lesquelles l’identité religieuse n’est pas la moindre. Le cadre général reprend sous
d’autres formes le débat américain entre version positive « melting pot » ou négative
« salad bowl »
. Les termes -tel « métissage »- sont ici exaltés et là au contraire
dénigrés. Les expressions politiquement correctes, telle celle de « société pluri-
ethnique », ne résolvent rien dans la mesure où les définitions de l’ethnie restent
problématiques. Devant le caractère hybride de la société, il y a ceux qui sont malades
de certaines différences, et il y a ceux qui disent que la France –plus que l’Europe
d’ailleurs- est malade de ses différences.
Les sociologues et les philosophes qui travaillent sur ces enjeux très
contemporains
, plus que la réhabilitation d’un principe de « tolérance » qui accepte –et
soumet- l’altérité absolue de celui où celle qui est différent
, sont en quête d’un accord
minimum commun. Michael Walzer, qualifié d’animateur du courant « communautarien
modéré » aux Etats-Unis, écrit ainsi : « Le critère central est donc le suivant : quoi que
nous fassions par ailleurs pour faire coexister harmonieusement les différents groupes,
nous devons défendre la liberté individuelle et permettre aux membres de tous ces
groupes de participer à la vie politique démocratique. »
Plus largement, le défi consiste
bel et bien à se retrouver, notamment dans le cadre des sciences humaines, sur un
langage acceptable par tous les spécialistes et accessible au plus grand nombre.
La combinaison de références religieuses, culturelles et idéologiques se
retrouve, sous des termes et des intensités variables, chez des militants catholiques,
protestants, juifs ou musulmans, en réaction à l’état actuel de la société. Au risque
d’enterrer un peu vite la force de la tradition et la demande d’autorité de la part des
fidèles, les spécialistes du fait religieux constatent une dérégulation du « croire »,
expliquent que la religiosité contemporaine prend des formes individualisées –« choix »
et « construction de soi » que peuvent traduire les figures du « pèlerin » et du
« converti »
-, mais produit également de nouvelles formes de sociabilité dans un
marché de biens spirituels pluriel
, jusque dans ce que le langage courant appelle
« sectes »
. La grande majorité de ces observateurs s’accordent cependant pour
signaler une revalorisation socioculturelle du religieux, qu’ils analysent comme
l’expression d’une triple réaction : face à « la fluidité des non-lieux », à « la dissolution
du temps », « à l’individualisme extrême »
, ce qui conduit certains à définir la France
comme un « pays laïc de culture catholique »
, alors que dans le même temps d’autres
la voit victime d’une exculturation du catholicisme, après avoir connu une perte de
l’emprise institutionnelle
. Le combat, en tous les cas, ne se situe plus au niveau du
cadre de l’action de la part des autorités de tutelle pour les croyants. Au milieu des
années 1990, l’évêque d’Angoulême, Mgr Dagens, a exprimé un positionnement sans
détours : « Nous acceptons sans hésiter de nous situer, comme catholiques, dans le
contexte culturel et institutionnel d’aujourd’hui, marqué notamment par l’émergence de
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