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Tymoshenko, quant à elle, avait remis en question de nombreuses privatisations du gouvernement
précédent, une tactique certes compréhensible sur le plan émotionnel, mais qui avait néanmoins
eu l’effet d’une douche froide pour les investisseurs, tout en divisant la coalition au pouvoir. Le
nouveau gouvernement de Yuriy Yekhanurov a, par la suite, veillé à fortement rassurer un monde
des affaires quelque peu abasourdi. Mais, dès le début, les jours de l’équipe de Yekhanurov
étaient comptés.
10. C’est ainsi que tout le monde fourbissait déjà ses armes pour la campagne de ce printemps,
lorsque le gouvernement fit savoir qu’il cédait aux exigences russes de doublement du prix du gaz
importé. Aux termes d’un accord de 2001, Gazprom avait accepté de vendre des quantités
importantes de gaz naturel à l’Ukraine au prix de 50 dollars par millier de mètres cubes, en
échange de ristournes sur les droits facturés par l’Ukraine pour l’utilisation des gazoducs
alimentant l’Europe occidentale. En décembre 2005, Gazprom a soudain exigé que le prix du gaz
soit porté à 160 dollars, puis à 230 dollars, tout en menaçant également de cesser
d’approvisionner l’Ukraine le 1er janvier 2006 si celle-ci n’acceptait pas ces conditions. (White, 19
décembre 2005) Alors que la Moldova et la Géorgie étaient confrontées à des pressions
similaires, la Russie continuait à vendre du gaz à un prix fortement subventionné au Bélarus,
indiquant ici le genre de régimes dociles et non démocratiques recueillant sa préférence à ses
frontières. L’accord final a doublé le prix des droits de transit fixés pour cinq ans. L’opinion
publique a réagi par la consternation. Peu après, le parlement a destitué le gouvernement de Yuriy
Yekhanurov, invoquant une trahison des intérêts ukrainiens. Le gouvernement démis a cependant
accepté un mandat de trois mois pour l’expédition des affaires courantes.
11. Cette crise politique s’expliquait en fait beaucoup plus par la proximité des prochaines
élections que par l’augmentation du prix du gaz, face à laquelle l’Ukraine ne disposait dès l’abord
que de fort peu d’atouts. L’Ukraine n’avait en effet pratiquement aucun moyen de pression lors de
ses pourparlers avec la Russie. Il se pourrait d’ailleurs fort bien qu’il faille trouver la raison des
exigences de la Russie non seulement dans la volonté d’accroître ses revenus en alignant le prix
de son gaz sur celui du marché mondial – une ambition assurément légitime dans la mesure où
elle ne violait pas les précédents accords –, mais également dans le désir de soutenir certaines
forces d’opposition plus favorables aux intérêts russes et prétendant être mieux placées pour
renégocier le prix du gaz. (Buckley, Warner) Il ne fait aucun doute que ces forces n’ont pas tardé
à exploiter la déception de l’opinion publique face à la hausse soudaine de prix pour en retirer un
avantage politique. Qui plus est, comme 80% des exportations de gaz russe destinées à l’Europe
transitent par l’Ukraine, les capitales européennes ont réagi sans tarder à la manœuvre russe.
L’ultimatum initial de Gazprom, qui incluait une menace d’embargo sur le gaz, a donc suscité un
réexamen global des politiques de sécurité énergétiques européennes et des dangers apparents
de dépendance énergétique croissante face à la Russie. (Kramer, 5 janvier 2006) Les tensions
entre la Russie et l’Ukraine ont une considérable incidence intérieure dans un pays dont 67% de la
population est ukrainophone et 24% seulement russophone. (OSCE)
12. Ce psychodrame politique s’est déroulé alors que d’importants amendements
constitutionnels entraient en vigueur en Ukraine. Le nouvel ordre constitutionnel accorde
davantage de pouvoir au parlement au détriment de la présidence. Cela pourrait renforcer les
prérogatives du nouveau Premier ministre et a manifestement accru les enjeux des élections de
mars. L’électorat ukrainien est désormais confronté à une situation dans laquelle le candidat
malheureux des élections présidentielles de l’année dernière, Victor Yanukovych, dispose d’une
petite chance au moins de devenir la personnalité la plus puissante d’Ukraine en qualité de
Premier ministre, aux termes de la constitution amendée.
13. Quelle que soit la personne qui accèdera au poste de Premier ministre après les élections
de mars, elle disposera d’un pouvoir de décision beaucoup plus important que ses prédécesseurs.
Depuis le 1er janvier 2006, le gouvernement est responsable devant le parlement plutôt qu’envers
le président. L’Ukraine s’aligne ainsi assurément sur les normes constitutionnelles d’un certain