Les structures de corrélation hypothétique en français selon le

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Andrée Borillo
Université Toulouse-le Mirail
Les structures de corrélation hypothétique en français en contexte de discours écrit ou oral
Les structures corrélatives auxquelles il convient de réserver une place en français à côté des
structures de coordination et de subordination, se prêtent bien, nous semble-t-il, à une étude
comparative susceptible de faire apparaître certaines des spécificités que l'on peut tenir
comme caractéristiques des deux modes d'expression assez différents que sont le discours
écrit et oral, et caractéristiques également du genre de discours auxquels renvoient les énoncés
de type interactionnel, qui précisément à l'oral jouent un rôle de tout premier plan à côté des
énoncés de type expositif, argumentatif ou narratif.
Je voudrais prendre comme exemple les structures corrélatives de type hypothétique dont la
configuration la plus courante en français est celle d'un énoncé à deux termes - le premier
terme P1 (la protase) formule ou sous-tend une hypothèse qui trouve dans le deuxième terme
P2 (l’apodose) l'expression de la conclusion ou de la conséquence censée découler de son
éventuelle réalisation ou non-réalisation.
Dans ce type d'énoncé bipartite, l’articulation est souvent matérialisée par une relation de
subordination, dont l'expression la plus courante est le marqueur prototypique si, qui fait de P1, la
protase, une subordonnée conditionnelle (mais de nombreux autres marqueurs jouent également ce
rôle1). L'hypothèse y est exprimée sous forme d'une proposition dont le verbe est soit au temps
présent, (1), soit à un temps du passé, (imparfait ou plus-que-parfait), qui traduit un affaiblissement de
la probabilité de sa réalisation, (2), et peut même aller jusqu'à exprimer la contrefactualité - si P
présuppose alors "il n'a pas été le cas que P", (3) :
(1) Si vous êtes libre ce soir, nous irons au cinéma
(2) Si vous (étiez/aviez été) libre ce soir, nous (irions/serions allés) au cinéma
(3) Si nous avions pris un taxi, nous aurions eu l’avion de 8h
Cependant, il existe des constructions de corrélation hypothétique qui exploitent d'autres
modes de mise en relation pour rendre compte de l’articulation entre P1, la protase, et P2,
l'apodose, i.e. entre une hypothèse et la conséquence qui peut ou qui est censée en découler.
Parmi ces constructions, il y en a un certain nombre que l'on voit peu figurer à l'oral et qui
sont au contraire largement utilisées à l'écrit. Il y en a d'autres, en revanche, qui ont toutes
les chances de se rencontrer à l'oral car par leur forme et par leurs composantes, elles
exploitent au mieux les conditions énonciatives qui président au fonctionnement du discours
dialogal, à savoir le mode d'adresse directe à l'allocutaire, l'expression d'actes de langage de
type direct ou indirect, le recours très évident à la prosodie, etc.
Je mentionnerai dans un premier temps, quelques constructions qui relèvent de règles que l'on
considère associées à l'écrit ou, pour le dire autrement, dont les propriétés syntaxiques
semblent répondre assez mal aux conditions qui sous-tendent la mise en œuvre du discours
oral spontané et plus particulièrement la mise en fonctionnement du discours tel qu'il est
pratiqué dans les situations de dialogue. Je prendrai en exemple quatre types de construction,
le dernier n'étant évoqué que pour illustrer un style écrit désormais peu courant, même à
l'écrit, car considéré comme désuet, ou au mieux littéraire :
a) Les constructions comportant une inversion du sujet clitique et du verbe. Dans ces
constructions, la dépendance entre P1, la protase, et P2, l'apodose, plutôt que d'être marquée
par le lien classique d'une conjonction de subordination, comme en (1) ou (3) ci-dessus, se
manifeste par l'inversion du sujet et du verbe dans la protase :
(4) Lui parle-t-on de crise économique, il hausse les épaules
1
En plus de marqueurs comme même si (P), quand bien même (P) - qui font de P une hypothèse de type
adversatif – les expressions que l'on peut utiliser pour marquer l'hypothèse sont nombreuses et variées, ex. au cas
où, en admettant que, des fois que, à supposer que, etc (on peut en relever plus d'une trentaine relevant de
registres de langue différents).
