Les algèbres de Hopf des arbres enracinés décorés, I

Les algèbres de Hopf des arbres enracinés décorés, I
L. Foissy
Laboratoire de Mathématiques - UMR6056, Université de Reims
Moulin de la Housse - BP 1039 - 51687 REIMS Cedex 2, France
RESUME. - Nous introduisons une algèbre de Hopf d’arbres enracinés plans décorés HD
P,R, non commuta-
tive et non cocommutative, généralisant la construction de l’algèbre des arbres enracinés HD
Rde Connes-
Kreimer. Nous montrons que HD
P,R vérifie une propriété universelle en cohomologie de Hochschild et
nous en déduisons qu’elle est auto-duale. Nous construisons ses endomorphismes de cogèbre et d’algèbre
de Hopf et nous montrons que la surjection canonique de HD
P,R sur HD
Rpermet de déterminer tous les
éléments primitifs de HD
R, en réponse à une question de D. Kreimer.
ABSTRACT. - HOPF ALGEBRAS OF DECORATED ROOTED TREES, I - We introduce a Hopf
algebra of planar decorated rooted trees HD
P,R which is non commutative and non cocommutative and
generalizes the Hopf algebra of rooted trees HD
Rof Connes and Kreimer. We show that HD
P,R satisfies a
universal property in Hochschild cohomology and deduce that it is self-dual. We construct its coalgebra
and Hopf algebra endomorphisms and show that the canonical epimorphism from HD
P,R to HD
Rleads to
the determination of the space of primitive elements of HD
R, answering a question by D. Kreimer.
Introduction
Dans [4, 8, 9, 10], Connes et Kreimer introduisent une algèbre de Hopf d’arbres enracinés (éventuelle-
ment décorés) HD
Rdans le but d’étudier un problème de renormalisation. Cette algèbre de Hopf est
graduée, commutative et non cocommutative. On montre que le dual gradué de cette algèbre de Hopf
est l’algèbre enveloppante de l’algèbre de Lie des arbres enracinés LD
1. L’un des problèmes posés par
Kreimer dans [1] est de trouver tous les éléments primitifs de HD
R. En effet, ils permettent par exemple
de construire et de classifier les comodules de dimension finie ou les endomorphismes d’algèbre de Hopf
de HD
R(voir [5]).
Dans ce papier, comme il était suggéré dans [4], nous introduisons une algèbre de Hopf d’arbres
enracinés plans HD
P,R, généralisant la construction de HD
R. Cette algèbre de Hopf est graduée, non
commutative, non cocommutative et vérifie une propriété universelle en cohomologie de Hochschild. Nous
montrons que cette algèbre est auto-duale. Cette propriété entraine l’existence d’un couplage de Hopf
non dégénéré (,)entre HD
P,R et elle-même ; en particulier, la base duale de la base des forêts permet de
trouver une base de l’espace des éléments primitifs de HD
P,R, puis de trouver tous les éléments primitifs
de HD
Rpar passage au quotient.
Dans la seconde partie de cet article, nous établirons le lien entre HD
P,R et d’autres algèbres de Hopf
d’arbres telles que l’algèbre des arbres binaires planaires introduite par Brouder et Frabetti dans [2] dans
le cadre de l’électrodynamique quantique, l’algèbre dendriforme libre de Loday et Ronco ([12, 16, 17]),
la quantification de HD
P,R de Moerdijk et van der Laan ([11, 15]), et l’algèbre de Grossman-Larson ([6,
7]). Nous considérerons également la cohomologie de Hochschild de HD
P,R et montrerons que pour tout
bicomodule B,Hn
(HD
P,R, B) = (0) si n2.
Ce papier est organisé de la manière suivante : les quatre premières sections sont consacrées à des
préliminaires sur les algèbres de Hopf graduées. Nous précisons tout d’abord la notion de dual gradué
; nous établissons ensuite des liens entre l’algèbre de Lie des éléments primitifs d’une algèbre de Hopf
graduée connexe A, sa cogèbre de Lie et l’algèbre de Lie des éléments primitifs de son abélianisée Aab.
AMS classification : 16W30, 05C05, 81T15.
Mots-clés : algèbres de Hopf, arbres, renormalisation, cohomologie de Hochschild, éléments primitifs.
1
Nous donnons également un résultat de structure sur les comodules et les bicomodules d’une telle algèbre
de Hopf.
Les quatre sections suivantes (sections 5 à 8) sont dévolues à la construction de HD
P,R et à la propriété
d’auto-dualité. Nous montrons que HD
P,R vérifie une propriété universelle en cohomologie de Hochschild
que nous utiliserons pour construire le couplage (,). Nous montrons que la base duale (eF)de la base des
forêts est une Z-base du sous-anneau de HD
P,R engendré par les arbres plans enracinés, et nous donnons
une expression combinatoire de (F, G)pour Fet Gdeux forêts.
