universite de lausanne

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Université de Lausanne
Faculté des Lettres – Section de philosophie
Chaire de philosophie générale et systématique
Cours de philosophie générale automne 2012
Professeur : R. Célis, Assistante : S. Burri
« Introduction aux philosophies de l’existence »
Le stade éthique : conclusion
Aujourd’hui, nous allons conclure notre propos eu égard au stade éthique chez Kierkegaard.
Nous aurons ainsi examiné ce qu’il en est de ce stade ainsi que des deux moments du stade
esthétique. Nous n’aborderons toutefois pas le stade religieux qui excède la problématique du cours
de ce semestre.
Nous devons préciser que le stade éthique selon Kierkegaard ne consiste pas seulement à faire de
bonnes œuvres. Il s’agit bien plutôt de faire de soi-même une œuvre. Autrement dit, celui qui
choisit d’embrasser le stade éthique se choisit lui-même comme une tâche à accomplir. En effet,
loin d’être détaché du stade précédent, le stade éthique n’exclut pas l’esthétique. L’éthique aussi, est
un art.
C’est en se formant à une vie examinée sur laquelle l’on médite et agit jour après jour que nous
sommes pleinement dans ce stade. Toute décision entraîne dès lors quelque chose comme un
travail, le travail et l’effort de trancher une alternative. Ce qui est important dans le stade éthique
c’est l’interaction de la personne qui travaille à rendre sa vie éthique, avec son entourage. Selon
Kierkegaard, le mariage est une institution au sens de ce qui s’institue comme norme d’un rapport
avec autrui.
Quand on parle d’existence (l’homme est un existant), on entend exister au sens d’être-aumonde. Or, être-au-monde (mundus) c’est être dans ce qui est de l’ordre du dicible. D’emblée, nous
sommes avec les autres, même solitaires et seuls, nous sommes au monde en sachant qu’il y a
autrui. Nos décisions concernent donc aussi les autres. Etre-au-monde c’est donc être avec autrui
mais être aussi avec les choses du monde. Et ces dernières ne sont pas toutefois pas les mêmes que
les choses d’autrefois. Les choses sont pour nous signifiantes. En effet, si l’on n’accède pas au
symbolique, au signifiant des choses, on ne peut pas faire de science. Puisque les choses du monde
— y compris la nature — sont signifiantes, il nous faut prendre position par rapport à ces choses. Il
faut donc, selon Kierkegaard, mesurer ses possibles et faire avec ses ressources propres. En d’autres
termes, il convient d’articuler possibilité et nécessité. C’est-à-dire qu’il faut non seulement rendre
compte de ce que l’on a fait de soi, pour soi, mais il faut aussi rendre compte de l’état dans choses
dans lequel on se meut.
Revenons au problème de la continuité de l’existence. Comment une telle problématique
s’insère-t-elle dans le propos plus général qui concerne le stade éthique ? Si l’on parle du mariage,
par exemple, l’on voit que le problème éthique n’est pas seulement individuel. C’est un problème
de mœurs. Le mariage est une décision qui se fait dans la continuité et qui n’est possible si la
décision est prise en regard à une longue considération. L’homme du stade éthique se distingue de
celui du stade esthétique par sa capacité à décider. Pour l’homme éthique, il faut une finalité à
accomplir dans l’existence. Autrement dit, il faut se choisir une trajectoire, une histoire. Dans le
contexte du mariage, l’histoire est à entendre comme la relation entre deux personnes. Et cette
histoire doit être susceptible d’être racontée, elle doit faire récité. En d’autres termes, la beauté au
sens immanent, intérieur, ne réside pas dans le pouvoir de nier le monde au profit de quelque chose
d’abstrait. Il ne s’agit pas de s’arracher à la concrétude de l’existence pour s’enfuir dans un monde
fictionnel et auto-suffisant (celui de l’œuvre). La beauté éthique doit, au contraire, s’ouvrir à la
concrétude d’une relation avec autrui. Celle-ci doit tenir compte des capacités ou possibilités que
nous avons d’agir sur une relation, de la transformer. Et l’exemple que Kierkegaard choisit pour
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illustrer de telles dispositions est curieusement celui du mariage. Si le mariage, en apparence,
semble être l’instauration d’une relation quotidienne, répétitive et monotone, où l’homme et la
femme ne font que subir leur destin, c’est tout le contraire qui s’opère à vrai dire. Pour Kierkegaard,
il s’agit d’introduire dans le mariage la lutte, l’effort. Mais de quelle lutte s’agit-il au juste ? Il s’agit
de la lutte pour créer, construire une histoire qui soit sa propre finalité. Cette histoire est alors digne,
au sens éthique, d’être racontée, parce que l’homme ou la femme qui s’y engage contribue au
bonheur de ceux qui lui sont confiés. L’esthétique est dès lors sauvée par l’éthique mais au prix
d’une transfiguration. Cette transfiguration c’est l’effort que produisent les hommes pour former un
paradigme, un comportement exemplaire. L’exemple force le respect d’autrui et réanime l’espoir
que la vie puisse avoir une fin, une finalité.
Faire quelque chose par amour et cultiver l’amour est dès lors un art. On peut dire que l’on est
dans une esthétique « supérieure » car l’art le plus difficile est celui d’avoir une véritable relation où
le souci de l’autre est dominant. Finalement, une beauté éthique est une beauté qui s’accroît
toujours plus avec le temps. Elle n’est pas, contrairement à la beauté esthétique, une beauté
éphémère qui engendre mélancolie et regret. Cette beauté éthique se forge à partir de l’épreuve et de
la souffrance. La beauté éthique signe la désirabilité fondamentale de l’existence en dépit des peines
et des catastrophes.
Compte-rendu de la séance du 27 novembre 2012
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