2
En français, l'inversion a tendance en général à être considérée comme une pratique de l'écrit.
Même pour ce qui est de l'inversion de sujet clitique qui est jugée pratiquement obligatoire
après certains éléments temporels placés en tête de phrase, comme à peine, l'oral peut sans
grand mal ne pas appliquer la règle d'inversion:
(5) A peine il reconnaît son voleur, il l'allume sans sommation ! 2
La non-application de la règle est également de mise pour ce qui est de l'inversion concernant
le sujet clitique dans les constructions interrogatives. Les formes d'interrogation totale non
inversées sont jugées tout à fait naturelles et à l'oral, tendent même à supplanter les formes
interrogatives de type inversé3. Dans la corrélation hypothétique, l'inversion dans la protase
n'a pas à être d'assimilée à celle d'une phrase interrogative, elle peut tout simplement être
analysée comme l'expression d'une non-assertion, (4) ci-dessus, mais on retrouve là la même
tendance à ne pas observer l'inversion, (4'), à l'oral encore plus qu'à l'écrit, (6) :
(4') On lui parle de crise économique, il hausse les épaules
(6) On te botte la fesse gauche, tu tends la fesse droite
2) L’emploi du mode conditionnel conjugué à l’inversion sujet-verbe. Ces deux indices
formels peuvent être réunis dans la même proposition, sans que cette combinaison apporte
une véritable modification à l’effet que le conditionnel présent arriverait à produire par luimême, sans l'inversion du sujet. On a l’impression que l’ajout de l’inversion donne un tour
plus recherché, plus littéraire à la phrase, même si sur le plan de l’interprétation, on ne perçoit
pas de différence nette entre les énoncés :
(7) On le menacerait, on ne tirerait rien de lui
(7') Le menacerait-on, on ne tirerait rien de lui
Cependant, avec l'inversion, il est plus facile d'interpréter P1, la protase, dans un sens dit
adversatif, sens qui est donné explicitement lorsque elle apparaît sous forme de subordonnée
introduite par même si + l'indicatif : [même si p, q]
(8 ) Même si on le menaçait, on ne tirerait rien de lui
Ce sens adversatif est obligatoirement produit par l'introduction d'un conditionnel passé dans
P1, et de ce fait, p prend une valeur contrefactuelle - non p:
(9) L'aurait-on menacé, on ne tirerait rien de lui
(non p = "on ne l’a pas menacé")
De son côté, P2, l'apodose, peut rester construite avec un conditionnel présent, comme on le
voit en (8) et (9)ci-dessus, et garder ainsi l'indécidabilité de q, liée à une réalisation qui reste
située dans le futur4. Mais elle peut également se construire au conditionnel passé, et dans ce
cas, q se trouve investi d'un sens véritablement assertif:
(10) L'aurait-on menacé, on n'aurait rien tiré de lui
( q = "on n'a rien tiré de lui")
Là aussi, dans ce type de construction au conditionnel, l'inversion semble assez peu pratiquée
à l'oral :
(11) Tu m'aurais dit de mourir, je serais mort sans hésiter.
(12) On m'aurait payé, je ne l'aurais pas fait
Mais autant que l'on puisse en juger, il est possible que le conditionnel sans inversion soit luimême concurrencé par l'emploi d'un marqueur de subordination, si ou même si, en fonction
du sens hypothétique ou contrefactuel qui est donné à la protase. L'emploi de même si laissant
en plus la possibilité d'inverser protase et apodose :
(13) Même si on m'avait payé une fortune, je ne l'aurais pas fait
(13') Je ne l'aurais pas fait, même si on m'avait payé une fortune
Si avec ces différentes structures conditionnelles de forme parataxique, le lien d'articulation
corrélative se matérialise à l'écrit par la présence de la virgule, il se traduit à l'oral par un
Les exemples de discours oral qui seront proposés ici sont extraits de dialogues pris dans Frantext – ce qui, il
faut bien l'admettre, est un choix un peu biaisé
3 D'autant que pour éviter l'inversion, il y a le recours aux interrogatives de type Est-ce que P ? qui semblent
elles aussi largement attestées à l'oral.
