 Juillet 1997 3 coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale » 5 . S’ajoute à cette première approche du concept le principe de modes de gestion démocratiques et participatifs, ainsi que l’impossibilité de profit individuel et la nécessité de réinvestissement des résultats. Par ailleurs, il est également signalé que les ressources financières de ces organisations sont généralement en partie publiques. 12. Histoire et valeurs : Ces définitions sont orientées autant vers les finalités et valeurs, que vers les structures et acteurs. La dimension culturelle, voire idéologique, des approches souvent utilisées pour qualifier cette sphère semble d’ailleurs liée à une histoire qui fut symboliquement marquée par le mouvement ouvrier pendant la révolution industrielle au 19ème siècle en Europe : « La notion d'économie sociale est née à la fin du XIXe siècle et s'est progressivement structurée sous l'impulsion du socialisme utopique, du mouvement ouvrier et du catholicisme social. Le deuxième terme, la notion d'économie solidaire, se rapporte à des activités visant à expérimenter de nouveaux "modèles" de fonctionnement de l'économie, tels le commerce équitable ou l'insertion par l'activité économique.» (Draperi, 2007). Le comité économique et social européen (CIRIEC, 2005) rappelle d’ailleurs que dès la dernière décennie du 18ème siècle, l’Angleterre avait connu une multiplication des "friendly societies » (sociétés amicales), tandis que des mutuelles et sociétés d'entraide s’étaient développées parallèlement à travers toute l'Europe (Gueslin, 1987). La base historique du développement de ce secteur porte donc en ellemême un certain nombre de valeurs. Celles-ci seraient d’ailleurs le ciment qui permet de relier des initiatives très diverses, sachant qu’elles partageraient le plus important : « une finalité d'utilité sociale s'inscrivant dans un projet économique ; une mise en œuvre du projet fondée sur une gestion éthique et une gouvernance démocratique ; une dynamique de développement s'appuyant sur un ancrage territorial et une mobilisation citoyenne. » (Alphandery, 2010). Concernant les valeurs, il faut noter par ailleurs que certains s’attachent à distinguer clairement les deux termes de « social » et « solidaire ». Ainsi, selon Draperi (2011), les deux mondes n’ont pas toujours les mêmes conceptions ou pratiques de l’activité, notamment en ce qui concerne les ressources et les relations avec le marché. L’économie dite sociale revendiquerait en particulier une indépendance politique au regard des budgets de l’Etat et s’insèrerait plus aisément dans le marché, tandis que 5 Définition du CEDEF (Centre de Documentation Economie-Finances), http://www.economie.gouv.fr/cedef/economie-sociale-et-solidaire 4 l’économie solidaire mixerait les fonds publics et privés et se refuserait à un fonctionnement essentiellement marchand. Le secteur de l’Economie Sociale et Solidaire se caractérise donc par son ancienneté, sa présence internationale, et ses valeurs. Il est également porteur d’une extrême variété, notamment du fait de son ampleur. 13. Importance et variété du milieu social et solidaire : L’une des manières de définir ou reconnaître le périmètre de ce milieu relève d’une logique structurelle ou organisationnelle. Ainsi, selon Philippe Frémeaux (2012), l'économie sociale et solidaire est avant tout une alternative au capitalisme actionnarial. Les structures qui la composent sont alors des groupements de personnes, et non de capitaux. Les organisations auxquelles l’auteur fait référence revoient ainsi essentiellement aux associations, coopératives, ou mutuelles. Certains y ajoutent ce qu’on appelle parfois les « marges », c’est-à-dire les fondations, les comités d’entreprises et les congrégations6. Les associations Loi 1901 sont largement dominantes au sein de l’ESS, puisqu’elles en représentent 84%, en proportion du nombre de structures (CNCRES, 2012) Selon le Portail de la Solidarité, les critères permettant de repérer les organisations du monde social et solidaire sont généralement les suivants : « la libre adhésion, la non lucrativité individuelle, la gestion démocratique et participative, l’utilité collective ou sociale du projet, l’impartageabilité des réserves ». Cependant, la question des frontières et du respect strict de ces différents critères reste entière, dans la mesure où aucune définition universelle et formelle ne saurait s’appliquer à un milieu aussi large que varié. En France, environ 2, 35 millions de salariés sont employés dans le secteur de l’économie sociale et solidaire aujourd’hui, soit 1 emploi privé sur 8 en France7. Ces chiffres représentent 10,3% de l’emploi, et 14% de l’emploi privé en France. En 2012, ils sont répartis dans plus de 222 900 établissements, sous forme d’associations (78,6%), de coopératives (13,1%), de mutuelles (5,4%) et de fondations (2,9%)8. 6 Voir par exemple l’article de Ressources Solidaires www.ressourcessolidaires.org/Du-social-et-du-solidaire 7 Source : Journal Libération du 24 juillet 2013 8 Source : CNCRES (Conseil National des Chambres Régionales de l’Economie Sociale) : « Panorama de l’Economie Sociale et Solidaire en France et dans les Régions » - Edition 2012 5 L’importance de ce secteur paraît d’autant plus significative quand on le compare à d’autres milieux majeurs pour la société. Ainsi, il est intéressant de noter que l’effectif de l’ESS est tout à fait comparable à celui de la fonction publique d’Etat (qui compte 2, 375 millions en 2012), et supérieur à celui de la fonction publique territoriale (environ 1, 83 millions)9. 14. Contexte législatif et réglementaire : En France, le milieu de l’ESS est actuellement sous les projecteurs du fait d’un projet de loi en cours de discussion. Le débat à l’Assemblée Nationale de ce projet, présenté en juillet 2013, est en effet programmé du 28 au 30 avril 2014. Le projet de loi a pour objet d'«encourager un changement d'échelle de l'économie sociale et solidaire dans tous ses aspects, afin de construire avec les entreprises de l'économie sociale et solidaire une stratégie de croissance plus robuste, plus riche en emplois, plus durable et plus juste socialement ». 