Adam Smith (1723 - 1790)
I)Biographie
D'origine écossaise, né en 1723, il étudie à Glasgow puis Oxford, deux
universités où il enseignera à son tour la logique, la philosophie morale en
reliant très tôt éthique et économique.
Après la publication de la Théorie des Sentiments Moraux ( désormais TSM)
en 1759, et de considérations sur la formation du langage en 1761, il
abandonne l'université pour devenir precepteur, puis commissaire aux
douanes en 1778.
Il publie en 1776 la Richesse des Nations, et se consacre à la révision de ses
écrits avant son décès en 1790. Plusieurs idées de la RDN sont déjà inscrites
dans les notes de cours.
Au cours d'un voyage de deux ans en Europe ( 1764- 1766), il rencontre
Quesnay et Turgot à Paris et fréquente les grands salons parisiens.
C'est avec Smith que se termine la prise en compte directe des auteurs qui
l'ont précédé. Pour la majorité des historiens la publication de la "Richesse des
Nations" marque le passage d'une pensée pré-scientifique à une pensée
scientifique. Malheureusement, le cas de Smith permet-il d'illustrer une
coupure dans le "Discours Economique", marquée par l'avènement d'idées
originales ? On connaît les jugements sévères de Marx et de Schumpeter à cet
égard.
Marx ironise à propos de Smith: "A.Smith a fait aux richesses spirituelles
l'application de son proverbe Ecossais : "Gagne petit, gagnera gros", et prend
une peine mesquine à cacher les sources auxquelles il doit le peu, dont il a su,
en vérité, tirer beaucoup.
Certains passages de la "Richesse des Nations" sont littéralement copiés ; Le
début du Livre I de la "Richesse des Nations" par exemple, n'est qu'un plagiat
de Mandeville. Schumpeter est plus catégorique : "Le fait est qu'il n'y a pas,
dans la "Richesse des Nations" sur le plan de l'analyse, une idée, un principe,
une méthode qui ne soient, en 1776, entièrement nouveaux".
Le père fondateur de l’économie moderne
La publication, en 1776, de "Recherche sur la nature et les causes de la
richesse des nations" en fait le "père" de l'économie classique.
La base du raisonnement est une auto-régulation du marché par la
concurrence.
A l'origine de la richesse des nations, se trouvent l'accumulation du capital
et la division du travail. Celle-ci est un facteur important d'accroissement de
la productivité et donc de croissance. Chacun recherche son intérêt
individuel, et la somme de chacune de ces tendances permet d'atteindre un
optimum économique. Les mécanismes de marché sont orchestrés par une
"main invisible", qui permet à l'intérêt individuel et à l'intérêt général de se
rejoindre. La concurrence oriente la production vers les produits les mieux
adaptés à la demande des consommateurs solvables. Ensuite, les profits
élevés attirent de nouveaux entrepreneurs qui feront baisser les prix.
Depuis Smith, la même idée marque l'analyse financière de l'Etat : celui-
ci ne peut durablement dépenser plus qu'il n'a de recettes, sous peine de
déclencher une inflation. Sur le plan des internationaux, et s'agissant d'un
produit, lorsqu'un pays détient un "avantage absolu" sur un autre, il a intérêt
à l'échanger.
II) Les principales théories
1) TSM, la controverse sur la bienveillance.
La nature de l'homme suscite de nombreuses discussions théoriques parmi
les économistes depuis Adam Smith et cela d'autant que la science
économique ( tout autant que les politiques qui s'en inspirent) est d'abord un
pari sur l'homme. Ce pari joue dans les hypothèses de la microéconomie et
dans l'insertion (tant risquée) d'hypothèses de comportement dans les
modèles de la macroéconomie . Ce socle anthropologique mérite un constat
approfondi sans pour autant réclamer une science économique "plus"
humaine.
L'économie politique, constituée avec Adam Smith, commence par s'interroger
sur la nature de l'homme. L'anthropologie smithienne énoncée dans la théorie
des sentiments moraux est un préalable à la Richesse des Nations. La relation
entre cette anthropologie et l'économie a fait l'objet de longues discussions .
La nature bienveillante de l'homme sympathique de la TSM n'est- elle pas en
contradiction avec l'égoïsme calculateur de la RDN ? L'histoire de la pensée
économique commence t’elle par une fracture entre anthropologie et économie
?
