Ne se prononce pas…..0

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ACTION INNOVANTE 2003-2004 n° 14
ATELIER – RÉFLEXION EN SEGPA : PHILOSOPHIE
Collège Jean-Claude Bouquet - Segpa
25500 MORTEAU
Coodonnatrice : Brigitte Bise, professeur des écoles
I . DESCRIPTIF DE L’ ACTION :
→ En 15 minutes, le groupe disposé en cercle, réfléchit sur une idée. La séquence est enregistrée.
→ Il est nécessaire de préciser qu’il n’existe pas de réponse juste ou fausse mais plusieurs façons
de répondre, que chacun a le droit d’exposer sa pensée dans le dictaphone qui circule ou de se
taire.
→ Le rôle de « meneur de jeu » répond à des principes : être garant du temps, du sujet, de la
parole, du respect de l’autre.
→ Les thèmes abordés recouvrent les questionnements existentiels, les relations aux autres, les
interrogations sur « soi ». Ils peuvent être répertoriés en 3 catégories :
- une notion : grandir, la peur……entretien qui s’oriente vers une définition.
- une distinction notionnelle : différence entre un homme et un robot….exemple ou contreexemple pour établir des ressemblances ou des différences, pour gagner en précision.
- une question, une énigme : parler, à quoi ça sert ? Nos erreurs sont-elles utiles ?…..réflexion,
exploration des connaissances, argumentation.
II . DEUX EXEMPLES DE SEQUENCES :
QUE VEUT DIRE GRANDIR ?
- Grandir, ça sert à trouver un métier, d’être grand. Grandir c’est être un adulte.
- Si personne grandirait on serait tout le monde à la même taille et pis on saurait pas c’est qui
les plus petits…si par exemple les trois ans sont à la même taille que nous à dix-sept ans eh
ben on pourrait pas savoir.
- Grandir, c’est ce qu’on aime bien faire en métier.
- A partir de vingt ans, on va avoir un métier et pis gagner de l’argent, avoir une maison, des
enfants, une voiture…etc…
- Quelqu’un qu’est grand, eh ben, il fait ce qu’il aimerait faire pis c’est tout. Quand on est
grand ça sert d’être poli, d’être intelligent avec les autres.
- Grandir, ça sert à aider les petits.
- Grandir, eh ben y’en a qui font un anniversaire et pis y grandissent.
- Quand je serai grand je pourrai passer mon permis… heu…de moto, d’auto, de camion, de
train pis voilà.
- Quand je serai grande, j’aimerai travailler sur les dauphins, les chevaux. Quand on est grand
on peut être maîtresse ou des trucs comme ça, on peut choisir ce qu’on a envie de faire.
- Grandir, c’est bien parce qu’on pourra visiter des choses avec nos enfants ou avec notre…
euh…ou emmener quelqu’un…je sais pas…
- Quand on est grand on peut être amoureuse des filles ou des garçons. Quand on est grand,
on est poli avec les autres personnes qui sont polies.
- Quand on est grand, c’est dur la vie.
- Ca c’est vrai.
- Des fois, dans la vie on est obligé de payer des dettes ou d’aller au boulot des fois à une
heure du matin ou plus tôt…
- Quand on est grand eh ben, c’est quand on a envie de travailler tranquille et tout avec des
autres personnes qui sont sympas et on peut être tranquille comme ça.
- Moi, j’ai pas envie de grandir parce que quand on sera grand on sera obligé d’aller au travail
pis quand on est …qu’on a dix ans, onze ans, douze ans par là eh ben on peut jouer.
- Quand on est grand, on peut travailler dans un autre pays et pis on peut écrire à tout le
monde ce qu’on aimerait faire.
- Y’en a qui sont grands pis y ont des idées aussi bêtes et pis y savent pas quoi dire
d’intelligent aux autres.
- Quand on est grand on peut parler au prof pour dire par exemple quand on est en retraite et
pis on peut leur envoyer un message ou des trucs comme ça. Mr Berçot, il est grand, c’est
une grande personne et pis il est très intelligent il est trop sympa et pis on lui envoiera un
message.