4 D'ailleurs, le temps du futur peut remplacer le conditionnel : L'aurait-on menacé, on ne tirera rien de lui
2
3
schéma prosodique bien caractéristique qui peut se décrire très approximativement comme
une courbe ascendante qui culmine en fin de protase en une pause suspensive relativement
appuyée et qui se poursuit par une courbe descendante sur l'apodose.
3) L'emploi du subjonctif. Une autre construction corrélative que l'on peut assez facilement
rencontrer à l'écrit est celle où la protase, P1, est une phrase au subjonctif - comportant
généralement que à l'initiale - avec inversion du sujet après le verbe. La corrélation avec P2,
phrase assertive au présent ou au futur, se fait éventuellement avec l'appui du marqueur et
articulant les deux termes :
(14) Que survienne un coup dur (et) ils sont complètement paniqués
Cette construction qu'il convient de ne pas assimiler à une forme optative exprimant un
souhait ou un désir (ex. Que Dieu vous garde ! ou Dieu bénisse le roi !) n'a que très peu de
chances d'apparaître dans un discours oral du fait de la présence combinée de l'inversion et
du subjonctif. Deux facteurs à éviter si l'on voulait donner de (14) une version orale
approximative telle que (14') :
(14') Il leur arrive un coup dur et les voilà tout remués
4) Les constructions à base de conditionnel passé. Les constructions où le conditionnel n’a
pas la forme "aurait + p.passé" mais "eût + p.passé" (certains l'appellent "conditionnel passé,
2ème forme", d’autres "plus-que-parfait du subjonctif") comportent nécessairement
l’inversion du sujet clitique, qu'il soit ou non un redoublement d'un sujet nominal :
(15) La route eût-elle été sèche, il n'aurait pas perdu le contrôle de la voiture
(16) Lui eût-il demandé de venir, elle serait accourue
Il est impensable que de telles structures, qui combinent à la fois un conditionnel largement
tombé en désuétude et l'inversion du sujet clitique, soient utilisées dans des énoncés oraux,
sinon dans une visée qui se voudrait ouvertement parodique.
En revanche, je voudrais maintenant m'arrêter sur un certain nombre d'énoncés de type
corrélatif que l'on associe de préférence au discours oral, sans doute parce qu'ils possèdent
certains traits marquants qui marquent leur production et certaines particularités de
construction qui caractérisent à la fois P1, la protase, et P2, l'apodose. Pour n'en citer ici que
quelques uns :
- le fait que locuteur et allocutaire constituent les protagonistes de la situation évoquée,
- le fait que l'hypothèse, dans la protase, s'énonce sous la forme d'énoncés voués à l'interaction
et qui incarnent des modes d'énonciation très présents à l'oral, à savoir des énoncés à
l'impératif (à la forme positive ou négative) et des énoncés à l'interrogatif.