L'anthropologie en économie analyse les mœurs économiques de façon
hypothétique. Ses hypothèses ont trait à l’environnement (X), aux biens, aux
individus, à la relation entre les individus et les biens. Au delà, elle peut porter
sur les choix que les hommes portent sur les choix des autres hommes. Cette
attention à l'autre implique de dépasser l'information sur l'ensemble des choix
possibles afin de pouvoir juger de la dotation de l'autre en termes de ses
propres goûts ( Sen, 1977).
Ainsi être concerné par l'autre peut avoir un sens économique soit du point
de vue habituel de l'altruisme ( en général assimilé dans la tradition
sociologique à la bienveillance) soit du point de vue philosophique de la
capacité à se mettre à la place de l'autre.
La bienveillance n'est qu'une des hypothèses possibles que l'on puisse
établir d'emblée sur l'autre, l'altruisme peut être bienveillant. Dans un
processus ( jeu par ex.) le même individu pourra être simultanément
bienveillant ou malveillant. Mais, dans le jeu initial d'hypothèses, une
construction relativement complexe pourra être établie sur toutes les
hypothèses de comportement en faisant référence par exemple à un type de
société ( état de nature ou contrat social).
Cette question de la nature de l'homme a connu d'importants prolongements
dans la pensée contemporaine. Est- il envieux, malveillant, tolérant, jaloux,
frustré ? Tous ces termes ont fait l'objet de discussions approfondies chez les
économistes, quelquefois avec les sociologues (ex. la discussion sur la
frustration avec Boudon (1981), beaucoup plus rarement avec les
"anthropologues " convaincus avec Polanyi du handicap anthropologique des
les économistes.
La nature de l'homme est considérée comme hypothétique dans la littérature
économique contemporaine : s'il est social, quel type de comportement a priori
? a- social/ sympathique, égoïste/altruiste, bienveillant/ malveillant , jaloux,
rancunier envieux, complaisant, tolérant, frustré, juste, mimétique; ces
différents termes pouvant être combinés. On peut ainsi faire l'hypothèse d'un
égoïste/ malveillant/tolérant.
Des modalités ( faible/fort) peuvent compléter l'édifice dont la complexité
s'aggrave avec les relations de second ordre et les choix de l'un sur les choix
de l'autre.
Une théorie de l'anthropologie économique ne peut traiter de l'homme
isolément; elle étudie la condition humaine ou la nature humaine; il s'agit en
général de l'homme en interaction et partant, des sentiments que les hommes
éprouvent entre eux; d'où l'importance du type de relation que les hommes
tissent entre eux, soit de leur interaction. Cette interaction donne lieu à de
multiples hypothèses.
On peut postuler un état de nature ( l'"anthropologie hobbienne" reposerait
sur la fiction de la condition naturelle des hommes, ou rentrer dans le
sentimentalisme du XVIII°siècle. L'interaction, autant que la nature des
individus rentre dans un cadre hypothétique.
Il manque un concept entre la "sympathie" et la "bienveillance", avant la
confusion introduite par le concept sociologique de l'altruisme ( qui inclut
forcément la bienveillance). L'idée de sympathie n'est pas intuitive en langue
française ("sympathique " a une valeur positive).
La sympathie ( à la base de la TSM) est éprouvée grâce à l'imagination en se
mettant à la place de l'autre.
Ce problème est inséparable du Das Adam Smith Problem (Knies,1853) (
revirement ou non de Smith vis à vis de la sympathie et de la bienveillance,
première dans la TSM, secondaire dans la RDN avec la fameuse phrase sur la
non pertinence de la bienveillance du boucher...mais de son intérêt par rapport
à notre propre intérêt.etc.... ).
Hume: la bienveillance première.
L' "Enquête sur les principes de la morale", écrit en 1751, traite de façon
systématique de la morale, de son origine et notamment de la bienveillance (
comme principe général) et de la sympathie ( pour quelqu'un). Cet univers ,loin
du dilemme âge d'or/ état de nature entend donner un fondement rationnel aux
vertus sociales, par exemple à la bienveillance et à la justice. En fait, justice et
vertus sociales en général, ont une utilité .
Si donc, on ne peut postuler tel Hobbes dans le Léviathan ( Selfish system of
morals selon Hume) que nous sommes dans un état de nature où s'opposent
des hommes égoïstes, c'est bien sûr parceque les hommes attribuent
naturellement de l'utilité et que cette utilité ( II, V) plaît .