- Quand on est grand, la vie elle est compliquée quand on était plus petit elle était facile.
- Grandir, c’est dire : « je veux aller au travail et donner sa vie, être payé.
- Plus on est grand, plus on est bête…parce que ma sœur et ses copines elles sont bêtes, elles
sont grandes.
- Quand on est grand, ça veut dire qu’on dispute ceux qui se bagarrent ou qui s’insultent
contre les maîtresses, les profs et tout et pis quand on grand on peut choisir nos quartiers ou
ceux des autres à les aider.
- Des fois, les enfants y aimeraient mieux grandir parce qu’y me disent : « moi, j’aimerais
avoir du travail, une voiture, tout ça … » et pis les grands y regrettent l’école parce que ils
disent que le travail c’est plus dur que l’école.
- Les jeunes de dix-huit ans, eh ben des coups, y font des bêtises alors ce serait pas…comment
… ce serait pas trop bien de grandir à cause que on va passer par là un jour et pis après on va
faire des bêtises et pis voilà.
- Grandir, c’est quand on a envie de faire quelque chose de plus sympa et pis grandir ,c’est
quand on a envie de travailler tranquille pace que y en a qu’on envie de grandir et pis y
aimeraient bien essayer de grandir mais y’en a qui les dérangent.
- Les jeunes de dix-huit ans, des fois y travaillent pas.
- Ils font des tags sur les murs et après y en a qui vont en prison.
- Grandir, c’est y aimeraient bien grandir et pis y essaient de grandir.
- Grandir, c’est quand tout le monde aimerait essayer de grandir comme les autres qui sont
déjà grands.
- Quand on grandit, on doit payer des impôts pis des choses quand heu …
- Quand on est grand y a des filles qui sont plus jolies, plus sympas et tout qui s’habille à la
mode.
- Quand on est grand, la vie elle est pas drôle.
- Quand on est grand on peut voyager dans le monde que quand on est petit on peut pas tout
faire… aller en voiture à Paris, ou… aller faire des jeux ou tout des trucs comme ça. (Ad)
- Grandir, c’est quand on aimerait faire un truc avec les autres qui sont grands et pis on leur
fait une lecture et tout ….comme les profs ou les maîtresses et pis on leur fait faire des jeux
avec et pis y apprennent à faire leurs leçons correctement mais si y ont fait y auront des
exercices à faire.
- Grandir, aussi ça sert à élever nos enfants que eux après dès qu’y grandissent élèvent leurs
propres enfants ainsi de suite..
- Quand on est grand, on peut faire à peu près ce qu’on veut parce quand on est petit on a toujours
les parents derrière le dos.
- Grandir, c’est comme moi j’ai essayé et pis ça va bientôt m’arriver …j’aimerai bien
travailler en étude, aider les autres, savoir apprendre tout ce qu’on a à faire. Grandir, c’est
quand on a un amoureux et pis un autre nous empêche à être avec notre amoureux, il a pas le
droit c’est les filles qui choisissent les garçons et les garçons y choisissent les filles qu’y
aiment.
LA VIOLENCE, QU’EST- CE QUE C’ EST ?
QUELLES SOLUTIONS POUR L’ EVITER ?
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La violence, c’est taper les gens, les battre, jusqu’à tant qu’y saignent.
La violence, c’est pas bien pace que…ouais…heu…par exemple un monsieur qui tape sur
son enfant et qui le fait saigner pis y peut aller se plaindre, l’enfant.
Pis aussi avec les attentats…heu…les attentats avec « Al Kaïda » et pis tout…comme y a eu
des attentats à Madrid…et pis en France y a failli en avoir un, mais comme la bombe elle
était cachée sous un truc de rail et pis…heu…la France y ont reçu des menaces terroristes
et la bombe elle a failli exploser.
Des fois au collège, y a des élèves y aiment pas un autre élève par exemple, les
« générals » y aiment pas les « segpa » alors y va vers lui et y lui fait « oh, ben toi, à la sortie
j’te taperai tout ça pis ben…
La violence, le problème dans le collège,c’est qu’y en a qui sont racistes et après ils les
tapent .
