4 les incendies de la bibliothèque d’Alexandrie : César 47 avant JC, l’évêque Thèophile 391, l’émir Amr Ibn Al AS 645 après JC Après la mort d’Alexandre le Grand, un de ses généraux, Ptolémée Soter se proclame pharaon d’Egypte. Il engage alors un ancien disciple d’Aristote, Démétrios de Phalère, comme précepteur de ses enfants. Celui-ci montre à son nouveau maître que la bibliothèque est un outil indispensable pour les lettrés et lui conseille de construire un temple dédié aux sciences et aux muses. Ainsi, est construit en 290 avant J.C le Museïon dans lequel on trouve un observatoire astronomique, des laboratoires, un réfectoire, un zoo et la Bibliothèque, au départ simple annexe du musée. Ptolémée eut recours à plusieurs moyens pour réaliser son projet. Tout d’abord, il demanda aux autres souverains de lui envoyer contre gage toutes les oeuvres dignes d’intérêts afin qu’elles soient copiées. Des manuscrits furent aussi empruntés aux autres bibliothèques dans le même but. Puis selon l’importance, l’original ou la copie était gardé pour enrichir la bibliothèque. Les volumes étaient en effet fréquemment de plus grande valeur que le gage. Les « Tragiques » commandées par Lycugue, par exemple, furent emprunté à Athènes contre une caution de 15 talents d’or. Ptolémée préféra ne rendre qu’une copie et perdre son argent pour que l’original soit intégré à la Bibliothèque. De plus, tout bateau arrivant dans le port se voyait confisquer ses livres qui étaient copiés par des scribes. Selon l’importance, l’original ou la copie allait enrichir la collection de la Bibliothèque. Quelque fois les navires se faisaient simplement rançonner sans contrepartie. Pour effectuer ces copies, des ateliers de copistes furent entretenus par la Bibliothèque. Des émissaires furent, en outre, envoyés dans tout le monde méditerranéen afin d’acquérir auprès des rois, des nobles ou des villes, les ouvrages précieux qui manquaient à la Bibliothèque. Avec les mêmes méthodes, ses successeurs rassembleront non seulement des connaissances grecques, mais aussi des textes contenant les ‘sagesses barbares’. Sous le règne de Ptolémée II, Philadelphe, la Bibliothèque s’enrichit de nombreux volumes. A son début, un recensement des ouvrages est effectué : la bibliothèque compte alors 500 000 rouleaux ce qui correspond approximativement à 30 000 oeuvres. Face à l’afflux d’ouvrages, il fut nécessaire de construire un second bâtiment, le Sérapéion, qui se trouvait dans le temple du dieu Sérapis. A la fin de son règne, on dénombre 532 000 rouleaux dans le Museïon et 43 000 dans le Sérapéion. Moins de 3 siècles plus tard, à sa destruction, elle en comptera 700 000. Alors que la bibliothèque «mère» était réservée aux savants, la bibliothèque « fille » était destinée au grand public. Avec le temps, la Bibliothèque finit par éclipser le reste du musée par sa grandeur et son intérêt. Sa collection de livres ayant été la base de nombreux travaux scientifiques et théologiques de l’époque. Le Museïon fut édifié tout près du palais royal dans le quartier de Bruchium. Près de là se trouve, dans le temple de Sérapis, le Sérapéion. Le Museïon se composait de plusieurs bâtiments pouvant abriter d’énormes quantités de livres ainsi que par la suite des logements pour les savants. Un carrefour pour les savants et les connaissances Vers une catastrophe culturelle Suivant les sources, de nombreuses thèses différentes expliquent la destruction des bibliothèques d’Alexandrie. Nous avons donc dû faire le choix des thèses que nous utiliserons. Pour cela, nous nous sommes basés, à la fois sur ce qui nous paraissait le plus vraisemblable, mais aussi sur ce qui était le plus communément admis. Tout cela, se basant sur divers textes des premiers siècles : comme par exemple le texte d’Orose qui en 446 écrivit à la demande d’Augustin, son « Historia adversus paganos » dans lequel il parle de la fin de la Bibliothèque. Rufin, Eunape, Socrate et Théodoret soutiennent la même thèse. Voici la thèse suivie : Après son mariage avec son frère, Ptolémée XIII, Cléopâtre s’enfuit et revient avec César qui se trouvait à Alexandrie. S’en suit une révolte qui se nommera par la suite Guerre Alexandrine au cours de laquelle le feu est mis aux navires se trouvant dans