Dans la section 9, nous montrons que HD
P,R,(HD
P,R)ab et HD
Rsont des cogèbres tensorielles ; ceci nous
permet de construire et classifier les endomorphismes de cogèbre et d’algèbre de Hopf de HD
P,R, ainsi que
ses comodules de dimension finie (section 10).
Enfin, la dernière section explicite la relation entre HD
P,R et HD
R. Nous montrons que la surjection
canonique Φ : HD
P,R 7−→ HD
Rvérifie Φ(P rim(HD
P,R)) = P rim(HD
R)et nous donnons une description du
dual gradué de HD
Rcomme sous-algèbre de HD
P,R.
Dans tout le texte, Kdésigne un corps commutatif de caractéristique nulle.
1 Dual gradué
1.1 Cas d’un espace vectoriel
Soit Vun K-espace vectoriel. On suppose Vmuni d’une graduation (Vn)nN, telle que dim(Vn)soit
finie pour tout n. Pour tout xV,x6= 0, on pose poids(x) = min{n/x V0. . . Vn}.
On identifie V
navec {fV/f(Vk) = (0) si k6=n} ⊆ V, et on pose Vg=LV
n={f
V/n0, f(Vn) = (0) si nn0};Vgest un espace gradué, avec (Vg)n=V
n.
Les quatre résultats suivants sont des adaptations de résultats classiques en dimension finie :
Lemme 1 Soit (ei)iIune base de Vformée d’éléments homogènes. Pour iI, on définit fiVpar
fi(ej) = δi,j , où δest le symbole de Kronecker. Alors (fi)iIest une base de Vg.
Lemme 2 Soient Vet Wdeux espaces gradués et soit γ:V7−W, homogène de degré kZ. Alors il
existe une unique application γg:Wg7−Vg, telle que :
γg(f)(x) = f(γ(x)) fWg,xV.
De plus, γgest homogène de degré k.
On munit VVd’une graduation donnée par (VV)n=X
k+l=n
VkVl.
Lemme 3 On considère l’application suivante :
θV:VgVg7−(VV)g
fg7−VV7−K
xy7−f(x)g(y).
Alors θVest un isomorphisme d’espaces gradués.
Soit Vun espace gradué, et Wun sous-espace de V. On dira que West un sous-espace gradué de V
si W=L(WVn).
Lemme 4 Soit Wun sous-espace gradué de V. Alors W⊥⊥ =W.
1.2 Cas d’une algèbre de Hopf
Soit (A, m, η, , ε, S)une K-algèbre de Hopf graduée, c’est-à-dire qu’il existe une graduation (An)nN
de l’espace vectoriel A, avec :
m(AnAm)An+m,n, m N,
∆(An)X
k+l=n
AkAl,nN.
(C’est-à-dire que met sont homogènes de degré 0).
En utilisant les lemmes 2 et 3, on montre, comme dans le cas où Aest de dimension finie :
2
Théorème 5 Agest muni d’une structure d’algèbre de Hopf graduée donnée par :
1. f, g Ag,xA,(fg)(x) = (fg)(∆(x)) ;
2. 1Ag=ε;
3. fAg,x, y A,∆(f)(xy) = f(xy);
4. fAg,ε(f) = f(1) ;
5. fAg,xA,(S(f)) (x) = f(S(x)) ;
6. (Ag)n=A
n.
Proposition 6 1. (Ag)get Asont isomorphes comme algèbres de Hopf graduées.
2. Soit M=Ker(ε)l’idéal d’augmentation de A. Soit P rim(Ag) = {fAg/∆(f) = 1 f+f1}.
Alors dans la dualité entre Aet Ag,P rim(Ag)= (1) M2.
Preuve :
1. Preuve semblable au cas de la dimension finie.
2. (1) P rim(Ag): soit pP rim(Ag). Alors p(1) = ε(p) = 0.
M2P rim(Ag): soit mM2. On peut supposer m=m1m2, ε(m1) = ε(m2)=0. Soit p
P rim(Ag). On a :
p(m1m2) = ∆(p)(m1m2)
= (1 p+p1)(m1m2)
=ε(m1)p(m2) + p(m1)ε(m2)
= 0.