Je reprends ce qu’a dit Adélaïde, ben les noirs y ont leur place, c’est la couleur de peau,
c’est juste ça.
Moi, je dis que la violence ça sert à rien du tout, ça sert à rien dans la vie.
Autrement y aurait beaucoup de morts…y aurait des morts tous les jours…Comme au
collège, si y a de la violence tous les jours…eh ben…on se taperait dessus y aurait des
morts on serait obligé d’en mettre en prison à cause qu’il a fait quelque chose de mal.
De toute façon, la violence ça sert à rien pace que si tout le monde se battait tous les jours, y
aurait plus du tout de vie.
Si par exemple, y a quelqu’un…je sais pas…y traite quelqu’un de gros mots et pis tout ça,
l’autre, ben y commence à être énervé et pis y va créer la violence quoi, après y va y taper
dessus pis tout à cause que …ouais, y l’aura insulter.
Ben, la violence, ça sert à rien pace que en fait…heu…y’a un thème au « cathé »qui dit :
« la violence + la violence = la guerre
la guerre + la guerre = la mort » et ça c’est pas bien du tout.
Qui dit mort dit violence, comme y va y avoir encore de la violence sur terre même toujours,
ça on pourra jamais l’ôter la violence, c’est un truc qui reste pis qui va rester toujours.
Moi, j’suis d’accord avec ce que Francis il a dit que la violence ça existera toujours pace
que…tout le monde se bat…
Dans des pays, en fait, y a la guerre…des fois c’est pour la richesse pace que y en qui sont
très riches, plus que les autres pis ça fait la guerre.
Faut qu’on punisse, faut que les gendarmes punissent tout le monde pour qu’y comprennent
que les gouvernements punissent tout le monde pour qu’y comprennent, je sais pas moi, ou
que les militaires punissent tout le monde pour qu’y comprennent que la violence,c’est
interdit dans le monde.
Si tout le monde est puni ben si le gouvernement nous punit eh ben après c’est nous qui vont
pas être d’accord donc après ben on va aller…on va essayer de faire quelque chose pour
plus que le gouvernement nous punisse.
Aussi, pour la violence, on peut dire aux gendarmes qui viennent arrêter tout de suite.
Mais si y arrêtent tout le monde…heu…après…c’est ceux qui sont en prison qui vont
chercher la violence pace que si à chaque fois qu’y a…heu…quelqu’un qui se bat dans la
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rue, pis qu’y a les policiers qui arrivent pis qui les arrêtent ben après,c’est eux qui vont en
avoir marre et pis qui vont se battre aussi.
Comme les gendarmes, les CRS, y essayent de défendre pace que quand y a
des…heu…comment ça s’appelle…heu…des manifestations pis que ça commence à se
gâter, ben les gendarmes y arrivent pis après c’est les CRS, après y balancent des bombes
lacrymogènes, ou des trucs comme ça pour endormir les manifesteurs.
Moi, je suis pas du tout convaincue par Francis, pace que dans un pays les CRS y avaient
abattu un…une personne…jusqu’à ce qui saigne et il avait plein de…. un bras cassé et
plusieurs trucs comme ça.(Ad)
Mais, c’est normal, les CRS c’est leur travail de faire régner la loi.
Francis, tout à l’heure, il a dit que les CRS y protégeait des gens tout ça, ben c’est pas si
vrai, pace que vu qu’y ont abattu …heu…quelqu’un.
J’ai pas dit qu’y tapait tout le monde, c’est les gendarmes qui tapent…non, je me trompe
c’est les gendarmes y font régner la justice et pis les CRS y tapent quand il faut.
Francis, il a dit que les CRS y régnait la justice mais pas en les tapant…en les tapant, ça sert
à rien car après les autres y s’excitent encore plus.
Faut que tout le monde, dans tout le monde, y se réunissent…le même jour, la même heure
au même endroit quand y fait beau pis le gouvernement dise « oh, faut arrêter la violence pis
tout , que ce soit traduit en allemand , en anglais, en j’sais pas quoi pis que ça s’arrête, pis
c’est tout.