10 L’un des premiers apports potentiels de la loi serait de (re)définir le secteur de l’ESS. Le projet actuellement débattu prévoit en particulier dans son article premier les critères de distinctions suivants : « 1° Un but poursuivi autre que le seul partage des bénéfices ; 2° Une gouvernance démocratique prévoyant la participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise définie et organisée par les statuts; 3° Une gestion conforme aux principes suivants : a) Les bénéfices sont majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ; b) Les réserves obligatoires constituées sont impartageables. » Or, parmi les points de discussion, voire de polémique, de ce projet de loi se trouve précisément la délimitation structurelle du secteur. En effet, la volonté d’ouverture vers toutes formes juridiques de statuts telles que les SA ou les SARL est considérée comme contradictoire par certains. La question de savoir si l’organisation sociale et solidaire peut être « capitaliste » est en effet au cœur des débats. Pour autant, comme le montre l’ossature du projet de loi présentée dans l’encadré ci-après, peu de questions sont explicitement posées sur les processus de management à Ministère de la réforme de l’Etat, de la décentralisation et de la fonction publique, Rapport annuel sur l’état de la fonction publique, édition 2013 10 Source : Site du Sénat http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12805.html 9 6 l’œuvre dans ces organisations, alors que ceux-ci pourraient précisément soit renforcer soit interpeler les valeurs fondamentales de la sphère sociale et solidaire. Présentation du projet de loi sur l’ESS (avril 2014)11 Le projet comprend 53 articles, répartis en 8 titres : - le titre Ier est consacré à la définition du champ de l'économie sociale et solidaire et à la structuration des politiques qui y concourent, sur le plan national comme sur le plan territorial. L'article 1er définit ainsi les critères et les conditions d'appartenance à l'économie sociale et solidaire. L'article 7 réforme l'agrément « entreprise solidaire » actuel qui ouvre droit à deux contreparties financières. Les articles 9 et 10 concernent les achats publics socialement responsables et les subventions dans le cadre de l'économie sociale et solidaire ; - le titre II comprend des dispositions facilitant la transmission d'entreprises à leurs salariés. Ce titre est composé de deux articles. L'article 11 pour l'information des salariés préalable à la cession d'un fonds de commerce, l'article 12 pour l'information des salariés en cas de cession de parts sociales, actions ou valeurs mobilières donnant accès à la majorité du capital ; - le titre III comprend des dispositions de soutien au développement des entreprises coopératives dans le respect des valeurs qui caractérisent leurs modes d'organisation et de gouvernance ; - le titre IV est relatif aux sociétés d'assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance. Dans le prolongement de l'accord national interprofessionnel qui a généralisé la couverture santé obligatoire pour tous les salariés du secteur privé, l'article 34 permet la réalisation d'opérations de coassurance entre organismes d'assurance relevant de réglementations différentes : code de la mutualité, code des assurances et code de la sécurité sociale ; - le titre V est relatif au droit des associations. L'article 40 réforme le titre associatif afin d'améliorer l'attractivité des titres associatifs pour encourager leur utilisation par les associations. L'article 43 étend aux associations d'intérêt général la capacité de recevoir des libéralités ; - le titre VI est relatif aux fondations et fonds de dotation. L'article 45 étend aux fondations de moins de neuf salariés le bénéfice du chèque-emploi associatif ; - le titre VII concerne le secteur de l'insertion par l'activité économique ; - le titre VIII contient des dispositions diverses, notamment les conditions et date d'entrée en vigueur des dispositifs mis en place par ce projet de loi. 11 Source : Site du Sénat 805.html http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl12- 7 15. Conceptions et pratiques managériales : Au-delà de la compréhension générale des moteurs culturels et des structures administratives de l’activité, le fonctionnement interne du secteur de l’économie sociale et solidaire reste peu connu et n’a que très peu fait l’objet de recherches spécifiques en sciences de gestion. Plusieurs dimensions managériales mériteraient cependant d’être creusées, afin de s’assurer de l’existence d’un « management par le sens » (Trosa et Bartoli, 2011), conforme aux valeurs porteuses : le style de management, les modalités de gouvernance, la prise en compte des parties prenantes, les pratiques de gestion des ressources humaines, l’utilisation des éventuels surplus financiers dégagés… Il peut arriver en effet que les pratiques quotidiennes de gestion ne soient pas en harmonie avec les conceptions affichées : « Ces structures ne prennent pas toujours en compte, elles non plus, les intérêts de l’ensemble des parties prenantes » (Frémeaux, 2012). L’auteur explique très justement que la relation entre théorie et pratique n’est pas toujours évidente, et que certaines organisations de l’ESS ne sont pas des modèles du genre. En outre, contrairement à une idée répandue, les structures dans lesquelles les salariés détiennent le pouvoir et les fonds sont rares : il ne s’agit en France que des Scop (sociétés coopératives et participatives), qui représentent seulement 2% de l’ensemble des personnels de l’ESS. Dans la réalité, les pratiques de ces organisations sont ainsi souvent plus mitigées qu’il n’y paraît, et ce quelle que soit la volonté affichée des dirigeants, comme le montreront les cas ci-après. Bayle et Dupuis (2012) expliquent ainsi que les logiques de fonctionnement et d'action des managers y sont hybrides et parfois paradoxales. En effet, les organisations sociales et solidaires sont en elles-mêmes porteuses de défis délicats, tels que : la combinaison de l’économique et du social, le croisement de l’intérêt général et des enjeux particuliers, l’articulation du marchand et du non-marchand, les ressources publiques et privées, etc. Dès lors, il paraît inévitable d’y voir se développer des processus mixés et des rationalités multiples. On retrouve ici l’essence même des réflexions autour du concept de « performance » dans les organisations non marchandes. En effet, dans un contexte où les ressources sont rares et où les cadres économiques sont difficiles, la question de la valeur ajoutée et donc de la performance de toutes les formes d’organisation se pose. Dès lors, si l’on considère nécessaire de s’assurer des bons choix stratégiques et de l’utilisation pertinente des ressources, comment peut-on vérifier parallèlement que les démarches et les outils de gestion mis en œuvre restent en cohérence avec la qualité attendue de l’action collective, et qu’ils ne contredisent pas la raison d’être de ces actions et les valeurs qui les sous-tendent ? (Bartoli, Keramidas, Mazouz, 2011). 