servit au suicide de la femme de l'auteur. Mais la plus jeune des veuves connaît
aussi parfaitement l'existence des chambres à gaz dans les camps, même si la
plus vieille prétend que ce n'est qu'une «rumeur».
Ce glissement permanent des images, des références et des époques d'un texte
à l'autre, selon une logique qui rappelle celle du rêve du cauchemar le plus
souvent , caractérise l'oeuvre de Müller. Germania 3 constitue l'ultime étape d'un
voyage dans l'inconscient européen. L'auteur mourut pendant les répétitions de
la pièce au Berliner Ensemble, en décembre 1995.
Bon connaisseur du théâtre allemand et de l'oeuvre de Müller, Michel Deutsch a
voulu plonger dans ce Germania 3, peu souvent exploré en français. Sous le titre
Müller Factory, il a en fait imaginé une soirée en deux parties : d'abord Hamlet-
Machine, puis des morceaux de Germania 3, auxquels il a ajouté des extraits
d'un autre texte, la Bataille. Parcellaire et protéiforme, son spectacle confirme
l'infinie richesse du «Müller matériau», la sensation d'abord déroutante, puis
enthousiasmante, qu'il est impossible de le réduire à une seule explication.
Mélancolie. Deutsch a choisi de travailler avec de jeunes comédiens, formés en
majorité au Conservatoire de Genève, tous remarquables, et il a créé le spectacle
avec le soutien du Théâtre Saint-Gervais de cette ville. Hamlet-Machine
ressemble à une mise en condition. Qui passe par un retour en RDA, où Müller
vécut presque toute sa vie d'écrivain-témoin. Engoncés dans leurs vêtements
tristes, les neuf comédiens qui entonnent en choeur l'hymne de la République
démocratique, chantent juste et placent la soirée sous le signe d'une étrange
mélancolie, faisant ressurgir un passé récent et pourtant presque oublié.
Le temps de revisiter les énigmes de Hamlet-Machine (la tragédie du
communisme en douze pages) et d'un entracte, le rideau se lève sur Germania 3.
Le décor, avec ses étagères d'archives, pourrait être les locaux de la Stasi, ou
bien ceux du Berliner Ensemble (qui est le cadre de l'une des scènes). Mais cela
sera aussi le bunker d'Hitler, le bureau de Staline ou le Mur de Berlin où se
promènent des spectres de dirigeants communistes.
Et c'est toute l'histoire du siècle qui ressurgit et nous éclate à la figure, loin des
reconstitutions, des commémorations et des exorcismes rassurants.
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