La violence, ça sert aussi à se défendre quand par exemple quelqu’un nous attaque ben on
se défend…j’ sais pas, on peut se défendre avec…heu…un professeur, le directeur, ou j’sais
pas qui, ou bien on peut se défendre en se tapant, en se tapant dessus mais c’est pas le
meilleur moyen, le meilleur moyen c’est mieux d’aller se plaindre.
Le meilleur moyen, c’est pas de se plaindre, pace que si tu te plains après y va y avoir
encore plus d’histoires.
La violence avec les gens qu’on aime ça forme pas les guerres, des fois ça forme le
bonheur, ou…heu….
Quand on chahute, par exemple, des coups, moi je chahute avec mon papa pis ça finit tout
le temps en pleurs mais ça me plait quand même quoi si on chahute c’est pour rire c’est pas
pour se taper dessus comme je sais pas quoi et pis se faire mal, qu’y en ait un qu’aille à
l’hôpital pis après en prison.
Faut dire qu’au départ,c’est un jeu mais faut quand même pas se taper trop fort, si y en a un
qui a vraiment mal eh ben on arrête tout de suite, faut pas continuer pace qu’y peut des fois
avoir un malaise.
La guerre, à quoi ça sert ? je vois pas à quoi ça sert, la guerre ?
Je reprends sur ce que dit Aurore, c’est par exemple pour du pétrole , les Américains y ont
fait une guerre en Irak, c’est pour du pétrole.
En fait, dans l’ancien temps, y se tapaient dans des arènes, en fait, les prisonniers y allaient
dans une arène et y laissaient leur vie contre des tigres, ils se battaient avec des lions, les
gladiateurs.
La guerre, ça sert à rien pace que…comment….on peut parler, pis discuter
pour…heu…lutter contre ….heu…pour se battre, ça sert à rien, on peut discuter.
Moi, ça me fait penser, par exemple, si on y entre dans une bagarre pis que…heu…après
que ça soit …un coup de boule, un coup de poing pis après…tu sors un coup de couteau pis
là qu’y nous plante dans le cœur pis là on est mort et pis c’est tout ce que ça réussit.
Rien qu’une insulte, ça peut provoquer heu…un groupement de troupes…qui regroupe après
une armée, après des morts, des guerres, pis voilà.
Ben, il faut s’empêcher de se traiter, pis de se dire des gros mots.
Il faut être poli pour éviter tout de suite la bagarre ou si on le bouscule, on va lui dire pardon
si y nous pardonne eh ben,c’est bon autrement, on va dire à quelqu’un comme ça on
échappe à la bagarre.
Par exemple si on fait…heu…bagarre avec un…avec un…arabe, ben après ben si il est pas
content y va chercher toute sa famille, pis ben après ça peut devenir…heu…ça peut tourner
en catastrophe pace que…eux y sont très, très violents.
-
Ben…heu…mais ça dépend qui c’est qui nous tape pace que si c’est par exemple un prof ou
…heu…une autre personne, on peut aller porter plainte pace qu’elle n’a pas à nous taper,
sauf si c’est nos parents, c’est tout.
III . ANALYSE DE LA PAROLE :
1) Analyse des actes de langage et des prises de parole :
-
retranscription des interventions des élèves et classification des actes de langage (selon Anne
CHARMET -Linguiste) → le contenu de la réponse : E=exemples
D=définitions
HS= hors sujet
RS=rappel du sujet)
→ la forme de la réponse : A=assertions, affirmations
Q=question
N=négation
Tableau des actes de parole ( Classe de 6/5ième Segpa ) :
Séances
E
Contenu
D
de la
HS
réponse
RS
A
Forme
de la
Q
réponse
N
Nombre
d’interventions
Temps de
silence
1
39
6
4
5
26
0
25
2
42
26
0
2
43
2
25
3
55
7
0
2
93
2
3
4
53
17
2
3
37
4
11
5
22
24
5
8
39
3
15
6
24
11
0
4
41
2
6
7
31
21
0
2
19
4
7
8
20
30
1
2
48
5
10
9
19
16
0
0
30
0
3
54
74
105
50
64
34
64
48
38
2’6’’
1’19’’
2’4’’
0
1’55’
33’’
2’2’’
→ Les exemples sont majoritaires :
- assurance, par sa propre expérience, qu 'il pense quelque chose sur le sujet
- biais pour entrer dans la dynamique d'une association d'idée avec la notion. A une
demande de définition, ils répondent à partir de leur expérience. Ils ne peuvent parler que de ce qu
'ils connaissent, et penser qu 'en réfléchissant leur univers, en construisant la/leur réalité.