8 Certaines réalités observées dans les organisations sociales et solidaires semblent ainsi révéler le caractère parfois délicat de la conciliation des fins, des moyens, et des processus de management. Notre objectif est donc ici d’approfondir ces constats et de tenter de les éclairer par quelques exemples concrets et par l‘interprétation que l’on pourrait en faire, notamment afin d’en tirer des enseignements pour d’autres types d’organisations. 2. ILLUSTRATIONS CONCRETES : 21. Contexte et méthodologie : Les études de cas présentées ici ont été réalisées dans le cadre des recherches en management public territorial menées par le laboratoire Larequoi (ISM, UVSQ), en partenariat avec l’Association des Dirigeants Territoriaux ADT-INET. La thématique adoptée pour 2013-2014 a en effet été celle du management des organisations sociales et solidaires, comme axe possible de stimulation des conceptions et pratiques managériales des collectivités françaises. En vue des préparatifs du symposium organisé sur ce thème et qui se tiendra à l’ISM le 5 novembre 2014, plusieurs études de cas ont été réalisées. L’objectif de ce projet de recherche est double : d’une part repérer certaines spécificités managériales de ces organisations de l’Economie Sociale et Solidaire, et d’autre part tenter d’en tirer de possibles enseignements pour d’autres organisations, qu’elles soient publiques ou privées. Le travail de recherche empirique de ce projet est en cours. Les deux cas que nous présentons ici ont été réalisés sur la base d’entretiens semi-directifs avec des membres de l’équipe dirigeante de chacune des deux organisations. Ils feront l’objet d’approfondissements ultérieurs. Les guides d’entretiens utilisés se sont centrés sur les principales thématiques suivantes : Spécificités et similitudes de l’organisation au regard des établissements privés ou publics plus classiques ; Cohérence entre les valeurs véhiculées à l’externe et les méthodes managériales internes ; Eventuelle traduction des valeurs dans la gestion des ressources humaines (recrutement, gestion de carrière, diversité, formation…) ; Rôle des managers et place des valeurs dans la gestion des équipes ; Implication des parties prenantes (salariés, clients, partenaires …) dans les processus de décision et de gouvernance ; Conception et évaluation de la performance… A ce stade, le cas du Crédit Coopératif, à travers le regard de son Directeur des Ressources Humaines Siège, Monsieur René Desbiolles, apporte d’utiles éclairages sur les pratiques managériales internes. Il permet d’interroger les possibilités de décliner opérationnellement, dans le 9 fonctionnement de l’organisation sociale et solidaire, les valeurs fondamentales promues à travers la mission. Le cas de la Macif, vu par son directeur de la vie Mutualiste et des Relations Institutionnelles, Monsieur Geoffroy Michel, met en lumière quant à lui les enjeux de la gouvernance dans ce type d’organisation, en particulier à travers le processus de décision démocratique. Dans les deux cas, la question de savoir comment éviter que les objectifs sociaux ne soient subordonnés aux finalités économiques est posée. 22. La Macif : La MACIF est une mutuelle d’assurance (automobile, habitation, professionnels, etc.) qui a été créée en 1960. Aujourd’hui, la Macif s’est diversifiée pour répondre aux nouveaux besoins de ses sociétaires : elle est présente dans les domaines de la santé, de la prévoyance, de l'épargne, de l'assurance-vie et de la banque, autour de trois grands pôles : le pôle assurance biens et personnes : incendie, accidents, risques divers – (biens, habitation, auto…) ; le pôle Santé/Prévoyance ; le pôle Épargne/Finance12. La particularité de la MACIF porte sur son mode de gouvernance qui est démocratique. En effet, les sociétaires/clients, au travers de leurs représentants élus –les délégués–, sont au cœur du dispositif d’orientation et de contrôle de la gestion de la mutuelle d’assurance. Les sociétaires/clients sont donc à la fois dirigeants et propriétaires de la société MACIF qui lui fournit des services. Trois principes régissent ce mode de fonctionnement démocratique13 : Le non-lucratif : Les excédents ne sont pas redistribués à des actionnaires sous forme de dividendes mais réinvestis afin de compléter la gamme de produits et services et de maîtriser les tarifs pour garantir le meilleur rapport qualité/prix. L’assuré est aussi l’assureur : Les sociétaires s’assurent les uns les autres. Ils sont individuellement assurés et collectivement assureurs. Ce cercle de solidarité renforce la responsabilisation de chacun. Un sociétaire = une voix : Les sociétaires sont tous égaux entre eux. C’est la règle d’or d’une gouvernance transparente, avec l’élection de délégués par les sociétaires conformément aux statuts de la mutuelle d’assurance. Le conseil d’administration est composé de délégués élus par les sociétaires pour les représenter. 12 Source : site de la Macif : https://www.macif.fr/web/site/groupe/accueil/groupe/panorama_du_groupe 13 Source : site de la Macif 10 Les missions de la MACIF sont nombreuses : ce groupe est à la fois, une banque, une assurance et une complémentaire santé. Ces métiers qui peuvent paraître très différents se complètent finalement. En effet un client qui achète à crédit un véhicule automobile (banque) se verra aussi proposer une assurance en responsabilité civile en cas d’accident (assurance) mais aussi une complémentaire santé pour pallier aux risques d’invalidité (santé). Cette stratégie de diversification permet de fidéliser les sociétaires. En revanche, la banque est une offre réservée aux sociétaires adhérents d’une assurance. 