- Le fait que dans une situation dialogale, il est possible de construire une hypothèse p tout en
présentant P1, la protase, sous la forme d'un énoncé de forme déclarative au présent ou au
futur, ou sous la forme d'un énoncé de forme impérative (positive ou négative). L'hypothèse
p, qui n'est pas véritablement formulée mais seulement inférée à partir de P1, fait interpréter
P2, l'apodose, comme l'expression de la conséquence q qui s'ensuivrait, si p se réalisait:
( 17)Tu fais un geste, tu es mort
=>Tu fais un geste, ( si tu fais un geste) tu es mort
(18) N'approche pas, je te brise la carafe sur la tête
=> N'approche pas, (si tu approches) je te brise la carafe sur la tête
(19 ) Tu ne me crois pas ? tu n'as qu'à demander à ta mère
=> Tu ne me crois pas? (si tu ne me crois pas) tu n'as qu'à demander à ta mère
Comme on le verra plus loin, sous certaines conditions, le marqueur et peut être placé à la
charnière entre protase et apodose pour matérialiser cette hypothèse p construite à partir de
P1. Il pourrait être ajouté dans (17) ci-dessus et on le trouve dans cette fonction en (20) ou
(21) :
(20) Fais-le, et tu verras ce qu'il t'en coûte
(21) Tu m'écris un mot et je viens tout de suite
4
Dans d'autres cas au contraire, c'est le marqueur ou ou certaines de ses variantes sinon, sans
ça, sans quoi, etc. qui servent de charnière corrélative, et qui eux, matérialisent l'éventualité
hypothétique correspondant à la valeur inverse de la proposition p contenue dans P1, tandis
que celle-ci véhicule une force illocutoire d'injonction, de prospective, de souhait, etc. traduite
selon le cas par un verbe performatif, un marqueur modal ou un impératif etc.:
(22) Ouvre ou j'enfonce la porte
=> Ouvre, (si tu n'ouvres pas ) j'enfonce la porte
(23) Il faut que tu m'aides, sinon tout ira mal.
=> Il faut que tu m'aides (si tu ne m'aides pas) tout ira mal
(24) Tu feras bien d'obéir, sans ça je te ficherai une fessée
.
=> Tu feras bien d'obéir (si tu n'obéis pas) je te ficherai une fessée
J'examinerai ici quelques unes de ces structures parataxiques de corrélation hypothétique qui,
à l'oral, semblent les plus représentatives d'un mode d'expression prenant en compte les trois
facteurs que je viens d'indiquer :
a) Les structures de type [p, que q] fondées sur l'emploi du conditionnel en P1 contenant p,
avec présence de que en tête de P2 contenant q,
b) Les structures de type [p, et q] dans lesquelles et matérialise l'hypothèse correspondant à la
même valeur que la proposition p enchâssée à l'intérieur de P1 , qu'elle soit positive ou
négative,
c) Les structures de type [p, ou q] dans lesquelles ou - ou ses quelques variantes - matérialise
l'hypothèse correspondant à la proposition p enchâssée à l'intérieur de P1, mais en prenant
une valeur inverse, négative si dans P1 p est positive, positive, si p est négative.
1. Les structures conditionnelles de type [p, que q]
La construction fondée sur la seule présence du conditionnel dans P1, possibilité que j'ai
évoquée plus haut au §2 (voir (7) ou (9)), est assez souvent aménagée, et tout particulièrement
à l'oral, par l'introduction entre les deux propositions d'un que qui n’a rien ici d’un marqueur
de subordination5. Son rôle est de servir d'élément d’appui à la césure entre les deux
propositions car par sa présence, il explicite sans doute mieux que la pause ou que la virgule,
la complémentarité sur laquelle se fonde un énoncé de type corrrélatif hypothétique. A l’oral,
il renforce la pause qui articule les deux versants, montant et descendant, de la courbe
mélodique, en même temps qu'à l’écrit, il se substitue avantageusement à la virgule pour
figurer à la fois la pause et le lien corrélatif. C'est peut-être pour cette raison que déjà à l'écrit,
il se place assez couramment à la suite de P1 pour étoffer la virgule dont les fonctions sont
largement indifférenciées, mais surtout à l'oral pour marquer explicitement l'amorce de la
courbe descendante sur P2.