David Hume se situe ainsi, avec Hutcheson et Butler dans le camp de ceux
qui fondent la morale naturelle sur la bienveillance( le XVIII°) serait caractérisé
par une contrerévoution sentimentale après l'apologie de l'égoïsme du XVII°
siècle) laquelle se manifeste comme une passion tendre mais trouve une
généralité rationnelle dans l'utilité.
La sympathie est donc généralisée dans l' Enquête par rapport au Traité de la
Nature Humaine (1738- 1740) et trouve un fondement rationnel.
Adam Smith: De la sympathie à la bienveillance limitée .
La sympathie occupe une place particulière dans la Théorie des Sentiments
Moraux (1759), au sein de la tradition de la philosophie écossaise. Mais, l'ordre
des valeurs morales change, la bienveillance perd du terrain au profit de
l'amour propre.
La sympathie est le point de départ ( chapitre I) de la TSM comme " principe
d'intérêt pour ce qui arrive aux autres.." comme "faculté de partager les
passions des autres quelles qu'elles soient".
Cette sympathie comme "extended sympathy", devenue mutuelle donne du
plaisir. Mais que peut penser de cette sympathie ? Dans le chapitre III, Smith
nous rappelle que nous pouvons approuver ce sentiment s'il est convenable, le
blâmer autrement ( cfp. 14).
Smith part de Hume ( sans le citer) et s'interroge sur le fondement utilitaire de
la sympathie vis à vis des sentiments ou du jugement des autres:
"Leur utilité, dira-t-on, est ce qui nous porte le plus à les estimer"…mais selon
Smith, l'utilité "est une arrière pensée, et jamais le premier motif de notre
approbation"
Ce qui est important c'est la justesse ou encore la perspicacité du jugement
de l'autre ou sa conformité à notre jugement". Ou encore la capacité
"imaginaire éventuellement" à se mettre à la place des autres. Dès lors on peut
juger des passions des autres.....et voir si elle est "convenable".
Dans la TSM, Smith s'éloigne de la conception rationaliste de Hume en
mettant en avant la capacité de l'imagination à se placer au lieu de l'autre (
donc de l' intégrer dans ses préoccupations). Le commentateur de la
traduction française évoque à ce propos, l'"erreur systématique" de Smith "qui
ramène "tout à la sympathie" au lieu de partir du jugement ( ce que Hume
appelle l'entendement).
Mais, le plaisir tient dans la "sympathie réciproque" quand nous constatons
que les sentiments sont en accord chez les deux partenaires d'où l'importance
du" sentiment de l'approbation."
La "sympathie" peut donc être agréable ou désagréable et n'être pas
forcément bienveillante. ( Cf. Dupuy, la sympathie n'est pas forcément
bienveillante).
Par contre au delà de la sympathie ( agréable ou désagréable) se manifeste le
sentiment d'approbation qui est toujours agréable. La sympathie n'est pas
forcément la bienveillance ce que répète Dupuis à de nombreuses reprises.
On retrouve dans la partie VI, section II, l'idée (cf. Hume) d'une bienveillance
universelle au-delà de la sympathie: notre bienveillance n'est circonscrite par
aucune borne et elle peut embrasser tout l'univers. Mais les vertus, en général
sont recommandées par la "convenance": à savoir "l'attention aux sentiments
d'un spectateur supposé impartial. ( p. 308)". L'inconvenance ( de la passion
par exemple) sera modérée par les sentiments plus modérés de ce spectateur.
L'amour propre (Self love ) est supérieur à la bienveillance ....dans certains
domaines.
Smith critique Hutcheson selon lequel l' amour- propre "ne peut jamais être le
motif d' aucune action vertueuse"
La bienveillance peut dans certains cas n'être pas adapté à son objet et
l'homme "créature imparfaite" "doit souvent agir selon un autre principe que la
bienveillance". Ainsi l'amour de soi peut être la cause d'une action vertueuse.
Tel est le cas de l’économie, de l'industrie ou dans un autre genre, de la
"discrétion et de le réflexion". On pourra ainsi blâmer le manque d'attention
convenable à notre intérêt personnel.
Ainsi l'économie fait partie des exceptions où peut s'exprimer le "self love",
ce que montrera Adam Smith dans la Richesse des Nations.
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