Intérêt du dépistage VIH dans un hôpital rural au Nord

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Intérêt du dépistage VIH dans un hôpital rural au Nord-Cameroun
par François Mortreux
Assistant des hôpitaux au service d'aide médicale urgente, Cayenne, Guyane française.
La santé est le fonctionnement harmonieux d'un organisme adapté à son milieu.
Depuis vingt ans, le Centre de promotion de la santé (CPS) de Tokombéré, hôpital
rural d'un arrondissement du Mayo-Sava dans l'extrême-Nord Cameroun, vit pour
que ce concept se réalise. De janvier 1995 à juin 1997, 185 cas de séropositivité au
VIH-1 ont été mis en évidence à l'hôpital (645 tests réalisés), touchant sans
distinction toutes les catégories de la population. La mise en évidence de malades
du sida, par ses implications médicales, mais aussi socio-économiques bouleverse la
vie des villages de l'arrondissement. Une question s'est alors posée au sein de
l'équipe soignante du CPS : pourquoi dépister les malades du sida, alors que l'hôpital
ne dispose pas de tous les progrès biologiques et thérapeutiques récents pour faire
face à ce fléau ?
Un choix difficile
Le choix de dépister les malades du sida s'est fait non sans difficulté, en concertation
avec l'ensemble du personnel soignant. Que de peurs et de réticences initiales de la
part du personnel face à cette démarche ! Comment ne pas se sentir culpabilisé par
ce fléau, porteur de honte ? Face aux patients, comment ne pas être effrayé face à la
mort annoncée d'un membre de sa famille ou d'un frère de village ? La peur aussi de
se voir contaminé, lors de son activité de soignant... Beaucoup d'interrogations
également : " Pourquoi dépister et annoncer le résultat d'une séropositivité?
Pourquoi faire savoir et faire souffrir les gens puisqu'il n'y a aucun remède disponible
pour guérir le sida en Afrique ? Les gens vont-ils changer leurs comportements en
sachant qu'ils sont séropositifs, ou au contraire, ne vont-ils pas avoir envie de
propager la maladie par vengeance ? " Ces questions sont légitimes, mais le meilleur
moyen de continuer à croire qu'un problème n'existe pas autour de soi, c'est de ne
pas en parier. Pour l'équipe soignante du CPS, dépister les malades du sida a
finalement été un choix : un choix responsable et engagé, envers la personne
dépistée et son entourage.
I'entretien avant le test
Au CPS, seuls les médecins prescrivent le test VIH. Les tests réalisés sont des tests
de dépistage rapide, confirmés ensuite par méthode Elisa et Western blot en cas de
séropositivité. Le test est gratuit, et n'est réalisé qu'après avoir informé et obtenu le
consentement éclairé du patient, au cours d'un entretien médical individuel. Cet
entretien consiste à mettre en confiance et à tester les connaissances sur la maladie.
Il permet ainsi de repréciser les modes de transmission, les signes cliniques de la
maladie, et d'aborder les deux résultats possibles. Chaque entretien avant le test est
ainsi un acte de prévention personnalisée. Prévention, pour que chacun puisse
réduire le risque de transmission du VIH pour lui-même et pour les autres. Aucun
test n'est réalisé à l'insu des patients, sur la seule initiative du médecin ou sur la
demande d'un tiers. Tout refus de faire le test de dépistage est un choix respecté.
Dans quels cadres proposer le test ?
De janvier 1995 à juin 1997 (tableau n° 1), 64,1 % des tests de dépistage réalisés au
CPS de Tokombéré étaient des tests à visée diagnostique, et 34,1 % étaient positifs.
La sécurité transfusionnelle représentait 23,1 % des tests réalisés, et 5,3 % étaient
positifs. Le dépistage du partenaire d'un patient séropositif concernait 11,3 % des
tests, et 47,9 % étaient positifs. Ces derniers tests ne sont réalisés que si le patient
séropositif est d'accord d'annoncer la maladie à son partenaire. L'entretien
concernant la proposition du test au partenaire est individuel. Le partenaire est ainsi
libre d'accepter ou non de faire le test. Les demandes personnelles concernaient 1,5
% des tests (tests prénuptiaux, de prénoviciat, personne ayant un doute d'être
contaminé ... ) et 10 % étaient positifs (tableau n° 1).