Sur la base d’exemples attestés, on peut constater que, ne serait-ce qu'à l'écrit, que s’emploie
sans restriction aussi bien avec le conditionnel simple qu’avec le conditionnel composé, qu’il
y ait ou non inversion sujet-verbe. Par exemple, dans des formes assez élaborées de discours,
on peut trouver des énoncés avec ou sans corrélateur que, celui-ci étant, semble-t-il,
davantage présent dès lors qu'il y a inversion du sujet clitique :
(25) On établirait sa culpabilité, je n’y croirais pas
(25') Etablirait-on sa culpabilité, que je n’y croirais pas
(26) Il n’avait pas son adresse. L’aurait-il connue, qu' il n’ eût osé lui écrire
Qui plus est, l'insertion de que à la charnière de l'apodose est compatible avec les deux
interprétations, conséquentielle (avec si P) et contrefactuelle (avec même si P) que prend
l'énoncé selon le contexte. Ainsi, on pourrait très bien l'insérer à l'écrit dans un exemple
comme (27) où le conditionnel passé donne un sens contrefactuel à P1 :
(27) Aurait-on établi sa culpabilité, je n’y croirais pas
(27') Aurait-on établi sa culpabilité, que je n’y croirais pas
5
En particulier parce qu'il est attaché à la deuxième proposition de la construction parataxique, considérée
logiquement comme proposition principale dans la construction hypotaxique correspondante,
5
Par sa présence, que explicite de même que la pause ou la virgule, et sans doute d’une
manière plus nette encore, le lien corrélatif entre l’énoncé hypothétique et sa conséquence.
C’est peut-être ce qui explique qu'on le trouve assez couramment - et même, de manière
préférentielle d’après certains relevés - à l'oral, dans des énoncés où l'hypothèse est
uniquement exprimée par le conditionnel sans être accompagnée de l'inversion du sujet
clitique, qui, on l'a vu, reste relativement peu courante. On constate en tout cas que l'emploi
de que est assez représentatif du mode d'expression orale :
(28) On me donnerait une fortune que je ne le ferais pas
(29) Elle aurait voulu bouger, qu’elle n’aurait pas pu
(30) Il serait malade que je n’en serais pas étonné
2. Les structures corrélatives de type [p, et q]
2.1 P1 est à la forme impérative.
La forme impérative ne peut pas être interprétée comme une exhortation à agir si la phrase qui
suit ne peut pas être comprise comme décrivant une situation favorable pour celui à qui l'on
s'adresse :
(31) Continuez à faire ce vacarme, et je vais me fâcher
(32) Touche-la encore une fois et je te fais battre
(33) Redis ça, et je te fais bouffer tes couilles
En revanche, si P2 représente une éventualité favorable, i.e. souhaitable pour l’interlocuteur,
l’impératif peut traduire une exhortation, une invitation à agir (avec une prosodie
probablement un peu différente, mais il faudrait y regarder de plus près) :
(34) Elle m a dit : "Embrasse-moi, et je te paye le ciné"
(35) Parle et je te pardonne
Dans le cas d'une conséquence positive, et est assez souvent renforcé par alors ou puis, ce qui
le rapproche d’un sens consécutif, à la fois logique et temporel :
(36)Pose-le sur la pierre couchée, et alors je te dirai ce qu'il faut faire,
Quelle que soit l'interprétation que l'on donne à P2 - conséquence défavorable ou favorable –
il peut y avoir absence de et avec maintien de l’intonation à l’oral et de la virgule à l’écrit. On
peut avoir aussi cette configuration dans les dialogues oraux, même si elle s'avère plus rare :
(28) Demande-le à genoux, je te le dirai
(29) Brûle un feu rouge, tu verras ce qu’il t’en coûte
Dans un cas comme dans l'autre, l’impératif, réservé à la 2ème personne et à la 1ère personne
du pluriel, peut être remplacé à la 3ème personne par le subjonctif en que. Il peut être
l'expression d'une exhortation ou d'un conseil sous forme indirecte, comme on peut le voir en
(30) ci-dessous. A l'oral, cependant, on semble lui préférer une forme de type "il y a qu'à…"
ou ses variantes (31) :
(30) Qu'il me le demande à genoux, je le lui dirai
(31) Il n'a qu'à me le demander à genoux, je le lui dirai
1.2 P1
est à la forme déclarative, au présent ou au futur
P1 peut facilement prendre la forme d’une déclarative au présent ou futur dans la mesure où
ces deux temps peuvent entrer, à la 1ère pers., dans l’expression d’un acte performatif de
rogation, je te demande de.., je t'engage à…je te prie de..., ou à la 2ème pers., dans l'expression
d'un acte de langage indirect d’injonction (Tu te tiens tranquille, tu ne bouges pas).