→ Les essais de définition, de conceptualisation ou de généralisation sont moins nombreux. A
l'écoute des cassettes, on se rend compte que quelques élèves (toujours les mêmes) tentent de
donner une approche plus globale et générale du thème.
→ Les bredouillements, les ratages et les silences (désirs d'intervenir manifestes mais non
formulés) sont moins nombreux. Le nombre d'élèves qui demandent la parole augmente. C'est
que la recherche de sens est un levier plus fondamental pour le développement d'un langage
élaboré qu'un travail ciblé sur les formes du langage elles-mêmes.
→ On se rend compte que ce n'est pas une parole juxtaposée mais faite de liens, de non-dits.
Dans un premier temps, ils pensent comment passer leur propre parole. C'est le droit d'exister.
a)les lapsus :
b)les répétitions : nombreuses et communes à tous les ateliers. Elles jouent cependant un rôle
important : elles permettent de s'approprier la pensée de l'autre, de faire passer une idée qui
n'avait peut-être pas été reprise alors qu'on la jugeait valable. L’oral s'élabore dans la répétition.
La forme de l'oral est souvent ce qui serait inacceptable à l'écrit.
2) Prises de paroles : fréquence et évolution
→ le nombre d'interventions a plutôt tendance à diminuer, par contre, les interventions
sont plus longues, les explications plus fournies ( fierté des élèves à qui, il est offert de réfléchir
sur ces thèmes que l'on aborde que trop rarement à l'école)
→ Dans leurs réponses, ils interrogent un contexte beaucoup plus large que celui de leur statut
d'élève : ils font référence à l'avenir, à l'histoire de leur famille, ils ne font pas uniquement appel à
leur expérience personnelle. Ils se détachent et font des « reliance »dans le temps (les parents) ou
l'espace (les profs aussi).
3) Les élèves qui ne parlent pas
→ Certains élèves mutiques deviennent nerveux, leurs gestes trahissent leurs angoisses, ils se
rongent les ongles, remuent sans arrêt, rient nerveusement. On sent bien ici que le silence
ne traduit nullement l'indifférence, la passivité. Les thèmes abordés les concernent et les mettent
mal à l'aise, particulièrement les thèmes liés aux sentiments.. Certains se sentent intimidés par le
micro……parler = se révéler = se risquer…..le mutisme peut être un réaction de violence
→ Ils encouragent les « silencieux » à prendre la parole : le silence qu'ils vivent ou qu'ils écoutent
les gêne.
→ Les silencieux réfléchissent aussi et participent différemment à l'atelier. Ils acceptent beaucoup
mieux que certains se taisent tout en disant qu 'ils aimeraient connaître l'avis des silencieux.
→ Au fil des séances ils parviennent en général à mettre leurs angoisses en mots. Tous les élèves
ont pris la parole D'autres l'ont peu utilisée, mais il y a toujours un atelier où ils se sont exprimés.
Un élève, qu 'il fasse ou non partie des silencieux, n 'en réfléchit pas moins au thème
proposé. Il revendique le droit au silence. Les élèves qui ne parlent pas ou très peu, sont très
attentifs, à l écoute. Ils sont actifs par ce travail souterrain de la pensée qui se fait en écho à ce
qui se dit. Ils réclament les ateliers et sont enchantés d'y participer sans lâcher un seul mot.