(1) M2P rim(Ag): soit f(1) M2. Il s’agit de montrer : x, y A,∆(f)(xy) =
(f1 + 1 f)(xy), c’est-à-dire : f(xy) = f(x)ε(y) + ε(x)f(y). Comme A= (1) Ker(ε), il suffit de
considérer les trois cas suivants :
1. x=y= 1 : il faut montrer f(1) = 2f(1), ce qui est vrai car f(1);
2. x= 1,ε(y) = 0 ou ε(x) = 0,y= 1 : évident ;
3. ε(x) = ε(y) = 0 : alors xy M2, et donc f(xy) = 0.
On a montré (1) M2P rim(Ag)et (1) M2P rim(Ag). Comme Aet Agsont des algèbres
de Hopf graduées, P rim(Ag)et M2sont des sous-espaces gradués. On obtient donc les inclusions
réciproques par passage à l’orthogonal en utilisant le lemme 4. 2
1.3 Algèbres de Hopf graduées cocommutatives
On suppose désormais les deux conditions suivantes :
(C1)Aest connexe, c’est-à-dire dim(A0) = 1 ;
(C2)les Ansont de dimension finie.
On a alors A0= (1). D’après [3], proposition III.3.5, on a Ker(ε) = Ln1An.
On rappelle le théorème de Cartier-Milnor-Moore-Quillen (voir [14]) :
Théorème 7 (Cartier-Milnor-Moore-Quillen) Soit Aune algèbre de Hopf cocommutative graduée
vérifiant (C1). Alors Aest isomorphe à U(P rim(A)) comme algèbre de Hopf graduée.
3
2 Eléments primitifs d’une algèbre de Hopf graduée
2.1 Eléments symétriques
Définition 8 Soit Aune algèbre de Hopf ; on note S(A)la plus grande sous-cogèbre cocommutative de
A.
Si (Ci)iIest une famille de sous-cogèbres cocommutatives de A, alors PCiest encore une sous-
cogèbre cocommutative de A. Donc S(A)existe.
Proposition 9 S(A)est une sous-algèbre de Hopf de A. De plus, si Aest graduée, S(A)est une sous-
algèbre de Hopf graduée de A.
Preuve : l’algèbre engendrée par S(A)est encore une sous-cogèbre cocommutative de A, et donc est incluse
dans S(A). par suite, S(A)est une sous-bigèbre de A. Comme l’antipode SAest un antimorphisme de
cogèbres, on a SA(S(A)) ⊆ S(A), donc S(A)est une sous-algèbre de Hopf de A.
Supposons Agraduée. Considérons S0(A) = LS(A)An. On montre facilement que S0(A)est une
sous-cogèbre cocommutative, donc incluse dans S(A), ce qui montre que S(A)est graduée. 2
Proposition 10 Supposons Agraduée en dimension finie et connexe. Alors S(A)est isomorphe comme
algèbre de Hopf graduée à U(P rim(A)). De plus, S(A)gest isomorphe comme algèbre de Hopf graduée
à l’abélianisée (Ag)ab de Ag.
Preuve : d’après le théorème de Milnor-Moore, S(A)est isomorphe à U(P rim(S(A))). Il suffit donc
de montrer que P rim(A)⊂ S(A):P rim(A) + (1) est une sous-cogèbre cocommutative de A, et donc
P rim(A) + (1) A.
On note IAgl’idéal abélianisateur de Ag. Par définition de S(A),S(A)est le plus petit idéal
bilatère de Ag, tel que le quotient par cet idéal soit commutatif : il s’agit donc de IAg. Comme S(A)g
s’identifie au quotient de Agpar S(A), on a le résultat annoncé. 2
Remarque : on peut montrer que S(A) = {xA/σ.n1(x)=∆n1(x),nN,σSn}, où Sn
agit sur Ande la manière suivante : σ.(a1. . . an) = aσ(1) . . . aσ(n).
2.2 Cogèbre de Lie
Proposition 11 Soit Aune algèbre de Hopf graduée en dimension finie. Soit MAson idéal d’augmentation.
Alors MA
M2
A
est muni d’une structure de cogèbre de Lie donnée par :
δ(πA(x)) = (πAπA)(∆(x)op(x)),xMA,
πA:MA7−MA
M2
A
est la surjection canonique. De plus, MA
M2
Agest isomorphe à P rim(Ag)comme
algèbre de Lie graduée.
Preuve : P rim(Ag)gs’identifie à A
P rim(Ag)=A
1M2
AMA
M2
A
. La structure de cogèbre de Lie induite
sur MA
M2
A
en transposant la structure d’algèbre de Lie de P rim(Ag)est celle décrite dans la proposition. 2
On note P(A) = xMA
M2
A
(x) = 0.
Lemme 12 πA(P rim(A)) = πA(S(A)) P(A).