Pour ce qui est de la 2ème personne, tu et vous renvoient à un interlocuteur spécifique – celui
auquel on s’adresse - ou alors, sont à considérer comme des termes génériques d’adresse.
Dans le premier cas, on peut traiter p en P1 comme un véritable acte de langage indirect
d'injonction, q dans P2 représentant la conséquence, positive pour l'interlocuteur, (32)-(33),
ou au contraire négative, (34)-(35), qui découle de la réalisation possible de la situation
implicitement représentée par et :
(32) Tu me donnes tes papiers, et je me charge de l’affaire
(33) Tu jures, et je te laisse passer...
(34) Tu fais un geste, et tu es mort
6
(35) Tu répètes ce que tu viens de dire, et je ne t’adresse plus la parole
Mais même dans ce cas, dans un contexte qui s’y prête, il peut ne pas y avoir un acte de
demande ou d'injonction dans P1, mais seulement l'hypothèse si p implicitement sous-jacente,
dont la réalisation possible dans le futur est censée entraîner la conséquence q:
(32') Si tu me donnes tes papiers, je me charge de l'affaire
(34') Si tu fais un geste, tu es mort
tu et vous peuvent être à interpréter comme des génériques, lorsque P2 contient lui-même un
générique (on, tu, vous) et qu'il s'interprète dans un sens habituel :
(36) Il faut le savoir : vous donnez un grand coup de pied, et la porte s’ouvre d'un seul coup
=> si vous donnez un grand coup de pied,…
D'ailleurs, que tu et vous soit spécifique ou générique, on peut avoir en P1 un verbe qui ne
possède pas un sens agentif, et donc qui ne peut pas avoir une valeur d’injonctif :
(37) Attention , tu dérapes, et plouf dans la mer...
Là aussi, après P1 à la forme déclarative, tout comme après l'impératif, et peut être absent et
laisser la place à la seule virgule, même si sa présence semble plus naturelle :
(38)Tu m'envoies un mot, je viens tout de suite
Pour ce qui est de la pause et de l'intonation suspensive à l'oral, il est probable qu'elles sont
plus marquées, plus appuyées en l'absence de et mais il conviendrait de le vérifier sur des
données plus étendues.
1.3 P1 est un syntagme nominal
Un SN peut constituer le premier terme d'une construction de type [p, et q] mais pour qu'on
puisse l'interpréter comme un énoncé hypothétique, il doit pouvoir traduire une éventualité
introduisant un changement (que ce soit un déclenchement ou une rupture) :
(39) Un signe de moi et il accourt
(40) Un geste et je serai satisfait
(41) Encore un pas et il n'aurait plus rien à craindre
On ne peut pas véritablement parler d'ellipse et considérer le SN comme la réduction d'une
phrase complète. Dans certains cas, il est vrai, on peut arriver à reconstituer une phrase : Fais
un geste…(40), Il ferait encore un pas… (41), mais la reconstitution peut demander une
certaine dose d'accomodation (par exemple, pour (39) doit-on remonter à "je fais un signe" ?)
