sur le plateau. Mais il faisait aussi l’effort de se lever. On avait répété chez lui un peu, et puis
entre nous. Si l’on avait pu avoir le studio plus tôt, il aurait aimé répéter quinze jours dans les
décors, comme une pièce de théâtre.
Sa culture théâtrale était incroyable, comme son amour des comédiens de théâtre, mais la
dimension cinématographique était toujours là : c’était un homme d’image avant tout, et un
homme de défi formel, ça se voit encore dans Aimer, boire et chanter. Il ne voulait surtout pas
se répéter, ni même répéter quelque chose qu’il avait vu au cinéma. Il disait : « Ce plan-là, on
ne va pas le faire puisqu’il a déjà été fait dans tel ou tel film »… Son souci d’invention était tel
que chaque film était comme le premier. Pour lui, réaliser un film, c’était en quelque sorte en
prendre conscience. Il le découvrait une fois terminé, en ne sachant pas du tout ce qu’il avait
fait. Et c’était à chaque fois tellement pensé, intime, que la justesse était là. On pouvait aimer
ou pas, mais ça c’est autre chose.
Alain était curieux de tout. On se renvoyait les questions. Je voulais lui faire parler théâtre, qu’il
me raconte Copeau, Jouvet, Anouilh, qu’il avait rencontré. Et lui me faisait parler de la cuisine
de l’acteur. De grandes leçons à chaque fois. Avec une délicatesse incroyable, une culture qui
me faisait bafouiller. Quand j’étais devant lui j’avais l’impression d’avoir quatre ans et demi, de
ne plus rien savoir tellement il connaissait de choses. Pas seulement sur le cinéma et le théâtre
: on parlait d’un sujet, il rebondissait, il avait lu quelque chose dessus. Sa soif d’apprendre était
permanente.
On s’était vu à l’automne, après une projection du film, un matin. J’étais venu chez lui pour en
parler, j’étais resté une heure, c’est la dernière fois que je l’ai vu. Je l’ai eu au téléphone, il y a
une semaine, alors qu’il était hospitalisé. Il était usé physiquement, il souffrait du dos, de la
hanche. Mais il avait trois projets de films. Il hésitait entre eux, sentant qu’il pourrait peut-être
pas faire les trois. Je suis sûr qu’il aurait tourné cette année. »
Propos recueillis par Aurélien Ferenczi
© Télérama
3 mars 2014