le port Le feu se propage très rapidement aux entrepôts et à la ville. Le Museïon et les entrepôts contenant de nombreuses copies des manuscrits y sont malheureusement brûlés. Certains historiens pensent que seuls les entrepôts du port brûlèrent mais pas la bibliothèque centrale située plus loin. Il s’agit là de la première phase de destruction des bibliothèques qui eut lieu vers 47 avant JC. Après la mort de César, Marc-Antoine tombé sous le charme de Cléopâtre, remontée sur le trône, lui offrit 200 000 volumes sur parchemin qu’il a dérobé à la bibliothèque de Pergame lors de la prise de cette ville. A cette époque la bibliothèque de Pergame était la grande concurrente des bibliothèques d’Alexandrie. Cléopâtre place ces ouvrages dans le Sérapéion sur lequel elle et ses successeurs concentreront, par la suite, toutes leurs attentions. La bibliothèque fille commence à fleurir et prend, au fil des siècles, de plus en plus d’importance. A la fin du IVème siècle, l’irritation des chrétiens d’Alexandrie est à son comble. Théophile, Patriarche et évêque de la ville demande alors à l’empereur Théodose un édit général autorisant la destruction des temples. En attendant, on l’autorise à utiliser un vieux temple de Mithra pour son troupeau. Les païens, en représailles, se jètent sur les profanateurs. Ils se retranchent alors dans le temple de Sérapis d’où ils font des sorties redoutables au cours desquelles de nombreux prisonniers sont faits. L’empereur donne alors l’ordre d’abattre les temples. La foule chrétienne sous la conduite de Théophile se rue sur l’édifice, pille les offrandes et les objets précieux, détruit le sanctuaire puis l’édifice tout entier. Le Sérapéion est lui aussi détruit avec tous les volumes qu’il contient. En 391 après JC, c’est la fin des bibliothèques d’Alexandrie. Certains historiens chrétiens comme Albufarade prétendent que la bibliothèque fut définitivement brûlée par Omar, général arabe de l’émir Amr Ibn al As en 645 lors de la seconde prise d’Alexandrie par les arabes. Le motif invoqué serait le suivant : ou bien les textes sont conformes au Coran et ils sont inutiles donc à détruire ou bien ils sont opposés aux écrits sacrés et doivent être détruits. Analyse cindynique Les égyptiens étaient persuadés qu’il ne pouvait rien arriver à la bibliothèque car elle avait été construite par le pharaon qui était un dieu sur terre. De plus, la bibliothèque fille se trouvait dans un temple et était donc sous la protection d’un dieu selon eux (infaillibilité). Le seul but des pharaons était de réunir le maximum d’ouvrages dans leurs bibliothèques pour illustrer leur puissance et faire la renommée de la ville et du royaume. Pour cela tous les moyens furent mis en oeuvre. Cette réunion de connaissances a permis d’attirer en ce lieu de nombreux lettrés qui y firent de grandes découvertes. Il semble qu’il leur a été très simple de réunir toutes ces oeuvres, surtout des originaux, en un même lieu sans précaution particulière… Tout aussi simple fut de toutes les détruire. Pourtant, les savants ne pouvaient ignorer qu’au cours des siècles, de nombreuses bibliothèques furent détruites. Ainsi au XIIIème siècle avant JC, disparaît la bibliothèque de Thèbes qui se trouvait dans le temple d’Amon. En effet lorsqu’il monte sur le trône, le pharaon Akhenaton ordonne la destruction de ce temple et de ce qu’il contient afin de plaire à son Dieu unique, Aton. Au IVème siècle après JC, le Sérapéion sera détruit dans les mêmes circonstances par les serviteurs d’un autre Dieu unique. Selon les historiens la destruction est due soit à César, soit à Théophile soit à Amr Ibn al AS ; La sécurité est un concept moderne. Le seul risque permanent était celui des guerres. Aucune mesure préventive ne fut prise entre la destruction de la bibliothèque mère et celle de la bibliothèque fille. De plus, la collecte d’ouvrages de valeur en un même lieu a continué malgré la première destruction. Il n’existait aucune procédure pour sauver les oeuvres du feu ou de la folie destructrice du peuple au cas où. C’est pour cette raison que seules quelques oeuvres ont pu être préservées (en particulier d’Aristote) par l’intervention spontanée de certaines personnes. Déficits Systémiques Cindynogènes Si l’on retient