2.2.1. Gouvernance démocratique : principes et fonctionnement L’objectif de cette étude de cas est de comprendre comment fonctionne le processus démocratique, et dans quelle mesure il peut effectivement répondre aux attentes. Le pouvoir est-il réellement détenu par les sociétaires ? Existe-t-il une réelle représentativité ? Est-ce que les sociétaires sont de véritables « garde-fou » pour un fonctionnement social et solidaire et éviter une non cohérence entre les fins les moyens ? Afin de pouvoir répondre à ces questions, il est nécessaire de se pencher sur le fonctionnement même du processus démocratique. Le pouvoir démocratique de la MACIF repose sur 4,8 millions de sociétaires. Les représentants des sociétaires (délégués) sont élus à trois niveaux : 2000 délégués sont élus pour trois ans au niveau régional parmi 11 régions, ces délégués régionaux élisent ensuite 167 délégués nationaux pour six ans, qui eux-mêmes élisent les 25 membres du conseil d’administration et les 4 administrateurs représentants des salariés. Le conseil d’administration élit ensuite parmi ses membres le président et nomme le directeur général de la MACIF. Pour préserver la représentativité, plusieurs règles sont à respecter. L’élection des délégués régionaux est réalisée au suffrage direct par liste. Les listes qui recueillent moins de 10% ne sont pas valables. Pour assurer la représentativité, un quota d’élus par sensibilités est défini. Il existe plusieurs sensibilités : les représentants des salariés et les organisations syndicales prudhommales (60% de la gouvernance), les représentants de l’économie sociale et solidaire (associations, fondations, SCOP, etc..), les professionnels indépendants et les chefs d’entreprise, les représentants des sociétaires qui n’appartiennent pas aux collectifs précités (5%). Pour respecter la diversité des délégués dans chacune des régions, doivent être élus 30% minimum de femmes, 20% minimum de candidats de moins de 49 ans et 15% maximum de candidats de plus de 70 ans. Chaque délégué régional ne peut pas faire plus de 6 mandats de 3 ans. Enfin, pour éviter le cumul des mandats, un président de région ne peut être coordonnateur national. En effet, il existe 77 coordonnateurs régionaux et 7 11 coordinateurs nationaux qui ont pour objectif de recruter la part des délégués qui revient à sa sensibilité. Concernant la représentativité nationale, afin qu’il n’y ait pas de déséquilibre de représentativité sur le territoire entre les zones urbaines et les zones rurales, les zones urbaines sont sous représentées (1 délégué pour 4000 sociétaires) pour permettre une meilleure représentativité des régions (1 délégué pour 2000 sociétaires). 2.2.2. Le processus de décision : dilemme politique versus technique Le processus de décision est donc démocratique. Toutefois cela ne va pas sans soulever quelques problèmes notamment dans les rapports entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif/technique. Un rapport de force peut s’établir entre les représentants élus et les représentants des salariés au sein de chaque région ou au niveau du conseil d’administration. Il en est de même dans la relation entre le Président et le Directeur Général. Ces conflits peuvent être dus à des différences de perception, de culture et de manière de travailler, les uns ayant plutôt une approche métier alors que les autres ont une approche plus politique. L’assurance est par exemple un métier très technique. Or l’inertie de la technique ou le développement à tout prix peuvent être très pesants pour le politique. « Dans le quotidien, l’avantage appartient à la technostructure mais le pouvoir, in fine, est politique, si le conseil d’administration est solidaire, il peut démettre juridiquement le directeur général ». D’un autre côté, « des élus qui ne représentent qu’eux-mêmes représentent aussi une faiblesse » (Geoffroy Michel). L’efficacité du binôme politique/technique résidera donc dans l’harmonie des rapports humains et de la volonté de chacun de mieux comprendre les enjeux des uns et des autres. Toutefois cette relation peut également être vertueuse comme le souligne Geoffroy Michel. En effet, une mutuelle efficace est une mutuelle qui sait porter les valeurs qu’elle incarne même dans sa technicité. C’est dans la manière de vendre les produits ou les services que se fait la différence en étant au plus près des besoins des clients, en proposant des offres au meilleur prix indépendamment d’une recherche de gains financier à tout prix. La relation n’est donc pas uniquement commerciale mais se veut être au plus près des besoins des clients dans un esprit mutualiste porté par la recherche d’une relation de qualité. La gouvernance démocratique, même si elle est parfois conflictuelle, peut permettre de préserver cet équilibre entre technique, politique et valeurs. 2.2.3. Performance et mutualité L’avantage concurrentiel par rapport aux organisations privées, comme le souligne Geoffroy Michel porte donc d’une part sur cette capacité à accompagner les clients/sociétaires en vue de leur proposer le produit/service de qualité. La mutuelle mise donc sur des relations de longue 12 durée dont la rentabilité peut s’avérer être très faible sur le cours terme mais qui peuvent être profitables sur le long terme. La deuxième particularité porte sur le fonctionnement même de ces organisations mutualistes à savoir qu’il n’y a pas d’actionnaires. Le gain relatif à la non distribution de dividendes aux actionnaires s’élèverait à 15%. L’intégralité des bénéfices est réinvestie dans le fonctionnement de la mutuelle pour une meilleure valorisation des produits ou des services proposés mais aussi dans les salaires. Monsieur Michel nous précise que le secteur mutualiste rémunère mieux ses salariés (surtout les bas salaires) comparativement à ce qui se pratique dans le secteur privé. 