Il vaut mieux, semble-t-il, tabler sur le caractère processif du nom et l'accepter tel quel
comme tête du SN, qui peut ainsi fonctionner à lui tout seul comme acte énonciatif. Quant au
sens que prennent ces SN dans ce type de construction, cela dépend de différents facteurs qui
entrent en ligne de compte. En particulier, pour qu’un SN puisse s'interpréter comme un acte
d'injonction (invitation à agir ou à ne pas agir selon que q apparaît comme une issue positive
ou négative), il faut qu’il puisse y avoir renvoi explicite ou implicite à un interlocuteur,
spécifique ou générique, et que P2 soit à un temps présent ou futur :
(42) Un pas de plus, et vous êtes mort
(43) Encore un mot, et je flanque le feu à votre baraque.
Sinon le SN ne peut être interprété que comme une simple hypothèse :
(44) Un pas de plus, et il culbutait dans le vide
=>s'il avait fait un pas de plus, il culbutait…
Il est à noter que très souvent, le SN comporte des éléments qui marquent la quantité, de
préférence orientée vers le minimum : un seul, seulement, juste ,le moindre, un peu ou qui
traduisent l’indication d’un ajout : de plus, encore, etc. Ils ont pour effet de déclencher une
nouvelle situation ou d'aboutir à un nouveau résultat exprimé dans P2, comme on peut le voir
dans les exemples ci-dessus. Mais un effet comparable peut être obtenu à partir d'autres
modifieurs qui ne font qu'évoquer de manière très indirecte le changement de situation :
(45) Un coup de frein brusque, et j'étais dans le fossé
7
3. La construction [P1, ou P2] et ses différentes caractéristiques
Ce deuxième type de construction est caractérisé par l'emploi du connecteur ou, auquel il
semble presque toujours possible de substituer sinon, autrement, sans ça - l'inverse n'étant
pas vrai. Cependant, ici, pour faire vite, je ne présenterai que des énoncés opérant avec ou.
Comme pour les énoncés de type [P1, et P2] présentés au §2, le premier terme est à
comprendre comme un acte de langage injonctif, traduisant l'exhortation à agir ou à ne pas
agir dans le futur (ordre, défense, interdiction, etc.) Comme on le sait, cette force illocutoire
peut donner lieu à des formes très diverses d'actes de langage directs ou indirects, mais je
n'en retiendrai ici que deux ou trois types:
- l'énoncé performatif explicitant l'acte injonctif (verbe performatif à la 1ère personne du
présent : je te demande, je te conseille, je t'interdis, etc) théoriquement possible mais assez
peu utilisé6 pour exprimer en P1 l’exhortation à agir ou l'interdiction:
(46) Je vous supplie de me le dire ou je vais croire que vous vous moquez encore de moi.
En fait, à l'oral, on trouve plus facilement des performatifs en incise, dans une impérative ou
une déclarative:
(47) Je t'en prie, arrête, ou je vais devenir folle
(48) Arrête, je t'en prie, ou je m'en vais.
A la forme performative, on préfère apparemment l'impératif ou des formes à base de futur
injonctif, d'auxiliaire modal, de verbes modal introducteur de complétive, etc. Je donnerai à
titre d'exemple, deux types de construction mais le fonctionnement de ou serait comparable
dans d'autres énoncés où la même force illocutoire injonctive s'exprimerait en P1:
- La forme impérative peut s’appliquer lorsque la proposition p, affirmative ou négative
correspond à l'ensemble de la phrase constituant la protase, P1. Si p est de valeur positive, ou
matérialise l'hypothèse implicite inverse si non p. Au contraire, si p est de valeur négative, ou
matérialise à l’inverse si p :
(49) Tais-toi, ou on va appeler les gendarmes
=> (…si tu ne te tais pas), on va appeler les gendarmes)
(50) N’approche pas, ou je te brise cette carafe sur la tête
=> (…si tu approches), je te brise cette carafe sur la tête)
La conséquence q découlant de l’hypothèse construite sur la valeur inverse de p, doit être
envisagée comme une éventualité dans le futur, d’où la présence dans P2, l'apodose, d’un
verbe au temps présent ou futur.