Preuve : d’après le théorème de Poincaré-Birkhof-Witt, MS(A)=P rim(A) + M2
S(A); de plus, M2
S(A)
M2
A, donc tout xMS(A)peut s’écrire x=p+m,pP rim(A),mM2
A. Par suite, πA(x) = πA(p),
d’où la première égalité.
Soit pP rim(A). Alors δ(πA(p)) = (πAπA)(p1+1p1pp1) = 0, d’où πA(P rim(A))
P(A).2
Proposition 13 Soit Aune algèbre de Hopf graduée connexe. Soit $A:A7−Aab la surjection
canonique. Alors $Ainduit un isomorphisme de cogèbres de Lie graduées :
$A:MA
M2
A7−MAab
M2
Aab
.
4
Preuve : $(MA)MAab , donc $(M2
A)MA2
ab . Par suite, $Aest bien définie. Comme $Aest un
morphisme de cogèbres, $Aest un morphisme de cogèbres de Lie.
$Aest injectif : Ker($A) = IA, IAest l’idéal abélianisateur de A. Par suite, si xKer($A),
alors xIA+M2
A. Comme IAM2
A, alors xM2
A, et donc x= 0.
$Aest surjectif car $Al’est. 2
Soit Aune algèbre de Hopf graduée. Comme $Aest un morphisme d’algèbres de Hopf, $A(P rim(A))
P rim(Aab), et $A:P rim(A)7−P rim(Aab)est un morphisme d’algèbres de Lie. Comme P rim(Aab)
est une algèbre de Lie abélienne (car Aab est commutative), on a alors un morphisme :
φA:P rim(A)ab 7−P rim(Aab)
p+ [P rim(A), P rim(A)] 7−p+IA.
De plus, [P rim(A), P rim(A)] M2
A. D’après le lemme 12, on a donc une application linéaire :
ψA:P rim(A)ab 7−P(A)
p+ [P rim(A), P rim(A)] 7−p+M2
A.
Remarque : le dual gradué de P rim(A)est identifié à MAg
M2
Ag. On a alors :
[P rim(A), P rim(A)]=Im([,])=Ker([,]g) = Ker(δ) = P(Ag).
Le dual gradué de P rim(A)ab s’identifie donc à P(Ag). Par dualité, le dual gradué de P(A)s’identifie
àP rim(Ag)ab. On a alors :
ψg
A:P rim(Ag)ab 7−P(Ag)
p+ [P rim(Ag), P rim(Ag)] 7−p+IAg.
Par suite, ψg
A=ψAg.
2.3 Les cas cocommutatifs ou commutatifs
Théorème 14 Soit Aune algèbre de Hopf cocommutative, graduée et connexe. Alors φAet ψAsont des
bijections. De plus, P rim(A)M2
A=P rim(A)IA= [P rim(A), P rim(A)].
Preuve : d’après le théorème de Milnor-Moore, Aest isomorphe à U(g), où g=P rim(A). Montrons
d’abord que gM2
A=gIA= [g,g].
Supposons d’abord Acommutative. Alors gIA= [g,g] = (0). De plus, Aest isomorphe à une
algèbre S(V), avec Vun espace vectoriel gradué, muni du coproduit donné par ∆(v) = v1+1v,
vV. Or P rim(S(V)) = V, et M2
S(V)=S2(V). . .. Donc P rim(S(V)) M2
S(V)= (0), d’où
gM2
A= (0).
Cas général : soit F1:U(g)7−→ U(gab)induit par la surjection canonique g7−gab. Comme U(gab)
est commutative, on a un morphisme d’algèbres de Hopf induit :
F1:U(g)ab 7−→ U(gab)
p+IU(g)7−p+ [g,g],pg.
On a un morphisme d’algèbres de Lie g7−P rim(U(g)ab), induit par la surjection canonique de U(g)
sur U(g)ab. Comme P rim(U(g)ab)est abélienne, on a un morphisme d’algèbres de Lie induit de gab dans
P rim(U(g)ab), et donc un morphisme d’algèbres de Hopf :
F2:U(gab)7−→ U(P rim(U(g)ab))
p+ [g,g]7−p+IU(g),pg.
L’injection canonique de P rim(U(g)ab)dans U(g)ab induit un morphisme d’algèbres de Hopf :
F3:U(P rim(U(g)ab)) 7−→ U(g)ab
p+IU(g)7−p+IU(g),pg.
On déduit alors facilement que F3F2est l’inverse de F1, et donc F1est une bijection. Par suite, le noyau
de F1est IU(g). De plus, F1|gest la surjection canonique de gsur gab, donc Ker(F1|g) = IU(g)g= [g,g].
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