23. Le Crédit Coopératif 231. Présentation générale de l’organisation Le Groupe Crédit Coopératif a deux origines très anciennes : d’une part, la Banque coopérative des associations ouvrières (créée en 1893) et, d’autre part, la Caisse Centrale de Crédit Coopératif (créée par décret en 1938). L’une et l’autre étaient destinées à financer les coopératives de production et de consommateurs. Après la loi bancaire de 1984, le Crédit Coopératif a entamé une activité de banque à proprement parler. Autour des années 1988-1989, il a fait le choix de ne pas rester cantonné dans des activités de financement spécialisé et a décidé d’offrir des services bancaires à tous ses clients, de plus en plus nombreux et divers14. Le sociétariat devient important et se traduit « par une organisation spécifique de sa gouvernance (sa vie coopérative se prolongeant dans une vie associative) et une logique de partenariats avec les mouvements qui organisent ses sociétaires ». Aujourd’hui le capital du Crédit Coopératif est détenu pour 80% à ses sociétaires composés pour l’essentiel de personnes morales mais aussi de plus en plus de particuliers. Les 20% restants du capital sont détenus par Natixis sous forme de certificats coopératifs d’investissement. Le Crédit Coopératif véhicule l’image d’une banque éthique et responsable à la fois par les produits qu’elle propose à ses clients mais aussi par son mode de fonctionnement et ses méthodes de management en interne. 14 Source : site du Crédit Coopératif http://www.credit-cooperatif.coop/legroupe-credit-cooperatif/groupe-credit-cooperatif/histoire/ 13 Les missions du Crédit Coopératif sont multiples. Bien plus qu’une banque classique le Crédit Coopératif est engagé dans des démarches sociales et solidaires. Ainsi, il accompagne un grand nombre d’acteurs de l’économie sociale et solidaire : associations, coopératives, fondations, congrégations, syndicats, groupements d’entrepreneurs en plus de tous les publics dont peuvent s’occuper les banques classiques. Une des missions du Crédit Coopératif est également d’inscrire la relation client/ sociétaire dans un partenariat de long terme ce qui l’amène à s’engager bien au-delà de la simple relation bancaire en proposant des produits adaptés à chaque situation et à s’impliquer dans des projets solidaires au niveau local, national et international. Ainsi, les thématiques sur lesquelles il s’investit sont par exemple l’habitat social, la lutte contre les pandémies, le micro crédit, les finances solidaires en France mais aussi à l’étranger (avec une forte présence dans le cadre de la micro finance au Mali, au Sénégal, à Madagascar, en Namibie, et en ce qui concerne la finance participative dans les pays d’Europe du Nord, la Pologne, les Balkans, la Hongrie). Dans le cadre de son engagement dans l’économie sociale et solidaire (ESS), le Crédit Coopératif mène aux côtés d’acteurs privés et publics des réflexions et des projets sur le développement de l’ESS (organisation du 1er salon sur l’emploi dans l’ESS, participation au forum Mont Blanc qualifié de « Davos » de l’ESS, participation à des groupes de travail au niveau international – celui tenu en avril 2014 à Lima a porté sur la thématique suivante : comment intégrer les valeurs de la banque coopérative dans les activités de la banque pour quelles répercussions sur le terrain ?). 232. L’impact des valeurs et de la mission sur les processus de management La question des valeurs est au centre des réflexions pour les organisations de l’économie sociale et solidaire. Elles constituent le ciment du Crédit Coopératif et contribuent à donner du sens à ses actions. D’un point de vue purement opérationnel, ces valeurs se déclinent au sein d’une charte accessible et diffusée à l’ensemble des salariés du groupe. Les valeurs promues par le Crédit Coopératif sont les suivantes : la transparence, la solidarité, la responsabilité, l’exemplarité, la performance, l’écoute et le dialogue, l’implication au changement. D’un point de vue plus global, les valeurs ou principes dépendent du statut particulier de cette banque (coopératif) et influent sur son mode de fonctionnement. Selon l’ACI (l’Alliance Coopérative Internationale) "Une coopérative est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d’une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement". 14 Au Crédit Coopératif, ces valeurs sont constituées autour de sept principes : • Adhésion volontaire et ouverte à tous • Pouvoir démocratique exercé par les sociétaires • Participation économique des sociétaires • Autonomie et indépendance • Éducation, formation et information • Coopération entre les coopératives • Engagement envers la communauté Valeurs et principes font partie intégrante du mode de fonctionnement de cette banque. Pour autant, comment sont-ils intégrés dans les processus managériaux de cette organisation ? Selon le Directeur des Ressources Humaines du Crédit Coopératif, les missions d’un DRH vont bien au-delà des fonctions classiques inhérentes à toute organisation. « Dans une banque classique, je serais uniquement DRH, ici je suis aussi administrateur de l’Union des Employeurs de l’ESS (UDES)…. ». Il gère en effet aussi plusieurs projets en lien avec l’ESS. Il en est de même pour la plupart des salariés du Crédit Coopératif. Bien que sélectionnés à partir de critères « métiers », un grand nombre d’entre eux sont aussi militants pour l’ESS. « La plupart des salariés sont inscrits dans le champ associatif... cela permet de mieux comprendre les besoins des clients et de mieux les accompagner ». La stratégie de l’organisation se décline donc selon plusieurs axes. Un premier axe est économique de par la fonction de banque de cet organisme : ainsi le Crédit Coopératif propose des produits bancaires classiques. Un second axe est d’ordre solidaire, car en plus des produits classiques, le Crédit Coopératif offre des produits solidaires et un accompagnement sur mesure et sur le long terme pour ses clients. Enfin, un troisième axe stratégique est politique, car le Crédit Coopératif est impliqué aux côtés des acteurs privés ou publics (gouvernement, collectivités) dans les actions de développement de l’économie sociale et solidaire. « On place l’humain avant le capital, l’objectif du Crédit Coopératif n’est pas de faire du chiffre mais d’accompagner les clients dans leur démarche… Avec les produits solidaires, on travaille sur le sens donné au placement du capital ». La dynamique de solidarité s’en ressent à tous les niveaux du management. Même si l’organisation de type pyramidale domine, l’accent est mis sur l’entraide entre managers. Ainsi le Crédit Coopératif privilégie une gouvernance de proximité qui se décline en interne par l’incitation au travail en équipe, l’accompagnement des collaborateurs en difficulté, et qui se décline en externe par une présence importante des salariés du Crédit Coopératif sur le terrain. « Au niveau du territoire, l’image