Il est fort probable que certains élèves qui ne parlent pas ou peu redoutent le regard, le
jugement d'autrui. Au fil du temps, cela peut évoluer quand l'élève se rend compte que les autres
ne pensent pas « mieux » que lui. Peut-être l'élève silencieux manque-t-il de confiance envers les
autres et l'adulte, il ne les croit pas garant de sa parole, de sa pensé ? Attitude qui ne serait que
l'aboutissement d'un processus d'échec développé au fil du cursus scolaire.
IV . ANALYSE DE LA FORME :
1) Compo rtement s obse rvé s :
→ Le climat de sérieux et de concentration qui s'instaure, est fait d'attention et de tension,. Le besoin
de mener à bien la tâche commune est manifeste . Faisant l'expérience du plaisir de penser dans
un climat de liberté et de confiance, les enfants s'efforcent de rester dans le sujet. Cet état
d'esprit étonne, d'autant plus lorsqu'il s'agit de classes repérées initialement comme difficiles : il n'y
a pas de bonnes ou mauvaises réponses attendues et qu'en ce lieu se constitue un patrimoine
commun. En outre, il s'établit dans le groupe une relation d'intimité qui ne peut se créer que lorsque
ce même groupe est suffisamment sécurisant (hors menace).
→ Certains enfants semblent moins s'impliquer que d'autres. Ils sont rarement neutres cependant,
car tous prennent plaisir à écouter les cassettes. Ces élèves ont simplement besoin, plus que
d'autres, de temps pour s'habituer à cette sorte d'échanges et y participer par la parole.
2 ) An alyse d es silen ce s :
→ Lors des premières séances, les silences sont assez longs et nombreux (presque chaque
intervention est entrecoupée de silences) Ils ne sont pas du même ordre au fil des ateliers : leur
nombre diminue mais ils font suite à des arguments souvent percutants d'un élève, et ils sont plus
longs.
→ Les élèves se retrouvent en face de leurs doutes, leurs contradictions et leurs incohérences.
Dans ces silences, il y a circulation de la pensée qui ne se dit pas. La découverte que l'on est plus
riche que ce qu'on le croit. Ils intègrent l'idée que nos pensées sont faites de cheminements qui
s'enrichissent.
→ Les temps de silence sont actifs, fait d'impressions, d'émotions ; la parole intériorisée parfois,
est nécessaire à la parole réfléchie. C'est un temps de travail. Avant la pensée articulée, il y a une
pensée d'avant la parole, aussi nécessaire à la philosophie que ce que vise le langage oral, à
savoir la différenciation des idées, leur articulation, l'argumentation. Cela s'appelle méditer. On
peut méditer avant de discourir, mais aussi après pour peser la signification de ce qui vient d'être
dit, l'intérioriser. C'est un antidote au bavardage, au « parler pour ne rien dire ».
C'est bien cela que les enfants expérimentent dans les ateliers de philosophie : ils méditent et c'est
sur ce fond de méditation que la pensée parvient progressivement à la formulation.
3 ) Niveau x d e lan ga ge
→ La maîtrise de la langue résulte de la pensée : inviter les élèves à réfléchir, c'est les amener à
travailler la langue car c'est dans les mots que la pensée se cherche. Le travail de la pensée et le
travail de la langue sont intimement liés, enveloppés l'un dans l'autre. Par la pensée, ils acquerront
par une véritable maîtrise de leur langue. Pour réfléchir il n'est pas nécessaire d'employer un
vocabulaire spécialisé.
→ Beaucoup de répétitions chez les élèves de SEGPA comme si chaque intervenant avait besoin de
dire avec ses propres mots ce qu 'il a entendu précédemment, une appropriation en quelque sorte de
la parole des autres (ou même de la sienne) La compréhension d'un sens plus général passe, pour
ces élèves en difficulté, par une succession d'exemples qui éclaircissent ainsi la compréhension
d'une notion :
→ Au fil des ateliers, sur le fond, les mêmes choses sont dites (communiquer, s'exprimer, apprendre
car on écoute, s'aider, dialoguer, vivre…..)
