Etude de géographie théorique et expérimentale
dans notre propos. Le praticien d’une géographie sociale, quant à lui, pourrait voir dans cette
démarche encore plus de tortures infligées à l’humain. Nous essaierons de le convaincre qu’il
n’en est rien.
Le premier acte de cette reprise en main du sujet, fut de ne plus vouloir considérer des unités
spatiales mais des habitants tissant des liens avec une structuration de l’espace à plusieurs
niveaux. Pourtant, l’argument basé sur une métaphore des pratiques spatiales par la cinétique
des gaz est souvent revenu en critique d’une démarche habitant, y compris par moi-même. Il
est clair que la statistique a permis d’éviter de se concentrer sur les mouvements des
molécules pour prédire la pression d’un gaz. Or, les personnes humaines ne sont pas des
molécules, avant tout par leurs capacités cognitives. Ces capacités cognitives sont nées de la
représentation : chacun voit le monde à sa propre aune, mais parce que nous sommes de la
même essence et que nous adhérons à des valeurs et des représentations communes, nos
comportements, qu’ils soient imitatifs ou plus autonomes, aboutissent à des formes spatiales
récurrentes. L’organisation sociale et spatiale créée est structurée en niveaux. Les pratiques
individuelles deviennent des flux et l’analyse spatiale montre à ce niveau méso-géographique
sa puissance explicative. Et elle peut argumenter : peu importe si Paul va de A à B, Jacques de
A à C, Mireille de B à C, …, et quelles sont les raisons de leurs déplacements, le fait est qu’il
est possible de prédire les flux.
Si le géographe se lance à la poursuite de l’ingénieur, il peut s’arrêter là. C’est de moins en
mois le cas. S’il a un souci de connaissance centré sur la personne, il va creuser ici et chercher
les raisons de cette efficacité, ce que l’analyse spatiale ne dit pas, et surtout ce qu’elle ne peut
pas dire. De même, s’il a le souci de produire une connaissance sur le territoire qui ait un sens
pour les gens. Il peut alors s’engager vers un discours scientifique qui informe sur le quotidien
et le banal (le dedans des flux), plutôt que sur l’exceptionnel (la raison du résidu par rapport à
un espace et un modèle globaux). Nous sommes engagés dans une démarche théorique et
expérimentale sur la banalité de nos actes quotidiens, avec des outils de l’analyse spatiale,
parce que nous accordons beaucoup de confiance à ses méthodes scientifiques, et parce que
réassortir ainsi le couple objet-sujet donne une puissance renouvelée aux pratiques
individuelles dans la dynamique du territoire (Di Méo G., 2000)
.
Dans le cas qui nous occupe, il est nécessaire de construire des modèles informatiques et de
faire des simulations, justement pour mettre en œuvre la complexité annoncée. Faire ce genre
de simulation revient à essayer de se représenter des images possibles de la complexité des
organisations spatiales des êtres vivants que nous sommes, en jouant sur l’interrelation des
niveaux micro, méso et macro-géographiques.
Pour toucher à la signification des lieux ou du territoire pour les habitants, par exemple lors
de la simulation de dynamiques spatiales dans un cadre urbain, il faut toucher à leur vécu, et
leur rendre un peu de leur singularité, ce qui sort du cadre de l’analyse spatiale classique. Pour
cela, nous bâtissons une application informatique — un Système Multi-Agents — qui donne à
des entités artificielles, quelques caractéristiques bien humaines de notre rapport à l’espace.
Autrement dit, il y a une cloche de verre pourvue d’instruments de mesure, et sous la cloche
le matériel d’expérience : des personnes humaines modélisées au mieux en fonction de
l’expérience, et qui ont au moins comme caractéristiques leur unicité, leur intentionnalité et
leur autonomie.
Di Méo G. (2000). « Que voulons-nous dire quand nous parlons d’espace ? ». In : Lévy J., Lussault
M. (dir.). Logiques de l'espace, esprit des lieux. Coll. Mappemonde. Paris : Belin. 37-48.