du banquier il y a 50 ans c’est un notable… aujourd’hui on a l’impression que c’est un commerçant comme un autre, c’est différent avec le Crédit Coopératif. Les salariés, les manager vont participer à beaucoup d’assemblées générales 15 d’associations ...cela permet au cadre de l’agence d’être considéré comme un acteur local ». Les salariés sont donc des acteurs engagés professionnellement et sur le territoire. Il est donc du ressort de la gestion des ressources humaines de pouvoir recruter, former et accompagner les salariés pour une plus grande efficacité. En plus des spécificités liées aux recrutements (présentées ci-dessus), le Crédit Coopératif met en place de nombreux dispositifs de formation en interne. Les managers sont formés aux métiers du Crédit Coopératif, aux valeurs de l’organisation, avec pour objectif de devenir manager de proximité (avec les salariés, avec les clients). Un important travail est mené également pour identifier les passerelles entre les métiers pour faciliter les mobilités internes mais aussi les mobilités interentreprises au sein de l’ESS. Par exemple, l’actuelle directrice de l’organisation Finansol (qui propose des financements solidaires) travaillait antérieurement au Crédit Coopératif. Ces passerelles permettent aux salariés de pouvoir occuper des postes ou des fonctions dans d’autres organisations tout en restant « sur le même terrain de valeurs ». En ce qui concerne la politique salariale, elle se distingue d’une autre banque par le fait qu’il n’existe pas ou peu de part variable pour les commerciaux. Etant donné que la politique du Crédit Coopératif privilégie l’accompagnement des clients, elle mise plus sur la qualité des relations et l’implication sur le terrain plutôt que sur la vente à tout prix. Pour autant le DRH précise que les salaires ne sont pas moins élevés que dans le privé et même parfois supérieurs. La conception de la performance est donc différente d’une banque classique. Les évaluations sont élaborées à partir d’indicateurs classiques et économiques mais aussi à partir d’indicateurs qualitatifs. Etant donné que le développement territorial est une orientation importante, un bon manager sera celui qui saura travailler sur un territoire dans la transversalité avec d’autres acteurs, qui saura manager une équipe, et qui saura être légitime dans le secteur dans lequel il s’implique. Le Crédit Coopératif porte également une attention particulière au respect des valeurs définies dans la charte. En conclusion, les problématiques managériales semblent être de nature comparable à celles de toute autre organisation, avec un accent particulièrement fort sur les valeurs au service de la mission. Cette spécificité explique sans doute l’attrait croissant du Crédit Coopératif. Le nombre de candidats à un emploi y a en effet augmenté sensiblement, notamment depuis la période de la crise financière internationale de 2008, ces derniers semblant vouloir privilégier des organisations à fortes valeurs plutôt que des banques à enjeux uniquement économiques. 16 3. QUELQUES ENSEIGNEMENTS MANAGERIAUX : Les deux cas étudiés ne sauraient être à eux seuls représentatifs du monde de l’Economie Sociale et Solidaire, dont on a vu ci-avant l’extrême diversité. Pour autant, ils illustrent une certaine réalité managériale et permettent tout d’abord de s’interroger sur de possibles similitudes et différences au regard des autres secteurs. 3.1. Similitudes et différences par rapport aux entreprises du secteur marchand En règle générale, les modes de fonctionnement semblent reposer sur des logiques comparables quelle que soit l’organisation, en termes de processus managériaux : les dimensions stratégiques, organisationnelles, d’animation, et de pilotage de la performance reposent partout, à quelques différences près, sur des choix et dosages entres objectifs, moyens et contraintes. Ainsi les organisations de l’économie sociale et solidaire sont soumises aux mêmes contraintes de gestion des moyens financiers ou matériels et de pilotage du fonctionnement. C’est le cas par exemple en matière de gestion des ressources humaines, où se retrouvent des processus de recrutement, de formation, d’accompagnement, etc. Toutefois il est important de souligner un certain nombre de points qui, au sein de ce contexte, font leur particularité. Les deux cas étudiés s’accordent à dire que la commercialisation des produits est beaucoup plus offensive dans les organisations privées que dans leurs structures, où ils privilégient l’accompagnement du client même si c’est parfois au détriment d’une rentabilité financière de la démarche. Par ailleurs, le processus de décision, d’essence démocratique, semble également plus lourd que dans la plupart des entreprises marchandes, mais en revanche il permet de préserver ce qui fait la richesse de ces organisations c'est-à-dire les valeurs qui soutiennent leurs activités. Cette analyse reste cependant à nuancer selon le style de management pratiqué dans les entreprises : on sait en effet que le management participatif suppose en amont de la décision des temps de consultation ou de communication particuliers, éventuellement compensés pas une fluidité dans la mise en œuvre (Hermel 1988). On peut donc considérer que le pilotage démocratique des ESS correspond peu ou prou à des formes de management participatif de certaines entreprises. Certains systèmes mutualistes et coopératifs semblent donc être moins orientés vers le profit et la rentabilité immédiate, et plus contraignants dans leurs processus de fonctionnement. Pour autant, les salaires peuvent y être plus élevés, le « turnover » très faible, et les candidatures pour intégrer ces organisations de plus en plus nombreuses… 17 Plus généralement, il semble opportun d’éviter de comparer ces organisations de l’ESS avec les autres organisations sous le seul prisme de la rentabilité financière mais plutôt les appréhender comme un tout. En effet, malgré la lourdeur de certains processus (liés en particulier à la gouvernance démocratique) ou de démarches volontaires (telles que l’accompagnement des clients), la performance de telles organisations repose sur une analyse globale et sur une approche de long terme. Celle-ci doit prendre en compte également les avantages financiers de non redistribution des dividendes à des actionnaires, les relations clients finalement profitables sur le long terme, le sentiment de travailler dans une démarche porteuse de sens pour les salariés. Ces derniers ne sont pas, ou pas uniquement, soumis à une pression de rentabilité mais sont supposés intégrer une démarche de développement raisonnée, en partenariat et cohérence avec diverses parties prenantes, démarche dans laquelle les valeurs prédominent. Les valeurs promues semblent en effet régulièrement mises en avant dans les formations, et dans la manière dont il convient de se comporter au travail. Ainsi, par exemple, la solidarité est annoncée comme une valeur forte pour le Crédit Coopératif, à la fois en interne entre salariés mais aussi en externe… Ces organisations jouent aussi beaucoup sur la notion de confiance (ne rien cacher, être transparent) à un moment où le doute porté sur la sincérité de certains acteurs économiques, tous domaines confondus, est parfois pointé par la presse. 