6 LA POLITIQUE AILLEURS
flagellant une dame d'atours... "2. Si l'on ne peut prétendre mesurer l'efficacité réelle
des libelles qui alimentent ainsi la rumeur publique, ceux-ci ont sans doute pu
contribuer à saper l'autorité du pouvoir monarchique. Or, ces formes amplement
méconnues - par la sociologie politique - de subversion comme d'autres activités
politiques non conventionnelles ne semblent ni archaïques, ni exotiques même si
elles prennent des formes extrêmement diversifiées.
L'action politique non conventionnelle peut en effet être collective (mouvements
sociaux, révolutions, insurrections, rumeurs...) ou isolée (refus de décorations, grève
de la faim, insoumission aux injonctions de l'État : armée, police, justice, fisc)
violente et/ou symbolique (rapts, commandos régionalistes, écologistes, anti-
avortements, vendettas, destruction de symboles politiques : cartes d'électeur,
drapeaux...) mais aussi non violente (la désobéissance civile, les sit-in, les
marches...), préméditée (attentats politiques, lobbying...) ou spontanée (lynchages,
barricades, vandalisme, grèves sauvages...), légale (mouvement rap, dérision
politique) ou illégale voire illégitime (tags, groupes rock incitant à la haine raciale...)
; enfin, ces entrepreneurs politiques particuliers se recrutent par le bas (formes
populaires de résistance au politique) comme par le haut de l'échelle sociale
(intellectuels et artistes engagés). Un point commun à l'ensemble de ces relations
politiques plus ou moins irrespectueuses des règles du jeu politique semble être la
non médiation des acteurs et institutions politiques de la "démocratie représentative"
: ce sont des actions directes3. II semble ainsi se dessiner, à l'échelle mondiale, un
mouvement d'ensemble protéiforme pour une participation directe des profanes aux
débats, aux décisions et aux fonctions politiques.
Ces formes non conventionnelles de l'action politique demeurent en France des
objets négligés de la sociologie politique. Les fondements de ce désintérêt
scientifique sont multiples. C'est notamment en raison d'une histoire sociale de la
discipline marquée par des difficultés à s'affranchir des prescriptions implicites de
l'autorité tutélaire des facultés de Droit4 que la science politique
______________
2. Darnton (R.), op. cit. p. 169.
3. Notre équipe reprend ici une- réflexion collective engagée au moins vingt ans plus tôt au
CURAPP. Pour J. Chevallier, en 1978, "les lattes non/anti-institutionnelles, ou «autonomes» (qui) se
présentent comme des actions directes, rompant avec les formes classiques de revendications adoptées par
les organisations politiques et syndicales, et homologuées par l<: système" in CURAPP, Centre,
périphérie, territoire, Paris. PU F, 19i8, p. 29. Cette investigation s'est notamment poursuivie dans
CURAIT, L'institution, Paris, PUF, 1981 et dans CURAPP, Désordre(s), Paris, PUF, 1997. Chevallier
(J.), Institutions politiques, Paris LGDJ, 1996. Voir Memmi (D.), "L'engagement politique", dans Grawitz
(M.), Leca (D.), dire, Traité de science politique, PLI F, 1985, tome 3, p. 361.
4. Cette proximité au Droit n'explique pas tout. Pour rendre compte du "silence des sciences sociales"
sur les mouvements sociaux, E. Neveu évoque d'autres traditions académiques : "faible investissement
explicite de la sociologie durkheimienne sur le politique. importation modeste et tardive des apports de
l'école de Chicago, provincialisme intellectuel..." in Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La
Découverte. p. 33. Les auteurs, du