Tableau n° 1. Motivations pour la réalisation de la sérologie VIH au CPS de
Tokombéré de janvier 1995 à juin 1997
Statut marital des personnes séropositives
La majorité des personnes adultes séropositives était mariée (76,4 %), et 68,4 % se
déclaraient de régime monogame (tableau n° 1). Le mariage, symbole de fidélité et
de stabilité entre partenaires, qu'il soit de régime monogame ou polygame ne semble
pas protéger du VIH. Bien souvent, les relations extraconjugales chez les hommes
sont tolérées par les épouses. De plus, le simple fait de proposer à leur conjoint
l'utilisation du préservatif, implique que celles-ci soient au courant de leurs aventures,
ou pire encore, qu'elles-mêmes aient « fauté » ! Ceci constitue un obstacle difficile
pour la prévention.
Peu de femmes étaient célibataires : 3,2 % contre 20 % chez les hommes. Cela
s'explique par le fait qu'il est socialement inconcevable qu'une jeune femme
célibataire puisse s'installer seule au village. Pour s'échapper du cercle familial, les
femmes doivent obligatoirement se marier.
Au contraire, les personnes séparées et veuves étaient en proportion plus importante
chez les femmes (tableau n° 1). Les femmes vivant seules, ayant peu de revenus,
sont souvent obligées d'avoir plusieurs partenaires ou de subir le lévirat pour
survivre.
I'annonce du résultat une étape essentielle
Au CPS de Tokombéré, le dépistage du sida est toujours accompagné de l'annonce
du résultat, et quel qu'il soit, ce résultat est uniquement annoncé à la personne
concernée, par le médecin proscripteur. Le sida est souvent assimilé à un ver qui "
ronge le sang ",. Parfois, pour expliquer la maladie, on utilise la comparaison imagée
d'un saré (habitation traditionnelle) en ruine : « ... Avoir cette maladie, c'est un peu
comme si tu es dans un saré où les termites ont tout ravagé. Le toit du saré n'existe
plus, les murs se sont écroulés et il n'y a plus de portes et de volets aux fenêtres. Tu
te retrouves alors sans défense, à la merci du vent, de la pluie, de la panthère, des
voleurs. » L'intérêt d'un suivi régulier à l'hôpital est ensuite abordé. Des conseils
sont donnés sur l'hygiène, l'alimentation, la protection des rapports sexuels, les dons
du sang à éviter, le partage des aiguilles et lames de rasoir. L'annonce d'une
sérologie négative, est également un acte de prévention. Une sérologie négative
n'étant en aucun cas une sécurité absolue, il est toujours conseillé de la refaire 3
mois plus tard.
Le secret partagé
Certains désirent annoncer leur séropositivité en priorité à leur conjoint ou
partenaires, afin que ceux-ci puissent bénéficier d'une prise en charge précoce.
D'autres désirent également annoncer leur séropositivité à leur famille, espérant
trouver un soutien pour leur vie future, dans leur environnement quotidien. Parmi les
personnes mariées séropositives, il y a autant d'hommes que de femmes qui ont
accepté d'annoncer leur séroposivité à leur conjoint. Globalement, les femmes
mariées de régime monogame ont moins peur de révéler leur séroposivité que les
femmes vivant en régime polygame. Ces dernières sont soumises à la peur d'un
double rejet possible, par le mari et les co-épouses. L'inverse est constaté chez les
hommes.
Un test de dépistage a été réalisé chez les conjoints des personnes mariées
séropositives ayant accepté de divulguer leur séropositivité. On ne note aucun refus
des conjoints à qui le test a été proposé librement. En majorité, les couples sont
séropositifs, mais on remarque qu'il existe des couples sérodifférents, qui posent
parfois certains problèmes pour le suivi : jugement par le conjoint séronégatif,
séparation des couples, acceptation difficile de la protection des rapports sexuels.