3.2. Similitudes et différences par rapport aux organisations publiques La problématique de la légitimité est donc fortement présente pour les organisations sociales et solidaires. Cette légitimité passe notamment par leur expertise dans leur secteur de référence (ESS), ce qui les amène à s’impliquer au-delà du cadre même de leur organisation pour s’investir dans des sphères plus politiques liées au développement même de l’ESS. Cette légitimité passe aussi par des caractéristiques internes de l’organisation, telles que la capacité des salariés de l’ESS a bien connaître les problématiques de leurs clients, ce qui conduit ces organisations à procéder à des recrutements axés à la fois sur des compétences métiers mais aussi sur des compétences du secteur. Plus généralement, on constate dans les organisations de l’ESS un souci de préservation du bien public et de l’intérêt général assez comparable aux préoccupations de la sphère publique. Si l’on reprend les fondements mêmes de l’action publique qui s’appuient sur les grands principes de continuité, égalité et mutabilité 15, on comprend bien que les Principes formulés en France sous l’intitulé de “Lois de Rolland”, du nom de leur auteur, Louis Rolland: Précis de droit administratif ; Paris, Dalloz ; 11 éditions de 1926 à 1957 15 18 finalités et valeurs de l’économie sociale et solidaire n’en sont pas éloignés. Dans ce cadre, une autre similitude est certainement aussi celle des multiples tensions entre des logiques qui peuvent s’opposer : les valeurs de l’intérêt général et la recherche de performance, les logiques sociales et économiques, les objectifs non spontanément compatibles des différentes parties prenantes, les choix politiques et les processus bureaucratiques, les spécificités du local et la nécessaire harmonisation globale, etc. L’une des caractéristiques du secteur public est en effet en permanence de gérer ces sources de complexité voire de paradoxe, ce qui semble exister également dans le cas des entreprises sociales et solidaires. Or, dans un contexte où la sphère publique se sent aujourd’hui souvent déphasée du fait de processus de modernisation générateurs de déviations et pertes de repères, la question est alors de savoir si de nouveaux modèles de l’action publique peuvent être trouvés, en renforçant l’appui des processus sur un management par le sens (Trosa et Bartoli 2011). A l’évidence, cette problématique est partagée par le secteur public et par celui de l’économie sociale et solidaire… 3.3. Rapprochement avec les collectivités territoriales Plus spécifiquement, la fonction publique territoriale semble porteuse de points communs avec l’ESS. Si l’on reprend les deux cas de la Macif et du Crédit Coopératif, on retrouve en effet quatre caractéristiques essentielles : -la territorialisation, - la proximité de l’usager ou de l’adhérent, - la dimension politique associée à la compétence technique, - la prise en compte des multiples parties prenantes de l’action. Le lien entre le politique, la technicité, la relation de proximité avec les clients sur un territoire, ressemblent donc finalement de très près aux problématiques des collectivités territoriales. A ceci s’ajoutent les relations entre élus et directeur général, comme les décrivent la Macif. La Macif et le Crédit Coopératif ont également en commun de se positionner sur le marché, tout en préservant leur priorité de service solidaire. Cela confère aux managers l’obligation d’une responsabilité globale, pour d’une part gérer au mieux et assurer l’efficience de l’activité, et d’autre part respecter des principes et valeurs exigeants. Le texte de l’Association des Dirigeants Territoriaux présenté au colloque Airmap (ADT-INET 2014), montre que les modes de gouvernance des collectivités territoriales aujourd’hui sont mis en question, du fait d’un contexte déstabilisant au regard des missions de service public. Ce contexte est en effet marqué par des techniques gestionnaires omniprésentes qui peuvent amener, si on n’y prend pas garde, à confondre la fin et les moyens 19 et à perdre de vue la finalité du service public qui est de satisfaire des besoins sociaux. C’est la raison pour laquelle un certain regain d’intérêt en faveur des modalités de management des entreprises de l’ESS est en train de s’y manifester.16 3.4. Quels enseignements pour concilier sans confondre fins et moyens ? L’exemple de la Macif et du Crédit Coopératif montrent que les valeurs de l’organisation peuvent jouer un rôle fédérateur permettant de concilier peu ou prou les fins et les moyens. Plus généralement, dans les organisations où le sens et la finalité de l’action sont forts, il semble que certaines modalités particulières de fonctionnement soient perçues comme plus adaptées. Ainsi par exemple, la prise de décision démocratique paraît considérée comme nécessaire dans ces formes d’organisation, afin d’éviter que les objectifs sociaux ne soient subordonnés aux finalités économiques (Levesques, Mendel, 1999). Dès lors, la question de la conciliation entre ce type de vision stratégique et la recherche de performance est posée (Bartoli, Keramidas, Mazouz, 2011). Les organisations non marchandes (« non profit ») sont d’ailleurs souvent définies comme « un dispositif de compromis destiné à gérer les tensions entre plusieurs formes de coordination et impliquant les formes de coordination marchande, domestique, solidaire, administrative, démocratique » (Enjolras, 1994 : 94 ). Les fins sociales ou sociétales peuvent-elles faire fi des questions de moyens ou doivent-elles être « assouplies » pour s’assurer une survie minimale ? S’il est probable que des tensions internes existent aussi dans ces organisations, tant les écarts entre intention et mise en œuvre sont inévitables, le rôle fédérateur du sens de la mission semble jouer un rôle majeur pour les rendre supportables. La motivation des agents, supposés fonctionner selon des règles collectives en conformité avec les pratiques et les valeurs affirmées dans l’organisation, est également évoquée comme un facteur de succès permettant de compenser les difficultés engendrées par l’insuffisance des moyens. Ces caractéristiques sont-elles exclusivement réservées au monde social et solidaire ? Il serait abusif et trop hâtif d’affirmer que ce type de valeurs et principes est absent du fonctionnement des entreprises. On rejoint ici le concept de « Management responsable et intégré »17, susceptible de concerner toute forme d’organisation, et qui prend appui sur quatre pôles : Voir le symposium Larequoi-ADT Inet à l’Université de Versailles StQuentin sur : « Pour un management social et solidaire ! », 5 novembre 2014 17 Voir travaux du Laboratoire de Recherche en management Larequoi, ISM, Université de Versailles Saint-Quentin 16 20 « Stratégie – Structure – Culture - Comportements (SSCC)» (Bartoli et Hermel 1989) dans certaines entreprises ayant choisi une approche globale de la performance, non exclusivement financière. Les deux cas d’ESS examinés précédemment s’intègrent également tout à fait dans ce modèle à travers chacun des pôles, par la volonté de respecter un cap stratégique, de structurer les statuts et l’organisation en conséquence, de développer une culture de valeurs sociales et solidaires, et de s’appuyer sur les comportements engagés des parties prenantes. Nos recherches ultérieures s’efforceront de tester l’existence de formes de management responsable et intégré s’appuyant sur ces quatre pôles dans d’autres organisations sociales et solidaires. A l’heure où les thèmes de la responsabilité sociale, du management par le sens, et de l’éthique dans les affaires sont fortement véhiculés dans les discours stratégiques et parfois dans les pratiques mises en œuvre (Hermel et Bartoli 2013), on peut constater que certaines entreprises s’efforcent également d’appliquer ce type d‘approche. Certains considèrent qu’il s’agit là d’un effet direct ou indirect de mimétisme ou d’enseignement des pratiques de l’économie sociale et solidaire. Ainsi, Bayle et Dupuis (2012) énoncent à propos de l’ESS : « Elle contribue au renouvellement des modèles d'entreprise via notamment une plus grande prise en compte de la Responsabilité Sociale des Entreprises (R.S.E.). De très grandes entreprises s'en inspirent pour développer de nouvelles formes de philanthropie ». Qu’il s’agisse d’un effet de contamination ou d’une coïncidence liée à un contexte qui y pousse, n’est finalement pas si important… L’ancienneté et la résilience du secteur de l’ESS restent une preuve de réussite possible de la conciliation du social et de l’économique, qui semble particulièrement souhaitable dans des contextes exigeants et turbulents. CONCLUSION Les organisations non marchandes doivent concilier à la fois les dimensions sociales et économiques, sachant la finalité de leur action (projet, service, mission) y est plus importante que les moyens engagés (même si ceux-ci, il ne faut pas le nier, sont importants pour le bon fonctionnement de la mission), et que donc la finalité sociale prime sur la finalité économique. Sur ces bases, nous avons cherché à savoir si des pratiques managériales issues des organisations sociales et solidaires pouvaient être utilisables ou enrichir la réflexion managériale d’autres organisations qui sont de plus en plus en quête de sens dans leur manière de fonctionner. Dans cet objectif, nous nous sommes appuyés sur les cas du Crédit Coopératif et de la Macif. 21 Cette recherche révèle un certain nombre de similitudes managériales avec d’autres organisations qu’elles soient privées ou publiques, mais aussi certaines différences qui en font leur originalité. Les similitudes portent sur le fait que toute organisation reste soumise aux mêmes contraintes de fonctionnement et repose sur des processus managériaux, stratégiques, organisationnels, d’animation et de pilotage qui nécessitent un juste équilibre entre objectifs, moyens et contraintes. Par ailleurs, le mode de fonctionnement des organisations sociales et solidaires se révèle finalement très proche de celui des collectivités territoriales, dans la mesure où la notion de territoire y est très présente, et où la préservation de l’intérêt général doit concilier à la fois les logiques sociales et économiques en tenant compte de la diversité des parties prenantes. Nous constatons également que les logiques sociales qui prédominent dans le fonctionnement des organisations de l’ESS ont nécessité la mise en place de pratiques spécifiques : gouvernance démocratique, affirmation des valeurs, proximité managériale… De telles pratiques ne sont pas totalement absentes dans les autres formes d’organisation, mais elles n’y sont pas prioritaires, la logique économique prédominant dans la plupart des entreprises marchandes. Cependant, l’analyse de deux mouvements complémentaires amène à penser qu’il existe une relative tendance au rapprochement entre ces univers marchand, non marchand, et hybride : d’un côté l’importance de plus en plus souvent accordée par les entreprises et les administrations à la Responsabilité Sociale, au management par le sens, ou au management participatif, et de l’autre la nécessaire intégration des contraintes économiques et gestionnaires dans les organisations sociales et solidaires. A l’image de ce qu’on pu constater Thierry et Perrin (2005) n’y aurait-il pas une frontière de plus en plus poreuse entre les pratiques managériales des organisations de l’ESS et celles des organisations privées ou publiques ? 22 BIBLIOGRAPHIE ADT-INET : « Praticiens de collectivités territoriales cherchent nouveau modèle de management des organisations publiques » Communication au colloque Airmap, IMPGT, 20 mai 2014 C. 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