Cependant, P1 peut être complexe, en ce sens qu'elle peut contenir comme introducteur de
complétive ou de proposition infinitive, un verbe qui mis à l'impératif, sert à l’expression
d’un ordre, d'un encouragement à agir dans le futur : tâcher de, essayer de, penser à,
s’efforcer de, tenter de, etc. (Le verbe pouvant prendre la forme négative : ne pas oublier de,
ne pas manquer de, ne pas négliger, etc. ) :
(51) Tâche de rester tranquille, ou il t'arrivera malheur
=> (si tu ne restes pas tranquille, il t'arrivera malheur)
(52) N’oublie pas de fermer la fenêtre, ou il fera très froid à notre retour
=> (si tu ne fermes pas la fenêtre, il fera très froid…
De la même façon, le verbe introducteur peut contribuer à l’expression d’une mise en garde,
d’une interdiction, qu'il soit en construction avec l’infinitif : ne pas chercher à , ne pas tenter
de, ne pas s’aviser de, ne pas essayer de, ne pas aller; ou avec une complétive : ne pas
s’attendre à ce que, ne compte pas que, etc. :
(54) N’essaie pas de te sauver, ou je te fais coucher en prison
Ou entrer dans des formules assimilables à des impératifs : veux-tu (bien), vas-tu, etc.
(55) Veux-tu te tenir tranquille, ou je te crève la peau
6
En tout cas, je n'en ai trouvé que peu d'exemples dans Frantext.
8
- La forme déclarative dans laquelle est évoquée la réalisation possible d'une action ou d'un
état dans le futur est également utilisée pour figurer P1. Elle est alors généralement
caractérisée par la mise au présent ou au futur du verbe, qui dans P1 peut porter sur le verbe
principal, mais aussi sur un verbe modal auxiliaire ou encore sur un verbe introducteur
d'infinitif ou de complétive. Tous contribuant à l'expression d'un acte injonctif - ordre,
conseil, encouragement, interdiction, exhortation à agir: devoir, falloir, aller (2ème pers.), ne
pas manquer de, il est temps de, il convient de, il est nécessaire de, ne pas tenter de, ne pas
tarder à, essayer de, penser à, tâcher de, etc.,
(56) Tu vas tâcher de te tenir, ou je te flanque des calottes moi, à la fin !
(57)) Tu te tais ou je t'assomme à coups de flingue
Dans tous les cas, ou qui se rapporte implicitement au contenu p ou non p dans P1, matérialise
l'hypothèse de valeur inverse qui lui correspond, si non p ou si p, le contenu de P2, q, étant
alors à interpréter comme la conclusion ou la conséquence censée découler de son
éventuelle réalisation.
Conclusion
A l'examen de ces divers types de construction corrélative hypothétique, qui ne représentent
ici que quelques échantillons parmi les plus représentatifs, il est facile de voir qu'il existe en
français des différences assez nettes et assez marquées entre d'une part, des formes (que l'on
peut appeler "classiques") qui dans l'ensemble appartiennent plutôt au registre de l'écrit et qui
sont abondamment décrites dans la plupart des manuels et des grammaires du français, et par
ailleurs, des formes qui, bien que connues et couramment utilisées, sont généralement peu
évoquées et peu décrites, alors même qu'elles sont amplement attestées dans les discours
oraux et plus particulièrement dans les situations d'interaction et de dialogues spontanés, car
elles possèdent les traits les plus marquants qui conviennent tout particulièrement à la mise
en discours à l'oral, en particulier pour ce qui concerne les formes dialogales à savoir le
recours aux déictiques de 1ère et 2éme personne, l'usage de formes énonciatives d'injonction et
d'interrogation, la pratique d'actes de langage directsou indirects, etc. tous ces éléments étant
mis au service d'une incitation à agir ou au contraire à ne pas agir, le ressort plus ou moins
implicite de l'hypothèse sous-jacente étant utilisé comment argument visant à justifier l'action
ou la démarche qui pourrait découler de la réaction à cet acte de langage exercitif.
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