→ Les interventions deviennent plus longues. Les exemples moins nombreux, les points de vue sont
argumentés. En général, le vocabulaire employé manque de précision et de richesse. Ces élèves
pour la plupart ont des difficultés quand il s'agit de conceptualiser les notions. Cependant, on note
que certains élèves, utilisent les réfutations (« j 'suis pas d'accord car... »)les arguments (parce
que), pour affirmer cette nécessité de préciser, de mieux cerner les notions en les généralisant. Il
me paraît alors très important de les aider à développer ces compétences en travaillant sur la
conceptualisation.
V . QUEL SENS LES ELEVES DONNENT- ILS AUX ATELIERS ?
→ Deux questions ont été posées aux élèves afin de mesurer leur intérêt et le sens qu’ils
donnent à cette activité :
1) Selon vous, les ateliers « réflexion - philo » sont une activité :
Très utile……………. 5
Utile…………….……10
Peu utile……………...0
Inutile………….……..3
Ne se prononce pas…..0
2) Dans la vie de tous les jours, qu’est-ce que ça apporte ?
Quelques réponses : - ça nous apprend des choses auprès de nos camarades
- plus de réflexion
- communiquer
- ça fait réfléchir
- ça nous apprend des choses
- à parler, à s’exprimer
- à écouter les autres, à les comprendre
→
→
→
→
la majorité des élèves évoquent l'utilité de cet exercice.
ils comprennent fort bien l'enjeu des entretiens.
Ils mettent souvent en avant la parole et le « penser », le « réfléchir ».
Pour la majorité, les objectifs ont été bien cernés. On peut noter trois types de réponses :
1: Ca fait réfléchir, à écouter, à communiquer, à parler, à apprendre .... : Les
réponses positives. C'est la majorité des réponses (11/16)
2 :II y a les réponses négatives : ceux qui trouvent que ça ne sert à rien ou que
c 'est nul ou que ça ne sert pas à grand chose (3/16)….entre autre, par provocation…
3 : Enfin 2 élèves ne savent pas ce que ça leur apporte.
Du point de vue personnel, l'atelier révèle l'élève comme sujet rationnel sous deux aspects :
1 : Comme sujet particulier : il expose sa pensée, s 'implique personnellement, tente une
formulation rationnelle de son expérience, confronte sa réflexion à celle des autres ;
2 : Comme sujet universel : la réflexion le place au cœur d'une recherche qui n'est plus seulement
la sienne mais aussi celle des autres.
→ l'activité réflexive est une formidable médiation entre toutes les expériences, toutes les formes
de savoir, une possibilité unique de les questionner afin de mieux se les approprier. Bref, une sorte
de « fil conducteur » qui donne du sens.
→ l'élève sait qu'il a des droits (faire entendre sa pensée dans une totale liberté) et des obligations
(écouter les autres). Il devient vite conscient que sa participation est un élément dynamisant pour
l'ensemble
VI . PROLONGEMENT :
→ Le tableau pourrait venir en complément de la réécoute de l’enregistrement. Cela permettrait :
- de visualiser, de restituer des remarques, des réflexions, des idées à la connaissance de tous.
- d’écrire( travail de décantation sur l’oral).La réécriture, la formulation constitue un temps de
réflexion de la pensée qui permet le passage de l’opinion à l’idée :
- l'opinion est dans le temps de l'expression
- le passage à l'écrit provoque une mise à distance, constitue une maturation de la pensée,
une conceptualisation. Il ne s'agit pas cependant d'introduire l'écrit trop précocement. Il
faut, je pense,, attendre que tout le travail sur la parole libérée devienne insuffisant.
→ Poursuivre l'atelier philosophie par une séance où chacun dessinerait ce qu'il veut sur le thème
abordé ou écrirait ses « réflexions philosophiques ». Cela pourrait constituer une piste de travail
intéressante où chacun co-construirait un « cahier philo » appartenant à la classe ou encore, sous
une forme plus personnelle chacun écrirait ce qui lui correspond, des réflexions jugées
intéressantes.
A la fin de l’année scolaire, nous amorçons ce moment où la parole libérée devient insuffisante; lors
de l’avant-dernière séance, les élèves ont proposé une autre piste de travail :
- connaître le thème de la séance suivante
- mettre par écrit leurs idées à la maison, avant la prochaine séance.
