y a quelque chose de plus parfait que moi qui existe. Pourquoi non ? combien que ce que vous
désirez ne soit pas toujours en tout plus parfait que vous êtes. Car, lorsque vous désirez du pain, ce
pain que vous désirez n’est pas en tout plus parfait que vous ou que votre corps. Mais il est
seulement plus parfait que cette faim ou inanition qui est dans votre estomac. Comment donc
conclurez-vous qu’il y a quelque chose de plus parfait que vous qui existe ? C’est à savoir, en tant
que vous voyez l’université des choses, dans laquelle et vous et le pain et les autres choses avec
vous sont renfermées. Car chaque partie de l’univers ayant en soi quelque perfection, et les unes
servant à perfectionner les autres, il est aisé de concevoir qu’il y a plus de perfection dans le tout
que dans une partie et, par conséquent, puisque vous n’êtes qu’une partie de ce tout, vous devez
connaître quelque chose de plus parfait que vous. Vous pouvez donc en cette façon avoir en vous
l’idée d’un être plus parfait que le vôtre, par la comparaison duquel vous reconnaissiez vos défauts.
Pour ne point dire qu’il peut y avoir d’autres parties dans cet univers plus parfaites que vous et,
cela étant, vous pouvez désirer ce qu’elles ont et, par leur comparaison, vos défauts peuvent être
reconnus. Car vous avez pu connaître un homme qui fût plus fort, plus sain, plus vigoureux, mieux
fait, plus docte, plus modéré et, partant, plus parfait que vous. Et il ne vous a pas été difficile d’en
concevoir l’idée et, par la comparaison de cette idée, (380) connaître que vous n’avez pas tant de
santé, tant de force et, en un mot, tant de perfections qu’il en possède.
Vous vous faites un peu après cette objection : mais peut-être que je suis quelque chose de
plus que je ne pense, et que toutes ces perfections que j’attribue à Dieu sont en quelque façon en
moi en puissance quoiqu’elles ne se produisent pas encore et ne se fassent point paraître par leurs
actions, comme il peut arriver si ma connaissance augmente de plus en plus à l’infini. Mais à cela
vous répondez : encore qu’il fût vrai que ma connaissance acquît tous les jours de nouveaux degrés
de perfection et qu’il y eût en moi beaucoup de choses en puissance qui n’y sont pas encore
actuellement, toutefois rien de tout cela n’appartient à l’idée de Dieu, dans laquelle rien ne se
rencontre seulement en puissance, mais tout y est actuellement et en effet. Et même, n’est-ce pas un
argument infaillible d’imperfection en ma connaissance, de ce qu’elle s’accroît peu à peu et qu’elle
s’augmente par degrés. Mais on peut répliquer à cela qu’il est bien vrai que les choses que vous
concevez dans une idée sont actuellement dans cette idée même, mais néanmoins, elles ne sont pas
pour cela actuellement dans la chose même dont elle est l’idée. Ainsi l’architecte se figure l’idée
d’une maison, laquelle, de vrai, est actuellement composée de murailles, de planchers, de toits, de
fenêtres et d’autres parties suivant le dessein qu’il en a pris. Et néanmoins, la maison ni aucune de
ses parties ne sont pas encore actuellement, mais seulement en puissance. De même aussi cette idée
que les anciens philosophes avaient d’une infinité de mondes contient en effet des mondes infinis,
mais vous ne direz pas pour cela que ces (381) mondes infinis existent actuellement. C’est
pourquoi, soit qu’il y ait en vous quelque chose en puissance, soit qu’il n’y ait rien, c’est assez que
votre idée ou connaissance se puisse augmenter et accroître par degrés. On ne doit pas pour cela
inférer que ce qui est représenté ou connu par elle existe actuellement. Ce qu’après cela vous
remarquez, à savoir que votre connaissance ne sera jamais actuellement infinie, vous doit être
accordé sans contestation. Mais aussi devez-vous savoir que vous n’aurez jamais une vraie et
naturelle idée de Dieu, dont il vous restera toujours beaucoup plus (et même infiniment plus) à
connaître que de celui dont vous n’auriez vu que l’extrémité des cheveux. Car je veux bien que vous
n’ayez pas vu cette homme tout entier. Toutefois, vous en avez vu d’autres par la comparaison
desquels vous pouvez, par conjecture, vous figurer de lui quelque idée. Mais on ne peut pas dire
que nous ayons rien vu de semblable à Dieu et à l’immensité de son essence.
Vous dites que vous concevez que Dieu est actuellement infini, en sorte qu’on ne saurait rien
ajouter à sa perfection. Mais vous en jugez ainsi sans le savoir, et le jugement que vous en faites ne
vient que de la prévention de votre esprit, ainsi que les anciens philosophes pensaient qu’il y eût
des mondes infinis, une infinité de principes et un univers si vaste en son étendue qu’on ne pouvait
rien ajouter à sa grandeur. Ce que vous dites ensuite : que l’être objectif d’une idée ne peut pas
dépendre ou procéder d’un être qui n’est qu’en puissance, mais seulement d’un être formel ou