l’hypothèse de l’incendie de la bibliothèque par César, il faut alors retenir comme élément cindynogène la colère de celui-ci et les répercussions de l’adultère de Cléopâtre. Sinon l’obscurantisme et l’intégrisme imbécile de Théophile ou d’Omar ont conduit pour des raisons religieuses similairement dogmatique à la fin de la bibliothèque d’Alexandrie. Il faut aussi noter l’évolution des conditions politiques en Egypte comme cause de l’absence de protection de la bibliothèque. En effet, à sa création l’influence et l’autorité sacrée du pharaon suffisait pour préserver ce joyau de la culture de pillage ou de destruction. L’affaiblissement du pouvoir a rendu ce sanctuaire beaucoup plus vulnérable. L’apparition du christianisme et sans expansion a joué un rôle déterminant dans l’incendie volontaire commandé par Théophile des temples païens et des ouvrages déclarés « non conformes ». Deux siècles plus tard, Omar fit de même en détruisant les restes de la bibliothèque au nom de l’Islam et du Coran. Malheureusement nous avons revécu les mêmes gestes iconoclastes au XXème siècle avec la destruction des bouddhas millénaires par les talibans. Il reste que la lutte contre les incendies dans les grandes villes a toujours été une grande préoccupation difficile à résoudre. Les incendies de Londres en 1666 et de Chicago en 1871 montrent que ce type de catastrophe est toujours difficilement maîtrisable. A Alexandrie, les nombreux rouleaux très secs et stockés en un seul endroit, représentaient un combustible idéal. Les historiens sont d’ailleurs très divisés sur le nombre exact de documents contenus dans la bibliothèque d’Alexandrie au temps de son apogée : 40000 rouleaux, 400.000, 700.000 ? Le tort de Ptolémée Ier qui a voulu développer l’influence culturelle de l’Egypte sur tout le bassin méditerranéen a été de regrouper tous ces précieux ouvrages dans un seul temple. Certes en démontrant sa puissance et sa sagesse, il voulait aussi les mettre à la disposition de tous les érudits. Cette divergence d’objectifs a occulté la mise en place de moyens de protection et de lutte contre l’incendie. Mais n’a-t-on pas, nous aussi, commis des erreurs dans l’édification de la Grande Bibliothèque voulue par le président Mitterrand ? Conclusion : La grandeur de la bibliothèque, ou plutôt des bibliothèques, a dominé pendant près de sept siècles le monde méditerranéen. Elle est due à la mégalomanie des pharaons qui ont pris le risque de regrouper des oeuvres en un lieu unique dont on connaît les conséquences. Ils auraient dû faire comme de nos jours où les documents uniques et chargés de savoirs précieux sont stockés à la fois dans plusieurs lieux, spécialisés et protégés efficacement. La notion de temps est importante dans cette catastrophe culturelle car la protection divine d’un temple païen se révéla inefficace lorsque l’influence des chrétiens augmenta. Il en est de même lors de la baisse d’influence protectrice des pharaons au cours du temps. Le risque de perte de document a alors augmenté. Il aurait donc fallu faire évoluer la bibliothèque, lieu unique du partage du savoir et des connaissances, en fonction des évènements et de l’entourage, comme éviter la proximité d’un port de bateaux en bois. De plus, un système de copie et de diffusion systématique aurait pu être prévu. Ainsi, qu’une évacuation des volumes les plus précieux pour le cas où les guerres se trouveraient à proximité. Malgré les nombreuses fautes qui ont été commises au cours de l’existence de la grande Bibliothèque d’Alexandrie (qui comprend la bibliothèque mère, le Museïon, et la bibliothèque fille, le Sérapéion), il ne faut pas négliger son rôle culturel immense. Elle a en effet créé une sorte d’émulation ayant favorisé la recherche, ainsi que la mise sur parchemin de nombreuses découvertes. De plus, elle a permis de sauver de nombreux manuscrits plus anciens et qui étaient dans un de délabrement avancé. Ils ont été restaurés ou alors recopiés par des scribes lorsque ce n’était plus possible. De plus, si tous les originaux ont été perdus, une partie des textes a perduré grâce aux copies qui en furent faites pour des bibliothèques nouvellement créées et qui pensaient par ce moyen obtenir eux aussi une renommée dans le monde méditerranéen.