- les lire lors de l’atelier – philo, ce qui leur permettrait d’y avoir déjà réfléchi et d’avoir plus de
choses à dire
- la réflexion étant déjà engagée, ils pourraient plus facilement « rebondir » sur les points de vue
des camarades
Les élèves, d’accord à l’unanimité, ont voulu essayer. Pour la dernière séance, ils sont tous
arrivés avec un brouillon. La séance a été très active : aucun silence, tous ont pris la parole, tous
ont, au moins une fois, contesté, approuvé ou complété les dires de l’un ou l’autre. Ils ont tous été
déçus lorsque le temps de la séance s’est écoulé ; j’ai pu noter un effort dans la qualité de la
diction et de la forme des interventions des élèves.
Je pense que cette demande des élèves, dénotant le besoin d’une réflexion avant l’atelier,
montre bien l’évolution qui s’est dégagée au fil des séances : leur besoin de prendre du recul pour
mettre des mots sur des idées, des thèmes qui les touchent.
Ce déroulement nouveau peut constituer un tremplin pour éveiller le passage à l’écrit.
CONCLUSION
→ nécessité de postuler « l'éducabilité philosophique » pour nos élèves car, malgré toutes leurs
difficultés, ils ont des compétences intellectuelles, sachons donc leur donner la possibilité de les
exprimer, nous changerons de regard, nous pourrons nous autoriser à beaucoup plus d'exigence
-intellectuelle- envers eux.
→ Le souci philosophique n'est pas périphérique : il est au cœur même de l'acquisition des savoirs
grâce auxquels l'élève apprend à penser et à juger par soi-même en connaissance de cause. Le
moment philosophique a vocation à habiter l'acte d'apprendre. Les difficultés scolaires de nos
élèves résultent, en partie, de leur rapport au savoir. Comment susciter, développer, améliorer ce
rapport au savoir ? Bien que ce ne soit pas là leur finalité première, les ateliers de philosophie
apportent « en prime » un élément de réponse à cette question.
→ I1 faut croire en la parole comme médiation, s'efforcer de maintenir le dialogue, de construire
des lieux où la parole circule. Si dans l'institution une telle prise de parole est rendue possible
alors on éviterait peut-être bien des violences, bien des impuissances. Les ateliers pratiqués cette
année ont apporté un moment de paix sociale dans la classe.
→ Suite à cette expérience « du philosopher » que j'ai vécue cette année, il me semble avoir
apporté des éléments de réponse quant à mon questionnement sur la valeur pédagogique des
ateliers. Amener nos élèves à comprendre que - « Penser sa vie, vivre sa pensée» - est un fameux
projet personnel pédagogique et éducatif.
→ Au-delà du vif intérêt manifesté par les élèves, le dispositif permet à l'enseignant de faire
l'expérience de sa place dans la classe -pouvoir de sa parole, de son regard- de modifier ce
regard sur les élèves et notamment sur les plus en difficulté. L'enjeu de l'apprentissage de la
citoyenneté, de la revalorisation de l'estime de soi sont aussi des aspects importants
développés dans les ateliers de philosophie.
→ I1 ne s'agit certes pas d'un outil révolutionnaire. Il a ses limites et, en particulier, Comment
évaluer ce qui se passe au travers de l'acte de penser ? Seule l'évolution au fil des années, nous
permettra d'évaluer l'impact des ateliers sur l'élaboration de la pensée. Il faudrait maintenant
réfléchir sur le « comment » sortir de la pensée spontanée pour aller vers un questionnement plus
élaboré ? Comment les engager dans la voie de la pensée réflexive ? Ce qui est bien la mission de
l'école. En outre, il est nécessaire maintenant de poursuivre la réflexion quant à la possibilités de
transférer ce mode de fonctionnement à d'autres disciplines. Autant de questions, de pistes qui
sont à exploiter afin que nos élèves de SEGPA modifient leur rapport au savoir, reconstruisent le
sens de l'école qu'ils semblent avoir égaré.
Brigitte Bise juin 2004
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