Il est vrai que parfois, certains couples se brisent lors de l'annonce de la maladie,
mais souvent d'autres se renforcent pour faire face.
L'expérience locale auprès des personnes séropositives montre que cacher
constamment les choses au quotidien, en gérant seul ce secret, n'apporte pas
forcément une tranquillité d'esprit. Même s'il est difficile en tant que personne
séropositive de s'assumer et d'assumer le regard des autres, oser parler, c'est déjà
vaincre une grande partie de la maladie.
La personne séropositive n'est pas obligée de révéler ce qu'elle a le droit de garder
secret, et bien évidemment, les soignants doivent avoir en permanence le souci de
confidentialité envers l'entourage (tant pour les couples monogames que polygames)
: la confiance étant le garant de la qualité du suivi, de la relation médecin-malade sur
le long terme. Le sida pose ainsi des questions d'éthique (faut-il transgresser le
secret médical ?), auxquelles le personnel soignant du Centre de promotion de la
santé de Tokombéré s'est attaché à répondre en créant un « comité d'éthique
Une démarche positive
La démarche de dépister les malades du sida a permis la compréhension et
l'acceptation par le personnel, de parler ouvertement de l'existence du sida au sein
de l'hôpital. La mobilisation des soignants a été une étape décisive pour la prise en
charge des personnes séropositives, et le démarrage d'une stratégie préventive
hospitalière (renforcement des mesures d'hygiène et de sécurité concernant les
soins infirmiers, amélioration de la sécurité transfusionnelle). Grâce au réseau de
soins de santé primaires établi depuis 20 ans par le CPS de Tokombéré dans
l'ensemble des villages de l'arrondissement, cette stratégie de prévention s'est vite
étendue en dehors de l'hôpital. Les objectifs y sont d'informer la population sur
l'existence du sida, les modes de contamination, de promouvoir les comportements
sexuels à moindre risque, mais aussi de faire valoir les attitudes de solidarité envers
les personnes séropositives.
Conclusion
Le sida apparaît au milieu d'un nombre important d'actions et de programmes de
santé entrepris par le CPS. En aucun cas, cette maladie ne doit déstabiliser et
remettre en cause toutes ces années d'efforts et de progrès sur les conditions
sanitaires et alimentaires, la protection de la mère et de l'enfant, la scolarisation, la
promotion féminine... Par le dépistage, le sida apparaît comme une réalité dans cette
zone rurale du Nord-Cameroun. Cette réalité a décidé les soignants et les
communautés villageoises de l'arrondissement à réagir ; à s'interroger et à réfléchir
en partenaires, pour faire face à l'épidémie. Il faut cependant encore encourager le
dépistage volontaire, pour une prise en charge précoce des patients. L'augmentation
du nombre de sérologies effectuées par demande personnelle, illustrera la prise de
conscience du danger que prend la population et celui qu'elle ?ait prendre aux
autres.
* Actuellement, en 2000, la fiabilité des tests rapides bien évaluée permet de ne pas
confirmer systématiquement les patients ayant un test positif.
Bibliographie
1. Gruénais ME. Dire ou ne pas dire : Enjeux de l'annonce de la séropositivité au Congo. Les
sciences sociales face au sida. Orstom éditions, Paris, 1994 : 163-75.
2. Vidal L. Enjeux d'une anthropologie de la connaissance du sida. Les sciences sociales face au
sida, Orstom éditions, Paris, 1994 : 177-86.
3. OMS. Guide pour le conseil dans l'infection à VIH et le sida. CMS sida n° 8, Genève, 1991.
4. Dépistage et conseil dans l'infection à VIH en Afrique. Sociétés d'Afrique et sida, comprendre et
agir, mars 1997.
5. Vidal L, Quenum B. Perception du test de dépistage chez des étudiants africains en France.
Sociétés d'Afrique et sida 1997 ; 16 : 2-3.
Développement et Santé, n° 149, octobre 2000
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